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Brusquement la bataille éclata. Six cents voix |
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Énormes, se jetant la flamme à pleines bouches, |
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S'insultèrent du haut des collines farouches, |
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Toute la plaine fut un abîme fumant, |
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Et mon tambour battait la charge éperdument. |
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Aux canons se mêlait une fanfare altière, |
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Et les bombes pleuvaient sur notre cimetière, |
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Comme si l'on cherchait à tuer les tombeaux ; |
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On voyait du clocher s'envoler les corbeaux ; |
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Je me souviens qu'un coup d'obus troua la terre, |
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Et le mort apparut stupéfait dans sa bière, |
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Comme si le tapage humain le réveillait. |
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Puis un brouillard cacha le soleil. Le boulet |
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Et la bombe faisaient un bruit épouvantable. |
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Berthier, prince d'empire et vice-connétable, |
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Chargea sur notre droite un corps hanovrien |
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Avec trente escadrons, et l'on ne vit plus rien |
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Qu'une brume sans fond, de bombes étoilée ; |
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Tant toute la bataille et toute la mêlée |
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Avaient dans le brouillard tragique disparu. |
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Un nuage tombé par terre, horrible, accru |
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Par des vomissements immenses de fumées, |
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Enfants, c'est là-dessous qu'étaient les deux armées ; |
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La neige en cette nuit flottait comme un duvet, |
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Et l'on s'exterminait, ma foi, comme on pouvait. |
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155 |
On faisait de son mieux. Pensif dans les décombres |
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Je voyais mes soldats rôder comme des ombres, |
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Spectres le long du mur rangés en espalier ; |
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Et ce champ me faisait un effet singulier, |
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Des cadavres dessous et dessus des fantômes. |
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Quelques hameaux flambaient ; au loin brûlaient des chaumes. |
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Puis la brume où du Harz on entendait le cor |
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Trouva moyen de croître et d'épaissir encor, |
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Et nous ne vîmes plus que notre cimetière ; |
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A midi nous avions notre mur pour frontière |
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Comme par une main noire, dans de la nuit, |
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Nous nous sentîmes prendre, et tout s'évanouit. |
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Notre église semblait un rocher dans l'écume. |
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La mitraille voyait fort clair dans cette brume, |
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Nous tenait compagnie, écrasait le chevet |
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De l'église, et la croix de pierre, et nous prouvait |
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Que nous n'étions pas seuls dans cette laine obscure. |
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Nous avions faim, mais pas de soupe ; on se procure |
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Avec peine à manger dans un tel lieu. Voilà |
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Que la grêle de feu tout à coup redoubla. |
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La mitraille, c'est fort gênant ; c'est de la pluie ; |
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Seulement ce qui tombe et ce qui vous ennuie, |
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Ce sont des grains de flamme et non des gouttes d'eau. |
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Des gens à qui l'on met sur les yeux un bandeau, |
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C'était nous. Tout croulait sous les obus, le cloître, |
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L'église et le clocher, et je voyais décroître |
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Les ombres que j'avais autour de moi debout ; |
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Une de temps en temps tombait. — On meurt beaucoup, |
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Dit un sergent pensif comme un loup dans un piège ; |
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Puis il reprit, montrant les fosses sous la neige : |
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— Pourquoi nous donne-t-on ce champ déjà meublé ? — |
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Nous luttions. C'est le sort des hommes et du blé |
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D'être fauchés sans voir la faulx. Un petit nombre |
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De fantômes rôdait encor dans la pénombre ; |
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Mon gamin de tambour continuait son bruit ; |
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Nous tirions par-dessus le mur presque détruit. |
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Mes enfants, vous avez un jardin ; la mitraille |
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Était sur nous, gardiens de cette âpre muraille, |
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Comme vous sur les fleurs avec votre arrosoir. |
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« Vous ne vous en irez qu'à six heures du soir. » |
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195 |
Je songeais, méditant tout bas cette consigne. |
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Des jets d'éclair mêlés à des plumes de cygne, |
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Des flammèches rayant dans l'ombre les flocons, |
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C'est tout ce que nos yeux pouvaient voir. — Attaquons ! |
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Me dit le sergent. — Qui ? dis-je, en ne voit personne. |
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200 |
— Mais on entend. Les voix parlent ; le clairon sonne, |
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Partons, sortons ; la mort crache sur nous ici ; |
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Nous sommes sous la bombe et l'obus. — Restons-y. |
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J'ajoutai : — C'est sur nous que tombe la bataille. |
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Nous sommes le pivot de l'action. — Je bâille, |
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Dit le sergent. — Le ciel, les champs, tout était noir ; |
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Mais quoiqu'en pleine nuit nous étions loin du soir, |
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Et je me répétais tout bas : Jusqu'à six heures. |
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— Morbleu ! nous aurons peu d'occasions meilleures |
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Pour avancer ! me dit mon lieutenant. Sur quoi, |
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Un boulet l'emporta. Je n'avais guère foi |
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Au succès ; la victoire au fond n'est qu'une garce. |
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Une blême lueur, dans le brouillard éparse, |
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Éclairait vaguement le cimetière. Au loin |
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Rien de distinct, sinon que l'on avait besoin |
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De nous pour recevoir sur nos têtes les bombes. |
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L'empereur nous avait mis là, parmi ces tombes ; |
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Mais, seuls, criblés d'obus et rendant coups pour coups, |
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Nous ne devinions pas ce qu'il faisait de nous. |
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Nous étions, au milieu de ce combat, la cible. |
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Tenir bon, et durer le plus longtemps possible, |
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Tâcher de n'être morts qu'à six heures du soir, |
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En attendant tuer, c'était notre devoir. |
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Nous tirions au hasard, noirs de poudre, farouches ; |
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Ne prenant que le temps de mordre les cartouches, |
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Nos soldats combattaient et tombaient sans parler. |
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— Sergent, dis-je, voit-on l'ennemi reculer ? |
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— Non. — Que voyez-vous ? — Rien. — Ni moi. C'est le déluge, |
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Mais en feu. — Voyez-vous nos gens ? — Non. Si j'en juge |
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Par le nombre de coups qu'à présent nous tirons, |
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Nous sommes bien quarante. — Un grognard à chevrons, |
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Qui tiraillait pas loin de moi, dit : — On est trente. |
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Tout était neige et nuit ; la bise pénétrante |
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Soufflait, et, grelottants, nous regardions pleuvoir |
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Un gouffre de points blancs dans un abîme noir. |
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La bataille pourtant semblait devenir pire. |
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C'est qu'un royaume était mangé par un empire ! |
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On devinait derrière un voile un choc affreux ; |
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On eût dit des lions se dévorant entre eux ; |
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C'était comme un combat des géants de la fable ; |
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On entendait le bruit des décharges, semblable |
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A des écroulements énormes ; les faubourgs |
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De la ville d'Eylau prenaient feu ; les tambours |
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Redoublaient leur musique horrible, et sous la nue |
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Six cents canons faisaient la basse continue ; |
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On se massacrait ; rien ne semblait décidé ; |
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La France jouait là son plus grand coup de dé ; |
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Le bon Dieu de là-haut était-il pour ou contre ? |
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Quelle ombre ! et je tirais de temps en temps ma montre. |
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Par intervalle un cri troublait ce champ muet, |
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Et l'on voyait un corps gisant qui remuait. |
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Nous étions fusillés l'un après l'autre, un râle |
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Immense remplissait cette ombre sépulcrale. |
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Les rois ont les soldats comme vous vos jouets. |
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Je levais mon épée, et je la secouais |
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255 |
Au-dessus de ma tête, et je criais : Courage ! |
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J'étais sourd et j'étais ivre, tant avec rage |
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Les coups de foudre étaient par d'autres coups suivis ; |
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Soudain mon bras pendit, mon bras droit, et je vis |
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Mon épée à mes pieds, qui m'était échappée ; |
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260 |
J'avais un bras cassé ; je ramassai l'épée |
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Avec l'autre, et la pris dans ma main gauche : Amis ! |
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Se faire aussi casser le bras gauche est permis ! |
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Criai-je, et je me mis à rire, chose utile, |
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Car le soldat n'est point content qu'on le mutile, |
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265 |
Et voir le chef un peu blessé ne déplaît point. |
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Mais quelle heure était-il ? je n'avais plus qu'un poing |
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Et j'en avais besoin pour lever mon épée ; |
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Mon autre main battait mon flanc, de sang trempée, |
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Et je ne pouvais plus tirer ma montre. Enfin |
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270 |
Mon tambour s'arrêta : — Drôle, as-tu peur ? — J'ai faim, |
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Me répondit l'enfant. En ce moment la plaine |
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Eut comme une secousse, et fut brusquement pleine |
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D'un cri qui jusqu'au ciel sinistre s'éleva. |
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Je me sentais faiblir ; tout un homme s'en va |
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Par une plaie ; un bras cassé, cela ruisselle ; |
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Causer avec quelqu'un soutient quand on chancelle ; |
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Mon sergent me parla ; je dis au hasard : Oui, |
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Car je ne voulais pas tomber évanoui. |
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Soudain le feu cessa, la nuit sembla moins noire. |
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280 |
Et l'on criait : Victoire ! et je criai : Victoire ! |
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J'aperçus des clartés qui s'approchaient de nous. |
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Sanglant, sur une main et sur les deux genoux |
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Je me traînai ; je dis : — Voyons où nous en sommes. |
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J'ajoutai : — Debout, tous ! Et je comptai mes hommes. |
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285 |
— Présent ! dit le sergent. — Présent ! dit le gamin. |
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Je vis mon colonel venir, l'épée en main. |
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— Par qui donc la bataille a-t-elle été gagnée ? |
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— Par vous, dit-il. — La neige étant de sang baignée, |
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Il reprit : — C'est bien vous, Hugo ? C'est votre voix ? |
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290 |
— Oui. — Combien de vivants êtes-vous ici ? — Trois. |
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