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| = césure
VER_1/VER18
Paul VERLAINE
POÈMES SATURNIENS
1866
PROLOGUE
Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire, 6+6 a
Où les fils de Raghû ; beaux de fard et de gloire, 6+6 a
Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant, 6+6 b
Et, par l'intensi de leur vertu troublant 6+6 b
5 Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même, 6+6 a
Augustes, s'élevaient jusqu'au Néant suprême, 6+6 a
Ah ! la terre et la mer et le ciel, purs encor 6+6 b
Et jeunes, qu'arrosait une lumière d'or 6+6 b
Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures 6+6 a
10 De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres, 6+6 a
Et retenant le vol obstiné des essaims, 6+6 b
Les Poètes sacrés chanter les Guerriers saints, 6+6 b
Cependant que le ciel et la mer et la terre 6+6 a
Voyaient, — rouges et las de leur travail austère, — 6+6 a
15 S'incliner, pénitents fauves et timorés, 6+6 b
Les Guerriers saints devant les Poètes sacrés ! 6+6 b
Une connexi grandiosement calme 6+6 a
Liait le Kchatrya serein au Chanteur calme, 6+6 a
Valmiki l’excellent à l’excellent Rama : 6+6 b
20 Telles sur un étang deux touffes de padma. 6+6 b
— Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique, 6+6 a
De Spartè la sévère à la rieuse Attique, 6+6 a
Les Aèdes, Orpheus, Alkaïos, étaient 6+6 b
Encore des héros altiers, et combattaient. 6+6 b
25 Homéros, s’il n’a pas, lui, manié le glaive, 6+6 a
Fait retentir, clameur immense qui s’élève, 6+6 a
Vos échos jamais las, vastes postérités, 6+6 b
D’Hektôr, et d’Odysseus, et d’Akhilleus chantés. 6+6 b
Les héros à leur tour, après les luttes vastes, 6+6 a
30 Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes, 6+6 a
Et non moins que de l’art d’Arès furent épris 6+6 b
De l’Art dont une Palme immortelle est le prix, 6+6 b
Akhilleus entre tous ! Et le Laërtiade 6+6 a
Dompta, parole d’or qui charme et persuade, 6+6 a
35 Les esprits et les cœurs et les âmes toujours, 6+6 b
Ainsi qu’Orpheus domptait les tigres et les ours. 6+6 b
— Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères 6+6 a
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères, 6+6 a
Est-ce que le Trouvère héroïque n’eut pas 6+6 b
40 Comme le Preux sa part auguste des combats ? 6+6 b
Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne, 6+6 a
Et son neveu Roland resté dans la montagne, 6+6 a
Et le bon Olivier et Turpin au grand cœur, 6+6 b
En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur, 6−6 b
45 Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles, 6+6 a
Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles, 6+6 a
Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux 6+6 b
De Roland et de ceux qui virent Roncevaux 6+6 b
Et furent de l'énorme et suprême tuerie, 6+6 a
50 Du temps de l'Empereur à la barbe fleurie ?… 6+6 a
Aujourd'hui, l'Action et le Rêve ont bri 6+6 b
Le pacte primitif par les siècles usé, 6+6 b
Et plusieurs ont trou funeste ce divorce 6+6 a
De l'Harmonie immense et bleue et de la Force. 6+6 a
55 La Force, qu'autrefois le Poète tenait 6+6 b
En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait, 6+6 b
La Force, maintenant, la Force, c'est la Bête 6+6 a
Féroce bondissante et folle et toujours prête 6+6 a
À tout carnage, à tout dévastement, à tout 6+6 b
60 Égorgement, d'un bout du monde à l'autre bout ! 6+6 b
L'Action qu'autrefois réglait le chant des lyres, 6+6 a
Trouble, enivrée, en proie aux cent mille délires 6+6 a
Fuligineux d'un siècle en ébullition, 6+6 b
L'Action à présent, — ô pitié ! — l'Action, 6+6 b
65 C'est l'ouragan, c'est la tempête, c'est la houle 6−6 a
Marine dans la nuit sans étoiles, qui roule 6+6 a
Et déroule parmi des bruits sourds l'effroi vert 6+6 b
Et rouge des éclairs sur le ciel entr'ouvert ! 6+6 b
— Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes 6+6 a
70 De la vie et du choc désordonné des armes 6+6 a
Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs 6+6 b
Ineffables, voici le groupe des Chanteurs 6+6 b
Vêtus de blanc, et des lueurs d'apothéoses 6−6 a
Empourprent la fierté sereine de leurs poses : 6+6 a
75 Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux, 6+6 b
Et sous leur front le rêve inachevé des Dieux ! 6+6 b
Le monde, que troublait leur parole profonde, 6+6 a
Les exile. À leur tour ils exilent le monde ! 6+6 a
C'est qu'ils ont à la fin compris qu'il ne faut plus 6+6 b
80 Mêler leur note pure aux cris irrésolus 6+6 b
Que va poussant la foule obscène et violente, 6+6 a
Et que l'isolement sied à leur marche lente. 6+6 a
Le Poète, l'amour du Beau, voilà sa foi, 6+6 b
L'Azur, son étendard, et l'Idéal, sa loi ! 6+6 b
85 Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles, 6+6 a
Où le rayonnement des choses éternelles 6+6 a
A mis des visions qu'il suit avidement, 6+6 b
Ne sauraient s'abaisser une heure seulement 6+6 b
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires 6+6 a
90 Et sur vos vanités plates ; et si naguères 6+6 a
On le vit au milieu des hommes, épousant 6+6 b
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant 6+6 b
Aux guerres, célébrant l'orgueil des Républiques 6+6 a
Et l'éclat militaire et les splendeurs auliques 6+6 a
95 Sur la kithare, sur la harpe et sur le luth, 6−6 b
S'il honorait parfois le présent d'un salut 6+6 b
Et daignait consentir à ce rôle de prêtre 6+6 a
D'aimer et de bénir, et s'il voulait bien être 6+6 a
La voix qui rit ou pleure alors qu'on pleure ou rit, 6+6 b
100 S'il inclinait vers l'âme humaine son esprit, 6+6 b
C'est qu'il se méprenait alors sur l'âme humaine. 6+6 a
— Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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