Métrique en Ligne
VER_5/VER176
Paul VERLAINE
SAGESSE
1881
I
XXIV
L’âme antique était rude et vaine 8
Et ne voyait dans la douleur 8
Que l’acuité de la peine 8
Ou l’étonnement du malheur. 8
5 L’art, sa figure la plus claire 8
Traduit ce double sentiment 8
Par deux grands types de la Mère 8
En proie au suprême tourment. 8
C’est la vieille reine de Troie : 8
10 Tous ses fils sont morts par le fer. 8
Alors ce deuil brutal aboie 8
Et glapit au bord de la mer. 8
Elle court le long du rivage, 8
Bavant vers le flot écumant, 8
15 Hirsute, criarde, sauvage, 8
La chienne littéralement !… 8
Et c’est Niobé qui s’effare 8
Et garde fixement des yeux 8
Sur les dalles de pierre rare 8
20 Ses enfants tués par les cieux. 8
Le souffle expire sur sa bouche. 8
Elle meurt dans un geste fou. 8
Ce n’est plus qu’un marbre farouche 8
Là transporté nul ne sait d’où !… 8
25 La douleur chrétienne est immense. 8
Elle, comme le cœur humain, 8
Elle souffre, puis elle pense, 8
Et calme poursuit son chemin. 8
Elle est debout sur le Calvaire 8
30 Pleine de larmes et sans cris. 8
C’est également une mère, 8
Mais quelle mère de quel fils ! 8
Elle participe au Supplice 8
Qui sauve toute nation, 8
35 Attendrissant le sacrifice 8
Par sa vaste compassion. 8
Et comme tous sont les fils d’elle, 8
Sur le monde et sur sa langueur 8
Toute la charité ruisselle 8
40 Des sept blessures de son cœur, 8
Au jour qu’il faudra, pour la gloire 8
Des cieux enfin tout grands ouverts, 8
Ceux qui surent et purent croire, 8
Bons et doux, sauf au seul Pervers, 8
45 Ceux-là vers la joie infinie 8
Sur la colline de Sion 8
Monteront d’une aile bénie 8
Aux plis de son assomption. 8
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