Métrique en Ligne
VER_1/VER53
Paul VERLAINE
POÈMES SATURNIENS
1866
Marco
Quand Marco passait, tous les jeunes hommes 10
Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes 10
Où les feux d'Amour brûlaient sans pitié 10
Ta pauvre cahute, ô froide Amitié ; 10
5 Tout autour dansaient des parfums mystiques 10
Où l'âme, en pleurant, s'anéantissait, 10
Sur ses cheveux roux un charme glissait ; 10
Sa robe rendait d'étranges musiques 10
Quand Marco passait. 5
10 Quand Marco chantait, ses mains sur l'ivoire 10
Évoquaient souvent la profondeur noire 10
Des airs primitifs que nul n'a redits, 10
Et sa voix montait dans les paradis 10
De la symphonie immense des rêves, 10
15 Et l'enthousiasme alors transportait 10
Vers des cieux connus quiconque écoutait 10
Ce timbre d'argent qui vibrait sans trêves 10
Quand Marco chantait. 5
Quand Marco pleurait, ses terribles larmes 10
20 Défiaient l'éclat des plus belles armes ; 10
Ses lèvres de sang fonçaient leur carmin 10
Et son désespoir n'avait rien d'humain ; 10
Pareil au foyer que l'huile exaspère, 10
Son courroux croissait, rouge, et l'on aurait 10
25 Dit d'une lionne à l'âpre forêt 10
Communiquant sa terrible colère 10
Quand Marco pleurait. 5
Quand Marco dansait, sa jupe moirée 10
Allait et venait comme une marée, 10
30 Et, tel qu'un bambou flexible, son flanc 10
Se tordait, faisant saillir son sein blanc : 10
Un éclair partait. Sa jambe de marbre, 10
Emphatiquement cynique, haussait 10
Ses mates splendeurs, et cela faisait 10
35 Le bruit du vent de la nuit dans un arbre 10
Quand Marco dansait. 5
Quand Marco dormait, oh ! quels parfums d'ambre 10
Et de chair mêlés opprimaient la chambre ! 10
Sous les draps la ligne exquise du dos 10
40 Ondulait, et dans l'ombre des rideaux 10
L'haleine montait, rhythmique et légère ; 10
Un sommeil heureux et calme fermait 10
Ses yeux, et ce doux mystère charmait 10
Les vagues objets parmi l'étagère, 10
45 Quand Marco dormait. 5
Mais quand elle aimait, des flots de luxure 10
Débordaient, ainsi que d'une blessure 10
Sort un sang vermeil qui fume et qui bout, 10
De ce corps cruel que son crime absout ; 10
50 Le torrent rompait les digues de l'âme, 10
Noyait la pensée, et bouleversait 10
Tout sur son passage, et rebondissait 10
Souple et dévorant comme de la flamme, 10
Et puis se glaçait. 5
logo du CRISCO logo de l'université