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VER_1/VER31
Paul VERLAINE
POÈMES SATURNIENS
1866
EAUX-FORTES
V
Grotesques
Leurs jambes pour toutes montures, 8
Pour tous biens l'or de leurs regards, 8
Par le chemin des aventures 8
Ils vont haillonneux et hagards. 8
5 Le sage, indigné, les harangue ; 8
Le sot plaint ces fous hasardeux ; 8
Les enfants leur tirent la langue 8
Et les filles se moquent d'eux. 8
C'est qu'odieux et ridicules, 8
10 Et maléfiques en effet, 8
Ils ont l'air, sur les crépuscules, 8
D'un mauvais rêve que l'on fait : 8
C’est que, sur leurs aigres guitares 8
Crispant la main des libertés, 8
15 Ils nasillent des chants bizarres, 8
Nostalgiques et révoltés ; 8
C’est enfin que dans leurs prunelles 8
Rit et pleure — fastidieux — 8
L’amour des choses éternelles, 8
20 Des vieux morts et des anciens dieux ! 8
— Donc, allez, vagabonds sans trêves, 8
Errez, funestes et maudits, 8
Le long des gouffres et des grèves, 8
Sous l’œil fermé des paradis ! 8
25 La nature à l’homme s’allie 8
Pour châtier comme il le faut 8
L’orgueilleuse mélancolie 8
Qui vous fait marcher le front haut. 8
Et, vengeant sur vous le blasphème 8
30 Des vastes espoirs véhéments, 8
Meurtrit votre front anathème 8
Au choc rude des éléments. 8
Les juins brûlent et les décembres 8
Gèlent votre chair jusqu'aux os, 8
35 Et la fièvre envahit vos membres, 8
Qui se déchirent aux roseaux. 8
Tout vous repousse et tout vous navre, 8
Et quand la mort viendra pour vous, 8
Maigre et froide, votre cadavre 8
40 Sera dédaigné par les loups ! 8
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