Métrique en Ligne
DAN_1/DAN16
Louis DANTIN
Le Coffret de Crusoé
1932
IV
CHANSON FOLÂTRE
Sur un exemplaire
des « Confessions » de Jean-Jacques
À toi, l'un de ces fous léguant 8
Au monde de nouvelles bibles ; 8
Père des valets arrogants 8
Et des misanthropes sensibles ; 8
5 Des chemineaux qui sous les cieux 8
Marchent, frères de la nature, 8
Cueillant partout, insoucieux, 8
L'illusion et l'aventure ; 8
Qui, des rubans qu'ils ont volés 8
10 Incriminent les chambrières, 8
Et, de caprice auréolés, 8
Dans les parcs montrent leurs derrières ; 8
Page naïf et fanfaron, 8
Dont la vie aux multiples masques 8
15 De ta fontaine de Héron 8
Ressuscite les jets fantasques ; 8
Labyrinthe en qui se fourvoient 8
Le penseur, l'ascète et l'amant ; 8
Prêcheur, au lit de ta « maman », 8
20 Comme un vicaire de Savoie ; 8
Platon que la lune a frappé, 8
Père des incroyants mystiques, 8
Des stylites émancipés, 8
Et père aussi des romantiques ! 8
25 Ton âme étrange a résumé 8
Les paradoxes que nous sommes 8
Et dans son énigme exprimé 8
L'âme énigmatique des hommes. 8
Justice, devoir à la bouche, 8
30 Dans ton coeur ni bon ni pervers 8
Isolé, défiant, farouche, 8
Tu portas ton propre univers. 8
Ton désir plane sur les cimes 8
Tel celui d'un pâtre ingénu ; 8
35 Et pourtant tu n'auras connu 8
Que des amours illégitimes. 8
Tu plains les marmots qu'on délaisse 8
Et du lait maternel privés ; 8
Mais tu mets, humaine faiblesse, 8
40 Tes petits aux Enfants-Trouvés. 8
Malgré tout, ô Jean-Jacques, j'aime 8
Ton être en ces pages épars, 8
Pour être, en tes maints avatars, 8
Resté splendidement toi-même ; 8
45 Pour avoir gardé ta fierté, 8
Renié tous les esclavages, 8
Et brûlé pour l'humanité 8
D'amours et de mépris sauvages ; 8
Pour avoir, au progrès rétif, 8
50 Et sous le rire de Voltaire, 8
Chanté le Huron primitif, 8
Vengé les tremblements de terre ; 8
Entendu les secrètes voix 8
Du monde et de sa beauté pure 8
55 Et chéri, sous l'ombre des bois, 8
La solitude et la nature. 8
Toujours ton nom retentira 8
Pour défense des droits qu'on lèse, 8
Et l'éternité flétrira 8
60 Le vol du beurre de Thérèse. 8
D'un siècle à l'abîme voguant 8
Tu traînes la plainte fatale 8
Et le souffle d'un ouragan 8
Gonfle ta toge orientale. 8
65 De tes méninges tourmentés, 8
De tes nerfs et de ta gravelle 8
Jaillit le cri d'où sont hâtés 8
Les pas d'une hégire nouvelle. 8
Tous, issus de ton noble tronc, 8
70 Nous te suivons, trouple infinie ; 8
Prends sous ta garde, saint patron, 8
Tous les bohèmes de génie. 8
logo du CRISCO logo de l'université