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VOL_2/VOL24
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
La Pucelle d'Orléans
1752
CHANT III
Argument
Description du palais de la sottise. Combat vers Orléans. Agnès se revêt de l'armure pour aller trouver son amant : elle est prise par les Anglais, et sa pudeur souffre beaucoup.
Ce n'est le tout d'avoir un grand courage, 4+6 a
Un coup d'œil ferme au milieu des combats, 4+6 b
D'être tranquille à l'aspect du carnage, 4+6 a
Et de conduire un monde de soldats ; 4+6 b
5 Car tout cela se voit en tous climats, 4+6 b
Et tour à tour ils ont cet avantage. 4+6 a
Qui me dira si nos ardents Français 4+6 a
Dans ce grand art, l'art affreux de la guerre, 4+6 b
Sont plus savants que l'intrépide Anglais ? 4+6 a
10 Si le Germain l'emporte sur l'Ibère ? 4+6 b
Tous ont vaincu, tous ont été défaits. 4+6 a
Le grand Condé fut vaincu par Turenne : 4+6 a
Le fier Villars fut battu par Eugène ; 4+6 a
De Stanislas le vertueux support, 4+6 a
15 Ce roi soldat, don Quichotte du Nord, 4+6 a
Dont la valeur a paru plus qu'humaine, 4+6 a
N'a-t-il pas vu, dans le fond de l'Ukraine, 4+6 a
A Pultava tous ses lauriers flétris 4+6 a
Par un rival, objet de ses mépris ? 4+6 a
20 Un beau secret serait, à mon avis, 4+6 a
De bien savoir éblouir le vulgaire, 4+6 b
De s'établir un divin caractère ; 4+6 b
D'en imposer aux yeux des ennemis ; 4+6 a
Car les Romains, à qui tout fut soumis, 4+6 a
25 Domptaient l'Europe au milieu des miracles. 4+6 a
Ce ciel pour eux prodigua les oracles. 4+6 a
Jupiter, Mars, Pollux, et tous les dieux, 4+6 a
Guidaient leur aigle et combattaient pour eux. 4+6 a
Le grand Bacchus, qui mit l'Asie en cendre, 4+6 a
30 L'antique Hercule, et le fier Alexandre, 4+6 a
Pour mieux régner sur les peuples conquis, 4+6 a
De Jupiter ont passé pour les fils : 4+6 a
Et l'on voyait les princes de la terre 4+6 a
A leurs genoux redouter le tonnerre, 4+6 a
35 Tomber du trône, et leur offrir des vœux. 4+6 a
Denys suivit ces exemples fameux ; 4+6 a
Il prétendit que Jeanne la Pucelle 4+6 a
Chez les Anglais passât même pour telle, 4+6 a
Et que Bedfort, et l'amoureux Talbot, 4+6 a
40 Et Tirconel, et Chandos l'indévot, 4+6 a
Crussent la chose, et qu'ils vissent dans Jeanne 4+6 a
Un bras divin fatal à tout profane. 4+6 a
Pour réussir en ce hardi dessein, 4+6 a
Il s'en va prendre un vieux bénédictin, 4+6 a
45 Non tel que ceux dont le travail immense 4+6 b
Vient d'enrichir les libraires de France ; 4+6 b
Mais un prieur engraissé d'ignorance, 4+6 b
Et n'ayant lu que son missel latin : 4+6 a
Frère Lourdis fut le bon personnage 4+6 a
50 Qui fut choisi pour ce nouveau voyage. 4+6 a
Devers la lune où l'on tient que jadis 4+6 a
Était placé des fous le paradis, 4+6 a
Sur les confins de cet abîme immense, 4+6 a
Où le Chaos, et l'Érèbe, et la Nuit, 4+6 b
55 Avant le temps de l'univers produit, 4+6 b
Ont exercé leur aveugle puissance, 4+6 a
Il est un vaste et caverneux séjour, 4+6 a
Peu caressé des doux rayons du jour, 4+6 a
Et qui n'a rien qu'une lumière affreuse, 4+6 a
60 Froide, tremblante, incertaine et trompeuse : 4+6 a
Pour toute étoile on a des feux follets ; 4+6 a
L'air est peuplé de petits farfadets. 4+6 a
De ce pays la reine est la Sottise. 4+6 a
Ce vieil enfant porte une barbe grise, 4+6 a
65 Œil de travers, et bouche à la Danchet. 4+6 a
Sa lourde main tient pour sceptre un hochet. 4+6 a
De l'Ignorance elle est, dit-on, la fille. 4+6 a
Près de son trône est sa sotte famille, 4+6 a
Le fol Orgueil, l'Opiniâtreté, 4+6 a
70 Et la Paresse, et la Crédulité. 4+6 a
Elle est servie, elle est flattée en reine ; 4+6 a
On la croirait en effet souveraine : 4+6 a
Mais ce n'est rien qu'un fantôme impuissant, 4+6 a
Un Chilpéric, un vrai roi fainéant. 4+6 a
75 La Fourberie est son ministre avide. 4+6 b
Tout est réglé par ce maire perfide ; 4+6 b
Et la Sottise est son digne instrument. 4+6 a
Sa cour plénière est à son gré fournie 4+6 a
De gens profonds en fait d'astrologie, 4+6 a
80 Sûrs de leur art, à tout moment déçus, 4+6 a
Dupes, fripons, et partant toujours crus. 4+6 a
C'est là qu'on voit les maîtres d'alchimie 4+6 a
Faisant de l'or et n'ayant pas un sou, 4+6 b
Les roses-croix, et tout ce peuple fou 4+6 b
85 Argumentant sur la théologie. 4+6 a
Le gros Lourdis, pour aller en ces lieux, 4+6 a
Fut donc choisi parmi tous ses confrères. 4+6 b
Lorsque la nuit couvrait le front des cieux 4+6 a
D'un tourbillon de vapeurs non légères, 4+6 b
90 Enveloppé dans le sein du repos, 4+6 c
Il fut conduit au paradis des sots. 4+6 c
Quand il y fut, il ne s'étonna guères : 4+6 b
Tout lui plaisait, et même en arrivant 4+6 a
Il crut encore être dans son couvent. 4+6 a
95 Il vit d'abord la suite emblématique 4+6 a
Des beaux tableaux de ce séjour antique. 4+6 a
Cacodémon, qui ce grand temple orna, 4+6 a
Sur la muraille à plaisir griffonna 4+6 a
Un long tableau de toutes nos sottises, 4+6 a
100 Traits d'étourdi, pas de clerc, balourdises, 4+6 a
Projets mal faits, plus mal exécutés, 4+6 a
Et tous les mois du Mercure vantés. 4+6 a
Dans cet amas de merveilles confuses, 4+6 a
Parmi ces flots d'imposteurs et de buses, 4+6 a
105 On voit surtout un superbe Écossais ; 4+6 a
Lass est son nom ; nouveau roi des Français, 4+6 a
D'un beau papier il porte un diadème, 4+6 a
Et sur son front il est écrit système ; 4+6 a
Environné de grands ballots de vent, 4+6 a
110 Sa noble main les donne à tout venant : 4+6 a
Prêtres, catins, guerriers, gens de justice, 4+6 a
Lui vont porter leur or par avarice. 4+6 a
Ah ! quel spectacle ! ah ! vous êtes donc là, 4+6 a
Tendre Escobar, suffisant Molina, 4+6 a
115 Petit Doucin, dont la main pateline 4+6 a
Donne à baiser une bulle divine 4+6 a
Que Le Tellier lourdement fabriqua, 4+6 b
Dont Rome même en secret se moqua, 4+6 b
Et qui chez nous est la noble origine 4+6 a
120 De nos partis, de nos divisions, 4+6 a
Et qui, pis est, de volumes profonds, 4+6 a
Remplis, dit-on, de poisons hérétiques, 4+6 a
Tous poisons froids, et tous soporifiques. 4+6 a
Les combattants, nouveaux Bellérophons, 4+6 a
125 Dans cette nuit, montés sur des Chimères, 4+6 b
Les yeux bandés cherchent leurs adversaires ; 4+6 b
De longs sifflets leur servent de clairon ; 4+6 a
Et, dans leur docte et sainte frénésie, 4+6 a
Ils vont frappant à grands coups de vessie. 4+6 a
130 Ciel ! que d'écrits, de disquisitions, 4+6 a
De mandements, et d'explications, 4+6 a
Que l'on explique encor, peur de s'entendre ! 4+6 a
O chroniqueur des héros du Scamandre, 4+6 a
Toi qui jadis des grenouilles, des rats, 4+6 a
135 Si doctement as chanté les combats, 4+6 a
Sors du tombeau, viens célébrer la guerre, 4+6 a
Que pour la bulle on fera sur la terre ! 4+6 a
Le janséniste, esclave du destin, 4+6 a
Enfant perdu de la grâce efficace, 4+6 b
140 Dans ses drapeaux porte un Saint-Augustin, 4+6 a
Et pour plusieurs il marche avec audace. 4+6 b
Les ennemis s'avancent tout courbés 4+6 a
Dessus le dos de cent petits abbés. 4+6 a
Cessez, cessez, ô discordes civiles ! 4+6 a
145 Tout va changer : place, place, imbéciles ! 4+6 a
Un grand tombeau sans ornement, sans art, 4+6 a
Est élevé non loin de saint Médard. 4+6 a
L'esprit divin, pour éclairer la France, 4+6 a
Sous cette tombe enferme sa puissance ; 4+6 a
150 L'aveugle y court, et d'un pas chancelant, 4+6 a
Aux Quinze-Vingts retourne en tâtonnant. 4+6 a
Le boiteux vient clopinant sur la tombe, 4+6 a
Crie hosanna, saute, gigote, et tombe. 4+6 a
Le sourd approche, écoute, et n'entend rien. 4+6 a
155 Tout aussitôt, de pauvres gens de bien 4+6 a
D'aise pâmés, vrais témoins du miracle, 4+6 a
Du bon Pâris baisent le tabernacle. 4+6 a
Frère Lourdis, fixant ses deux gros yeux, 4+6 a
Voit ce saint œuvre, en rend grâces aux cieux, 4+6 a
160 Joint les deux mains, et riant d'un sot rire, 4+6 a
Ne comprend rien, et toute chose admire. 4+6 a
Ah ! le voici ce savant tribunal, 4+6 a
Moitié prélats et moitié monacal ; 4+6 a
D'inquisiteurs une troupe sacrée 4+6 a
165 Est là pour Dieu de sbires entourée. 4+6 a
Ces saints docteurs, assis en jugement, 4+6 a
Ont pour habits plumes de chat-huant ; 4+6 a
Oreilles d'âne ornent leur tête auguste, 4+6 a
Et, pour peser le juste avec l'injuste, 4+6 a
170 Le vrai, le faux, balance est dans leurs mains. 4+6 a
Cette balance a deux larges bassins ; 4+6 a
L'un tout comblé, contient l'or qu'ils escroquent, 4+6 a
Le bien, le sang des pénitents qu'ils croquent ; 4+6 a
Dans l'autre sont bulles, brefs, oremus, 4+6 a
175 Beaux chapelets, scapulaires, agnus. 4+6 a
Aux pieds bénits de la docte assemblée 4+6 a
Voyez-vous pas le pauvre Galilée, 4+6 a
Qui tout contrit leur demande pardon, 4+6 a
Bien condamné pour avoir eu raison ? 4+6 a
180 Murs de Loudun ! quel nouveau feu s'allume ? 4+6 a
C'est un curé que le bûcher consume : 4+6 a
Douze faquins ont déclaré sorcier 4+6 a
Et fait griller messire Urbain Grandier. 4+6 a
Galigaï, ma chère maréchale, 4+6 a
185 Du parlement épaulé de maint pair, 4+6 b
La compagnie ignorante et vénale 4+6 a
Te fait chauffer un feu brillant et clair, 4+6 b
Pour avoir fait pacte avec Lucifer. 4+6 c
Ah ! qu'aux savants notre France est fatale ! 4+6 a
190 Qu'il y fait bon croire au pape, à l'enfer, 4+6 c
Et se borner à savoir son Pater ! 4+6 c
Je vois plus loin cet arrêt authentique 4+6 a
Pour Aristote et contre l'émétique. 4+6 a
Venez, venez, mon beau père Girard, 4+6 a
195 Vous méritez un grand article à part. 4+6 a
Vous voilà donc, mon confesseur de fille, 4+6 a
Tendre dévot qui prêchez à la grille ! 4+6 a
Que dites-vous des pénitents appas 4+6 a
De ce tendron converti dans vos bras ? 4+6 a
200 J'estime fort cette douce aventure. 4+6 a
Tout est humain, Girard, en votre fait ; 4+6 b
Ce n'est pas là pécher contre nature : 4+6 a
Que de dévots en ont encor plus fait ! 4+6 b
Mais, mon ami, je ne m'attendais guère 4+6 a
205 De voir entrer le diable en cette affaire. 4+6 a
Girard, Girard, tous vos accusateurs, 4+6 a
Jacobin, carme, et faiseur d'écriture, 4+6 b
Juges, témoins, ennemis, protecteurs, 4+6 a
Aucun de vous n'est sorcier, je vous jure. 4+6 b
210 Lourdis enfin voit nos vieux parlements 4+6 a
De vingt prélats brûler les mandements, 4+6 a
Et par arrêt exterminer la race 4+6 a
D'un certain fou qu'on nomme saint Ignace ; 4+6 a
Mais, à leur tour, eux-même on les proscrit : 4+6 a
215 Quesnel en pleure, et saint Ignace en rit. 4+6 a
Paris s'émeut à leur destin tragique, 4+6 a
Et s'en console à l'Opéra-Comique. 4+6 a
O toi, Sottise ! ô grosse déité, 4+6 a
De qui les flancs à tout âge ont porté 4+6 a
220 Plus de mortels que Cybèle féconde 4+6 b
N'avait jadis donné de dieux au monde, 4+6 b
Qu'avec plaisir ton grand œil hébété 4+6 a
Voit tes enfants dont ma patrie abonde ! 4+6 b
Sots traducteurs, et sots compilateurs, 4+6 a
225 Et sots auteurs, et non moins sots lecteurs. 4+6 a
Je t'interroge, ô suprême puissance ! 4+6 a
Daigne m'apprendre, en cette foule immense, 4+6 a
De tes enfants qui sont les plus chéris, 4+6 a
Les plus féconds en lourds et plats écrits, 4+6 a
230 Les plus constants à broncher comme à braire 4+6 a
A chaque pas dans la même carrière : 4+6 a
Ah ! je connais que tes soins les plus doux 4+6 a
Sont pour l'auteur du Journal de Trévoux. 4+6 a
Tandis qu'ainsi Denys notre bon père 4+6 a
235 Devers la lune en secret préparait 4+6 b
Contre l'Anglais cet innocent mystère, 4+6 a
Une autre scène en ce moment s'ouvrait 4+6 b
Chez les grands fous du monde sublunaire. 4+6 a
Charle est déjà parti pour Orléans, 4+6 a
240 Ses étendards flottent au gré des vents. 4+6 a
A ses côtés, Jeanne, le casque en tête, 4+6 a
Déjà de Reims lui promet la conquête. 4+6 a
Voyez-vous pas ses jeunes écuyers, 4+6 a
Et cette fleur de loyaux chevaliers ? 4+6 a
245 La lance au poing, cette troupe environne 4+6 a
Avec respect notre sainte amazone. 4+6 a
Ainsi l'on voit le sexe masculin 4+6 a
A Fontevrauld servir le féminin. 4+6 a
Le sceptre est là dans les mains d'une femme, 4+6 a
250 Et père Anselme est béni par madame. 4+6 a
La belle Agnès, en ces cruels moments, 4+6 a
Ne voyant plus son amant qu'elle adore, 4+6 b
Cède aux chagrins dont l'excès la dévore ; 4+6 b
Un froid mortel s'empare de ses sens : 4+6 a
255 L'ami Bonneau, toujours plein d'industrie, 4+6 a
En cent façons la rappelle à la vie. 4+6 a
Elle ouvre encor ses yeux, ces doux vainqueurs, 4+6 a
Mais ce n'est plus que pour verser des pleurs ; 4+6 a
Puis, sur Bonneau se penchant d'un air tendre : 4+6 a
260 « C'en est donc fait, dit-elle, on me trahit. 4+6 b
Où va-t-il donc ? que veut-il entreprendre ? 4+6 a
Était-ce là le serment qu'il me fit, 4+6 b
Lorsqu'à sa flamme il me fit condescendre ? 4+6 a
Toute la nuit il faudra donc m'étendre, 4+6 a
265 Sans mon amant, seule, au milieu d'un lit ? 4+6 a
Et cependant cette Jeanne hardie, 4+6 b
Non des Anglais, mais d'Agnès ennemie, 4+6 b
Va contre moi lui prévenir l'esprit. 4+6 a
Ciel ! que je hais ces créatures fières, 4+6 a
270 Soldats en jupe, hommasses chevalières, 4+6 a
Du sexe mâle affectant la valeur, 4+6 a
Sans posséder les agréments du nôtre, 4+6 b
A tous les deux prétendant faire honneur, 4+6 a
Et qui ne sont ni de l'un ni de l'autre ! » 4+6 b
275 Disant ces mots, elle pleure et rougit, 4+6 a
Frémit de rage, et de douleur gémit. 4+6 a
La jalousie en ses yeux étincelle ; 4+6 a
Puis, tout à coup, d'une ruse nouvelle 4+6 a
Le tendre Amour lui fournit le dessein. 4+6 a
280 Vers Orléans elle prend son chemin, 4+6 a
De dame Alix et de Bonneau suivie. 4+6 a
Agnès arrive en une hôtellerie, 4+6 a
Où dans l'instant, lasse de chevaucher, 4+6 a
La fière Jeanne avait été coucher. 4+6 a
285 Agnès attend qu'en ce logis tout dorme, 4+6 a
Et cependant subtilement s'informe 4+6 a
Où couche Jeanne, où l'on met son harnois ; 4+6 a
Puis dans la nuit se glisse en tapinois, 4+6 a
De Jean Chandos prend la culotte, et passe 4+6 a
290 Ses cuisses entre, et l'aiguillette lace ; 4+6 a
De l'amazone elle prend la cuirasse. 4+6 a
Le dur acier, forgé pour les combats, 4+6 b
Presse et meurtrit ses membres délicats. 4+6 b
L'ami Bonneau la soutient sous les bras. 4+6 b
295 La belle Agnès dit alors à voix basse : 4+6 a
« Amour, Amour, maître de tous mes sens, 4+6 a
Donne la force à cette main tremblante, 4+6 b
Fais-moi porter cette armure pesante, 4+6 b
Pour mieux toucher l'auteur de mes tourments. 4+6 a
300 Mon amant veut une fille guerrière, 4+6 a
Tu fais d'Agnès un soldat pour lui plaire : 4+6 a
Je le suivrai ; qu'il permette aujourd'hui 4+6 a
Que ce soit moi qui combatte pour lui ; 4+6 a
Et si jamais la terrible tempête 4+6 a
305 Des dards anglais veut menacer sa tête, 4+6 a
Qu'ils tombent tous sur ces tristes appas ; 4+6 a
Qu'il soit du moins sauvé par mon trépas ; 4+6 a
Qu'il vive heureux ; que je meure pâmée 4+6 a
Entre ses bras, et que je meure aimée ! » 4+6 a
310 Tandis qu'ainsi cette belle parlait, 4+6 a
Et que Bonneau ses armes lui mettait, 4+6 a
Le roi Charlot à trois milles était. 4+6 a
La tendre Agnès prétend à l'heure même, 4+6 a
Pendant la nuit aller voir ce qu'elle aime. 4+6 a
315 Ainsi vêtue et pliant sous le poids, 4+6 a
N'en pouvant plus, maudissant son harnois, 4+6 a
Sur un cheval elle s'en va juchée, 4+6 a
Jambe meurtrie, et la fesse écorchée. 4+6 a
Le gros Bonneau, sur un Normand monté, 4+6 a
320 Va lourdement, et ronfle à son côté. 4+6 a
Le tendre Amour, qui craint tout pour la belle, 4+6 a
La voit partir et soupire pour elle. 4+6 a
Agnès à peine avait gagné chemin 4+6 a
Qu'elle entendit devers un bois voisin 4+6 a
325 Bruit de chevaux et grand cliquetis d'armes. 4+6 a
Le bruit redouble ; et voici des gendarmes, 4+6 a
Vêtus de rouge ; et, pour comble de maux, 4+6 a
C'étaient les gens de monsieur Jean Chandos. 4+6 a
L'un deux s'avance, et demande : Qui vive ? 4+6 a
330 A ce grand cri, notre amante naïve, 4+6 a
Songeant au roi, répondit sans détour : 4+6 a
Je suis Agnès ; vive France et l'Amour ! 4+6 a
A ces deux noms, que le ciel équitable 4+6 a
Voulut unir du nœud le plus durable, 4+6 a
335 On prend Agnès et son gros confident ; 4+6 a
Ils sont tous deux menés incontinent 4+6 a
A ce Chandos, qui terrible en sa rage, 4+6 a
Avait juré de venger son outrage, 4+6 a
Et de punir les brigands ennemis 4+6 a
340 Qui sa culotte et son fer avaient pris. 4+6 a
Dans ce moment où la main bienfaisante 4+6 a
Du doux sommeil laisse nos yeux ouverts, 4+6 b
Quand les oiseaux reprennent leurs concerts, 4+6 b
Qu'on sent en soi sa vigueur renaissante, 4+6 a
345 Que les désirs, pères des voluptés, 4+6 a
Sont par les sens dans notre âme excités ; 4+6 a
Dans ce moment, Chandos, on te présente 4+6 a
La belle Agnès, plus belle et plus brillante 4+6 a
Que le soleil aux bords de l'Orient. 4+6 a
350 Que sentis-tu, Chandos, en t'éveillant, 4+6 a
Lorsque tu vis cette nymphe si belle 4+6 a
A tes côtés, et tes grègues sur elle ? 4+6 a
Chandos, pressé d'un aiguillon bien vif, 4+6 a
La dévorait de son regard lascif. 4+6 a
355 Agnès en tremble, et l'entend qui marmotte 4+6 a
Entre les dents : Je raurai ma culotte ! 4+6 a
A son chevet d'abord il la fait seoir. 4+6 a
« Quittez, dit-il, ma belle prisonnière, 4+6 b
Quittez ce poids d'une armure étrangère. » 4+6 b
360 Ainsi parlant, plein d'ardeur et d'espoir, 4+6 a
Il la décasque, il vous la décuirasse. 4+6 a
La belle Agnès se défend avec grâce ; 4+6 a
Elle rougit d'une aimable pudeur, 4+6 a
Pensant à Charle, et soumise au vainqueur. 4+6 a
365 Le gros Bonneau, que le Chandos destine 4+6 a
Au digne emploi de chef de sa cuisine, 4+6 a
Va dans l'instant mériter cet honneur ; 4+6 a
Des boudins blancs il était l'inventeur, 4+6 a
Et tu lui dois, ô nation française, 4+6 a
370 Pâtés d'anguille et gigots à la braise. 4+6 a
« Monsieur Chandos, hélas ! que faites-vous ? 4+6 a
Disait Agnès d'un ton timide et doux. 4+6 a
— Pardieu, dit-il (tout héros anglais jure), 4+6 a
Quelqu'un m'a fait une sanglante injure. 4+6 a
375 Cette culotte est mienne ; et je prendrai 4+6 a
Ce qui fut mien où je le trouverai. » 4+6 a
Parler ainsi, mettre Agnès toute nue, 4+6 a
C'est même chose ; et la belle éperdue 4+6 a
Tout en pleurant était entre ses bras, 4+6 a
380 Et lui disait : « Non, je n'y consens pas. » 4+6 a
Dans l'instant même, un horrible fracas 4+6 a
Se fait entendre, on crie : « Alerte, aux armes ! » 4+6 b
Et la trompette, organe du trépas, 4+6 a
Sonne la charge, et porte les alarmes. 4+6 b
385 A son réveil, Jeanne, cherchant en vain 4+6 a
L'affublement du harnois masculin, 4+6 a
Son bel armet ombragé de l'aigrette, 4+6 a
Et son haubert, et sa large braguette, 4+6 a
Sans raisonner saisit soudainement 4+6 a
390 D'un écuyer le dur accoutrement, 4+6 a
Monte à cheval sur son âne, et s'écrie : 4+6 a
« Venez venger l'honneur de la patrie. » 4+6 a
Cent chevaliers s'empressent sur ses pas, 4+6 a
Ils sont suivis de six cent vingt soldats. 4+6 a
395 Frère Lourdis, en ce moment de crise, 4+6 a
Du beau palais, où règne la Sottise, 4+6 a
Est descendu chez les Anglais guerriers, 4+6 a
Environné d'atomes tout grossiers, 4+6 a
Sur son gros dos portant balourderies, 4+6 a
400 Œuvres de moine, et belles âneries. 4+6 a
Ainsi bâté, sitôt qu'il arriva, 4+6 a
Sur les Anglais sa robe il secoua, 4+6 a
Son ample robe ; et dans leur camp versa 4+6 a
Tous les trésors de sa crasse ignorance, 4+6 a
405 Trésors communs au bon pays de France. 4+6 a
Ainsi des nuits la noire déité, 4+6 a
Du haut d'un char d'ébène marqueté, 4+6 a
Répand sur nous les pavots et les songes, 4+6 a
Et nous endort dans le sein des mensonges. 4+6 a
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