Métrique en Ligne
HER_1/HER120
José-Maria de HEREDIA
Les Trophées
1893
Romancero
Le Triomphe du Cid
Les portes du palais s'ouvrirent toutes grandes, 6+6 a
Et le roi Don Fernan sortit pour recevoir 6+6 b
Le jeune chef rentrant avec ses vieilles bandes. 6+6 a
Quittant cloître, métier, champ, taverne et lavoir, 6+6 b
5 Clercs, bourgeois ou vilains, tout le bon peuple exulte ; 6+6 c
Les femmes aux balcons se penchent pour mieux voir. 6+6 b
C'est que, vengeur du Christ que le Croissant insulte, 6+6 c
Rodrigue de Bivar, vainqueur, rentre aujourd'hui 6+6 a
Dans Zamora qu'emplit un merveilleux tumulte. 6+6 c
10 Il revient de la guerre, et partout devant lui, 6+6 a
Sur son genet rapide et rayé comme un zèbre 6+6 b
Le cavalier berbère en blasphémant a fui. 6+6 a
Il a tout pris, pillé, rasé, brûlé, de l'Èbre 6+6 b
Jusques au Guadiana qui roule un sable d'or, 6+6 c
15 Et de l'Algarbe en feu monte un long cri funèbre. 6+6 b
Il revient tout chargé de butin, plus encor 6+6 c
De gloire, ramenant cinq rois de Morérie. 6+6 a
Ses captifs l'ont nommé le Cid Campeador. 6+6 c
Tel Ruy Diaz, à travers le peuple qui s'écrie, 6+6 a
20 La lance sur la cuisse, en triomphal arroi, 6+6 b
Rentre dans Zamora pavoisée et fleurie. 6+6 a
Donc, lorsque les huissiers annoncèrent : Le Roi 6+6 b
Telle fut la clameur, que corbeaux et corneilles 6+6 c
Des tours et des clochers s'envolèrent d'effroi. 6+6 b
25 Et Don Fernan debout sous les portes vermeilles, 6+6 c
Un instant, ébloui, s'arrêta sur le seuil 6+6 a
Aux acclamations qui flattaient ses oreilles. 6+6 c
Il s'avançait, charmé du glorieux accueil 6+6 a
Tout à coup, repoussant peuple, massiers et garde, 6+6 b
30 Une femme apparut, pâle, en habits de deuil. 6+6 a
Ses yeux resplendissaient dans sa face hagarde, 6+6 b
Et, sous le voile épars de ses longs cheveux roux, 6+6 c
Sanglotante et pâmée, elle cria : — Regarde ! 6+6 b
Reconnais-moi ! Seigneur, j'embrasse tes genoux. 6+6 c
35 Mon père est mort qui fut ton fidèle homme lige ; 6+6 a
Fais justice, Fernan, venge-le, venge-nous ! 6+6 c
Je me plains hautement que le Roi me néglige 6+6 a
Et ne veux plus attendre, au gré du meurtrier, 6+6 b
La vengeance à laquelle un grand serment t'oblige. 6+6 a
40 Oui, certe, ô Roi, je suis lasse de larmoyer ; 6+6 b
La haine dans mon cœur bout et s'irrite et monte 6+6 c
Et me prend à la gorge et me force à crier 6+6 b
Vengeance, ô Roi, vengeance et justice plus prompte ! 6+6 c
Tire de l'assassin tout le sang qu'il me doit ! — 6+6 a
45 Et le peuple disait : — C'est la fille du Comte. 6+6 c
Car d'un geste rigide elle montrait du doigt 6+6 a
Cid Ruy Diaz de Bivar qui, du haut de sa selle, 6+6 b
Lui dardait un regard étincelant et droit. 6+6 a
Et œil sombre de l'homme et les yeux clairs de celle 6+6 b
50 Qui l'accusait, alors se croisèrent ainsi 6+6 c
Que deux fers d'où jaillit une double étincelle. 6+6 b
Don Fernan se taisait, fort perplexe et transi, 6+6 c
Car l'un et l'autre droit que son esprit balance 6+6 a
Pèse d'un poids égal qui le tient en souci. 6+6 c
55 Il hésite. Le peuple attendait en silence. 6+6 a
Et le vieux Roi promène un regard incertain 6+6 b
Sur cette foule où luit l'éclair des fers de lance. 6+6 a
Il voit les cavaliers qui gardent le butin, 6+6 b
Glaive au poing, casque en tête, au dos la brigandine, 6+6 c
60 Rangés autour du Cid impassible et hautain. 6+6 b
Portant l'étendard vert consacré dans Médine, 6+6 c
Il voit les captifs pris au Miramamolin, 6+6 a
Les cinq Émirs vêtus de soie incarnadine ; 6+6 c
Et derrière eux, plus noirs sous leurs turbans de lin, 6+6 a
65 Douze nègres, chacun menant un cheval barbe. 6+6 b
Or le bon prince était à la justice enclin : 6+6 a
— Il a vengé son père, il a conquis l'Algarbe ; 6+6 b
Elle, au nom de son père, inculpe son amant. — 6+6 c
Et Don Fernan pensif se caresse la barbe. 6+6 b
70 — Que faire, songe-t-il, en un tel jugement ? — 6+6 c
Chimène à ses genoux pleurait toutes ses larmes. 6+6 a
Il la prit par la main et très courtoisement 6+6 c
— Relève-toi, ma fille, et calme tes alarmes, 6+6 a
Car sur le cœur d'un prince espagnol et chrétien 6+6 b
75 Les larmes de tes yeux sont de trop fortes armes. 6+6 a
Certes Bivar m'est cher ; c'est l'espoir, le soutien 6+6 b
De Castille ; et pourtant j'accorde ta requête 6+6 c
Il mourra si tu veux, ô Chimène, il est tien. 6+6 b
Dispose, il est à toi. Parle, la hache est prête ! — 6+6 c
80 Ruy Diaz la regardait, grave et silencieux. 6+6 a
Elle ferma les yeux, elle baissa la tête. 6+6 c
Elle n'a pu braver ce front victorieux 6+6 a
Qu'illumine l'ardeur du regard qui la dompte ; 6+6 b
Elle a baissé la tête elle a fermé les veux. 6+6 a
85 Elle n'est plus la fille orgueilleuse du Comte, 6+6 b
Car elle sent rougir son visage, enflammé 6+6 c
Moins encor de courroux que d'amour et de honte 6+6 b
— C'est sous un bras loyal par l'honneur même armé 6+6 c
Que ton père a rendu son âme — que Dieu sauve ! 6+6 a
90 L'homme applaudit au coup que le prince a blâmé. 6+6 c
Car l'honneur de Laynez et de Laÿn le Chauve, 6+6 a
Non moins pur que celui des rois dont je descends, 6+6 b
Vaut l'orgueil du sang goth qui dore ton poil fauve. 6+6 a
Condamne, si tu peux… Pardonne, j'y consens. 6+6 b
95 Que Gormaz et Laynez à leur antique souche, 6+6 c
Voient par vous reverdir des rameaux florissants. 6+6 b
Parle, et je donne à Ruy, sur un mot de ta bouche, 6+6 c
Belforado, Saldagne et Carrias del Castil. — 6+6 a
Mais Chimène gardait un silence farouche. 6+6 c
100 Fernan lui murmura : — Dis, ne te souvient-il, 6+6 a
Ne te souvient-il plus de l'amour ancienne ? — 6+6 b
Ainsi parle le Roi gracieux et subtil. 6+6 a
Et la main de Chimène a frémi dans la sienne. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : terza rima classique
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