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| = césure
THL_1/THL51
Raymond de la TAILHÈDE
LES POÉSIES
Édition définitive
1887-1926
FRAGMENTS ET POÈMES INACHEVÉS
III
ORPHÉE
POÈME
INVOCATION AUX MUSES
Esprit conçu des dieux | tout en leur donnant l'être, 6+6 a
Muses, sang immortel, | répandez-vous en moi. 6+6 b
Aux splendeurs que de vous | mes vers feront paraître, 6+6 a
Qui pourra s'étonner | et haïr votre loi ? 6+6 b
5 Mais qu'est-ce qu'un mortel | qui contre vous s'engage 6+6 a
Exécrable qu'il est | aux humains comme aux dieux, 6+6 b
Sa vaine ambition, | qui la châtierait mieux 6+6 b
Que ses yeux aveuglés | par votre vive image ? 6+6 a
Toujours d'un voile obscur | aggravant les sommets, 6+6 a
10 C'est sur le plus haut pic | et le plus solitaire 6+6 b
Que la noire nuée | enfante la lumière, 6+6 b
Lorsque roule l'orage | entre ses flancs épais. 6+6 a
Afin que jusqu'aux nuits | tout cède à votre empire, 6+6 a
S'il suffit d'un éclat | des vôtres emprunté, 6+6 b
15 Les ténèbres bientôt | vont elles-mêmes luire 6+6 a
Et du rouge Orient | élargir la clarté. 6+6 b
O qui m'emporterait | de l'ardente Sicile, 6+6 a
Muses qui l'embrassez | du cercle de vos feux, 6+6 b
Vers les roseaux de l'Hèbre | aux poètes hostile, 6+6 a
20 Où la tête d'Orphée | a lié ses cheveux ? 6+6 b
C'est vous ! Pégase et toi, | dont j'ai dompté la croupe, 6+6 a
Qui, l'héritier d'un sang | à l'insulte fatal, 6+6 b
Sans la tarir jamais, | résonnante à ma coupe, 6+6 a
Y fais jaillir ton onde, | ô fille du cheval ! 6+6 b
UN SATYRE
25 Phébus d'un flot de pourpre | inonde la prairie. 6+6 a
Sous cet ombrage, Orphée, | à la place choisie, 6+6 a
Tandis qu'à ton appel | les Muses descendront, 6+6 a
Vers elles je pourrai | lever enfin le front. 6+6 a
Une source est ici, | de gazon couronnée : 6+6 a
30 Les bienfaits du printemps | y devancent l'année, 6+6 a
La mousse en est légère | et tiède sous nos pas. 6+6 a
Mais, du peu que je suis | tu ne t'offenses pas ? 6+6 a
Tu ne méprises point | ma grossière enveloppe ? 6+6 a
Tes chants me sont permis ? | car jadis le Rhodope 6+6 a
35 A vu venir vers toi | ses fauves habitants, 6+6 a
Et les dures forêts | que battent les autans, 6+6 a
Les déesses des eaux | sous leur urnes penchées, 6+6 a
Et tout le peuple obscur | des puissances cachées. 6+6 a
Mon esprit est celui | que retient prisonnier 6+6 a
40 Le chêne en son écorce | ou l'éternel laurier. 6+6 a
L'égal des Immortels | moins que leur créature, 6+6 a
Je leur dois cependant | la peine que j'endure 6+6 a
D'ignorer jusqu'aux fleurs | dont j'anime le fruit, 6+6 a
Tant un dieu met d'obstacle | entre la Terre et lui. 6+6 a
45 Ah ! si je dépouillais | l'apparence divine, 6+6 a
Quel feu consumerait | aussitôt ma poitrine ! 6+6 a
Quel redoutable Amour | me frapperait encor 6+6 a
D'un arc irrésistible | aux mille flèches d'or ! 6+6 a
Me verrait-on qu'aux lieux | où la gloire est donnée 6+6 a
50 J'y serais sans la Parque | et sans la Destinée : 6+6 a
Et c'est trop que porter | la substance des cieux 6+6 a
Pour accorder mon cœur, | ma raison et mes yeux ! 6+6 a
Hélas ! et mes désirs | sont eux-mêmes ma chaîne ; 6+6 a
Je n'en puis délivrer | ma forme toute humaine 6+6 a
55 Quand la divinité | fait ma seule vertu ! 6+6 a
Vous, du moins, vous suivez | d'un labeur assidu 6+6 a
Les cercles inégaux | où le sort vous enferme : 6+6 a
Tout est espoir pour vous, | l'origine et le terme, 6+6 a
L'heure à peine en son vol | plus lente que l'amour, 6+6 a
60 Et dans l'ombre des nuits | les prémices du jour. 6+6 a
On dit que des roseaux | j'ai fait chanter la tige… 6+6 a
Et lorsque les bergers, | témoins de ce prodige, 6+6 a
Ont façonné leur lèvre | aux agrestes chansons, 6+6 a
Ils ont du même coup | surpassé mes leçons. 6+6 a
65 Ma flûte, la première, | eut l'art de les instruire, 6+6 a
Mais une âme y frémit | quand la vôtre y soupire, 6+6 a
Et ce don que le ciel | communique à regret, 6+6 a
Il n'était pas en moi | d'en ouvrir le secret. 6+6 a
Rompez-vous donc, liens | qui n'êtes que poussière, 6+6 a
70 Vous, flammes, dévorez | cette fausse lumière : 6+6 a
Rien ne garde en ces lieux | la face de la mort ! 6+6 a
Hérissant ses rameaux | comme aux souffles du nord, 6+6 a
Une errante forêt | près de ton front s'incline, 6+6 a
La bête et le rocher, | hôtes de la ravine, 6+6 a
75 Vont à tes pieds bondir | du même élan fougueux, 6+6 a
O délire inouï | qui m'emporte avec eux ! 6+6 a
Ainsi l'arbre divin | gonflait pour toi ses voiles, 6+6 a
Quand sur la vaste mer | inconnue au nocher, 6+6 b
Assurée à tes chants | mieux qu'au feu des étoiles, 6+6 a
80 La nef Argo voguait | vers un sable étranger. 6+6 b
Ainsi, du seuil d'Hadès | écartant les ténèbres, 6+6 a
Sa rigueur, à ta voix, | avait déjà plié : 6+6 b
Eurydice eût franchi | deux fois les bords funèbres 6+6 a
Si l'Amour se pouvait | vaincre par la pitié ! 6+6 b
85 Cependant arrachés | à d'arides mamelles, 6+6 a
Ivres d'un vin grondant | dans des sèves nouvelles, 6+6 a
Les vallons et les bois | et les monts frémissants, 6+6 a
Changeant en harmonie | une inerte nature, 6+6 b
Un jour restitueront | à la race future 6+6 b
90 Tout ce qu'en eux tu mets | de sublimes accents. 6+6 a
Celui qui de ta flamme | aura brûlé ses lèvres, 6+6 a
Pasteur de sombres boucs, | de taureaux ou de chèvres, 6+6 a
Un jour ici s'arrêtera : 8 a
Ses doigts se courberont | sur la lyre sonore, 6+6 b
95 Et semblable au granit | en qui vibre l'aurore, 6+6 b
C'est la tienne qui répondra!… 8 a
ORPHÉE
De la splendeur nocturne | as-tu fait ton étude ? 6+6 a
As-tu jamais compté 6 b
Ces astres fulgurants, | et dont la multitude 6+6 a
100 Est la moindre beauté ? 6 b
Qu'ont mesuré tes yeux | qui puisse de ces voiles 6+6 a
Trouer la profondeur, 6 b
Mais surtout de ce ciel, | océan des étoiles, 6+6 a
Qu'a mesuré ton cœur ? 6 b
105 Oui, l'ombre t'épouvante, | et tandis que tu trembles 6+6 a
S'élancent tour à tour, 6 b
Sur les ondes du feu, | toi, Pollux qui ressembles 6+6 a
L'éclat d'un nouveau jour ; 6 b
Et toi, qui me parais | vêtir encor tes armes, 6+6 a
110 Et qui n'as différé 6 b
De le suivre à l'Hadès | qu'afin que, par tes larmes, 6+6 a
Ton frère fût pleuré… 6 b
Orageuse Lemnos, | ô terre dévorée 6+6 a
D'insatiables feux, 6 b
115 L'amour devait aussi | pousser sur tes flots bleus 6+6 b
Argo, la nef dorée… 6 a
Oui, l'ombre t'épouvante, | et tandis que tu trembles 6+6 a
S'élancent tour à tour, 6 b
Sur les ondes du feu, | toi, Pollux qui ressembles 6+6 a
120 L'éclat d'un nouveau jour ; 6 b
Et toi, qui me parais | vêtir encor tes armes, 6+6 a
Et qui n'as différé 6 b
De le suivre à l'Hadès | qu'afin que, par tes larmes, 6+6 a
Ton frère fût pleuré… 6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
125 Orageuse Lemnos, | ô terre dévorée 6+6 a
D'insatiables feux, 6 b
L'amour devait aussi | pousser sur tes flots bleus 6+6 b
Argo, la nef dorée… 6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6
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