Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DIG_1/DIG1
corpus Pamela Puntel
Charles DIGUET
L'ÉPOPÉE PRUSSIENNE
1871
L'ÉPOPÉE PRUSSIENNE
AUX CUIRASSIERS DE REICHSHOFFEN
Je dédie cette œuvre
CHARLES DIGUET.
Paris, 15 août 1871.
I
Vieille France, entends-tu | les hordes qui s'avancent ! 6+6 a
Ils sont dix fois cent mille ! | Et déjà les devancent 6+6 a
Dix fois cent mille horreurs. | Un terrible rictus 6+6 b
Contracte leur visage : | ils nous croient abattus, 6+6 b
5 Et, serpents venimeux, | ils rampent vers leur proie, 6+6 a
Que leur maître leur montre | en royale lamproie. 6+6 a
Ils recherchent les bois, | et leur frayeur du bruit 6+6 b
Les fait, comme des loups, | ne sortir que la nuit. 6+6 b
Aux pieds de leurs chevaux, | de larges bandelettes 6+6 a
10 Assourdissent les pas | pour tromper les vedettes. 6+6 a
Tout stratagème est bon ; | Judas est leur aïeul, 6+6 b
Sinon leur devancier, | et Scapin leur filleul. » 6+6 b
Lâchetés de voleurs, | cruautés de sauvages, 6+6 a
Tout vient à point grossir | leurs atroces ravages. 6+6 a
15 Assassins par plaisir, | ils s'enivrent de sang, 6+6 b
Massacrent les vieillards, | et la mère et l'enfant ; 6+6 b
Et jamais d'égorger | leurs mains ne sont lassées ! 6+6 a
Du sang ! du sang toujours ! | Les victimes tassées 6+6 a
Gisent dans les hameaux, | sur le seuil des maisons, 6+6 b
20 Dans des lits encor chauds, | jusqu'auprès des tisons. 6+6 b
Comme de vils chacals | qui jappent près des tombes, 6+6 a
Ils hurlent sans pudeur | autour des hécatombes, 6+6 a
Répandent à grands flots | le vin qu'ils n'ont point bu, 6+6 b
Et brûlent la maison | pour que tout soit perdu. 6+6 b
25 Ils ont tué l'enfant | dans les bras de la mère : 6+6 a
Ils prennent les jouets, | qu'ils vendront à l'enchère. 6+6 a
Mais, s'ils ont bien songé | de prendre les joujoux, 6+6 b
Ils n'oublient certes pas | de sauver les bijoux. 6+6 b
A la femme éventrée | ils brisent les oreilles : 6+6 a
30 Au retour, les pendants | iront dans les corbeilles 6+6 a
De leurs blondes Gretchen ! | Jeunes filles du Rhin, 6+6 b
Avec vos grands yeux bleus | et vos cheveux d'or fin, 6+6 b
Si chastes que souvent | on vous dirait madones, 6+6 a
Prendrez-vous sans frémir | ces sanglantes aumônes ? 6+6 a
35 Regardez ces anneaux : | de sang ils sont tachés ; 6+6 b
Ces croix d'or ont du sang ! | A vos sœurs arrachés, 6+6 b
Ces bijoux flétriraient | votre front, votre joue, 6+6 a
Et marbreraient vos doigts | comme un cercle de boue. 6+6 a
Vers vous ils reviendront, | ces soudards égorgeurs ; 6+6 b
40 Mais, détournant vos yeux, | vous serez nos vengeurs. 6+6 b
Vos cœurs ne seront plus | pour ces bandits infâmes 6+6 a
Qui traitent leurs vaincus | comme des corps sans âmes. 6+6 a
On a vu des mourants, | à plaisir mutilés, 6+6 b
Liés à des chevaux | et sous leurs pieds foulés. 6+6 b
II
45 Peu faits à la victoire, | ils marchent dans l'ivresse, 6+6 a
Comme des gueux à qui | les nobles font largesse. 6+6 a
Ils sont tous affolés | de tant d'inattendu, 6+6 b
De piller à leur gré | ce beau pays vendu. 6+6 b
Leur course est l'ouragan, | ils se croient la Vengeance ; 6+6 a
50 Par eux, à jamais, Dieu | ruinera la France. 6+6 a
Moucherons malfaisants | lâchés sur le Lion, 6+6 b
Ils se croient courageux ; | ils sont un million. 6+6 b
Guillaume et son apôtre | en phrases non pareilles, 6+6 a
En sonores discours, | leur ont promis merveilles. 6+6 a
55 La France est le Potose ; | ils trouveront de l'or, 6+6 b
Des femmes et du vin : | c'est pour eux le Trésor ! 6+6 b
Us peuvent tout piller ; | le vol et l'incendie, 6+6 a
Le meurtre, sont permis ; | et la Prusse agrandie 6+6 a
Les comblera d'honneurs : | ils auront à la fois 6+6 b
60 Gloire, profit, plaisirs ; | ils recevront des croix, 6+6 b
S'ils détruisent partout | les châteaux et les villes, 6+6 a
Ils auront l'Aigle-Noir ; | s'ils violent les filles, 6+6 a
Ils auront l'Aigle-Rouge | et la croix du Sultan. 6+6 b
Bismarck a tout pouvoir : | une place au Divan, 6+6 b
65 Des titres de baron, | des rubans de Russie, 6+6 a
Sainte-Anne et Saint-André, | des biens en Circassie ; 6+6 a
Ils n'épargneront rien | pendant tout leur parcours. 6+6 b
Ils iront à Paris, | qu'ils pilleront huit jours. 6+6 b
Ils prendront à leur choix | diamants, pierreries, 6+6 a
70 Or, objets d'art, tableaux ; | et trois jours de tueries 6+6 a
Suffiront pour pouvoir | être maîtres de tout. 6+6 b
Ils ne laisseront point | de monuments debout. 6+6 b
Les femmes qui voudraient | refuser leurs hommages 6+6 a
Seront à leur merci ; | des plus honteux outrages 6+6 a
75 On les abreuvera. | Si de pauvres enfants 6+6 b
Fatiguent de leurs cris | ces nobles conquérants, 6+6 b
On les écrasera, | car plus tard cette enfance 6+6 a
Pourrait se souvenir | et demander vengeance ! 6+6 a
Enfin, on leur a dit | que, pour singer le czar, 6+6 b
80 Guillaume, leur bon roi, | voulait être César ! 6+6 b
C'était le mot suprême : | or la guerre était sainte ; 6+6 a
Leur benoît souverain | avait fait sa complainte : 6+6 a
Il voulait à tout prix | devenir Empereur, 6+6 b
De simple roitelet | devenir bateleur. 6+6 b
85 La pourpre lui plaisait, | qui donc eût pu se plaindre ? 6+6 a
Aux coutures usé, | des flots de sang vont teindre 6+6 a
L'impérial manteau. | La couronne de fer 6+6 b
Siéra divinement | au pansu magister. 6+6 b
Pillez, tuez, volez, | faites faire ripaille 6+6 a
90 A la Mort : votre Roi | frappera sa médaille ! 6+6 a
De trois cent mille au moins | il sera le bourreau : 6+6 b
Qu'importe ? ce bon Roi | veut son rouge manteau ! 6+6 b
III
Sur la foi des serments | de ce grand autocrate, 6+6 a
Sous la peau du soldat | recouvrant le pirate, 6+6 a
95 Ils sont partis, hurlant | comme des loups l'hiver. 6+6 b
Alors, on a compté | les anneaux de ce ver : 6+6 b
Badois, Mecklenbourgeois, | Saxe, Poméranie, 6+6 a
Silésiens, Brémois, | Bavière, Posnanie, 6+6 a
Se sont soudés ensemble. | En place de valeur, 6+6 b
100 Ils ont mis à profit | les ruses du voleur. 6+6 b
Pétris de lâchetés, | partout ils ont fait rage, 6+6 a
Peut-être afin qu'on crût | qu'ils avaient du courage ; 6+6 a
Vingt-cinq mille espions | ont été dépêchés 6+6 b
Dans les villes, les bourgs, | les hameaux, les marchés, 6+6 b
105 Pour acheter d'avance | une sûre victoire 6+6 a
A coups de trahisons, | et fabriquer la gloire. 6+6 a
On a pu voir servant | dans les estaminets 6+6 b
Des comtes nés d'hier, | de petits baronnets 6+6 b
Possédant à Berlin | influence notable, 6+6 a
110 Et que monsieur Bismarck | recevait à sa table. 6+6 a
Ils avaient des blasons | qui dataient de fort loin ; 6+6 b
Ils ciraient les souliers | et mangeaient dans un coin. 6+6 b
Tous les moyens sont bons | aux escrocs de lignée, 6+6 a
— Toute mouche a du sang | aux yeux de l'araignée. — 6+6 a
115 Le grand vizir permet | tous les déguisements, 6+6 b
Ce qui fait qu'on a vu | d'honnêtes vêtements 6+6 b
Du haut en bas couvrir | ces gibiers de potence : 6+6 a
Religieux abbés, | officiers d'ordonnance, 6+6 a
On les trouva partout : | princes en marmitons, 6+6 b
120 Marmitons en banquiers, | duchesses en Martons, 6+6 b
Car les femmes aussi | furent de la partie : 6+6 a
Par son sexe la femme | était bien garantie ! 6+6 a
Et de ce rôle abject, | dont le nom fait horreur, 6+6 b
Tous auprès de leurs chefs | sollicitaient l'honneur. 6+6 b
125 Sycophantes à froid, | précédant les armées, 6+6 a
Ils marquaient les maisons, | en bandes affamées, 6+6 a
Traîtreusement haineux, | dévastaient le pays, 6+6 b
Assassinaient le maître | et brûlaient le logis 6+6 b
De celui dont jadis | ils partageaient la table. 6+6 a
130 Meilleur fut l'hôte, et plus | le monstre est implacable. 6+6 a
Venus criant la faim, | mendiant un secours, 6+6 b
Ils sont partis pansus | et vêtus de velours. 6+6 b
Ils ont acquis du bien, | en un mot fait fortune, 6+6 a
Et pour lors tous se font | délateurs par rancune ; 6+6 a
135 Ils ont levé les plans | des fermes, des chemins, 6+6 b
Dont ils furent dix ans | les très-humbles gamins. 6+6 b
IV
Lâchement imposteurs, | dissimulant leur glaive, 6+6 a
Ils prennent au besoin | le brassard de Genève. 6+6 a
Une fois parmi nous, | s'ils se voient plus nombreux, 6+6 b
140 Ils jettent le brassard, | portent des coups affreux 6+6 b
A ceux qui, confiants, | les ont pris pour des frères ; 6+6 a
Et nos pauvres blessés | subissent leurs colères. 6+6 a
On les a vus souvent, | au milieu du combat, 6+6 b
Commettre sans pudeur | le plus lâche attentat ! 6+6 b
145 Par ordre de leur chef, | demandant à se rendre 6+6 a
Comme des gens qui plus | ne veulent se défendre, 6+6 a
On les a vus lever | la crosse des fusils, 6+6 b
Jeter leur sabre ainsi | qu'on jette ses outils. 6+6 b
A ce signal de paix, | nos enfants de la France, 6+6 a
150 Sans fureur et gaiement, | tout remplis d'assurance, 6+6 a
Le mousquet désarmé, | lentement s'approchaient. 6+6 b
Mais, alors qu'a dix pas | ces braves les voyaient, 6+6 b
Ils commençaient sur eux | l'horrible canonnade, 6+6 a
Qui complétait ainsi | l'atroce pasquinade. 6+6 a
V
155 Sur tous les monuments | ils porteront la main, 6+6 b
Déchirant à plaisir | et la pierre et l'airain, 6+6 b
Les livres éternels | de dix siècles de gloire. 6+6 a
Ils mitrailleront tout, | comme si notre histoire 6+6 a
Pouvait par le canon | se voir anéantir ! 6+6 b
160 Cet égout est venu | pour tout empuantir ! 6+6 b
VI
Dans le bourg de Givonne, | ils étaient six ensemble, 6+6 a
Serrés comme des gens | que la crainte rassemble 6+6 a
On comptait un vieillard, | le père, deux enfants, 6+6 b
La mère auprès du lit | et la fille dedans ! 6+6 b
165 On entendait au loin | tonner la fusillade. 6+6 a
« Bon père, cache-toi, | s'écria la malade, 6+6 a
Ils vont venir bientôt, | ils sont tous sans pitié, 6+6 b
Ils tueraient de sang-froid | un pauvre homme estropié. 6+6 b
On a vu ces bourreaux, | ces monstres de nature, 6+6 a
170 Attacher des vivants | aux morts en pourriture !!! 6+6 a
A des femmes, peut-être… | » En prononçant ce mot, 6+6 b
La malade ne put | réprimer un sanglot. 6+6 b
Elle savait trop bien | qu'il n'est point de peut-être 6+6 a
Pour ces peuples haineux | embauchés par un traître. 6+6 a
175 Pourtant elle reprit : | « Pour de pauvres enfants, 6+6 b
Pour des femmes, encor, | ils sont compatissants ! » 6+6 b
Mais alors l'estropié, | s'approchant de sa fille : 6+6 a
« Fuir ! jamais. S'il le faut, | nous mourrons en famille ! » 6+6 a
La mère fut debout | en entendant ce cri. 6+6 b
180 « C'est bien, mon Jean, » dit-elle, | embrassant son mari. 6+6 b
Le feu durait toujours, | les obus et les bombes, 6+6 a
Les balles, les boulets, | creusaient d'immenses tombes. 6+6 a
Puis, le bruit s'éteignit. | Par terre étaient couchés 6+6 b
Pêle-mêle, sanglants, | dix régiments fauchés. 6+6 b
185 Pillards, la nappe est mise | et la table est dressée ! 6+6 a
Maraudeurs, assassins, | en cohorte pressée, 6+6 a
Comme de noirs corbeaux | qui sentent un festin, 6+6 b
Abandonnent les rangs | et courent au butin. 6+6 b
Les uns vont vers les morts | en retourner les poches, 6+6 a
190 Éventrer les sacs pleins | et vider les sacoches. 6+6 a
Celui qui n'est point mort | est vite assassiné : 6+6 b
L'espion chapardeur | craint d'être espionné. 6+6 b
D'autres bandes s'en vont | piller quelque village 6+6 a
Et brûler des hameaux. | Tous ces soudards font rage : 6+6 a
195 Non contents de voler, | officiers et soldats 6+6 b
En monstrueux essais | surpassent les forçats. 6+6 b
Puis, goujats ivres morts, | ils s'endorment à terre, 6+6 a
Comme si quelquefois | le crime se digère. 6+6 a
Vers la fin de la nuit, | les six êtres veillaient 6+6 b
200 Dans la pauvre maison. | Tout autour piaffaient 6+6 b
Quelques chevaux montés ; | la lutte était finie ; 6+6 a
Tout près, Bazeille encor | suait son agonie. 6+6 a
On attendait ! Soudain | la chaumière trembla ; 6+6 b
Sous des coups redoublés | la porte s'ébranla. 6+6 b
205 De pied en cap armés, | cinq soldats de Cartouche, 6+6 a
Nommés cuirassiers blancs, | la menace à la bouche, 6+6 a
Entrèrent. L'officier | portait sur son plastron 6+6 b
L'Aigle rouge : il était | favori du patron ! 6+6 b
Les femmes s'efforçaient | de couvrir de leur ombre 6+6 a
210 Les deux hommes cachés | dans l'angle d'un coin sombre. 6+6 a
Les enfants avaient peur. | « Du vin, dit le soudard, 6+6 b
Et nous verrons après. | » Démasquant le vieillard, 6+6 b
La mère s'en alla | chercher dans son armoire 6+6 a
Des verres et du vin | pour leur verser à boire. 6+6 a
215 « Quelqu'un ! dit l'officier. | Parle, Français maudit. 6+6 b
Que fais-tu ? — C'est mon père, | exclama de son lit 6+6 b
La malade. Messieurs, | épargnez notre vie. 6+6 a
Prenez tout ce qui peut | ici vous faire envie, 6+6 a
Mais grâce pour nous tous. | Hier, pendant le combat, 6+6 b
220 Ma mère a secouru | dans le champ un soldat 6+6 b
Qui, blessé, sans secours, | allait mourir peut-être. 6+6 a
C'était un Bavarois, | il demandait un prêtre. 6+6 a
— Mensonge ! Puis, d'ailleurs, | c'était un Bavarois, 6+6 b
Répond le Prussien ; | vos damnés villageois 6+6 b
225 Ne nous font point quartier, | ils égorgent les nôtres ! 6+6 a
Allons donc, chien, dehors ! | Emmenez-le, vous autres ! » 6+6 a
La grand'mère attacha | ses bras au cou du vieux 6+6 b
Pour le garder | près d'elle. « Voudriez-vous donc mieux 4+8 b
Qu'on le tuât ici ? | reprit le major ivre 6+6 a
230 En avalant son vin. | Que sert le savoir-vivre ? 6+6 a
Nous voulions au dehors | l'envoyer à trépas, 6+6 b
Pour que le bruit trop près | ne vous offensât pas. 6+6 b
Vous l'avez donc voulu ! | »… S'appuyant sur la table, 6+6 a
Un soldat, l’œil en feu, | sur l'ordre inévitable 6+6 a
235 Du chef, vers le vieillard | abaissa lentement 6+6 b
Le canon d'un fusil : |… les deux corps lourdement, 6+6 b
L'un à l'autre attachés, | tombèrent sur la dalle, 6+6 a
Transpercés tous les deux | par une même balle ! 6+6 a
Un terrible hourra | fit trembler le plafond, 6+6 b
240 Et ces assassins blancs, | regardant dans le fond : 6+6 b
« A Vénus ! » dirent-ils. | Le major, l’œil lubrique, 6+6 a
S'élança vers le lit. | Par un geste héroïque, 6+6 a
La jeune fille atteinte | échappa de leurs mains 6+6 b
Et roula sous leurs pieds, | se meurtrissant les seins. 6+6 b
245 Un soldat s'en allait | la ramasser à terre, 6+6 a
Quand un terrible cri, | comme un coup de tonnerre, 6+6 a
Fi dresser les bandits. | L'homme estropié, debout, 6+6 b
Se haussant, le bras haut, | brandissait par le bout 6+6 b
Une barre de fer, | qui siffla menaçante 6+6 a
250 Et s'abattit, brisant | dans sa course bruyante 6+6 a
La tête d'un soldat. | Le soldat roula mort, 6+6 b
Entraînant le boiteux | par un suprême effort. 6+6 b
Les enfants, affolés, | vainement criaient grâce, 6+6 a
Un brigand (père aussi |) du talon les écrase, 6+6 a
255 A l'un coupe la tête | et la jette au boiteux 6+6 b
Pâle, le bras cassé, | couvert de sang, hideux 6+6 b
Celui-ci se relève | et, jetant loin la tête, 6+6 a
Du seul bras qui lui reste | il atteint, il arrête 6+6 a
Le meurtrier maudit ; | sans appui ni soutien, 6+6 b
260 Lui ronge le visage, | ainsi qu'un os un chien ; 6+6 b
Et la chair en lambeaux | tombe déchiquetée. 6+6 a
Par deux autres bandits | la fille est disputée ; 6+6 a
On l'outrage à l'envi : | l'un lui meurtrit les reins 6+6 b
De son talon ferré, | puis lui coupe les seins ! 6+6 b
265 « Assez, dit le major, | la mort serait trop douce ; 6+6 a
Jetez-la sur le lit, | et sus, à la rescousse ! » 6+6 a
Il montrait le boiteux. | Dans l'horrible combat 6+6 b
Les deux n'en faisaient qu'un, | l'homme avec le soldat ; 6+6 b
Ils roulaient dans le sang, | l'un des deux sans figure, 6+6 a
270 L'autre avec un seul bras, | tous deux à la torture. 6+6 a
Ils saisirent enfin | le valeureux héros 6+6 b
Et vingt fois d'un couteau | lui percèrent le dos. 6+6 b
Sur son grabat la femme | était à l'agonie, 6+6 a
Folle de tant d'horreur, | de tant d'ignominie. 6+6 a
275 Il ne restait plus qu'elle ! | Il fallait en finir. 6+6 b
Les chevaux au dehors | commençaient à hennir. 6+6 b
D'ailleurs, le jour venait, | et l'aurore naissante 6+6 a
Éclairait de ses feux | cette mare sanglante. 6+6 a
— Les carnassiers au jour | regagnent leur taudis. — 6+6 b
280 Pour terminer la nuit, | les assassins maudits, 6+6 b
Des bagnes échappés | avec brevet pour crime, 6+6 a
Vinrent brûler là couche | où râlait leur victime. 6+6 a
Quand la flamme monta, | deux d'entre eux sur son corps, 6+6 b
Pour mieux la maintenir, | jetèrent tous les morts. 6+6 b
285 Sous ces restes affreux, | souillés, méconnaissables, 6+6 a
Troncs sans bras, bras sans troncs, | figures effroyables, 6+6 a
La martyre, un instant | bondissant de douleur, 6+6 b
Souleva tous ces morts | comme eût fait un jongleur. 6+6 b
Les bourreaux ricanaient | en l'appelant la fille ! 6+6 a
290 Puis, le chef dit : « Partons : | ils sont morts en famille ! » 6+6 a
VII
Les combats cependant | se succédaient affreux. 6+6 b
Jamais champs dévastés | ne furent plus nombreux. 6+6 b
Ce n'étaient que des morts | étendus pêle-mêle, 6+6 a
Dont les monceaux croissaient | comme des tas de grêle. 6+6 a
295 Sedan nous les fit voir | dans toute leur horreur, 6+6 b
Ces bataillons si fiers ! | Une immense terreur 6+6 b
Planait comme un vautour : | sanglante boucherie, 6+6 a
Doux plaisirs des Césars, | royale écorcherie. 6+6 a
Et le Chiers et la Meuse | ont eu des flots de sang 6+6 b
300 Où les casques brillaient, | nénuphars sur l'étang. 6+6 b
Prussiens, vous savez | si la France est sublime ! 6+6 a
Qu'un Français est Français, | quelque soit le régime. 6+6 a
Vous étiez six contre un : | pas un d'eux n'a failli, 6+6 b
Et chacun dans sa gloire | est mort enseveli ; 6+6 b
305 Le bruit des légions | s'abîmant écrasées, 6+6 a
Et le cri surhumain | des poitrines brisées 6+6 a
Qui hurlaient le mot France, | et puis ainsi mouraient, 6+6 b
Vous épouvanta tous, | car les géants tombaient. 6+6 b
Ce jour-là fut atroce, | et jamais de mémoire 6+6 a
310 On ne vit tant de sang | pour écrire l'histoire. 6+6 a
La lutte avait duré | quatorze heures et plus : 6+6 b
Ils étaient là par rang, | ces hommes résolus, 6+6 b
Au milieu des débris, | des caissons et des roues, 6+6 a
Des canons renversés, | dans les flaques de boues, 6+6 a
315 Mouvants linceuls de pourpre, | où soldats, officiers, 6+6 b
Coude à coude, gisaient | entassés par milliers ! 6+6 b
Ils souriaient encor | de leur dernier sourire, 6+6 a
Et ces bouches semblaient, | en souriant, vous dire : 6+6 a
« D'un césar ou d'un roi | cohorte de laquais, 6+6 b
320 Vous pouvez nous tuer, | mais nous courber, jamais ! » 6+6 b
On ne voyait partout | que lambeaux d'uniformes, 6+6 a
Que chevaux aplatis | aux cadavres sans formes, 6+6 a
Que livrets déchirés, | que lettres s'envolant, 6+6 b
Que des sacs défoncés, | que des casques roulant ; 6+6 b
325 Des jambes et des pieds, | des têtes aux yeux mornes, 6+6 a
Éparses dans les champs | comme de simples bornes ; 6+6 a
Et ces regards vitreux, | dans un rouge brouillard, 6+6 b
Avec leurs froids rayons | cherchaient votre regard ! 6+6 b
On put alors tout voir, | l'affreux dans le terrible, 6+6 a
330 Les horreurs dans l'horreur, | l'horrible dans l'horrible. 6+6 a
VIII
Les soldats étaient morts, | il restait l'Empereur ; 6+6 b
Son trône fut brisé | par le triomphateur. 6+6 b
Quel spectacle inouï ! | le roi gagnait la carte ; 6+6 a
Guillaume sous ses pieds | tenait un Bonaparte ! 6+6 a
335 Qu'ils sont changés ces temps | où Napoléon Trois 6+6 b
A sa cour invitait | empereurs, ducs et rois ! 6+6 b
Alors ces souverains | affectaient de sourire 6+6 a
A celui que du cœur | ils devaient tous maudire. 6+6 a
De dorures couvert, | le trône étincelait ; 6+6 b
340 L'impérial manteau | pour lors resplendissait. 6+6 b
Us étaient accourus | tirer leur révérence, 6+6 a
Chamarrés de cordons | et prêts à la bombance. 6+6 a
Le trône vermoulu | dont il faisaient grand cas 6+6 b
Sous les coups du canon | s'écroule avec fracas ! 6+6 b
345 Tout est changé dès lors. | En flocons de fumée 6+6 a
La gloire a disparu | comme la grande armée ; 6+6 a
Guillaume avait souri ; | son rire maintenant 6+6 b
Devient strident, rageur : | son Frère est un manant ! 6+6 b
Et l'aigle déplumé | de ce très-aimé frère 6+6 a
350 N'est plus qu'un maigre oiseau | que son pied foule à terre ! 6+6 a
Quelle farce de foire, | où les rois fanfarons 6+6 b
Sur des tréteaux dorés | se changent en hérons ! 6+6 b
Dieu, qui brise les rois, | devient inexorable, 6+6 a
Et Guillaume, instrument, | devait être implacable. 6+6 a
355 Le sieur Hohenzollern | s'enivra du succès, 6+6 b
Et son immense orgueil | perça comme un abcès. 6+6 b
En riche parvenu, | le roi de Vidrecome, 6+6 a
Possesseur de César, | voulut tâter de l'homme. 6+6 a
Il le fit donc venir | afin de l'abreuver 6+6 b
360 Des hontes qu'en son âme | il avait pu rêver. 6+6 b
Quand l'Empereur entra, | son œil lançait la haine ; 6+6 a
A son ex-cher bon frère | il répondit à peine. 6+6 a
Le vaincu cependant | l'appelait Majesté 6+6 b
Et s'inclinait, courtois, | devant la royauté. 6+6 b
365 L'ex-empereur avait | la tête découverte. 6+6 a
En Germain bien appris | que rien ne déconcerte, 6+6 a
Guillaume, casque en tête | et lui tournant le dos, 6+6 b
S'essayait en marchant | à des airs de héros. 6+6 b
Jamais on ne rendra | l'attitude bouffonne 6+6 a
370 De l'apprenti César | essayant sa couronne ! 6+6 a
Bonaparte attendait : | l'autocrate germain, 6+6 b
Devant lui se posant, | dit, étendant la main : 6+6 b
« Vous êtes dès ce jour | tombé sous ma puissance. 6+6 a
Mon bon vouloir, Monsieur, | est que pour résidence 6+6 a
375 Vous occupiez Cassel ; | et là, vous attendrez 6+6 b
Des ordres plus précis | auxquels vous vous rendrez. 6+6 b
J'ai dit. » L'ex-empereur, | bafoué de la sorte, 6+6 a
Sortit, sans que d'un pas | le roi lui fit escorte. 6+6 a
Le vainqueur boursouflé | triomphait lâchement ; 6+6 b
380 Mais la honte aux deux fronts | s'étendait largement. 6+6 b
Après cela, renards | que le besoin rassemble, 6+6 a
On les vit tous les deux | se renfermer ensemble, 6+6 a
Et, sondant l'avenir, | l'un et l'autre soudain 6+6 b
Échangèrent des mots | et se prirent la main. 6+6 b
IX
385 Toute la France en deuil, | de douleur affolée 6+6 a
Par ces hordes sans nom, | sanglante et mutilée, 6+6 a
Implora le vainqueur | et demanda la paix. 6+6 b
Le Prussien se vit | prié par un Français ! 6+6 b
Hélas ! ce fut en vain. | Le crime veut le crime : 6+6 a
390 Us voulaient jusqu'au bout | écraser la victime ; 6+6 a
Et leur marche sanglante | à travers le pays 6+6 b
Continua, couvrant | la France de débris : 6+6 b
Paris était leur but. | La grande et noble ville 6+6 a
Offusquait ces jaloux | couverts de souquenille. 6+6 a
395 Contre des murs d'airain | qui vomissaient la mort 6+6 b
La France se meurtrit | sans déplorer son sort : 6+6 b
Elle fut grande et belle | ainsi qu'une Romaine 6+6 a
Qui, même dans les fers, | demeure souveraine. 6+6 a
Les puissances alors | eurent peur à leur tour : 6+6 b
400 L'aigle était déjà mort, | il restait le vautour ! 6+6 b
D'effroyables charniers | se creusaient dans la France ; 6+6 a
D'heure en heure semblait | reculer l'espérance. 6+6 a
X
Pendant qu'en éventail, | de nombreux bataillons 6+6 b
Détachés du grand corps | comme des tourbillons 6+6 b
405 Rayonnent en tous sens | aidés par l'incendie ; 6+6 a
Aux portes de Berlin | quand la veuve mendie, 6+6 a
Crevant de vanité, | Guillaume le Teuton, 6+6 b
Ou bien, comme à Berlin, | Vielfrasz le glouton, 6+6 b
De Moltke, von Bismarck, | avec la grosse armée, 6+6 a
410 Se rendent sous Paris. | — La France est entamée, 6+6 a
Et Paris se rendra | peut-être avant un mois. 6+6 b
Guillaume l'Empereur | invitera les rois ! 6+6 b
XI
Il fallait un bon gîte | à toutes ces canailles : 6+6 a
Guillaume, en connaisseur, | leur a choisi Versailles ! 6+6 a
415 O Versailles, palais | bâti pour des géants, 6+6 b
Tu devais donc ainsi | loger des mécréants ! 6+6 b
Tu les vis arriver | tout bardés d'insolence : 6+6 a
Rien ne les effraya, | — pas même ton silence !— 6+6 a
Les maîtres étaient morts ! | Un laquais s'avança, 6+6 b
420 On éclaira la salle | et le bal commença. 6+6 b
O Versailles, tu vis | ces longues saturnales, 6+6 a
Et la honte couvrit | les lambris de tes salles ! 6+6 a
Un Guillaume, un Bismarck, | succédant aux Bourbons ! 6+6 b
Un de Moltke et consorts, | ces crottes vagabonds, 6+6 b
425 Singent les grands seigneurs | dans ces vastes allées, 6+6 a
De royaux souvenirs | encor toutes meublées ! 6+6 a
Honte, pour t'effacer | que de temps il faudra ! 6+6 b
Et cependant un jour | cette heure enfin viendra. 6+6 b
Laissons donc s'enivrer | tous ces porteurs de hottes. 6+6 a
430 Sur le lit de Louis | Guillaume a mis ses bottes ; 6+6 a
L'histrion veut montrer | à son coadjuteur 6+6 b
Son immense talent | de singe imitateur. 6+6 b
Von Bismarck a souri | de l'audace royale 6+6 a
Qui va donner champ libre | aux faiseurs de scandale. 6+6 a
435 La fête sera belle, | et de lourds tombereaux 6+6 b
Verseront chaque jour | des flots de hobereaux 6+6 b
Dans la cour du grand Roi. | Dans cette macédoine, 6+6 a
On en verra cherchant | défunt leur patrimoine. 6+6 a
La France est riche assez | pour payer des marrons 6+6 b
440 Et même du Champagne | à ces nobles larrons ! 6+6 b
La troupe est au complet : | le chef est sur l'estrade, 6+6 a
Et dans son coin Bismarck | dirige la parade. 6+6 a
L'Europe est attentive ; | il singe Richelieu, 6+6 b
Fait des vœux à Satan | tout en parlant de Dieu ! 6+6 b
445 Bismarck tient en ses mains | la Prusse enficelée : 6+6 a
Dans un crâne de fer | sa cervelle est cerclée ; 6+6 a
Il a réponse à tout : | il trompe les États, 6+6 b
Au besoin dans les cours | danse des entrechats, 6+6 b
Fait la courbette aux rois, | fait des sauts de paillasse, 6+6 a
450 Insulte l'Empereur, | flatte la populace. 6+6 a
Tous les habits sont bons ; | ils s'affuble en césar, 6+6 b
Prend un casque, une épée, | ou le froc d'Escobar. 6+6 b
Bismarck a rétabli | la sainte cour wehmique, 6+6 a
Il en est le grand chef, | le Vautrin politique. 6+6 a
455 Il dirige, exécute ; | il condamne, il absout. 6+6 b
Il veut rouler l'Europe | en jouant son va-tout. 6+6 b
Le peuple de.Berlin | gémit dans la misère : 6+6 a
Eh ! qu'importe, vraiment ? | Le roi fait bonne chère, 6+6 a
Les princes, courtisans | plats comme des valets, 6+6 b
460 En s'inclinant bien bas | préparent des sorbets. 6+6 b
Habillés en mandrins, | ces gloutons d'Allemagne 6+6 a
Chassent le jour, la nuit | dégustent le Champagne. 6+6 a
Pendant ce temps, hélas ! | les pauvres prisonniers 6+6 b
Restent à la merci | de vils palefreniers. 6+6 b
465 On les laisse sans pain | pendant deux fois vingt heures ; 6+6 a
Des wagons découverts | leurs servent de demeures ; 6+6 a
Bismarck veut que son Roi | serve d'épouvantail : 6+6 b
On les presse, on les tasse, | ainsi qu'un vil bétail ! 6+6 b
La neige tombe à flots, | et dans ces lits de glace 6+6 a
470 La mort dans ses longs bras | promptement les enlace. 6+6 a
La Prusse est aux abois | et ne peut les nourrir ; 6+6 b
Or, sans les fusiller, | on les fera mourir. 6+6 b
L'Ivan du nord se rit | de tant de perfidie. 6+6 a
Des bulletins menteurs | le soir il expédie 6+6 a
475 Pour prouver que la France | en lui voit un sauveur : 6+6 b
Il est l'aimé de Dieu, | partout il est vainqueur. 6+6 b
Croit-il donc de la sorte | apaiser les murmures ? 6+6 a
Un jour seront à nu | toutes ses impostures : 6+6 a
Ses soldats par milliers | succombent tous les jours, 6+6 b
480 Et la Prusse verra | s'il fut vainqueur toujours ! 6+6 b
En son orgueil de bonze | il demeure implacable, 6+6 a
Sur son trône pourri | se croit inviolable ! 6+6 a
Ton trône de velours ! | déjà les vers y sont ! 6+6 b
A ta face royale | ils font aussi l'affront ; 6+6 b
485 Dieu, dont tu fus fléau, | déjà te pulvérise, 6+6 a
Et la Prusse, en tes mains | qui se cadavérise, 6+6 a
Fera honte aux Germains : | son nom sera flétri, 6+6 b
L'Europe crachera | sur ton sceptre pourri. 6+6 b
XII
Au milieu des anneaux | de ce serpent infâme, 6+6 a
490 PARIS étincelait, | fulgurant oriflamme. 6+6 a
Abrité par ses murs, | sublime dans sa foi, 6+6 b
Paris à l'univers | dit : « l'Europe, c'est moi ! » 6+6 b
La grande ville alors, | superbe, magnifique, 6+6 a
Se dressa frémissant | comme la Muse antique. 6+6 a
495 Des milliers de héros | naquirent en un jour, 6+6 b
Et l'aigle dans son nid | fascina le vautour. 6+6 b
Les peuples attentifs, | les rois sous leur couronne, 6+6 a
Tremblèrent hébétés | devant cette lionne ! 6+6 a
Tous étaient stupéfaits ! | Quelques-uns, pleins d'effroi, 6+6 b
500 Comprirent le pouvoir | de ce grand Peuple-Roi. 6+6 b
Jamais, au grand jamais, | dix-huit siècles de gloire 6+6 a
N'ont écrit sur l'airain | telle page d'histoire ! 6+6 a
Peuples et conquérants, | vous pouvez amasser 6+6 b
Obusiers et canons ; | vous pouvez entasser 6+6 b
505 Marbre sur marbre, airain | sur airain : ces colonnes 6+6 a
Prouveront le néant | de vos grandeurs bouffonnes. 6+6 a
Devant ceux des Titans | vos noms s'effaceront ; 6+6 b
Devant un souvenir | vos gloires tomberont, 6+6 b
Ainsi que des flocons | que l'ouragan secoue 6+6 a
510 Et qui s'en vont tout blancs | s'abîmer dans la boue. 6+6 a
Paris est désormais | l'immortel souvenir : 6+6 b
Gloire pour le passé, | leçon pour l'avenir ! 6+6 b
En cendre ou bien debout, | désormais sa grande ombre 6+6 a
Fera trembler les rois | et rendra leur ciel sombre. 6+6 a
515 Car ils prévoient qu'un jour | l'ombre obscurcira l'air, 6+6 b
Et de l'ombre soudain | émergera l'éclair ! 6+6 b
Londres,Vienne, Berlin, | les fières capitales, 6+6 a
Avec Rome et Stamboul, | deviendront ses vassales ; 6+6 a
Et les Césars, blottis | comme de simples gueux, 6+6 b
520 Disparaîtront ainsi | que leurs États fangeux ! 6+6 b
XIII
Le Maître fou pensait, | la bouche enfarinée, 6+6 a
Entrer sans coup férir, | montant sa haquenée. 6+6 a
La porte en granit noir | se dressa devant lui ! 6+6 b
Comme au nez d'un voleur | quand un glaive a relui, 6+6 b
525 A pas sourds, en jurant, | il gagna sa tanière. 6+6 a
Il rêvait chemin droit, | il était dans l'ornière. 6+6 a
De Moltke et de Bismarck, | ses nobles confidents, 6+6 b
Subirent à genoux | ses regards insolents : 6+6 b
Tous deux avaient surpris | sa plus douce espérance, 6+6 a
530 A savoir d'égorger | d'un même coup la France, 6+6 a
Et ce maudit Paris, | l'indomptable cité, 6+6 b
Restait encor debout, | bravant sa majesté. 6+6 b
La ville folle avait | échangé sa toilette ; 6+6 a
Un collier de canons, | en guise d'amulette, 6+6 a
535 Remplaçait les saphirs, | les perles, les rubis. 6+6 b
Près d'elle étincelaient | des glaives bien fourbis. 6+6 b
On croyait la surprendre | au milieu de l'orgie, 6+6 a
Lasse de son festin, | molle, sans énergie, 6+6 a
Et l'on retrouvait Rome | au temps de ses vertus, 6+6 b
540 Grande comme Caton, | grave comme Brutus. 6+6 b
XIV
L'amour-propre royal | s'aigrit de cet obstacle, 6+6 a
En place d'admirer | un semblable spectacle. 6+6 a
Et le roi s'indigna. | Dans sa sainte fureur, 6+6 b
Il dit à ses soldats | de semer la terreur, 6+6 b
545 De brûler, de piller | dans toutes les provinces. 6+6 a
Pour ruiner la France, | il dépêcha des princes. 6+6 a
Le carnage sans but | gagna comme un torrent : 6+6 b
La peste avait enfin | trouvé son Concurrent. 6+6 b
La grandeur de Louis | offusque Don Guillaume ; 6+6 a
550 Il se croit né trop grand | pour un simple royaume, 6+6 a
Un empire vaut mieux : | le suppôt de l'enfer 6+6 b
Revendique aussitôt | la Couronne de fer ! 6+6 b
Il lui faut retourner | empereur d'Allemagne, 6+6 a
Chausser les brodequins | que chaussa Charlemagne. 6+6 a
555 Prussiens et Badois | courbent leur dos bien bas ; 6+6 b
Bavarois et Saxons | s'inclinent sous ses pas. 6+6 b
On le nomme césar | dans la salle des glaces, 6+6 a
Et Bismarck en passant | fait lé saut des paillasses. 6+6 a
XV
C'est donc ainsi, messieurs, | qu'on devient empereur ? 6+6 b
560 Soyez glouton, pillard, | assassin, massacreur ; 6+6 b
Faites honte à Mandrin | par votre tricherie, 6+6 a
Proclamez-vous gaîment | maître de boucherie, 6+6 a
Et le tour sera fait : | des courtisans nombreux 6+6 b
Devant Crispin Premier | s'inclineront heureux. 6+6 b
XVI
565 Les jours, les mois, passaient : | de minute en minute, 6+6 a
On attendait la fin | de la terrible lutte ; 6+6 a
Paris, toujours debout, | regardait le flot noir 6+6 b
Dont le fangeux limon, | épouvantable à voir, 6+6 b
Serpentait tout autour | de ses sombres murailles. 6+6 a
570 Le Peuple-Roi domptait | l'empereur de Versailles. 6+6 a
D'un côté, la grandeur ; | de l'autre, le dépit : 6+6 b
Les soldats n'avaient plus | un instant de répit, 6+6 b
Il fallait à tout prix | terrasser la sirène. 6+6 a
Hé ! qu'importe la mort | que nuit et jour égrène 6+6 a
575 Son flanc fécond ? Le roi, | — maintenant l'empereur, — 6+6 b
Comparse de la mort, | s'est fait son pourvoyeur. 6+6 b
Partis un million, | si l'on revient cent mille, 6+6 a
Tant pis ! Il en répond, | l'Allemagne est docile. 6+6 a
De temps en temps, Bismarck, | le prince en similor, 6+6 b
580 Par ordre de son chef, | montre la plume d'or 6+6 b
Qui doit signer la paix ! | Triste fanfaronnade, 6+6 a
Dont le bruit se perdit | avec la canonnade. 6+6 a
Mais la rage grondait. | Après trois mois, enfin, 6+6 b
Le pieux roi régla, | d'après son aigrefin, 6+6 b
585 Qu'on devait bombarder | Paris l'infame ville. 6+6 a
Les bombes, les obus, | éclatèrent par mille. 6+6 a
Le peuple supporta | leurs éclats sans effroi, 6+6 b
En disant à part lui : | « C'est la carte d'un roi ! » 6+6 b
Ces nobles paladins | déclarèrent au monde 6+6 a
590 Que Saint-Denis serait | bombardé comme immonde ; 6+6 a
Que les tombeaux des rois, | brûlés, anéantis, 6+6 b
N'existeraient bientôt | que dans les vieux récits. 6+6 b
Mons de Moltke applaudit | et Bismarck fait la roue : 6+6 a
Jamais on n'a besoin | de flageller la boue ; 6+6 a
595 Elle va dans l'égout, | c'est toujours son destin, 6+6 b
Et les immondes vers | seuls s'en font un festin. 6+6 b
O grands rois qui dormez | sous vos voûtes de pierre, 6+6 a
Vous qui fûtes l'honneur, | ils se sont fait litière 6+6 a
De vos lits ; ces truands, | outrageant vos tombeaux, 6+6 b
600 Ont voulu vos cercueils, | pour prendre des lambeaux 6+6 b
De cet antique honneur, | pour vieillir leur noblesse, 6+6 a
Et grandir, s'il se peut, | leur pauvre petitesse. 6+6 a
A vos vieux ossements | frottant sa majesté, 6+6 b
Guillaume ainsi cherchait | un peu de vétusté, 6+6 b
605 Pour brunir son blason | d'un trop récent modèle ! 6+6 a
Le vieux a du crédit, | et le marchand bosselle 6+6 a
L'argent trop frais coulé, | pour tromper l'acheteur. 6+6 b
Enfin, Dieu permit tout | à ce reître imposteur ! 6+6 b
XVII
Sanglant, criant la faim, | épuisé d'héroïsme, 6+6 a
610 Après cent trente jours, | au roi du vandalisme 6+6 a
Paris, grand comme un dieu, | jeta son glaive, et dit : 6+6 b
« On me rend, j'ai perdu. | Quant à toi, sois maudit ! » 6+6 b
XVIII
Comme outrage dernier, | la ville consternée 6+6 a
Eut à voir dans ses murs | une immonde traînée 6+6 a
615 De ces lâches escrocs. | Dans un quartier ces gueux 6+6 b
Furent parqués deux jours : | car, se retirant d'eux, 6+6 b
Paris les laissa seuls, | et la ville célèbre 6+6 a
Transforma leur triomphe | en un convoi funèbre. 6+6 a
Tu regardas de loin | la sublime cité, 6+6 b
620 Mais son deuil, ô César, | vainquit ta vanité : 6+6 b
Sous les murs de Paris | gît donc ton épopée. 6+6 a
Ton gousset est garni, | jongle avec ton épée ! 6+6 a
ÉPILOGUE
Maintenant, Empereur, | écoute bien ceci. 6+6 b
Tu parais triompher ; | l'avenir, le voici : 6+6 b
625 En ses mains Dieu t'a pris | pour servir sa vengeance ; 6+6 a
Il fallait un fléau, | tu fus nommé d'urgence. 6+6 a
Ton rôle est terminé, | tu redeviens laquais. 6+6 b
Dieu, lorsqu'il veut punir, | ne se trompe jamais. 6+6 b
Le choléra, ton frère, | eût moins bien fait les choses ; 6+6 a
630 Il t'arriva souvent | de décupler les doses. 6+6 a
Mais Dieu, nous l'espérons, | finit de se venger. 6+6 b
Notre malheur, ce fut | d'aimer trop l'étranger. 6+6 b
Si la France mourait… | , la.France, qu'on décrie, 6+6 a
Tomberait sous l'excès | de sa chevalerie. 6+6 a
635 C'est par cent trahisons | qu'elle a vu ses drapeaux, 6+6 b
Par vos griffes serrés, | couvrir vos oripeaux. 6+6 b
Cesse donc, Empereur, | de croire à la victoire : 6+6 a
La France n'est point morte ; | elle écrira l'histoire 6+6 a
De ton nouvel empire ; | et c'est avec du sang 6+6 b
640 Qu'elle te vêtira, | t'assignera ton rang. 6+6 b
Le sang est ta couleur ; | ton auguste personne 6+6 a
En a teint son manteau, | moucheté sa couronne. 6+6 a
En ce temps, sur tes os, | on le verra pleuvoir ; 6+6 b
Tu pourras te gaudir | dans l'immense abreuvoir, 6+6 b
645 Et ce rouge Océan, | avec son limon rouge, 6+6 a
Brisera tes tréteaux, | engloutira ton bouge ! 6+6 a
Derrière toi le sang | a soulevé des flots 6+6 b
De vengeance et de haine ; | en leurs derniers sanglots, 6+6 b
Les femmes à leurs fils | ont montré le carnage 6+6 a
650 Que tes soldats ont fait, | stimulés par ta rage. 6+6 a
Va faire le César, | brille à ton nouveau rang ; 6+6 b
Ce que tu nommes pourpre, | on l'appellera sang ! 6+6 b
Tes lauriers sont tressés, | on dresse ta statue ; 6+6 a
Ta tête d'empereur | atteint déjà la nue. 6+6 a
655 Des crânes par milliers | forment ton piédestal : 6+6 b
Là, tu resplendiras | comme un monstre à l'étal ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
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