Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
COR9/COR9
Pierre CORNEILLE
1637
Le Cid
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
Don Fernand premier roi de Castille
Dona Urraque infante de Castille
Don Diègue père de don Rodrigue
Don Gomes comte de Gormas, père de Chimène
Don Rodrigue amant de Chimène
Don Sanche amoureux de Chimène
Don Arias gentilhomme castillan
Don Alonse gentilhomme castillan
Chimène fille de don Gomès
Leonor gouvernante de l'infante
Elvire gouvernante de Chimène
Un page de l'infante
a scène est à Séville.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE
Chimène
Elvire, m'as-tu fait | un rapport bien sincère ? 6+6 a
Ne déguises-tu rien | de ce qu'a dit mon père ? 6+6 a
Elvire
Tous mes sens à moi-même | en sont encor charmés : 6+6 a
Il estime Rodrigue | autant que vous l'aimez, 6+6 a
5 Et si je ne m'abuse | à lire dans son âme, 6+6 a
Il vous commandera | de répondre à sa flamme. 6+6 a
Chimène
Dis-moi donc, je te prie, | une seconde fois 6+6 a
Ce qui te fait juger | qu'il approuve mon choix : 6+6 a
Apprends-moi de nouveau | quel espoir j'en dois prendre ; 6+6 a
10 Un si charmant discours | ne se peut trop entendre ; 6+6 a
Tu ne peux trop promettre | aux feux de notre amour 6+6 a
La douce liberté | de se montrer au jour. 6+6 a
Que t'a-t-il répondu | sur la secrète brigue 6+6 a
Que font auprès de toi | don Sanche et don Rodrigue ? 6+6 a
15 N'as-tu point trop fait voir | quelle inégalité 6+6 a
Entre ces deux amants | me penche d'un côté ? 6+6 a
Elvire
Non ; j'ai peint votre cœur | dans une indifférence 6+6 a
Qui n'enfle d'aucun d'eux | ni détruit l'espérance, 6+6 a
Et sans les voir d'un œil | trop sévère ou trop doux, 6+6 a
20 Attend l'ordre d'un père | à choisir un époux. 6+6 a
Ce respect l'a ravi, | sa bouche et son visage 6+6 a
M'en ont donné sur l'heure | un digne témoignage, 6+6 a
Et puisqu'il vous en faut | encor faire un récit, 6+6 a
Voici d'eux et de vous | ce qu'en hâte il m'a dit : 6+6 a
25 « elle est dans le devoir ; | tous deux sont dignes d'elle, 6+6 a
Tous deux formés d'un sang | noble, vaillant, fidèle, 6+6 a
Jeunes, mais qui font lire | aisément dans leurs yeux 6+6 a
L'éclatante vertu | de leurs braves aïeux. 6+6 a
Don Rodrigue surtout | n'a trait en son visage 6+6 a
30 Qui d'un homme de cœur | ne soit la haute image, 6+6 a
Et sort d'une maison | si féconde en guerriers, 6+6 a
Qu'ils y prennent naissance | au milieu des lauriers. 6+6 a
La valeur de son père, | en son temps sans pareille, 6+6 a
Tant qu'a duré sa force, | a passé pour merveille ; 6+6 a
35 Ses rides sur son front | ont gravé ses exploits, 6+6 a
Et nous disent encor | ce qu'il fut autrefois. 6+6 a
Je me promets du fils | ce que j'ai vu du père ; 6+6 a
Et ma fille, en un mot, | peut l'aimer et me plaire. » 6+6 a
Il allait au conseil, | dont l'heure qui pressait 6+6 a
40 A tranché ce discours | qu'à peine il commençait ; 6+6 a
Mais à ce peu de mots | je crois que sa pensée 6+6 a
Entre vos deux amants | n'est pas fort balancée. 6+6 a
Le roi doit à son fils | élire un gouverneur, 6+6 a
Et c'est lui que regarde | un tel degré d'honneur : 6+6 a
45 Ce choix n'est pas douteux, | et sa rare vaillance 6+6 a
Ne peut souffrir qu'on craigne | aucune concurrence. 6+6 a
Comme ses hauts exploits | le rendent sans égal, 6+6 a
Dans un espoir si juste | il sera sans rival ; 6+6 a
Et puisque don Rodrigue | a résolu son père 6+6 a
50 Au sortir du conseil | à proposer l'affaire, 6+6 a
Je vous laisse à juger | s'il prendra bien son temps, 6+6 a
Et si tous vos désirs | seront bientôt contents. 6+6 a
Chimène
Il semble toutefois | que mon âme troublée 6+6 a
Refuse cette joie, | et s'en trouve accablée : 6+6 a
55 Un moment donne au sort | des visages divers, 6+6 a
Et dans ce grand bonheur | je crains un grand revers. 6+6 a
Elvire
Vous verrez cette crainte | heureusement déçue. 6+6 a
Chimène
Allons, quoi qu'il en soit, | en attendre l'issue. 6+6 a
SCÈNE II
L'infante
Page, allez avertir | Chimène de ma part 6+6 a
60 Qu'aujourd'hui pour me voir | elle attend un peu tard, 6+6 a
Et que mon amitié | se plaint de sa paresse. 6+6 a
Léonor
Madame, chaque jour | même désir vous presse ; 6+6 a
Et dans son entretien | je vous vois chaque jour 6+6 a
Demander en quel point | se trouve son amour. 6+6 a
L'infante
65 Ce n'est pas sans sujet : | je l'ai presque forcée 6+6 a
À recevoir les traits | dont son âme est blessée. 6+6 a
Elle aime don Rodrigue, | et le tient de ma main, 6+6 a
Et par moi don Rodrigue | a vaincu son dédain : 6+6 a
Ainsi de ces amants | ayant formé les chaînes, 6+6 a
70 Je dois prendre intérêt | à voir finir leurs peines. 6+6 a
Léonor
Madame, toutefois | parmi leurs bons succès 6+6 a
Vous montrez un chagrin | qui va jusqu'à l'excès. 6+6 a
Cet amour, qui tous deux | les comble d'allégresse, 6+6 a
Fait-il de ce grand cœur | la profonde tristesse, 6+6 a
75 Et ce grand intérêt | que vous prenez pour eux 6+6 a
Vous rend-il malheureuse | alors qu'ils sont heureux ? 6+6 a
Mais je vais trop avant, | et deviens indiscrète. 6+6 a
L'infante
Ma tristesse redouble | à la tenir secrète. 6+6 a
Écoute, écoute enfin | comme j'ai combattu, 6+6 a
80 Écoute quels assauts | brave encor ma vertu. 6+6 a
L'amour est un tyran | qui n'épargne personne : 6+6 a
Ce jeune cavalier, | cet amant que je donne, 6+6 a
Je l'aime.
Léonor
Vous l'aimez ! |
L'infante
Mets la main sur mon cœur, 6+6 a
Et vois comme il se trouble | au nom de son vainqueur, 6+6 a
Comme il le reconnaît. |
Léonor
85 Pardonnez-moi, madame, 6+6 a
Si je sors du respect | pour blâmer cette flamme. 6+6 a
Une grande princesse | à ce point s'oublier 6+6 a
Que d'admettre en son cœur | un simple cavalier ! 6+6 a
Et que dirait le roi ? | Que dirait la Castille ? 6+6 a
90 Vous souvient-il encor | de qui vous êtes fille ? 6+6 a
L'infante
Il m'en souvient si bien | que j'épandrai mon sang 6+6 a
Avant que je m'abaisse | à démentir mon rang. 6+6 a
Je te répondrais bien | que dans les belles âmes 6+6 a
Le seul mérite a droit | de produire des flammes ; 6+6 a
95 Et si ma passion | cherchait à s'excuser, 6+6 a
Mille exemples fameux | pourraient l'autoriser ; 6+6 a
Mais je n'en veux point suivre | où ma gloire s'engage ; 6+6 a
La surprise des sens | n'abat point mon courage ; 6+6 a
Et je me dis toujours | qu'étant fille de roi, 6+6 a
100 Tout autre qu'un monarque | est indigne de moi. 6+6 a
Quand je vis que mon cœur | ne se pouvait défendre, 6+6 a
Moi-même je donnai | ce que je n'osais prendre. 6+6 a
Je mis, au lieu de moi, | Chimène en ses liens, 6+6 a
Et j'allumai leurs feux | pour éteindre les miens. 6+6 a
105 Ne t'étonne donc plus | si mon âme gênée 6+6 a
Avec impatience | attend leur hyménée : 6+6 a
Tu vois que mon repos | en dépend aujourd'hui. 6+6 a
Si l'amour vit d'espoir, | il périt avec lui : 6+6 a
C'est un feu qui s'éteint, | faute de nourriture ; 6+6 a
110 Et malgré la rigueur | de ma triste aventure, 6+6 a
Si Chimène a jamais | Rodrigue pour mari, 6+6 a
Mon espérance est morte, | et mon esprit guéri. 6+6 a
Je souffre cependant | un tourment incroyable : 6+6 a
Jusques à cet hymen | Rodrigue m'est aimable ; 6+6 a
115 Je travaille à le perdre, | et le perds à regret ; 6+6 a
Et de là prend son cours | mon déplaisir secret. 6+6 a
Je vois avec chagrin | que l'amour me contraigne 6+6 a
À pousser des soupirs | pour ce que je dédaigne ; 6+6 a
Je sens en deux partis | mon esprit divisé : 6+6 a
120 Si mon courage est haut, | mon cœur est embrasé ; 6+6 a
Cet hymen m'est fatal, | je le crains, et souhaite : 6+6 a
Je n'ose en espérer | qu'une joie imparfaite. 6+6 a
Ma gloire et mon amour | ont pour moi tant d'appas, 6+6 a
Que je meurs s'il s'achève | ou ne s'achève pas. 6+6 a
Léonor
125 Madame, après cela | je n'ai rien à vous dire, 6+6 a
Sinon que de vos maux | avec vous je soupire : 6+6 a
Je vous blâmais tantôt, | je vous plains à présent ; 6+6 a
Mais puisque dans un mal | si doux et si cuisant 6+6 a
Votre vertu combat | et son charme et sa force, 6+6 a
130 En repousse l'assaut, | en rejette l'amorce, 6+6 a
Elle rendra le calme | à vos esprits flottants. 6+6 a
Espérez donc tout d'elle, | et du secours du temps ; 6+6 a
Espérez tout du ciel : | il a trop de justice 6+6 a
Pour laisser la vertu | dans un si long supplice. 6+6 a
L'infante
135 Ma plus douce espérance | est de perdre l'espoir. 6+6 a
Le page
Par vos commandements | Chimène vous vient voir. 6+6 a
L'infante
Allez l'entretenir | en cette galerie. 6+6 a
Léonor
Voulez-vous demeurer | dedans la rêverie ? 6+6 a
L'infante
Non, je veux seulement, | malgré mon déplaisir, 6+6 a
140 Remettre mon visage | un peu plus à loisir. 6+6 a
Je vous suis. Juste ciel, | d'où j'attends mon remède, 6+6 a
Mets enfin quelque borne | au mal qui me possède : 6+6 a
Assure mon repos, | assure mon honneur. 6+6 a
Dans le bonheur d'autrui | je cherche mon bonheur : 6+6 a
145 Cet hyménée à trois | également importe ; 6+6 a
Rends son effet plus prompt, | ou mon âme plus forte. 6+6 a
D'un lien conjugal | joindre ces deux amants, 6+6 a
C'est briser tous mes fers, | et finir mes tourments. 6+6 a
Mais je tarde un peu trop : | allons trouver Chimène, 6+6 a
150 Et par son entretien | soulager notre peine. 6+6 a
SCÈNE III
Le comte
Enfin vous l'emportez, | et la faveur du roi 6+6 a
Vous élève en un rang | qui n'était dû qu'à moi : 6+6 a
Il vous fait gouverneur | du prince de Castille. 6+6 a
Don Diègue
Cette marque d'honneur | qu'il met dans ma famille 6+6 a
155 Montre à tous qu'il est juste, | et fait connaître assez 6+6 a
Qu'il sait récompenser | les services passés. 6+6 a
Le comte
Pour grands que soient les rois, | ils sont ce que nous sommes : 6+6 a
Ils peuvent se tromper | comme les autres hommes ; 6+6 a
Et ce choix sert de preuve | à tous les courtisans 6+6 a
160 Qu'ils savent mal payer | les services présents. 6+6 a
Don Diègue
Ne parlons plus d'un choix | dont votre esprit s'irrite : 6+6 a
La faveur l'a pu faire | autant que le mérite ; 6+6 a
Mais on doit ce respect | au pouvoir absolu, 6+6 a
De n'examiner rien | quand un roi l'a voulu. 6+6 a
165 À l'honneur qu'il m'a fait | ajoutez-en un autre ; 6+6 a
Joignons d'un sacré nœud | ma maison à la vôtre : 6+6 a
Vous n'avez qu'une fille, | et moi je n'ai qu'un fils ; 6+6 a
Leur hymen nous peut rendre | à jamais plus qu'amis : 6+6 a
Faites-nous cette grâce, | et l'acceptez pour gendre. 6+6 a
Le comte
170 À des partis plus hauts | ce beau fils doit prétendre ; 6+6 a
Et le nouvel éclat | de votre dignité 6+6 a
Lui doit enfler le cœur | d'une autre vanité. 6+6 a
Exercez-la, monsieur, | et gouvernez le prince : 6+6 a
Montrez-lui comme il faut | régir une province, 6+6 a
175 Faire trembler partout | les peuples sous sa loi, 6+6 a
Remplir les bons d'amour, | et les méchants d'effroi. 6+6 a
Joignez à ces vertus | celles d'un capitaine : 6+6 a
Montrez-lui comme il faut | s'endurcir à la peine, 6+6 a
Dans le métier de Mars | se rendre sans égal, 6+6 a
180 Passer les jours entiers | et les nuits à cheval, 6+6 a
Reposer tout armé, | forcer une muraille, 6+6 a
Et ne devoir qu'à soi | le gain d'une bataille. 6+6 a
Instruisez-le d'exemple, | et rendez-le parfait, 6+6 a
Expliquant à ses yeux | vos leçons par l'effet. 6+6 a
Don Diègue
185 Pour s'instruire d'exemple, | en dépit de l'envie, 6+6 a
Il lira seulement | l'histoire de ma vie. 6+6 a
Là, dans un long tissu | de belles actions, 6+6 a
Il verra comme il faut | dompter des nations, 6+6 a
Attaquer une place, | ordonner une armée, 6+6 a
190 Et sur de grands exploits | bâtir sa renommée. 6+6 a
Le comte
Les exemples vivants | sont d'un autre pouvoir ; 6+6 a
Un prince dans un livre | apprend mal son devoir. 6+6 a
Et qu'a fait après tout | ce grand nombre d'années, 6+6 a
Que ne puisse égaler | une de mes journées ? 6+6 a
195 Si vous fûtes vaillant, | je le suis aujourd'hui, 6+6 a
Et ce bras du royaume | est le plus ferme appui. 6+6 a
Grenade et l'Aragon | tremblent quand ce fer brille ; 6+6 a
Mon nom sert de rempart | à toute la Castille : 6+6 a
Sans moi, vous passeriez | bientôt sous d'autres lois, 6+6 a
200 Et vous auriez bientôt | vos ennemis pour rois. 6+6 a
Chaque jour, chaque instant, | pour rehausser ma gloire, 6+6 a
Met lauriers sur lauriers, | victoire sur victoire. 6+6 a
Le prince à mes côtés | ferait dans les combats 6+6 a
L'essai de son courage | à l'ombre de mon bras ; 6+6 a
205 Il apprendrait à vaincre | en me regardant faire ; 6+6 a
Et pour répondre en hâte | à son grand caractère, 6+6 a
Il verrait…
Don Diègue
Je le sais, | vous servez bien le roi : 6+6 a
Je vous ai vu combattre | et commander sous moi. 6+6 a
Quand l'âge dans mes nerfs | a fait couler sa glace, 6+6 a
210 Votre rare valeur | a bien rempli ma place ; 6+6 a
Enfin, pour épargner | les discours superflus, 6+6 a
Vous êtes aujourd'hui | ce qu'autrefois je fus. 6+6 a
Vous voyez toutefois | qu'en cette concurrence 6+6 a
Un monarque entre nous | met quelque différence. 6+6 a
Le comte
215 Ce que je méritais, | vous l'avez emporté. 6+6 a
Don Diègue
Qui l'a gagné sur vous | l'avait mieux mérité. 6+6 a
Le comte
Qui peut mieux l'exercer | en est bien le plus digne. 6+6 a
Don Diègue
En être refusé | n'en est pas un bon signe. 6+6 a
Le comte
Vous l'avez eu par brigue, | étant vieux courtisan. 6+6 a
Don Diègue
220 L'éclat de mes hauts faits | fut mon seul partisan. 6+6 a
Le comte
Parlons-en mieux, le roi | fait honneur à votre âge. 6+6 a
Don Diègue
Le roi, quand il en fait, | le mesure au courage. 6+6 a
Le comte
Et par là cet honneur | n'était dû qu'à mon bras. 6+6 a
Don Diègue
Qui n'a pu l'obtenir | ne le méritait pas. 6+6 a
Le comte
Ne le méritait pas ! | Moi ?
Don Diègue
Vous.
Le comte
225 Ton impudence, 6+6 a
Téméraire vieillard, | aura sa récompense. 6+6 a
Don Diègue
Achève, et prends ma vie | après un tel affront, 6+6 a
Le premier dont ma race | ait vu rougir son front. 6+6 a
Le comte
Et que penses-tu faire | avec tant de faiblesse ? 6+6 a
Don Diègue
230 Ô Dieu ! Ma force usée | en ce besoin me laisse ! 6+6 a
Le comte
Ton épée est à moi ; | mais tu serais trop vain, 6+6 a
Si ce honteux trophée | avait chargé ma main. 6+6 a
Adieu : fais lire au prince, | en dépit de l'envie, 6+6 a
Pour son instruction, | l'histoire de ta vie : 6+6 a
235 D'un insolent discours | ce juste châtiment 6+6 a
Ne lui servira pas | d'un petit ornement. 6+6 a
SCÈNE IV
Don Diègue
Ô rage ! Ô désespoir ! | Ô vieillesse ennemie ! 6+6 a
N'ai-je donc tant vécu | que pour cette infamie ? 6+6 a
Et ne suis-je blanchi | dans les travaux guerriers 6+6 a
240 Que pour voir en un jour | flétrir tant de lauriers ? 6+6 a
Mon bras, qu'avec respect | toute l'Espagne admire, 6+6 a
Mon bras, qui tant de fois | a sauvé cet empire, 6+6 a
Tant de fois affermi | le trône de son roi, 6+6 a
Trahit donc ma querelle, | et ne fait rien pour moi ? 6+6 a
245 Ô cruel souvenir | de ma gloire passée ! 6+6 a
Œuvre de tant de jours | en un jour effacée ! 6+6 a
Nouvelle dignité, | fatale à mon bonheur ! 6+6 a
Précipice élevé | d'où tombe mon honneur ! 6+6 a
Faut-il de votre éclat | voir triompher le comte, 6+6 a
250 Et mourir sans vengeance, | ou vivre dans la honte ? 6+6 a
Comte, sois de mon prince | à présent gouverneur : 6+6 a
Ce haut rang n'admet point | un homme sans honneur ; 6+6 a
Et ton jaloux orgueil, | par cet affront insigne, 6+6 a
Malgré le choix du roi, | m'en a su rendre indigne. 6+6 a
255 Et toi, de mes exploits | glorieux instrument, 6+6 a
Mais d'un corps tout de glace | inutile ornement, 6+6 a
Fer, jadis tant à craindre, | et qui, dans cette offense, 6+6 a
M'as servi de parade, | et non pas de défense, 6+6 a
Va, quitte désormais | le dernier des humains, 6+6 a
260 Passe, pour me venger, | en de meilleures mains. 6+6 a
SCÈNE V
Don Diègue
Rodrigue, as-tu du cœur ? |
Don Rodrigue
Tout autre que mon père 6+6 a
L'éprouverait sur l'heure. |
Don Diègue
Agréable colère ! 6+6 a
Digne ressentiment | à ma douleur bien doux ! 6+6 a
Je reconnais mon sang | à ce noble courroux ; 6+6 a
265 Ma jeunesse revit | en cette ardeur si prompte. 6+6 a
Viens, mon fils, viens, mon sang, | viens réparer ma honte ; 6+6 a
Viens me venger.
Don Rodrigue
De quoi ? |
Don Diègue
D'un affront si cruel, 6+6 a
Qu'à l'honneur de tous deux | il porte un coup mortel : 6+6 a
D'un soufflet. L'insolent | en eût perdu la vie ; 6+6 a
270 Mais mon âge a trompé | ma généreuse envie : 6+6 a
Et ce fer que mon bras | ne peut plus soutenir, 6+6 a
Je le remets au tien | pour venger et punir. 6+6 a
Va contre un arrogant | éprouver ton courage : 6+6 a
Ce n'est que dans le sang | qu'on lave un tel outrage ; 6+6 a
275 Meurs ou tue. Au surplus, | pour ne te point flatter, 6+6 a
Je te donne à combattre | un homme à redouter : 6+6 a
Je l'ai vu, tout couvert | de sang et de poussière, 6+6 a
Porter partout l'effroi | dans une armée entière. 6+6 a
J'ai vu par sa valeur | cent escadrons rompus ; 6+6 a
280 Et pour t'en dire encor | quelque chose de plus, 6+6 a
Plus que brave soldat, | plus que grand capitaine, 6+6 a
C'est…
Don Rodrigue
De grâce, achevez. |
Don Diègue
Le père de Chimène. 6+6 a
Don Rodrigue
Le…
Don Diègue
Ne réplique point, | je connais ton amour ; 6+6 a
Mais qui peut vivre infâme | est indigne du jour. 6+6 a
285 Plus l'offenseur est cher, | et plus grande est l'offense. 6+6 a
Enfin tu sais l'affront, | et tu tiens la vengeance : 6+6 a
Je ne te dis plus rien. | Venge-moi, venge-toi ; 6+6 a
Montre-toi digne fils | d'un père tel que moi. 6+6 a
Accablé des malheurs | où le destin me range, 6+6 a
290 Je vais les déplorer : | va, cours, vole, et nous venge. 6+6 a
SCÈNE VI
Don Rodrigue
Percé jusques au fond du cœur 8 a
D'une atteinte imprévue | aussi bien que mortelle, 6+6 b
Misérable vengeur | d'une juste querelle, 6+6 b
Et malheureux objet | d'une injuste rigueur, 6+6 a
295 Je demeure immobile, | et mon âme abattue 6+6 a
Cède au coup qui me tue. 6 a
Si près de voir | mon feu récompensé, 4+6 a
Ô Dieu, l'étrange peine ! 6 b
En cet affront | mon père est l'offensé, 4+6 a
300 Et l'offenseur | le père de Chimène ! 4+6 b
Que je sens de rudes combats ! 8 a
Contre mon propre honneur | mon amour s'intéresse : 6+6 b
Il faut venger un père, | et perdre une maîtresse : 6+6 b
L'un m'anime le cœur, | l'autre retient mon bras. 6+6 a
305 Réduit au triste choix | ou de trahir ma flamme, 6+6 a
Ou de vivre en infâme, 6 a
Des deux côtés | mon mal est infini. 4+6 a
Ô Dieu, l'étrange peine ! 6 b
Faut-il laisser | un affront impuni ? 4+6 a
310 Faut-il punir | le père de Chimène ? 4+6 b
Père, maîtresse, honneur, amour, 8 a
Noble et dure contrainte, | aimable tyrannie, 6+6 b
Tous mes plaisirs sont morts, | ou ma gloire ternie. 6+6 b
L'un me rend malheureux, | l'autre indigne du jour. 6+6 a
315 Cher et cruel espoir | d'une âme généreuse, 6+6 a
Mais ensemble amoureuse, 6 a
Digne ennemi | de mon plus grand bonheur, 4+6 a
Fer qui causes ma peine, 6 b
M'es-tu donné | pour venger mon honneur ? 4+6 a
320 M'es-tu donné | pour perdre ma Chimène ? 4+6 b
Il vaut mieux courir au trépas. 8 a
Je dois à ma maîtresse | aussi bien qu'à mon père : 6+6 b
J'attire en me vengeant | sa haine et sa colère ; 6+6 b
J'attire ses mépris | en ne me vengeant pas. 6+6 a
325 À mon plus doux espoir | l'un me rend infidèle, 6+6 a
Et l'autre indigne d'elle. 6 a
Mon mal augmente | à le vouloir guérir ; 4+6 a
Tout redouble ma peine. 6 b
Allons, mon âme ; | et puisqu'il faut mourir, 4+6 a
330 Mourons du moins | sans offenser Chimène. 4+6 b
Mourir sans tirer ma raison ! 8 a
Rechercher un trépas | si mortel à ma gloire ! 6+6 b
Endurer que l'Espagne | impute à ma mémoire 6+6 b
D'avoir mal soutenu | l'honneur de ma maison ! 6+6 a
335 Respecter un amour | dont mon âme égarée 6+6 a
Voit la perte assurée ! 6 a
N'écoutons plus | ce penser suborneur, 4+6 a
Qui ne sert qu'à ma peine. 6 b
Allons, mon bras, | sauvons du moins l'honneur, 4+6 a
340 Puisqu'après tout | il faut perdre Chimène. 4+6 b
Oui, mon esprit s'était déçu. 8 a
Je dois tout à mon père | avant qu'à ma maîtresse : 6+6 b
Que je meure au combat, | ou meure de tristesse, 6+6 b
Je rendrai mon sang pur | comme je l'ai reçu. 6+6 a
345 Je m'accuse déjà | de trop de négligence : 6+6 a
Courons à la vengeance ; 6 a
Et tout honteux | d'avoir tant balancé, 4+6 a
Ne soyons plus en peine, 6 b
Puisqu'aujourd'hui | mon père est l'offensé, 4+6 a
350 Si l'offenseur | est père de Chimène. 4+6 b
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
Le comte
Je l'avoue entre nous, | mon sang un peu trop chaud 6+6 a
S'est trop ému d'un mot, | et l'a porté trop haut ; 6+6 a
Mais puisque c'en est fait, | le coup est sans remède. 6+6 a
Don Arias
Qu'aux volontés du roi | ce grand courage cède : 6+6 a
355 Il y prend grande part, | et son cœur irrité 6+6 a
Agira contre vous | de pleine autorité. 6+6 a
Aussi vous n'avez point | de valable défense : 6+6 a
Le rang de l'offensé, | la grandeur de l'offense, 6+6 a
Demandent des devoirs | et des submissions 6+6 a
360 Qui passent le commun | des satisfactions. 6+6 a
Le comte
Le roi peut à son gré | disposer de ma vie. 6+6 a
Don Arias
De trop d'emportement | votre faute est suivie. 6+6 a
Le roi vous aime encore ; | apaisez son courroux. 6+6 a
Il a dit : « je le veux ; | » désobéirez-vous ? 6+6 a
Le comte
365 Monsieur, pour conserver | tout ce que j'ai d'estime, 6+6 a
Désobéir un peu | n'est pas un si grand crime ; 6+6 a
Et quelque grand qu'il soit, | mes services présents 6+6 a
Pour le faire abolir | sont plus que suffisants. 6+6 a
Don Arias
Quoi qu'on fasse d'illustre | et de considérable, 6+6 a
370 Jamais à son sujet | un roi n'est redevable. 6+6 a
Vous vous flattez beaucoup, | et vous devez savoir 6+6 a
Que qui sert bien son roi | ne fait que son devoir. 6+6 a
Vous vous perdrez, monsieur, | sur cette confiance. 6+6 a
Le comte
Je ne vous en croirai | qu'après l'expérience. 6+6 a
Don Arias
375 Vous devez redouter | la puissance d'un roi. 6+6 a
Le comte
Un jour seul ne perd pas | un homme tel que moi. 6+6 a
Que toute sa grandeur | s'arme pour mon supplice, 6+6 a
Tout l'état périra, | s'il faut que je périsse. 6+6 a
Don Arias
Quoi ! Vous craignez si peu | le pouvoir souverain… 6+6 a
Le comte
380 D'un sceptre qui sans moi | tomberait de sa main. 6+6 a
Il a trop d'intérêt | lui-même en ma personne, 6+6 a
Et ma tête en tombant | ferait choir sa couronne. 6+6 a
Don Arias
Souffrez que la raison | remette vos esprits. 6+6 a
Prenez un bon conseil. |
Le comte
Le conseil en est pris. 6+6 a
Don Arias
385 Que lui dirai-je enfin ? | Je lui dois rendre conte. 6+6 a
Le comte
Que je ne puis du tout | consentir à ma honte. 6+6 a
Don Arias
Mais songez que les rois | veulent être absolus. 6+6 a
Le comte
Le sort en est jeté, | monsieur, n'en parlons plus. 6+6 a
Don Arias
Adieu donc, puisqu'en vain | je tâche à vous résoudre : 6+6 a
390 Avec tous vos lauriers, | craignez encor le foudre. 6+6 a
Le comte
Je l'attendrai sans peur. |
Don Arias
Mais non pas sans effet. 6+6 a
Le comte
Nous verrons donc par là | don Diègue satisfait. 6+6 a
Qui ne craint point la mort | ne craint point les menaces. 6+6 a
J'ai le cœur au-dessus | des plus fières disgrâces ; 6+6 a
395 Et l'on peut me réduire | à vivre sans bonheur, 6+6 a
Mais non pas me résoudre | à vivre sans honneur. 6+6 a
SCÈNE II
Don Rodrigue
À moi, comte, deux mots. |
Le comte
Parle.
Don Rodrigue
Ôte-moi d'un doute. 6+6 a
Connais-tu bien don Diègue ? |
Le comte
Oui.
Don Rodrigue
Parlons bas ; écoute. 6+6 a
Sais-tu que ce vieillard | fut la même vertu, 6+6 a
400 La vaillance et l'honneur | de son temps ? Le sais-tu ? 6+6 a
Le comte
Peut-être.
Don Rodrigue
Cette ardeur | que dans les yeux je porte, 6+6 a
Sais-tu que c'est son sang ? | Le sais-tu ?
Le comte
Que m'importe ? 6+6 a
Don Rodrigue
À quatre pas d'ici | je te le fais savoir. 6+6 a
Le comte
Jeune présomptueux ! |
Don Rodrigue
Parle sans t'émouvoir. 6+6 a
405 Je suis jeune, il est vrai ; | mais aux âmes bien nées 6+6 a
La valeur n'attend point | le nombre des années. 6+6 a
Le comte
Te mesurer à moi ! | Qui t'a rendu si vain, 6+6 a
Toi qu'on n'a jamais vu | les armes à la main ? 6+6 a
Don Rodrigue
Mes pareils à deux fois | ne se font point connaître, 6+6 a
410 Et pour leurs coups d'essai | veulent des coups de maître. 6+6 a
Le comte
Sais-tu bien qui je suis ? |
Don Rodrigue
Oui ; tout autre que moi 6+6 a
Au seul bruit de ton nom | pourrait trembler d'effroi. 6+6 a
Les palmes dont je vois | ta tête si couverte 6+6 a
Semblent porter écrit | le destin de ma perte. 6+6 a
415 J'attaque en téméraire | un bras toujours vainqueur ; 6+6 a
Mais j'aurai trop de force, | ayant assez de cœur. 6+6 a
À qui venge son père | il n'est rien impossible. 6+6 a
Ton bras est invaincu, | mais non pas invincible. 6+6 a
Le comte
Ce grand cœur qui paraît | aux discours que tu tiens, 6+6 a
420 Par tes yeux, chaque jour, | se découvrait aux miens ; 6+6 a
Et croyant voir en toi | l'honneur de la Castille, 6+6 a
Mon âme avec plaisir | te destinait ma fille. 6+6 a
Je sais ta passion, | et suis ravi de voir 6+6 a
Que tous ses mouvements | cèdent à ton devoir ; 6+6 a
425 Qu'ils n'ont point affaibli | cette ardeur magnanime ; 6+6 a
Que ta haute vertu | répond à mon estime ; 6+6 a
Et que voulant pour gendre | un cavalier parfait, 6+6 a
Je ne me trompais point | au choix que j'avais fait ; 6+6 a
Mais je sens que pour toi | ma pitié s'intéresse ; 6+6 a
430 J'admire ton courage, | et je plains ta jeunesse. 6+6 a
Ne cherche point à faire | un coup d'essai fatal ; 6+6 a
Dispense ma valeur | d'un combat inégal ; 6+6 a
Trop peu d'honneur pour moi | suivrait cette victoire : 6+6 a
À vaincre sans péril, | on triomphe sans gloire. 6+6 a
435 On te croirait toujours | abattu sans effort ; 6+6 a
Et j'aurais seulement | le regret de ta mort. 6+6 a
Don Rodrigue
D'une indigne pitié | ton audace est suivie : 6+6 a
Qui m'ose ôter l'honneur | craint de m'ôter la vie ? 6+6 a
Le comte
Retire-toi d'ici. |
Don Rodrigue
Marchons sans discourir. 6+6 a
Le comte
Es-tu si las de vivre ? |
Don Rodrigue
440 As-tu peur de mourir ? 6+6 a
Le comte
Viens, tu fais ton devoir, | et le fils dégénère 6+6 a
Qui survit un moment | à l'honneur de son père. 6+6 a
SCÈNE III
L'infante
Apaise, ma Chimène, | apaise ta douleur : 6+6 a
Fais agir ta constance | en ce coup de malheur. 6+6 a
445 Tu reverras le calme | après ce faible orage ; 6+6 a
Ton bonheur n'est couvert | que d'un peu de nuage, 6+6 a
Et tu n'as rien perdu | pour le voir différer. 6+6 a
Chimène
Mon cœur outré d'ennuis | n'ose rien espérer. 6+6 a
Un orage si prompt | qui trouble une bonace 6+6 a
450 D'un naufrage certain | nous porte la menace : 6+6 a
Je n'en saurais douter, | je péris dans le port. 6+6 a
J'aimais, j'étais aimée, | et nos pères d'accord ; 6+6 a
Et je vous en contais | la charmante nouvelle, 6+6 a
Au malheureux moment | que naissait leur querelle, 6+6 a
455 Dont le récit fatal, | sitôt qu'on vous l'a fait, 6+6 a
D'une si douce attente | a ruiné l'effet. 6+6 a
Maudite ambition, | détestable manie, 6+6 a
Dont les plus généreux | souffrent la tyrannie ! 6+6 a
Honneur impitoyable | à mes plus chers désirs, 6+6 a
460 Que tu me vas coûter | de pleurs et de soupirs ! 6+6 a
L'infante
Tu n'as dans leur querelle | aucun sujet de craindre : 6+6 a
Un moment l'a fait naître, | un moment va l'éteindre. 6+6 a
Elle a fait trop de bruit | pour ne pas s'accorder, 6+6 a
Puisque déjà le roi | les veut accommoder ; 6+6 a
465 Et tu sais que mon âme, | à tes ennuis sensible, 6+6 a
Pour en tarir la source | y fera l'impossible. 6+6 a
Chimène
Les accommodements | ne font rien en ce point : 6+6 a
De si mortels affronts | ne se réparent point. 6+6 a
En vain on fait agir | la force ou la prudence : 6+6 a
470 Si l'on guérit le mal, | ce n'est qu'en apparence. 6+6 a
La haine que les cœurs | conservent au dedans 6+6 a
Nourrit des feux cachés, | mais d'autant plus ardents. 6+6 a
L'infante
Le saint nœud qui joindra | don Rodrigue et Chimène 6+6 a
Des pères ennemis | dissipera la haine ; 6+6 a
475 Et nous verrons bientôt | votre amour le plus fort 6+6 a
Par un heureux hymen | étouffer ce discord. 6+6 a
Chimène
Je le souhaite ainsi | plus que je ne l'espère : 6+6 a
Don Diègue est trop altier, | et je connais mon père. 6+6 a
Je sens couler des pleurs | que je veux retenir ; 6+6 a
480 Le passé me tourmente, | et je crains l'avenir. 6+6 a
L'infante
Que crains-tu ? D'un vieillard | l'impuissante faiblesse ? 6+6 a
Chimène
Rodrigue a du courage. |
L'infante
Il a trop de jeunesse. 6+6 a
Chimène
Les hommes valeureux | le sont du premier coup. 6+6 a
L'infante
Tu ne dois pas pourtant | le redouter beaucoup : 6+6 a
485 Il est trop amoureux | pour te vouloir déplaire, 6+6 a
Et deux mots de ta bouche | arrêtent sa colère. 6+6 a
Chimène
S'il ne m'obéit point, | quel comble à mon ennui ! 6+6 a
Et s'il peut m'obéir, | que dira-t-on de lui ? 6+6 a
Étant né ce qu'il est, | souffrir un tel outrage ! 6+6 a
490 Soit qu'il cède ou résiste | au feu qui me l'engage, 6+6 a
Mon esprit ne peut qu'être | ou honteux ou confus, 6+6 a
De son trop de respect, | ou d'un juste refus. 6+6 a
L'infante
Chimène a l'âme haute, | et quoiqu'intéressée, 6+6 a
Elle ne peut souffrir | une basse pensée ; 6+6 a
495 Mais si jusques au jour | de l'accommodement 6+6 a
Je fais mon prisonnier | de ce parfait amant, 6+6 a
Et que j'empêche ainsi | l'effet de son courage, 6+6 a
Ton esprit amoureux | n'aura-t-il point d'ombrage ? 6+6 a
Chimène
Ah ! Madame, en ce cas | je n'ai plus de souci. 6+6 a
SCÈNE IV
L'infante
500 Page, cherchez Rodrigue, | et l'amenez ici. 6+6 a
Le page
Le comte de Gormas | et lui…
Chimène
Bon Dieu ! Je tremble. 6+6 a
L'infante
Parlez.
Le page
De ce palais | ils sont sortis ensemble. 6+6 a
Chimène
Seuls ?
Le page
Seuls, et qui semblaient | tout bas se quereller. 6+6 a
Chimène
Sans doute ils sont aux mains, | il n'en faut plus parler. 6+6 a
505 Madame, pardonnez | à cette promptitude. 6+6 a
SCÈNE V
L'infante
Hélas ! Que dans l'esprit | je sens d'inquiétude ! 6+6 a
Je pleure ses malheurs, | son amant me ravit ; 6+6 a
Mon repos m'abandonne, | et ma flamme revit. 6+6 a
Ce qui va séparer | Rodrigue de Chimène 6+6 a
510 Fait renaître à la fois | mon espoir et ma peine ; 6+6 a
Et leur division, | que je vois à regret, 6+6 a
Dans mon esprit charmé | jette un plaisir secret. 6+6 a
Léonor
Cette haute vertu | qui règne dans votre âme 6+6 a
Se rend-elle sitôt | à cette lâche flamme ? 6+6 a
L'infante
515 Ne la nomme point lâche, | à présent que chez moi 6+6 a
Pompeuse et triomphante | elle me fait la loi : 6+6 a
Porte-lui du respect, | puisqu'elle m'est si chère. 6+6 a
Ma vertu la combat, | mais malgré moi j'espère ; 6+6 a
Et d'un si fol espoir | mon cœur mal défendu 6+6 a
520 Vole après un amant | que Chimène a perdu. 6+6 a
Léonor
Vous laissez choir ainsi | ce glorieux courage, 6+6 a
Et la raison chez vous | perd ainsi son usage ? 6+6 a
L'infante
Ah ! Qu'avec peu d'effet | on entend la raison, 6+6 a
Quand le cœur est atteint | d'un si charmant poison ! 6+6 a
525 Et lorsque le malade | aime sa maladie, 6+6 a
Qu'il a peine à souffrir | que l'on y remédie ! 6+6 a
Léonor
Votre espoir vous séduit, | votre mal vous est doux ; 6+6 a
Mais enfin ce Rodrigue | est indigne de vous. 6+6 a
L'infante
Je ne le sais que trop ; | mais si ma vertu cède, 6+6 a
530 Apprends comme l'amour | flatte un cœur qu'il possède. 6+6 a
Si Rodrigue une fois | sort vainqueur du combat, 6+6 a
Si dessous sa valeur | ce grand guerrier s'abat, 6+6 a
Je puis en faire cas, | je puis l'aimer sans honte. 6+6 a
Que ne fera-t-il point, | s'il peut vaincre le comte ? 6+6 a
535 J'ose m'imaginer | qu'à ses moindres exploits 6+6 a
Les royaumes entiers | tomberont sous ses lois ; 6+6 a
Et mon amour flatteur | déjà me persuade 6+6 a
Que je le vois assis | au trône de Grenade, 6+6 a
Les Mores subjugués | trembler en l'adorant, 6+6 a
540 L'Aragon recevoir | ce nouveau conquérant, 6+6 a
Le Portugal se rendre, | et ses nobles journées 6+6 a
Porter delà les mers | ses hautes destinées, 6+6 a
Du sang des Africains | arroser ses lauriers : 6+6 a
Enfin tout ce qu'on dit | des plus fameux guerriers, 6+6 a
545 Je l'attends de Rodrigue | après cette victoire, 6+6 a
Et fais de son amour | un sujet de ma gloire. 6+6 a
Léonor
Mais, madame, voyez | où vous portez son bras, 6+6 a
Ensuite d'un combat | qui peut-être n'est pas. 6+6 a
L'infante
Rodrigue est offensé ; | le comte a fait l'outrage ; 6+6 a
550 Ils sont sortis ensemble : | en faut-il davantage ? 6+6 a
Léonor
Eh bien ! Ils se battront, | puisque vous le voulez ; 6+6 a
Mais Rodrigue ira-t-il | si loin que vous allez ? 6+6 a
L'infante
Que veux-tu ? Je suis folle, | et mon esprit s'égare : 6+6 a
Tu vois par là quels maux | cet amour me prépare. 6+6 a
555 Viens dans mon cabinet | consoler mes ennuis, 6+6 a
Et ne me quitte point | dans le trouble où je suis. 6+6 a
SCÈNE VI
Don Fernand
Le comte est donc si vain | et si peu raisonnable ! 6+6 a
Ose-t-il croire encor | son crime pardonnable ? 6+6 a
Don Arias
Je l'ai de votre part | longtemps entretenu ; 6+6 a
560 J'ai fait mon pouvoir, sire, | et n'ai rien obtenu. 6+6 a
Don Fernand
Justes cieux ! Ainsi donc | un sujet téméraire 6+6 a
A si peu de respect | et de soin de me plaire ! 6+6 a
Il offense don Diègue, | et méprise son roi ! 6+6 a
Au milieu de ma cour | il me donne la loi ! 6+6 a
565 Qu'il soit brave guerrier, | qu'il soit grand capitaine, 6+6 a
Je saurai bien rabattre | une humeur si hautaine. 6+6 a
Fût-il la valeur même, | et le dieu des combats, 6+6 a
Il verra ce que c'est | que de n'obéir pas. 6+6 a
Quoi qu'ait pu mériter | une telle insolence, 6+6 a
570 Je l'ai voulu d'abord | traiter sans violence ; 6+6 a
Mais puisqu'il en abuse, | allez dès aujourd'hui, 6+6 a
Soit qu'il résiste ou non, | vous assurer de lui. 6+6 a
Don Sanche
Peut-être un peu de temps | le rendrait moins rebelle : 6+6 a
On l'a pris tout bouillant | encor de sa querelle ; 6+6 a
575 Sire, dans la chaleur | d'un premier mouvement, 6+6 a
Un cœur si généreux | se rend malaisément. 6+6 a
Il voit bien qu'il a tort, | mais une âme si haute 6+6 a
N'est pas sitôt réduite | à confesser sa faute. 6+6 a
Don Fernand
Don Sanche, taisez-vous, | et soyez averti 6+6 a
580 Qu'on se rend criminel | à prendre son parti. 6+6 a
Don Sanche
J'obéis, et me tais ; | mais de grâce encor, sire, 6+6 a
Deux mots en sa défense. |
Don Fernand
Et que pouvez-vous dire ? 6+6 a
Don Sanche
Qu'une âme accoutumée | aux grandes actions 6+6 a
Ne se peut abaisser | à des submissions : 6+6 a
585 Elle n'en conçoit point | qui s'expliquent sans honte ; 6+6 a
Et c'est à ce mot seul | qu'a résisté le comte. 6+6 a
Il trouve en son devoir | un peu trop de rigueur, 6+6 a
Et vous obéirait, | s'il avait moins de cœur. 6+6 a
Commandez que son bras, | nourri dans les alarmes, 6+6 a
590 Répare cette injure | à la pointe des armes ; 6+6 a
Il satisfera, sire ; | et vienne qui voudra, 6+6 a
Attendant qu'il l'ait su, | voici qui répondra. 6+6 a
Don Fernand
Vous perdez le respect ; | mais je pardonne à l'âge, 6+6 a
Et j'excuse l'ardeur | en un jeune courage. 6+6 a
595 Un roi dont la prudence | a de meilleurs objets 6+6 a
Est meilleur ménager | du sang de ses sujets : 6+6 a
Je veille pour les miens, | mes soucis les conservent, 6+6 a
Comme le chef a soin | des membres qui le servent. 6+6 a
Ainsi votre raison | n'est pas raison pour moi : 6+6 a
600 Vous parlez en soldat ; | je dois agir en roi ; 6+6 a
Et quoi qu'on veuille dire, | et quoi qu'il ose croire, 6+6 a
Le comte à m'obéir | ne peut perdre sa gloire. 6+6 a
D'ailleurs l'affront me touche : | il a perdu d'honneur 6+6 a
Celui que de mon fils | j'ai fait le gouverneur ; 6+6 a
605 S'attaquer à mon choix, | c'est se prendre à moi-même, 6+6 a
Et faire un attentat | sur le pouvoir suprême. 6+6 a
N'en parlons plus. Au reste, | on a vu dix vaisseaux 6+6 a
De nos vieux ennemis | arborer les drapeaux ; 6+6 a
Vers la bouche du fleuve | ils ont osé paraître. 6+6 a
Don Arias
610 Les Mores ont appris | par force à vous connaître, 6+6 a
Et tant de fois vaincus, | ils ont perdu le cœur 6+6 a
De se plus hasarder | contre un si grand vainqueur. 6+6 a
Don Fernand
Ils ne verront jamais | sans quelque jalousie 6+6 a
Mon sceptre, en dépit d'eux, | régir l'Andalousie ; 6+6 a
615 Et ce pays si beau, | qu'ils ont trop possédé, 6+6 a
Avec un œil d'envie | est toujours regardé. 6+6 a
C'est l'unique raison | qui m'a fait dans Séville 6+6 a
Placer depuis dix ans | le trône de Castille, 6+6 a
Pour les voir de plus près, | et d'un ordre plus prompt 6+6 a
620 Renverser aussitôt | ce qu'ils entreprendront. 6+6 a
Don Arias
Ils savent aux dépens | de leurs plus dignes têtes 6+6 a
Combien votre présence | assure vos conquêtes : 6+6 a
Vous n'avez rien à craindre. |
Don Fernand
Et rien à négliger : 6+6 a
Le trop de confiance | attire le danger ; 6+6 a
625 Et vous n'ignorez pas | qu'avec fort peu de peine 6+6 a
Un flux de pleine mer | jusqu'ici les amène. 6+6 a
Toutefois j'aurais tort | de jeter dans les cœurs, 6+6 a
L'avis étant mal sûr, | de paniques terreurs. 6+6 a
L'effroi que produirait | cette alarme inutile, 6+6 a
630 Dans la nuit qui survient | troublerait trop la ville : 6+6 a
Faites doubler la garde | aux murs et sur le port. 6+6 a
C'est assez pour ce soir. |
SCÈNE VII
Don Alonse
Sire, le comte est mort : 6+6 a
Don Diègue, par son fils, | a vengé son offense. 6+6 a
Don Fernand
Dès que j'ai su l'affront, | j'ai prévu la vengeance ; 6+6 a
635 Et j'ai voulu dès lors | prévenir ce malheur. 6+6 a
Don Alonse
Chimène à vos genoux | apporte sa douleur ; 6+6 a
Elle vient toute en pleurs | vous demander justice. 6+6 a
Don Fernand
Bien qu'à ses déplaisirs | mon âme compatisse, 6+6 a
Ce que le comte a fait | semble avoir mérité 6+6 a
640 Ce digne châtiment | de sa témérité. 6+6 a
Quelque juste pourtant | que puisse être sa peine, 6+6 a
Je ne puis sans regret | perdre un tel capitaine. 6+6 a
Après un long service | à mon état rendu, 6+6 a
Après son sang pour moi | mille fois répandu, 6+6 a
645 À quelques sentiments | que son orgueil m'oblige, 6+6 a
Sa perte m'affaiblit, | et son trépas m'afflige. 6+6 a
SCÈNE VIII
Chimène
Sire, sire, justice ! |
Don Diègue
Ah ! Sire, écoutez-nous. 6+6 a
Chimène
Je me jette à vos pieds. |
Don Diègue
J'embrasse vos genoux. 6+6 a
Chimène
Je demande justice. |
Don Diègue
Entendez ma défense. 6+6 a
Chimène
650 D'un jeune audacieux | punissez l'insolence : 6+6 a
Il a de votre sceptre | abattu le soutien, 6+6 a
Il a tué mon père. |
Don Diègue
Il a vengé le sien. 6+6 a
Chimène
Au sang de ses sujets | un roi doit la justice. 6+6 a
Don Diègue
Pour la juste vengeance | il n'est point de supplice. 6+6 a
Don Fernand
655 Levez-vous l'un et l'autre, | et parlez à loisir. 6+6 a
Chimène, je prends part | à votre déplaisir ; 6+6 a
D'une égale douleur | je sens mon âme atteinte. 6+6 a
Vous parlerez après ; | ne troublez pas sa plainte. 6+6 a
Chimène
Sire, mon père est mort ; | mes yeux ont vu son sang 6+6 a
660 Couler à gros bouillons | de son généreux flanc ; 6+6 a
Ce sang qui tant de fois | garantit vos murailles, 6+6 a
Ce sang qui tant de fois | vous gagna des batailles, 6+6 a
Ce sang qui tout sorti | fume encor de courroux 6+6 a
De se voir répandu | pour d'autres que pour vous, 6+6 a
665 Qu'au milieu des hasards | n'osait verser la guerre, 6+6 a
Rodrigue en votre cour | vient d'en couvrir la terre. 6+6 a
J'ai couru sur le lieu, | sans force et sans couleur : 6+6 a
Je l'ai trouvé sans vie. | Excusez ma douleur, 6+6 a
Sire, la voix me manque | à ce récit funeste ; 6+6 a
670 Mes pleurs et mes soupirs | vous diront mieux le reste. 6+6 a
Don Fernand
Prends courage, ma fille, | et sache qu'aujourd'hui 6+6 a
Ton roi te veut servir | de père au lieu de lui. 6+6 a
Chimène
Sire, de trop d'honneur | ma misère est suivie. 6+6 a
Je vous l'ai déjà dit, | je l'ai trouvé sans vie ; 6+6 a
675 Son flanc était ouvert ; | et pour mieux m'émouvoir, 6+6 a
Son sang sur la poussière | écrivait mon devoir ; 6+6 a
Ou plutôt sa valeur | en cet état réduite 6+6 a
Me parlait par sa plaie, | et hâtait ma poursuite ; 6+6 a
Et pour se faire entendre | au plus juste des rois, 6+6 a
680 Par cette triste bouche | elle empruntait ma voix. 6+6 a
Sire, ne souffrez pas | que sous votre puissance 6+6 a
Règne devant vos yeux | une telle licence ; 6+6 a
Que les plus valeureux, | avec impunité, 6+6 a
Soient exposés aux coups | de la témérité ; 6+6 a
685 Qu'un jeune audacieux | triomphe de leur gloire, 6+6 a
Se baigne dans leur sang, | et brave leur mémoire. 6+6 a
Un si vaillant guerrier | qu'on vient de vous ravir 6+6 a
Éteint, s'il n'est vengé, | l'ardeur de vous servir. 6+6 a
Enfin mon père est mort, | j'en demande vengeance, 6+6 a
690 Plus pour votre intérêt | que pour mon allégeance. 6+6 a
Vous perdez en la mort | d'un homme de son rang : 6+6 a
Vengez-la par une autre, | et le sang par le sang. 6+6 a
Immolez, non à moi, | mais à votre couronne, 6+6 a
Mais à votre grandeur, | mais à votre personne ; 6+6 a
695 Immolez, dis-je, sire, | au bien de tout l'état 6+6 a
Tout ce qu'enorgueillit | un si haut attentat. 6+6 a
Don Fernand
Don Diègue, répondez. |
Don Diègue
Qu'on est digne d'envie 6+6 a
Lorsqu'en perdant la force | on perd aussi la vie, 6+6 a
Et qu'un long âge apprête | aux hommes généreux, 6+6 a
700 Au bout de leur carrière, | un destin malheureux ! 6+6 a
Moi, dont les longs travaux | ont acquis tant de gloire, 6+6 a
Moi, que jadis partout | a suivi la victoire, 6+6 a
Je me vois aujourd'hui, | pour avoir trop vécu, 6+6 a
Recevoir un affront | et demeurer vaincu. 6+6 a
705 Ce que n'a pu jamais | combat, siège, embuscade, 6+6 a
Ce que n'a pu jamais | Aragon ni Grenade, 6+6 a
Ni tous vos ennemis, | ni tous mes envieux, 6+6 a
Le comte en votre cour | l'a fait presque à vos yeux, 6+6 a
Jaloux de votre choix, | et fier de l'avantage 6+6 a
710 Que lui donnait sur moi | l'impuissance de l'âge. 6+6 a
Sire, ainsi ces cheveux | blanchis sous le harnois, 6+6 a
Ce sang pour vous servir | prodigué tant de fois, 6+6 a
Ce bras, jadis l'effroi | d'une armée ennemie, 6+6 a
Descendaient au tombeau | tous chargés d'infamie, 6+6 a
715 Si je n'eusse produit | un fils digne de moi, 6+6 a
Digne de son pays | et digne de son roi. 6+6 a
Il m'a prêté sa main, | il a tué le comte ; 6+6 a
Il m'a rendu l'honneur, | il a lavé ma honte. 6+6 a
Si montrer du courage | et du ressentiment, 6+6 a
720 Si venger un soufflet | mérite un châtiment, 6+6 a
Sur moi seul doit tomber | l'éclat de la tempête : 6+6 a
Quand le bras a failli, | l'on en punit la tête. 6+6 a
Qu'on nomme crime, ou non, | ce qui fait nos débats, 6+6 a
Sire, j'en suis la tête, | il n'en est que le bras. 6+6 a
725 Si Chimène se plaint | qu'il a tué son père, 6+6 a
Il ne l'eût jamais fait | si je l'eusse pu faire. 6+6 a
Immolez donc ce chef | que les ans vont ravir, 6+6 a
Et conservez pour vous | le bras qui peut servir. 6+6 a
Aux dépens de mon sang | satisfaites Chimène : 6+6 a
730 Je n'y résiste point, | je consens à ma peine ; 6+6 a
Et loin de murmurer | d'un rigoureux décret, 6+6 a
Mourant sans déshonneur, | je mourrai sans regret. 6+6 a
Don Fernand
L'affaire est d'importance, | et, bien considérée, 6+6 a
Mérite en plein conseil | d'être délibérée. 6+6 a
735 Don Sanche, remettez | Chimène en sa maison. 6+6 a
Don Diègue aura ma cour | et sa foi pour prison. 6+6 a
Qu'on me cherche son fils. | Je vous ferai justice. 6+6 a
Chimène
Il est juste, grand roi, | qu'un meurtrier périsse. 6+6 a
Don Fernand
Prends du repos, ma fille, | et calme tes douleurs. 6+6 a
Chimène
740 M'ordonner du repos, | c'est croître mes malheurs. 6+6 a
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
Elvire
Rodrigue, qu'as-tu fait ? | Où viens-tu, misérable ? 6+6 a
Don Rodrigue
Suivre le triste cours | de mon sort déplorable. 6+6 a
Elvire
Où prends-tu cette audace | et ce nouvel orgueil, 6+6 a
De paraître en des lieux | que tu remplis de deuil ? 6+6 a
745 Quoi ? Viens-tu jusqu'ici | braver l'ombre du comte ? 6+6 a
Ne l'as-tu pas tué ? |
Don Rodrigue
Sa vie était ma honte : 6+6 a
Mon honneur de ma main | a voulu cet effort. 6+6 a
Elvire
Mais chercher ton asile | en la maison du mort ! 6+6 a
Jamais un meurtrier | en fit-il son refuge ? 6+6 a
Don Rodrigue
750 Et je n'y viens aussi | que m'offrir à mon juge. 6+6 a
Ne me regarde plus | d'un visage étonné ; 6+6 a
Je cherche le trépas | après l'avoir donné. 6+6 a
Mon juge est mon amour, | mon juge est ma Chimène : 6+6 a
Je mérite la mort | de mériter sa haine, 6+6 a
755 Et j'en viens recevoir, | comme un bien souverain, 6+6 a
Et l'arrêt de sa bouche, | et le coup de sa main. 6+6 a
Elvire
Fuis plutôt de ses yeux, | fuis de sa violence ; 6+6 a
À ses premiers transports | dérobe ta présence : 6+6 a
Va, ne t'expose point | aux premiers mouvements 6+6 a
760 Que poussera l'ardeur | de ses ressentiments. 6+6 a
Don Rodrigue
Non, non, ce cher objet | à qui j'ai pu déplaire 6+6 a
Ne peut pour mon supplice | avoir trop de colère ; 6+6 a
Et j'évite cent morts | qui me vont accabler, 6+6 a
Si pour mourir plus tôt | je puis la redoubler. 6+6 a
Elvire
765 Chimène est au palais, | de pleurs toute baignée, 6+6 a
Et n'en reviendra point | que bien accompagnée. 6+6 a
Rodrigue, fuis, de grâce : | ôte-moi de souci. 6+6 a
Que ne dira-t-on point | si l'on te voit ici ? 6+6 a
Veux-tu qu'un médisant, | pour comble à sa misère, 6+6 a
770 L'accuse d'y souffrir | l'assassin de son père ? 6+6 a
Elle va revenir ; | elle vient, je la voi : 6+6 a
Du moins, pour son honneur, | Rodrigue, cache-toi. 6+6 a
SCÈNE II
Don Sanche
Oui, madame, il vous faut | de sanglantes victimes : 6+6 a
Votre colère est juste, | et vos pleurs légitimes ; 6+6 a
775 Et je n'entreprends pas, | à force de parler, 6+6 a
Ni de vous adoucir, | ni de vous consoler. 6+6 a
Mais si de vous servir | je puis être capable, 6+6 a
Employez mon épée | à punir le coupable ; 6+6 a
Employez mon amour | à venger cette mort : 6+6 a
780 Sous vos commandements | mon bras sera trop fort. 6+6 a
Chimène
Malheureuse !
Don Sanche
De grâce, | acceptez mon service. 6+6 a
Chimène
J'offenserais le roi, | qui m'a promis justice. 6+6 a
Don Sanche
Vous savez qu'elle marche | avec tant de langueur, 6+6 a
Qu'assez souvent le crime | échappe à sa longueur ; 6+6 a
785 Son cours lent et douteux | fait trop perdre de larmes. 6+6 a
Souffrez qu'un cavalier | vous venge par les armes. 6+6 a
La voie en est plus sûre, | et plus prompte à punir. 6+6 a
Chimène
C'est le dernier remède ; | et s'il y faut venir, 6+6 a
Et que de mes malheurs | cette pitié vous dure, 6+6 a
790 Vous serez libre alors | de venger mon injure. 6+6 a
Don Sanche
C'est l'unique bonheur | où mon âme prétend ; 6+6 a
Et pouvant l'espérer, | je m'en vais trop content. 6+6 a
SCÈNE III
Chimène
Enfin je me vois libre, | et je puis sans contrainte 6+6 a
De mes vives douleurs | te faire voir l'atteinte ; 6+6 a
795 Je puis donner passage | à mes tristes soupirs ; 6+6 a
Je puis t'ouvrir mon âme | et tous mes déplaisirs. 6+6 a
Mon père est mort, Elvire ; | et la première épée 6+6 a
Dont s'est armé Rodrigue, | a sa trame coupée. 6+6 a
Pleurez, pleurez, mes yeux, | et fondez-vous en eau ! 6+6 a
800 La moitié de ma vie | a mis l'autre au tombeau, 6+6 a
Et m'oblige à venger, | après ce coup funeste, 6+6 a
Celle que je n'ai plus | sur celle qui me reste. 6+6 a
Elvire
Reposez-vous, madame. |
Chimène
Ah ! Que mal à propos 6+6 a
Dans un malheur si grand | tu parles de repos ! 6+6 a
805 Par où sera jamais | ma douleur apaisée, 6+6 a
Si je ne puis haïr | la main qui l'a causée ? 6+6 a
Et que dois-je espérer | qu'un tourment éternel, 6+6 a
Si je poursuis un crime, | aimant le criminel ? 6+6 a
Elvire
Il vous prive d'un père, | et vous l'aimez encore ! 6+6 a
Chimène
810 C'est peu de dire aimer, | Elvire : je l'adore ; 6+6 a
Ma passion s'oppose | à mon ressentiment ; 6+6 a
Dedans mon ennemi | je trouve mon amant ; 6+6 a
Et je sens qu'en dépit | de toute ma colère, 6+6 a
Rodrigue dans mon cœur | combat encor mon père : 6+6 a
815 Il l'attaque, il le presse, | il cède, il se défend, 6+6 a
Tantôt fort, tantôt faible, | et tantôt triomphant ; 6+6 a
Mais en ce dur combat | de colère et de flamme, 6+6 a
Il déchire mon cœur | sans partager mon âme ; 6+6 a
Et quoi que mon amour | ait sur moi de pouvoir, 6+6 a
820 Je ne consulte point | pour suivre mon devoir : 6+6 a
Je cours sans balancer | où mon honneur m'oblige. 6+6 a
Rodrigue m'est bien cher, | son intérêt m'afflige ; 6+6 a
Mon cœur prend son parti ; | mais malgré son effort, 6+6 a
Je sais ce que je suis, | et que mon père est mort. 6+6 a
Elvire
Pensez-vous le poursuivre ? |
Chimène
825 Ah ! Cruelle pensée ! 6+6 a
Et cruelle poursuite | où je me vois forcée ! 6+6 a
Je demande sa tête, | et crains de l'obtenir : 6+6 a
Ma mort suivra la sienne, | et je le veux punir ! 6+6 a
Elvire
Quittez, quittez, madame, | un dessein si tragique ; 6+6 a
830 Ne vous imposez point | de loi si tyrannique. 6+6 a
Chimène
Quoi ! Mon père étant mort, | et presque entre mes bras, 6+6 a
Son sang criera vengeance, | et je ne l'orrai pas ! 6+6 a
Mon cœur, honteusement | surpris par d'autres charmes, 6+6 a
Croira ne lui devoir | que d'impuissantes larmes ! 6+6 a
835 Et je pourrai souffrir | qu'un amour suborneur 6+6 a
Sous un lâche silence | étouffe mon honneur ! 6+6 a
Elvire
Madame, croyez-moi, | vous serez excusable 6+6 a
D'avoir moins de chaleur | contre un objet aimable, 6+6 a
Contre un amant si cher : | vous avez assez fait, 6+6 a
840 Vous avez vu le roi ; | n'en pressez point l'effet, 6+6 a
Ne vous obstinez point | en cette humeur étrange. 6+6 a
Chimène
Il y va de ma gloire, | il faut que je me venge ; 6+6 a
Et de quoi que nous flatte | un désir amoureux, 6+6 a
Toute excuse est honteuse | aux esprits généreux. 6+6 a
Elvire
845 Mais vous aimez Rodrigue, | il ne vous peut déplaire. 6+6 a
Chimène
Je l'avoue.
Elvire
Après tout, | que pensez-vous donc faire ? 6+6 a
Chimène
Pour conserver ma gloire | et finir mon ennui, 6+6 a
Le poursuivre, le perdre, | et mourir après lui. 6+6 a
SCÈNE IV
Don Rodrigue
Eh bien ! Sans vous donner | la peine de poursuivre, 6+6 a
850 Assurez-vous l'honneur | de m'empêcher de vivre. 6+6 a
Chimène
Elvire, où sommes-nous, | et qu'est-ce que je voi ? 6+6 a
Rodrigue en ma maison ! | Rodrigue devant moi ! 6+6 a
Don Rodrigue
N'épargnez point mon sang : | goûtez sans résistance 6+6 a
La douceur de ma perte | et de votre vengeance. 6+6 a
Chimène
Hélas !
Don Rodrigue
Écoute-moi. |
Chimène
Je me meurs.
Don Rodrigue
855 Un moment. 6+6 a
Chimène
Va, laisse-moi mourir. |
Don Rodrigue
Quatre mots seulement : 6+6 a
Après ne me réponds | qu'avecque cette épée. 6+6 a
Chimène
Quoi ! Du sang de mon père | encor toute trempée ! 6+6 a
Don Rodrigue
Ma Chimène…
Chimène
Ôte-moi | cet objet odieux, 6+6 a
860 Qui reproche ton crime | et ta vie à mes yeux. 6+6 a
Don Rodrigue
Regarde-le plutôt | pour exciter ta haine, 6+6 a
Pour croître ta colère, | et pour hâter ma peine. 6+6 a
Chimène
Il est teint de mon sang. |
Don Rodrigue
Plonge-le dans le mien, 6+6 a
Et fais-lui perdre ainsi | la teinture du tien. 6+6 a
Chimène
865 Ah ! Quelle cruauté, | qui tout en un jour tue 6+6 a
Le père par le fer, | la fille par la vue ! 6+6 a
Ôte-moi cet objet, | je ne le puis souffrir : 6+6 a
Tu veux que je t'écoute, | et tu me fais mourir ! 6+6 a
Don Rodrigue
Je fais ce que tu veux, | mais sans quitter l'envie 6+6 a
870 De finir par tes mains | ma déplorable vie ; 6+6 a
Car enfin n'attends pas | de mon affection 6+6 a
Un lâche repentir | d'une bonne action. 6+6 a
L'irréparable effet | d'une chaleur trop prompte 6+6 a
Déshonorait mon père, | et me couvrait de honte. 6+6 a
875 Tu sais comme un soufflet | touche un homme de cœur ; 6+6 a
J'avais part à l'affront, | j'en ai cherché l'auteur : 6+6 a
Je l'ai vu, j'ai vengé | mon honneur et mon père ; 6+6 a
Je le ferais encor, | si j'avais à le faire. 6+6 a
Ce n'est pas qu'en effet | contre mon père et moi 6+6 a
880 Ma flamme assez longtemps | n'ait combattu pour toi ; 6+6 a
Juge de son pouvoir : | dans une telle offense 6+6 a
J'ai pu délibérer | si j'en prendrais vengeance. 6+6 a
Réduit à te déplaire, | ou souffrir un affront, 6+6 a
J'ai pensé qu'à son tour | mon bras était trop prompt ; 6+6 a
885 Je me suis accusé | de trop de violence ; 6+6 a
Et ta beauté sans doute | emportait la balance, 6+6 a
À moins que d'opposer | à tes plus forts appas 6+6 a
Qu'un homme sans honneur | ne te méritait pas ; 6+6 a
Que malgré cette part | que j'avais en ton âme, 6+6 a
890 Qui m'aima généreux | me haïrait infâme ; 6+6 a
Qu'écouter ton amour, | obéir à sa voix, 6+6 a
C'était m'en rendre indigne | et diffamer ton choix. 6+6 a
Je te le dis encore ; | et quoique j'en soupire, 6+6 a
Jusqu'au dernier soupir | je veux bien le redire : 6+6 a
895 Je t'ai fait une offense, | et j'ai dû m'y porter 6+6 a
Pour effacer ma honte, | et pour te mériter ; 6+6 a
Mais quitte envers l'honneur, | et quitte envers mon père, 6+6 a
C'est maintenant à toi | que je viens satisfaire : 6+6 a
C'est pour t'offrir mon sang | qu'en ce lieu tu me vois. 6+6 a
900 J'ai fait ce que j'ai dû, | je fais ce que je dois. 6+6 a
Je sais qu'un père mort | t'arme contre mon crime ; 6+6 a
Je ne t'ai pas voulu | dérober ta victime : 6+6 a
Immole avec courage | au sang qu'il a perdu 6+6 a
Celui qui met sa gloire | à l'avoir répandu. 6+6 a
Chimène
905 Ah ! Rodrigue, il est vrai, | quoique ton ennemie, 6+6 a
Je ne puis te blâmer | d'avoir fui l'infamie ; 6+6 a
Et de quelque façon | qu'éclatent mes douleurs, 6+6 a
Je ne t'accuse point, | je pleure mes malheurs. 6+6 a
Je sais ce que l'honneur, | après un tel outrage, 6+6 a
910 Demandait à l'ardeur | d'un généreux courage : 6+6 a
Tu n'as fait le devoir | que d'un homme de bien ; 6+6 a
Mais aussi, le faisant, | tu m'as appris le mien. 6+6 a
Ta funeste valeur | m'instruit par ta victoire ; 6+6 a
Elle a vengé ton père | et soutenu ta gloire : 6+6 a
915 Même soin me regarde, | et j'ai, pour m'affliger, 6+6 a
Ma gloire à soutenir, | et mon père à venger. 6+6 a
Hélas ! Ton intérêt | ici me désespère : 6+6 a
Si quelque autre malheur | m'avait ravi mon père, 6+6 a
Mon âme aurait trouvé | dans le bien de te voir 6+6 a
920 L'unique allégement | qu'elle eût pu recevoir ; 6+6 a
Et contre ma douleur | j'aurais senti des charmes, 6+6 a
Quand une main si chère | eût essuyé mes larmes. 6+6 a
Mais il me faut te perdre | après l'avoir perdu ; 6+6 a
Cet effort sur ma flamme | à mon honneur est dû ; 6+6 a
925 Et cet affreux devoir, | dont l'ordre m'assassine, 6+6 a
Me force à travailler | moi-même à ta ruine. 6+6 a
Car enfin n'attends pas | de mon affection 6+6 a
De lâches sentiments | pour ta punition. 6+6 a
De quoi qu'en ta faveur | notre amour m'entretienne, 6+6 a
930 Ma générosité | doit répondre à la tienne : 6+6 a
Tu t'es, en m'offensant, | montré digne de moi ; 6+6 a
Je me dois, par ta mort, | montrer digne de toi. 6+6 a
Don Rodrigue
Ne diffère donc plus | ce que l'honneur t'ordonne : 6+6 a
Il demande ma tête, | et je te l'abandonne ; 6+6 a
935 Fais-en un sacrifice | à ce noble intérêt : 6+6 a
Le coup m'en sera doux, | aussi bien que l'arrêt. 6+6 a
Attendre après mon crime | une lente justice, 6+6 a
C'est reculer ta gloire | autant que mon supplice. 6+6 a
Je mourrai trop heureux, | mourant d'un coup si beau. 6+6 a
Chimène
940 Va, je suis ta partie, | et non pas ton bourreau. 6+6 a
Si tu m'offres ta tête, | est-ce à moi de la prendre ? 6+6 a
Je la dois attaquer, | mais tu dois la défendre ; 6+6 a
C'est d'un autre que toi | qu'il me faut l'obtenir, 6+6 a
Et je dois te poursuivre, | et non pas te punir. 6+6 a
Don Rodrigue
945 De quoi qu'en ma faveur | notre amour t'entretienne, 6+6 a
Ta générosité | doit répondre à la mienne ; 6+6 a
Et pour venger un père | emprunter d'autres bras, 6+6 a
Ma Chimène, crois-moi, | c'est n'y répondre pas : 6+6 a
Ma main seule du mien | a su venger l'offense, 6+6 a
950 Ta main seule du tien | doit prendre la vengeance. 6+6 a
Chimène
Cruel ! À quel propos | sur ce point t'obstiner ? 6+6 a
Tu t'es vengé sans aide, | et tu m'en veux donner ! 6+6 a
Je suivrai ton exemple, | et j'ai trop de courage 6+6 a
Pour souffrir qu'avec toi | ma gloire se partage. 6+6 a
955 Mon père et mon honneur | ne veulent rien devoir 6+6 a
Aux traits de ton amour | ni de ton désespoir. 6+6 a
Don Rodrigue
Rigoureux point d'honneur ! | Hélas ! Quoi que je fasse, 6+6 a
Ne pourrai-je à la fin | obtenir cette grâce ? 6+6 a
Au nom d'un père mort, | ou de notre amitié, 6+6 a
960 Punis-moi par vengeance, | ou du moins par pitié. 6+6 a
Ton malheureux amant | aura bien moins de peine 6+6 a
À mourir par ta main | qu'à vivre avec ta haine. 6+6 a
Chimène
Va, je ne te hais point. |
Don Rodrigue
Tu le dois.
Chimène
Je ne puis. 6+6 a
Don Rodrigue
Crains-tu si peu le blâme, | et si peu les faux bruits ? 6+6 a
965 Quand on saura mon crime, | et que ta flamme dure, 6+6 a
Que ne publieront point | l'envie et l'imposture ! 6+6 a
Force-les au silence, | et sans plus discourir, 6+6 a
Sauve ta renommée | en me faisant mourir. 6+6 a
Chimène
Elle éclate bien mieux | en te laissant la vie ; 6+6 a
970 Et je veux que la voix | de la plus noire envie 6+6 a
Élève au ciel ma gloire | et plaigne mes ennuis, 6+6 a
Sachant que je t'adore | et que je te poursuis. 6+6 a
Va-t'en, ne montre plus | à ma douleur extrême 6+6 a
Ce qu'il faut que je perde, | encore que je l'aime. 6+6 a
975 Dans l'ombre de la nuit | cache bien ton départ : 6+6 a
Si l'on te voit sortir, | mon honneur court hasard. 6+6 a
La seule occasion | qu'aura la médisance, 6+6 a
C'est de savoir qu'ici | j'ai souffert ta présence : 6+6 a
Ne lui donne point lieu | d'attaquer ma vertu. 6+6 a
Don Rodrigue
Que je meure !
Chimène
Va-t'en. |
Don Rodrigue
980 À quoi te résous-tu ? 6+6 a
Chimène
Malgré des feux si beaux, | qui troublent ma colère, 6+6 a
Je ferai mon possible | à bien venger mon père ; 6+6 a
Mais malgré la rigueur | d'un si cruel devoir, 6+6 a
Mon unique souhait | est de ne rien pouvoir. 6+6 a
Don Rodrigue
Ô miracle d'amour ! |
Chimène
985 Ô comble de misères ! 6+6 a
Don Rodrigue
Que de maux et de pleurs | nous coûteront nos pères ! 6+6 a
Chimène
Rodrigue, qui l'eût cru ? |
Don Rodrigue
Chimène, qui l'eût dit ? 6+6 a
Chimène
Que notre heur fût si proche | et sitôt se perdît ? 6+6 a
Don Rodrigue
Et que si près du port, | contre toute apparence, 6+6 a
990 Un orage si prompt | brisât notre espérance ? 6+6 a
Chimène
Ah ! Mortelles douleurs ! |
Don Rodrigue
Ah ! Regrets superflus ! 6+6 a
Chimène
Va-t'en, encore un coup, | je ne t'écoute plus. 6+6 a
Don Rodrigue
Adieu : je vais traîner | une mourante vie, 6+6 a
Tant que par ta poursuite | elle me soit ravie. 6+6 a
Chimène
995 Si j'en obtiens l'effet, | je t'engage ma foi 6+6 a
De ne respirer pas | un moment après toi. 6+6 a
Adieu : sors, et surtout | garde bien qu'on te voie. 6+6 a
Elvire
Madame, quelques maux | que le ciel nous envoie… 6+6 a
Chimène
Ne m'importune plus, | laisse-moi soupirer, 6+6 a
1000 Je cherche le silence | et la nuit pour pleurer. 6+6 a
SCÈNE V
Don Diègue
Jamais nous ne goûtons | de parfaite allégresse : 6+6 a
Nos plus heureux succès | sont mêlés de tristesse ; 6+6 a
Toujours quelques soucis | en ces événements 6+6 a
Troublent la pureté | de nos contentements. 6+6 a
1005 Au milieu du bonheur | mon âme en sent l'atteinte : 6+6 a
Je nage dans la joie, | et je tremble de crainte. 6+6 a
J'ai vu mort l'ennemi | qui m'avait outragé ; 6+6 a
Et je ne saurais voir | la main qui m'a vengé. 6+6 a
En vain je m'y travaille, | et d'un soin inutile, 6+6 a
1010 Tout cassé que je suis, | je cours toute la ville : 6+6 a
Ce peu que mes vieux ans | m'ont laissé de vigueur 6+6 a
Se consume sans fruit | à chercher ce vainqueur. 6+6 a
À toute heure, en tous lieux, | dans une nuit si sombre, 6+6 a
Je pense l'embrasser, | et n'embrasse qu'une ombre ; 6+6 a
1015 Et mon amour, déçu | par cet objet trompeur, 6+6 a
Se forme des soupçons | qui redoublent ma peur. 6+6 a
Je ne découvre point | de marques de sa fuite ; 6+6 a
Je crains du comte mort | les amis et la suite ; 6+6 a
Leur nombre m'épouvante, | et confond ma raison. 6+6 a
1020 Rodrigue ne vit plus, | ou respire en prison. 6+6 a
Justes cieux ! Me trompé-je | encore à l'apparence, 6+6 a
Ou si je vois enfin | mon unique espérance ? 6+6 a
C'est lui, n'en doutons plus ; | mes vœux sont exaucés, 6+6 a
Ma crainte est dissipée, | et mes ennuis cessés. 6+6 a
SCÈNE VI
Don Diègue
1025 Rodrigue, enfin le ciel | permet que je te voie ! 6+6 a
Don Rodrigue
Hélas !
Don Diègue
Ne mêle point | de soupirs à ma joie ; 6+6 a
Laisse-moi prendre haleine | afin de te louer. 6+6 a
Ma valeur n'a point lieu | de te désavouer : 6+6 a
Tu l'as bien imitée, | et ton illustre audace 6+6 a
1030 Fait bien revivre en toi | les héros de ma race : 6+6 a
C'est d'eux que tu descends, | c'est de moi que tu viens : 6+6 a
Ton premier coup d'épée | égale tous les miens ; 6+6 a
Et d'une belle ardeur | ta jeunesse animée 6+6 a
Par cette grande épreuve | atteint ma renommée. 6+6 a
1035 Appui de ma vieillesse, | et comble de mon heur, 6+6 a
Touche ces cheveux blancs | à qui tu rends l'honneur, 6+6 a
Viens baiser cette joue, | et reconnais la place 6+6 a
Où fut empreint l'affront | que ton courage efface. 6+6 a
Don Rodrigue
L'honneur vous en est dû : | je ne pouvais pas moins, 6+6 a
1040 Étant sorti de vous | et nourri par vos soins. 6+6 a
Je m'en tiens trop heureux, | et mon âme est ravie 6+6 a
Que mon coup d'essai plaise | à qui je dois la vie ; 6+6 a
Mais parmi vos plaisirs | ne soyez point jaloux 6+6 a
Si je m'ose à mon tour | satisfaire après vous. 6+6 a
1045 Souffrez qu'en liberté | mon désespoir éclate ; 6+6 a
Assez et trop longtemps | votre discours le flatte. 6+6 a
Je ne me repens point | de vous avoir servi ; 6+6 a
Mais rendez-moi le bien | que ce coup m'a ravi. 6+6 a
Mon bras, pour vous venger, | armé contre ma flamme, 6+6 a
1050 Par ce coup glorieux | m'a privé de mon âme ; 6+6 a
Ne me dites plus rien ; | pour vous j'ai tout perdu : 6+6 a
Ce que je vous devais, | je vous l'ai bien rendu. 6+6 a
Don Diègue
Porte, porte plus haut | le fruit de ta victoire : 6+6 a
Je t'ai donné la vie, | et tu me rends ma gloire ; 6+6 a
1055 Et d'autant que l'honneur | m'est plus cher que le jour, 6+6 a
D'autant plus maintenant | je te dois de retour. 6+6 a
Mais d'un cœur magnanime | éloigne ces faiblesses ; 6+6 a
Nous n'avons qu'un honneur, | il est tant de maîtresses ! 6+6 a
L'amour n'est qu'un plaisir, | l'honneur est un devoir. 6+6 a
Don Rodrigue
Ah ! Que me dites-vous ? |
Don Diègue
1060 Ce que tu dois savoir. 6+6 a
Don Rodrigue
Mon honneur offensé | sur moi-même se venge ; 6+6 a
Et vous m'osez pousser | à la honte du change ! 6+6 a
L'infamie est pareille, | et suit également 6+6 a
Le guerrier sans courage | et le perfide amant. 6+6 a
1065 À ma fidélité | ne faites point d'injure ; 6+6 a
Souffrez-moi généreux | sans me rendre parjure : 6+6 a
Mes liens sont trop forts | pour être ainsi rompus ; 6+6 a
Ma foi m'engage encor | si je n'espère plus ; 6+6 a
Et ne pouvant quitter | ni posséder Chimène, 6+6 a
1070 Le trépas que je cherche | est ma plus douce peine. 6+6 a
Don Diègue
Il n'est pas temps encor | de chercher le trépas : 6+6 a
Ton prince et ton pays | ont besoin de ton bras. 6+6 a
La flotte qu'on craignait, | dans ce grand fleuve entrée, 6+6 a
Croit surprendre la ville | et piller la contrée. 6+6 a
1075 Les Mores vont descendre, | et le flux et la nuit 6+6 a
Dans une heure à nos murs | les amène sans bruit. 6+6 a
La cour est en désordre, | et le peuple en alarmes : 6+6 a
On n'entend que des cris, | on ne voit que des larmes. 6+6 a
Dans ce malheur public | mon bonheur a permis 6+6 a
1080 Que j'ai trouvé chez moi | cinq cents de mes amis, 6+6 a
Qui sachant mon affront, | poussés d'un même zèle, 6+6 a
Se venaient tous offrir | à venger ma querelle. 6+6 a
Tu les as prévenus ; | mais leurs vaillantes mains 6+6 a
Se tremperont bien mieux | au sang des Africains. 6+6 a
1085 Va marcher à leur tête | où l'honneur te demande : 6+6 a
C'est toi que veut pour chef | leur généreuse bande. 6+6 a
De ces vieux ennemis | va soutenir l'abord : 6+6 a
Là, si tu veux mourir, | trouve une belle mort ; 6+6 a
Prends-en l'occasion, | puisqu'elle t'est offerte ; 6+6 a
1090 Fais devoir à ton roi | son salut à ta perte ; 6+6 a
Mais reviens-en plutôt | les palmes sur le front. 6+6 a
Ne borne pas ta gloire | à venger un affront ; 6+6 a
Porte-la plus avant : | force par ta vaillance 6+6 a
Ce monarque au pardon, | et Chimène au silence ; 6+6 a
1095 Si tu l'aimes, apprends | que revenir vainqueur, 6+6 a
C'est l'unique moyen | de regagner son cœur. 6+6 a
Mais le temps est trop cher | pour le perdre en paroles ; 6+6 a
Je t'arrête en discours, | et je veux que tu voles. 6+6 a
Viens, suis-moi, va combattre, | et montrer à ton roi 6+6 a
1100 Que ce qu'il perd au comte | il le recouvre en toi. 6+6 a
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
Chimène
N'est-ce point un faux bruit ? | Le sais-tu bien, Elvire ? 6+6 a
Elvire
Vous ne croiriez jamais | comme chacun l'admire, 6+6 a
Et porte jusqu'au ciel, | d'une commune voix, 6+6 a
De ce jeune héros | les glorieux exploits. 6+6 a
1105 Les Mores devant lui | n'ont paru qu'à leur honte ; 6+6 a
Leur abord fut bien prompt, | leur fuite encor plus prompte. 6+6 a
Trois heures de combat | laissent à nos guerriers 6+6 a
Une victoire entière | et deux rois prisonniers. 6+6 a
La valeur de leur chef | ne trouvait point d'obstacles. 6+6 a
Chimène
1110 Et la main de Rodrigue | a fait tous ces miracles ? 6+6 a
Elvire
De ses nobles efforts | ces deux rois sont le prix : 6+6 a
Sa main les a vaincus, | et sa main les a pris. 6+6 a
Chimène
De qui peux-tu savoir | ces nouvelles étranges ? 6+6 a
Elvire
Du peuple, qui partout | fait sonner ses louanges, 6+6 a
1115 Le nomme de sa joie | et l'objet et l'auteur, 6+6 a
Son ange tutélaire, | et son libérateur. 6+6 a
Chimène
Et le roi, de quel œil | voit-il tant de vaillance ? 6+6 a
Elvire
Rodrigue n'ose encor | paraître en sa présence ; 6+6 a
Mais don Diègue ravi | lui présente enchaînés, 6+6 a
1120 Au nom de ce vainqueur, | ces captifs couronnés, 6+6 a
Et demande pour grâce | à ce généreux prince 6+6 a
Qu'il daigne voir la main | qui sauve la province. 6+6 a
Chimène
Mais n'est-il point blessé ? |
Elvire
Je n'en ai rien appris. 6+6 a
Vous changez de couleur ! | Reprenez vos esprits. 6+6 a
Chimène
1125 Reprenons donc aussi | ma colère affaiblie : 6+6 a
Pour avoir soin de lui | faut-il que je m'oublie ? 6+6 a
On le vante, on le loue, | et mon cœur y consent ! 6+6 a
Mon honneur est muet, | mon devoir impuissant ! 6+6 a
Silence, mon amour, | laisse agir ma colère : 6+6 a
1130 S'il a vaincu deux rois, | il a tué mon père ; 6+6 a
Ces tristes vêtements, | où je lis mon malheur, 6+6 a
Sont les premiers effets | qu'ait produits sa valeur ; 6+6 a
Et quoi qu'on die ailleurs | d'un cœur si magnanime, 6+6 a
Ici tous les objets | me parlent de son crime. 6+6 a
1135 Vous qui rendez la force | à mes ressentiments, 6+6 a
Voiles, crêpes, habits, | lugubres ornements, 6+6 a
Pompe que me prescrit | sa première victoire, 6+6 a
Contre ma passion | soutenez bien ma gloire ; 6+6 a
Et lorsque mon amour | prendra trop de pouvoir, 6+6 a
1140 Parlez à mon esprit | de mon triste devoir, 6+6 a
Attaquez sans rien craindre | une main triomphante. 6+6 a
Elvire
Modérez ces transports, | voici venir l'infante. 6+6 a
SCÈNE II
L'infante
Je ne viens pas ici | consoler tes douleurs ; 6+6 a
Je viens plutôt mêler | mes soupirs à tes pleurs. 6+6 a
Chimène
1145 Prenez bien plutôt part | à la commune joie, 6+6 a
Et goûtez le bonheur | que le ciel vous envoie, 6+6 a
Madame : autre que moi | n'a droit de soupirer. 6+6 a
Le péril dont Rodrigue | a su nous retirer, 6+6 a
Et le salut public | que vous rendent ses armes, 6+6 a
1150 À moi seule aujourd'hui | souffrent encor les larmes : 6+6 a
Il a sauvé la ville, | il a servi son roi ; 6+6 a
Et son bras valeureux | n'est funeste qu'à moi. 6+6 a
L'infante
Ma Chimène, il est vrai | qu'il a fait des merveilles. 6+6 a
Chimène
Déjà ce bruit fâcheux | a frappé mes oreilles ; 6+6 a
1155 Et je l'entends partout | publier hautement 6+6 a
Aussi brave guerrier | que malheureux amant. 6+6 a
L'infante
Qu'a de fâcheux pour toi | ce discours populaire ? 6+6 a
Ce jeune Mars qu'il loue | a su jadis te plaire : 6+6 a
Il possédait ton âme, | il vivait sous tes lois ; 6+6 a
1160 Et vanter sa valeur, | c'est honorer ton choix. 6+6 a
Chimène
Chacun peut la vanter | avec quelque justice ; 6+6 a
Mais pour moi sa louange | est un nouveau supplice. 6+6 a
On aigrit ma douleur | en l'élevant si haut : 6+6 a
Je vois ce que je perds | quand je vois ce qu'il vaut. 6+6 a
1165 Ah ! Cruels déplaisirs | à l'esprit d'une amante ! 6+6 a
Plus j'apprends son mérite, | et plus mon feu s'augmente : 6+6 a
Cependant mon devoir | est toujours le plus fort, 6+6 a
Et malgré mon amour, | va poursuivre sa mort. 6+6 a
L'infante
Hier ce devoir te mit | en une haute estime ; 6+6 a
1170 L'effort que tu te fis | parut si magnanime, 6+6 a
Si digne d'un grand cœur, | que chacun à la cour 6+6 a
Admirait ton courage | et plaignait ton amour. 6+6 a
Mais croirais-tu l'avis | d'une amitié fidèle ? 6+6 a
Chimène
Ne vous obéir pas | me rendrait criminelle. 6+6 a
L'infante
1175 Ce qui fut juste alors | ne l'est plus aujourd'hui. 6+6 a
Rodrigue maintenant | est notre unique appui, 6+6 a
L'espérance et l'amour | d'un peuple qui l'adore, 6+6 a
Le soutien de Castille, | et la terreur du More. 6+6 a
Le roi même est d'accord | de cette vérité, 6+6 a
1180 Que ton père en lui seul | se voit ressuscité ; 6+6 a
Et si tu veux enfin | qu'en deux mots je m'explique, 6+6 a
Tu poursuis en sa mort | la ruine publique. 6+6 a
Quoi ! Pour venger un père | est-il jamais permis 6+6 a
De livrer sa patrie | aux mains des ennemis ? 6+6 a
1185 Contre nous ta poursuite | est-elle légitime, 6+6 a
Et pour être punis | avons-nous part au crime ? 6+6 a
Ce n'est pas qu'après tout | tu doives épouser 6+6 a
Celui qu'un père mort | t'obligeait d'accuser : 6+6 a
Je te voudrais moi-même | en arracher l'envie ; 6+6 a
1190 Ôte-lui ton amour, | mais laisse-nous sa vie. 6+6 a
Chimène
Ah ! Ce n'est pas à moi | d'avoir tant de bonté ; 6+6 a
Le devoir qui m'aigrit | n'a rien de limité. 6+6 a
Quoique pour ce vainqueur | mon amour s'intéresse, 6+6 a
Quoiqu'un peuple l'adore | et qu'un roi le caresse, 6+6 a
1195 Qu'il soit environné | des plus vaillants guerriers, 6+6 a
J'irai sous mes cyprès | accabler ses lauriers. 6+6 a
L'infante
C'est générosité | quand pour venger un père 6+6 a
Notre devoir attaque | une tête si chère ; 6+6 a
Mais c'en est une encor | d'un plus illustre rang, 6+6 a
1200 Quand on donne au public | les intérêts du sang. 6+6 a
Non, crois-moi, c'est assez | que d'éteindre ta flamme ; 6+6 a
Il sera trop puni | s'il n'est plus dans ton âme. 6+6 a
Que le bien du pays | t'impose cette loi : 6+6 a
Aussi bien, que crois-tu | que t'accorde le roi ? 6+6 a
Chimène
1205 Il peut me refuser, | mais je ne puis me taire. 6+6 a
L'infante
Pense bien, ma Chimène, | à ce que tu veux faire. 6+6 a
Adieu : tu pourras seule | y penser à loisir. 6+6 a
Chimène
Après mon père mort, | je n'ai point à choisir. 6+6 a
SCÈNE III
Don Fernand
Généreux héritier | d'une illustre famille, 6+6 a
1210 Qui fut toujours la gloire | et l'appui de Castille, 6+6 a
Race de tant d'aïeux | en valeur signalés, 6+6 a
Que l'essai de la tienne | a sitôt égalés, 6+6 a
Pour te récompenser | ma force est trop petite ; 6+6 a
Et j'ai moins de pouvoir | que tu n'as de mérite. 6+6 a
1215 Le pays délivré | d'un si rude ennemi, 6+6 a
Mon sceptre dans ma main | par la tienne affermi, 6+6 a
Et les Mores défaits | avant qu'en ces alarmes 6+6 a
J'eusse pu donner ordre | à repousser leurs armes, 6+6 a
Ne sont point des exploits | qui laissent à ton roi 6+6 a
1220 Le moyen ni l'espoir | de s'acquitter vers toi. 6+6 a
Mais deux rois tes captifs | feront ta récompense. 6+6 a
Ils t'ont nommé tous deux | leur Cid en ma présence : 6+6 a
Puisque Cid en leur langue | est autant que seigneur, 6+6 a
Je ne t'envierai pas | ce beau titre d'honneur. 6+6 a
1225 Sois désormais le Cid : | qu'à ce grand nom tout cède ; 6+6 a
Qu'il comble d'épouvante | et Grenade et Tolède, 6+6 a
Et qu'il marque à tous ceux | qui vivent sous mes lois 6+6 a
Et ce que tu me vaux, | et ce que je te dois. 6+6 a
Don Rodrigue
Que votre majesté, | sire, épargne ma honte. 6+6 a
1230 D'un si faible service | elle fait trop de conte, 6+6 a
Et me force à rougir | devant un si grand roi 6+6 a
De mériter si peu | l'honneur que j'en reçoi. 6+6 a
Je sais trop que je dois | au bien de votre empire, 6+6 a
Et le sang qui m'anime, | et l'air que je respire ; 6+6 a
1235 Et quand je les perdrai | pour un si digne objet, 6+6 a
Je ferai seulement | le devoir d'un sujet. 6+6 a
Don Fernand
Tous ceux que ce devoir | à mon service engage 6+6 a
Ne s'en acquittent pas | avec même courage ; 6+6 a
Et lorsque la valeur | ne va point dans l'excès, 6+6 a
1240 Elle ne produit point | de si rares succès. 6+6 a
Souffre donc qu'on te loue, | et de cette victoire 6+6 a
Apprends-moi plus au long | la véritable histoire. 6+6 a
Don Rodrigue
Sire, vous avez su | qu'en ce danger pressant, 6+6 a
Qui jeta dans la ville | un effroi si puissant, 6+6 a
1245 Une troupe d'amis | chez mon père assemblée 6+6 a
Sollicita mon âme | encor toute troublée… 6+6 a
Mais, sire, pardonnez | à ma témérité, 6+6 a
Si j'osai l'employer | sans votre autorité : 6+6 a
Le péril approchait ; | leur brigade était prête ; 6+6 a
1250 Me montrant à la cour, | je hasardais ma tête ; 6+6 a
Et s'il fallait la perdre, | il m'était bien plus doux 6+6 a
De sortir de la vie | en combattant pour vous. 6+6 a
Don Fernand
J'excuse ta chaleur | à venger ton offense ; 6+6 a
Et l'état défendu | me parle en ta défense : 6+6 a
1255 Crois que dorénavant | Chimène a beau parler, 6+6 a
Je ne l'écoute plus | que pour la consoler. 6+6 a
Mais poursuis.
Don Rodrigue
Sous moi donc | cette troupe s'avance, 6+6 a
Et porte sur le front | une mâle assurance. 6+6 a
Nous partîmes cinq cents ; | mais par un prompt renfort 6+6 a
1260 Nous nous vîmes trois mille | en arrivant au port, 6+6 a
Tant, à nous voir marcher | avec un tel visage, 6+6 a
Les plus épouvantés | reprenaient de courage ! 6+6 a
J'en cache les deux tiers, | aussitôt qu'arrivés, 6+6 a
Dans le fond des vaisseaux | qui lors furent trouvés ; 6+6 a
1265 Le reste, dont le nombre | augmentait à toute heure, 6+6 a
Brûlant d'impatience | autour de moi demeure, 6+6 a
Se couche contre terre, | et sans faire aucun bruit, 6+6 a
Passe une bonne part | d'une si belle nuit. 6+6 a
Par mon commandement | la garde en fait de même, 6+6 a
1270 Et se tenant cachée, | aide à mon stratagème ; 6+6 a
Et je feins hardiment | d'avoir reçu de vous 6+6 a
L'ordre qu'on me voit suivre | et que je donne à tous. 6+6 a
Cette obscure clarté | qui tombe des étoiles 6+6 a
Enfin avec le flux | nous fait voir trente voiles ; 6+6 a
1275 L'onde s'enfle dessous, | et d'un commun effort 6+6 a
Les Mores et la mer | montent jusques au port. 6+6 a
On les laisse passer ; | tout leur paraît tranquille ; 6+6 a
Point de soldats au port, | point aux murs de la ville. 6+6 a
Notre profond silence | abusant leurs esprits, 6+6 a
1280 Ils n'osent plus douter | de nous avoir surpris ; 6+6 a
Ils abordent sans peur, | ils ancrent, ils descendent, 6+6 a
Et courent se livrer | aux mains qui les attendent. 6+6 a
Nous nous levons alors, | et tous en même temps 6+6 a
Poussons jusques au ciel | mille cris éclatants. 6+6 a
1285 Les nôtres, à ces cris, | de nos vaisseaux répondent ; 6+6 a
Ils paraissent armés, | les Mores se confondent, 6+6 a
L'épouvante les prend | à demi descendus ; 6+6 a
Avant que de combattre, | ils s'estiment perdus. 6+6 a
Ils couraient au pillage, | et rencontrent la guerre ; 6+6 a
1290 Nous les pressons sur l'eau, | nous les pressons sur terre, 6+6 a
Et nous faisons courir | des ruisseaux de leur sang, 6+6 a
Avant qu'aucun résiste | ou reprenne son rang. 6+6 a
Mais bientôt, malgré nous, | leurs princes les rallient ; 6+6 a
Leur courage renaît, | et leurs terreurs s'oublient : 6+6 a
1295 La honte de mourir | sans avoir combattu 6+6 a
Arrête leur désordre, | et leur rend leur vertu. 6+6 a
Contre nous de pied ferme | ils tirent leurs alfanges, 6+6 a
De notre sang au leur | font d'horribles mélanges ; 6+6 a
Et la terre, et le fleuve, | et leur flotte, et le port, 6+6 a
1300 Sont des champs de carnage | où triomphe la mort. 6+6 a
Ô combien d'actions, | combien d'exploits célèbres 6+6 a
Sont demeurés sans gloire | au milieu des ténèbres, 6+6 a
Où chacun, seul témoin | des grands coups qu'il donnait, 6+6 a
Ne pouvait discerner | où le sort inclinait ! 6+6 a
1305 J'allais de tous côtés | encourager les nôtres, 6+6 a
Faire avancer les uns, | et soutenir les autres, 6+6 a
Ranger ceux qui venaient, | les pousser à leur tour, 6+6 a
Et ne l'ai pu savoir | jusques au point du jour. 6+6 a
Mais enfin sa clarté | montre notre avantage : 6+6 a
1310 Le More voit sa perte, | et perd soudain courage ; 6+6 a
Et voyant un renfort | qui nous vient secourir, 6+6 a
L'ardeur de vaincre cède | à la peur de mourir. 6+6 a
Ils gagnent leurs vaisseaux, | ils en coupent les câbles, 6+6 a
Poussent jusques aux cieux | des cris épouvantables, 6+6 a
1315 Font retraite en tumulte, | et sans considérer 6+6 a
Si leurs rois avec eux | peuvent se retirer. 6+6 a
Pour souffrir ce devoir | leur frayeur est trop forte : 6+6 a
Le flux les apporta ; | le reflux les remporte, 6+6 a
Cependant que leurs rois, | engagés parmi nous, 6+6 a
1320 Et quelque peu des leurs, | tous percés de nos coups, 6+6 a
Disputent vaillamment | et vendent bien leur vie. 6+6 a
À se rendre moi-même | en vain je les convie : 6+6 a
Le cimeterre au poing | ils ne m'écoutent pas ; 6+6 a
Mais voyant à leurs pieds | tomber tous leurs soldats, 6+6 a
1325 Et que seuls désormais | en vain ils se défendent, 6+6 a
Ils demandent le chef : | je me nomme, ils se rendent. 6+6 a
Je vous les envoyai | tous deux en même temps ; 6+6 a
Et le combat cessa | faute de combattants. 6+6 a
C'est de cette façon | que, pour votre service… 6+6 a
SCÈNE IV
Don Alonse
1330 Sire, Chimène vient | vous demander justice. 6+6 a
Don Fernand
La fâcheuse nouvelle, | et l'importun devoir ! 6+6 a
Va, je ne la veux pas | obliger à te voir. 6+6 a
Pour tous remercîments | il faut que je te chasse ; 6+6 a
Mais avant que sortir, | viens, que ton roi t'embrasse. 6+6 a
Don Diègue
1335 Chimène le poursuit, | et voudrait le sauver. 6+6 a
Don Fernand
On m'a dit qu'elle l'aime, | et je vais l'éprouver. 6+6 a
Montrez un œil plus triste. |
SCÈNE V
Don Fernand
Enfin soyez contente, 6+6 a
Chimène, le succès | répond à votre attente : 6+6 a
Si de nos ennemis | Rodrigue a le dessus, 6+6 a
1340 Il est mort à nos yeux | des coups qu'il a reçus ; 6+6 a
Rendez grâces au ciel, | qui vous en a vengée. 6+6 a
Voyez comme déjà | sa couleur est changée. 6+6 a
Don Diègue
Mais voyez qu'elle pâme, | et d'un amour parfait, 6+6 a
Dans cette pâmoison, | sire, admirez l'effet. 6+6 a
1345 Sa douleur a trahi | les secrets de son âme, 6+6 a
Et ne vous permet plus | de douter de sa flamme. 6+6 a
Chimène
Quoi ! Rodrigue est donc mort ? |
Don Fernand
Non, non, il voit le jour, 6+6 a
Et te conserve encore | un immuable amour : 6+6 a
Calme cette douleur | qui pour lui s'intéresse. 6+6 a
Chimène
1350 Sire, on pâme de joie, | ainsi que de tristesse : 6+6 a
Un excès de plaisir | nous rend tous languissants, 6+6 a
Et quand il surprend l'âme, | il accable les sens. 6+6 a
Don Fernand
Tu veux qu'en ta faveur | nous croyions l'impossible ? 6+6 a
Chimène, ta douleur | a paru trop visible. 6+6 a
Chimène
1355 Eh bien ! Sire, ajoutez | ce comble à mon malheur, 6+6 a
Nommez ma pâmoison | l'effet de ma douleur : 6+6 a
Un juste déplaisir | à ce point m'a réduite. 6+6 a
Son trépas dérobait | sa tête à ma poursuite ; 6+6 a
S'il meurt des coups reçus | pour le bien du pays, 6+6 a
1360 Ma vengeance est perdue | et mes desseins trahis : 6+6 a
Une si belle fin | m'est trop injurieuse. 6+6 a
Je demande sa mort, | mais non pas glorieuse, 6+6 a
Non pas dans un éclat | qui l'élève si haut, 6+6 a
Non pas au lit d'honneur, | mais sur un échafaud ; 6+6 a
1365 Qu'il meure pour mon père, | et non pour la patrie ; 6+6 a
Que son nom soit taché, | sa mémoire flétrie. 6+6 a
Mourir pour le pays | n'est pas un triste sort ; 6+6 a
C'est s'immortaliser | par une belle mort. 6+6 a
J'aime donc sa victoire, | et je le puis sans crime ; 6+6 a
1370 Elle assure l'état, | et me rend ma victime, 6+6 a
Mais noble, mais fameuse | entre tous les guerriers, 6+6 a
Le chef, au lieu de fleurs, | couronné de lauriers ; 6+6 a
Et pour dire en un mot | ce que j'en considère, 6+6 a
Digne d'être immolée | aux mânes de mon père… 6+6 a
1375 Hélas ! À quel espoir | me laissé-je emporter ! 6+6 a
Rodrigue de ma part | n'a rien à redouter : 6+6 a
Que pourraient contre lui | des larmes qu'on méprise ? 6+6 a
Pour lui tout votre empire | est un lieu de franchise ; 6+6 a
Là, sous votre pouvoir, | tout lui devient permis ; 6+6 a
1380 Il triomphe de moi | comme des ennemis. 6+6 a
Dans leur sang répandu | la justice étouffée 6+6 a
Aux crimes du vainqueur | sert d'un nouveau trophée : 6+6 a
Nous en croissons la pompe, | et le mépris des lois 6+6 a
Nous fait suivre son char | au milieu de deux rois. 6+6 a
Don Fernand
1385 Ma fille, ces transports | ont trop de violence. 6+6 a
Quand on rend la justice, | on met tout en balance : 6+6 a
On a tué ton père, | il était l'agresseur ; 6+6 a
Et la même équité | m'ordonne la douceur. 6+6 a
Avant que d'accuser | ce que j'en fais paraître, 6+6 a
1390 Consulte bien ton cœur : | Rodrigue en est le maître, 6+6 a
Et ta flamme en secret | rend grâces à ton roi, 6+6 a
Dont la faveur conserve | un tel amant pour toi. 6+6 a
Chimène
Pour moi ! Mon ennemi ! | L'objet de ma colère ! 6+6 a
L'auteur de mes malheurs ! | L'assassin de mon père ! 6+6 a
1395 De ma juste poursuite | on fait si peu de cas 6+6 a
Qu'on me croit obliger | en ne m'écoutant pas ! 6+6 a
Puisque vous refusez | la justice à mes larmes, 6+6 a
Sire, permettez-moi | de recourir aux armes ; 6+6 a
C'est par là seulement | qu'il a su m'outrager, 6+6 a
1400 Et c'est aussi par là | que je me dois venger. 6+6 a
À tous vos cavaliers | je demande sa tête : 6+6 a
Oui, qu'un d'eux me l'apporte, | et je suis sa conquête ; 6+6 a
Qu'ils le combattent, sire ; | et le combat fini, 6+6 a
J'épouse le vainqueur, | si Rodrigue est puni. 6+6 a
1405 Sous votre autorité | souffrez qu'on le publie. 6+6 a
Don Fernand
Cette vieille coutume | en ces lieux établie, 6+6 a
Sous couleur de punir | un injuste attentat, 6+6 a
Des meilleurs combattants | affaiblit un état ; 6+6 a
Souvent de cet abus | le succès déplorable 6+6 a
1410 Opprime l'innocent, | et soutient le coupable. 6+6 a
J'en dispense Rodrigue : | il m'est trop précieux 6+6 a
Pour l'exposer aux coups | d'un sort capricieux ; 6+6 a
Et quoi qu'ait pu commettre | un cœur si magnanime, 6+6 a
Les Mores en fuyant | ont emporté son crime. 6+6 a
Don Diègue
1415 Quoi ! Sire, pour lui seul | vous renversez des lois 6+6 a
Qu'a vu toute la cour | observer tant de fois ! 6+6 a
Que croira votre peuple, | et que dira l'envie, 6+6 a
Si sous votre défense | il ménage sa vie, 6+6 a
Et s'en fait un prétexte | à ne paraître pas 6+6 a
1420 Où tous les gens d'honneur | cherchent un beau trépas ? 6+6 a
De pareilles faveurs | terniraient trop sa gloire : 6+6 a
Qu'il goûte sans rougir | les fruits de sa victoire. 6+6 a
Le comte eut de l'audace ; | il l'en a su punir : 6+6 a
Il l'a fait en brave homme, | et le doit maintenir. 6+6 a
Don Fernand
1425 Puisque vous le voulez, | j'accorde qu'il le fasse ; 6+6 a
Mais d'un guerrier vaincu | mille prendraient la place, 6+6 a
Et le prix que Chimène | au vainqueur a promis 6+6 a
De tous mes cavaliers | ferait ses ennemis. 6+6 a
L'opposer seul à tous | serait trop d'injustice : 6+6 a
1430 Il suffit qu'une fois | il entre dans la lice. 6+6 a
Choisis qui tu voudras, | Chimène, et choisis bien ; 6+6 a
Mais après ce combat | ne demande plus rien. 6+6 a
Don Diègue
N'excusez point par là | ceux que son bras étonne : 6+6 a
Laissez un champ ouvert, | où n'entrera personne. 6+6 a
1435 Après ce que Rodrigue | a fait voir aujourd'hui, 6+6 a
Quel courage assez vain | s'oserait prendre à lui ? 6+6 a
Qui se hasarderait | contre un tel adversaire ? 6+6 a
Qui serait ce vaillant, | ou bien ce téméraire ? 6+6 a
Don Sanche
Faites ouvrir le champ : | vous voyez l'assaillant ; 6+6 a
1440 Je suis ce téméraire, | ou plutôt ce vaillant. 6+6 a
Accordez cette grâce | à l'ardeur qui me presse, 6+6 a
Madame : vous savez | quelle est votre promesse. 6+6 a
Don Fernand
Chimène, remets-tu | ta querelle en sa main ? 6+6 a
Chimène
Sire, je l'ai promis. |
Don Fernand
Soyez prêt à demain. 6+6 a
Don Diègue
1445 Non, sire, il ne faut pas | différer davantage : 6+6 a
On est toujours trop prêt | quand on a du courage. 6+6 a
Don Fernand
Sortir d'une bataille, | et combattre à l'instant ! 6+6 a
Don Diègue
Rodrigue a pris haleine | en vous la racontant. 6+6 a
Don Fernand
Du moins une heure ou deux | je veux qu'il se délasse. 6+6 a
1450 Mais de peur qu'en exemple | un tel combat ne passe, 6+6 a
Pour témoigner à tous | qu'à regret je permets 6+6 a
Un sanglant procédé | qui ne me plut jamais, 6+6 a
De moi ni de ma cour | il n'aura la présence. 6+6 a
Vous seul des combattants | jugerez la vaillance : 6+6 a
1455 Ayez soin que tous deux | fassent en gens de cœur, 6+6 a
Et le combat fini, | m'amenez le vainqueur. 6+6 a
Qui qu'il soit, même prix | est acquis à sa peine : 6+6 a
Je le veux de ma main | présenter à Chimène, 6+6 a
Et que pour récompense | il reçoive sa foi. 6+6 a
Chimène
1460 Quoi ! Sire, m'imposer | une si dure loi ! 6+6 a
Don Fernand
Tu t'en plains ; mais ton feu, | loin d'avouer ta plainte, 6+6 a
Si Rodrigue est vainqueur, | l'accepte sans contrainte. 6+6 a
Cesse de murmurer | contre un arrêt si doux : 6+6 a
Qui que ce soit des deux, | j'en ferai ton époux. 6+6 a
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE
Chimène
1465 Quoi ! Rodrigue, en plein jour ! | D'où te vient cette audace ? 6+6 a
Va, tu me perds d'honneur ; | retire-toi, de grâce. 6+6 a
Don Rodrigue
Je vais mourir, madame, | et vous viens en ce lieu, 6+6 a
Avant le coup mortel, | dire un dernier adieu : 6+6 a
Cet immuable amour | qui sous vos lois m'engage 6+6 a
1470 N'ose accepter ma mort | sans vous en faire hommage. 6+6 a
Chimène
Tu vas mourir !
Don Rodrigue
Je cours | à ces heureux moments 6+6 a
Qui vont livrer ma vie | à vos ressentiments. 6+6 a
Chimène
Tu vas mourir ! Don Sanche | est-il si redoutable 6+6 a
Qu'il donne l'épouvante | à ce cœur indomptable ? 6+6 a
1475 Qui t'a rendu si faible, | ou qui le rend si fort ? 6+6 a
Rodrigue va combattre, | et se croit déjà mort ! 6+6 a
Celui qui n'a pas craint | les Mores, ni mon père, 6+6 a
Va combattre don Sanche, | et déjà désespère ! 6+6 a
Ainsi donc au besoin | ton courage s'abat ! 6+6 a
Don Rodrigue
1480 Je cours à mon supplice, | et non pas au combat ; 6+6 a
Et ma fidèle ardeur | sait bien m'ôter l'envie, 6+6 a
Quand vous cherchez ma mort, | de défendre ma vie. 6+6 a
J'ai toujours même cœur ; | mais je n'ai point de bras 6+6 a
Quand il faut conserver | ce qui ne vous plaît pas ; 6+6 a
1485 Et déjà cette nuit | m'aurait été mortelle, 6+6 a
Si j'eusse combattu | pour ma seule querelle ; 6+6 a
Mais défendant mon roi, | son peuple et mon pays, 6+6 a
À me défendre mal | je les aurais trahis. 6+6 a
Mon esprit généreux | ne hait pas tant la vie, 6+6 a
1490 Qu'il en veuille sortir | par une perfidie. 6+6 a
Maintenant qu'il s'agit | de mon seul intérêt, 6+6 a
Vous demandez ma mort, | j'en accepte l'arrêt. 6+6 a
Votre ressentiment | choisit la main d'un autre 6+6 a
(je ne méritais pas | de mourir de la vôtre) : 6+6 a
1495 On ne me verra point | en repousser les coups ; 6+6 a
Je dois plus de respect | à qui combat pour vous ; 6+6 a
Et ravi de penser | que c'est de vous qu'ils viennent, 6+6 a
Puisque c'est votre honneur | que ses armes soutiennent, 6+6 a
Je vais lui présenter | mon estomac ouvert, 6+6 a
1500 Adorant en sa main | la vôtre qui me perd. 6+6 a
Chimène
Si d'un triste devoir | la juste violence, 6+6 a
Qui me fait malgré moi | poursuivre ta vaillance, 6+6 a
Prescrit à ton amour | une si forte loi 6+6 a
Qu'il te rend sans défense | à qui combat pour moi, 6+6 a
1505 En cet aveuglement | ne perds pas la mémoire 6+6 a
Qu'ainsi que de ta vie | il y va de ta gloire, 6+6 a
Et que dans quelque éclat | que Rodrigue ait vécu, 6+6 a
Quand on le saura mort, | on le croira vaincu. 6+6 a
Ton honneur t'est plus cher | que je ne te suis chère, 6+6 a
1510 Puisqu'il trempe tes mains | dans le sang de mon père, 6+6 a
Et te fait renoncer, | malgré ta passion, 6+6 a
À l'espoir le plus doux | de ma possession : 6+6 a
Je t'en vois cependant | faire si peu de conte, 6+6 a
Que sans rendre combat | tu veux qu'on te surmonte. 6+6 a
1515 Quelle inégalité | ravale ta vertu ? 6+6 a
Pourquoi ne l'as-tu plus, | ou pourquoi l'avais-tu ? 6+6 a
Quoi ? N'es-tu généreux | que pour me faire outrage ? 6+6 a
S'il ne faut m'offenser, | n'as-tu point de courage ? 6+6 a
Et traites-tu mon père | avec tant de rigueur, 6+6 a
1520 Qu'après l'avoir vaincu | tu souffres un vainqueur ? 6+6 a
Va, sans vouloir mourir, | laisse-moi te poursuivre, 6+6 a
Et défends ton honneur, | si tu ne veux plus vivre. 6+6 a
Don Rodrigue
Après la mort du comte, | et les Mores défaits, 6+6 a
Faudrait-il à ma gloire | encor d'autres effets ? 6+6 a
1525 Elle peut dédaigner | le soin de me défendre : 6+6 a
On sait que mon courage | ose tout entreprendre, 6+6 a
Que m