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6-6 mètre
VOL_3/VOL45
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
LA HENRIADE
POËME EN DIX CHANTS
1723
CHANT TROISIÈME
ARGUMENT
Le héros continue l’histoire des guerres civiles de France. Mort funeste de Chartes IX. Règne de Henri III. Son caractère. Celui du fameux duc de Guise, connu sous le nom de Balafré. Bataille de Coutras. Meurtre du duc de Guise. Extrémités où Henri III est réduit. Mayenne est le chef de la Ligue ; d’Aumale en est le héros. Réconciliation de Henri III et de Henri roi de Navarre. Secours que promet la reine Élisabeth. Sa réponse à Henri de Bourbon.
« Quand l’arrêt des destinseut, durant quelques jours, 6+6 a
À tant de cruautéspermis un libre cours, 6+6 a
Et que des assassins,fatigués de leurs crimes, 6+6 b
Les glaives émoussésmanquèrent de victimes, 6+6 b
5 Le peuple, dont la reineavait armé le bras, 6+6 a
Ouvrit enfin les yeux,et vit ses attentats. 6+6 a
Aisément sa pitiésuccède à sa furie : 6+6 b
Il entendit gémirla voix de la patrie. 6+6 b
Bientôt Charles lui-mêmeen fut saisi d’horreur ; 6+6 a
10 Le remords dévorants’éleva dans son cœur. 6+6 a
Des premiers ans du roila funeste culture 6+6 b
N’avait que trop en luicorrompu la nature ; 6+6 b
Mais elle n’avait pointétouffé cette voix 6+6 a
Qui jusque sur le trôneépouvante les rois. 6+6 a
15 Par sa mère élevé,nourri dans ses maximes, 6+6 b
Il n’était point, comme elle,endurci dans les crimes. 6+6 b
Le chagrin vint flétrirla fleur de ses beaux jours ; 6+6 a
Une langueur mortelleen abrégea le cours : 6+6 a
Dieu, déployant sur luisa vengeance sévère, 6+6 b
20 Marqua ce roi mourantdu sceau de sa colère, 6+6 b
Et par son châtimentvoulut épouvanter 6+6 a
Quiconque à l’aveniroserait l’imiter. 6+6 a
Je le vis expirant.Cette image effrayante 6+6 b
À mes yeux attendrissemble être encor présente. 6+6 b
25 Son sang, à gros bouillonsde son corps élancé, 6+6 a
Vengeait le sang françaispar ses ordres versé ; 6+6 a
Il se sentait frappéd’une main invisible ; 6+6 b
Et le peuple, étonnéde cette fin terrible, 6+6 b
Plaignit un roi si jeuneet si tôt moissonné, 6+6 a
30 Un roi par les méchantsdans le crime entrné, 6+6 a
Et dont le repentirpermettait à la France 6+6 b
D’un empire plus douxquelque faible espérance. 6+6 b
« Soudain du fond du Nord,au bruit de son trépas, 6+6 a
L’impatient Valois,accourant à grands pas, 6+6 a
35 Vint saisir dans ces lieux,tout fumants de carnage, 6+6 b
D’un frère infortunéle sanglant héritage. 6+6 b
« La Pologne en ce tempsavait, d’un commun choix, 6+6 a
Au rang des Jagellonsplacé l’heureux Valois ; 6+6 a
Son nom, plus redoutéque les plus puissants princes, 6+6 b
40 Avait gagné pour luiles voix de cent provinces. 6+6 b
C’est un poids bien pesantqu’un nom trop tôt fameux ! 6+6 a
Valois ne soutint pasce fardeau dangereux. 6+6 a
Qu’il ne s’attende pointque je le justifie 6+6 b
Je lui peux immolermon repos et ma vie, 6+6 b
45 Tout, hors la vérité,que je préfère à lui. 6+6 a
Je le plains, je le blâme,et je suis son appui. 6+6 a
« Sa gloire avait passécomme une ombre légère. 6+6 b
Ce changement est grand,mais il est ordinaire : 6+6 b
On a vu plus d’un roi,par un triste retour, 6+6 a
50 Vainqueur dans les combats,esclave dans sa cour. 6+6 a
Reine, c’est dans l’espritqu’on voit le vrai courage. 6+6 b
Valois reçut des cieuxdes vertus en partage : 6+6 b
Il est vaillant, mais faible ;et, moins roi que soldat, 6+6 a
Il n’a de fermetéqu’en un jour de combat. 6+6 a
55 Ses honteux favoris,flattant son indolence, 6+6 b
De son cœur, à leur gré,gouvernaient l’inconstance ; 6+6 b
Au fond de son palais,avec lui renfermés, 6+6 a
Sourds aux cris douloureuxdes peuples opprimés, 6+6 a
Ils dictaient par sa voixleurs volontés funestes ; 6+6 b
60 Des trésors de la Franceils dissipaient les restes ; 6+6 b
Et le peuple accablé,poussant de vains soupirs, 6+6 a
Gémissait de leur luxe,et payait leurs plaisirs. 6+6 a
« Tandis que, sous le jougde ses mtres avides, 6+6 b
Valois pressait l’Étatdu fardeau des subsides, 6+6 b
65 On vit partre Guise,et le peuple inconstant 6+6 a
Tourna bientôt ses yeuxvers cet astre éclatant. 6+6 a
Sa valeur, ses exploits,la gloire de son père, 6+6 b
Sa grâce, sa beauté,cet heureux don de plaire, 6+6 b
Qui mieux que la vertusait régner sur les cœurs, 6+6 a
70 Attiraient tous les vœuxpar des charmes vainqueurs. 6+6 a
« Nul ne sut mieux que luile grand art de séduire ; 6+6 b
Nul sur ses passionsn’eut jamais plus d’empire, 6+6 b
Et ne sut mieux cacher,sous des dehors trompeurs, 6+6 a
Des plus vastes desseinsles sombres profondeurs. 6+6 a
75 Altier, impérieux,mais souple et populaire, 6+6 b
Des peuples en publicil plaignait la misère, 6+6 b
Détestait des impôtsle fardeau rigoureux ; 6+6 a
Le pauvre allait le voir,et revenait heureux : 6+6 a
Il savait prévenirla timide indigence ; 6+6 b
80 Ses bienfaits dans Parisannonçaient sa présence ; 6+6 b
Il se faisait aimerdes grands qu’il haïssait ; 6+6 a
Terrible et sans retouralors qu’il offensait ; 6+6 a
Téméraire en ses vœux,sage en ses artifices ; 6+6 b
Brillant par ses vertus,et même par ses vices ; 6+6 b
85 Connaissant le péril,et ne redoutant rien ; 6+6 a
Heureux guerrier, grand prince,et mauvais citoyen. 6+6 a
« Quand il eut quelque tempsessayé sa puissance, 6+6 b
Et du peuple aveuglécru fixer l’inconstance, 6+6 b
Il ne se cacha plus,et vint ouvertement 6+6 a
90 Du trône de son roibriser le fondement. 6+6 a
Il forma dans Pariscette Ligue funeste, 6+6 b
Qui bientôt de la Franceinfecta tout le reste ; 6+6 b
Monstre affreux, qu’ont nourriles peuples et les grands, 6+6 a
Engraissé de carnage,et fertile en tyrans. 6+6 a
95 « La France dans son seinvit alors deux monarques : 6+6 b
L’un n’en possédait plusque les frivoles marques ; 6+6 b
L’autre, inspirant partoutl’espérance ou l’effroi, 6+6 a
À peine avait besoindu vain titre de roi. 6+6 a
Valois se réveilladu sein de son ivresse. 6+6 b
100 Ce bruit, cet appareil,ce danger qui le presse, 6+6 b
Ouvrirent un momentses yeux appesantis ; 6+6 a
Mais du jour importunses regards éblouis 6+6 a
Ne distinguèrent point,au fort de la tempête, 6+6 b
Les foudres menaçantsqui grondaient sur sa tête ; 6+6 b
105 Et, bientôt fatiguéd’un moment de réveil, 6+6 a
Las, et se rejetantdans les bras du sommeil, 6+6 a
Entre ses favoris,et parmi les délices, 6+6 b
Tranquille, il s’endormitau bord des précipices. 6+6 b
Je lui restais encore ;et, tout prêt de périr, 6+6 a
110 Il n’avait plus que moiqui pût le secourir : 6+6 a
Héritier, après lui,du trône de la France, 6+6 b
Mon bras sans balancers’armait pour sa défense ; 6+6 b
J’offrais à sa faiblesseun nécessaire appui ; 6+6 a
Je courais le sauver,ou me perdre avec lui. 6+6 a
115 « Mais Guise, trop habile,et trop savant à nuire, 6+6 b
L’un par l’autre, en secret,songeait à nous détruire. 6+6 b
Que dis-je ! il obligeaValois à se priver 6+6 a
De l’unique soutienqui le pouvait sauver. 6+6 a
De la religionle prétexte ordinaire 6+6 b
120 Fut un voile honorableà cet affreux mystère. 6+6 b
Par sa feinte vertutout le peuple échauffé 6+6 a
Ranima son courrouxencor mal étouffé. 6+6 a
Il leur représentaitle culte de leurs pères, 6+6 b
Les derniers attentatsdes sectes étrangères, 6+6 b
125 Me peignait ennemide l’Église et de Dieu : 6+6 a
Il porte, disait-il,ses erreurs en tout lieu ; 6+6 a
Il suit d’Élisabethles dangereux exemples ; 6+6 b
Sur vos temples détruitsil va fonder ses temples ; 6+6 b
Vous verrez dans Parisses prêches criminels. 6+6 a
130 « Tout le peuple, à ces mots,trembla pour ses autels. 6+6 a
Jusqu’au palais du roil’alarme en est portée. 6+6 b
La Ligue, qui feignaitd’en être épouvantée, 6+6 b
Vient de la part de Romeannoncer à son roi 6+6 a
Que Rome lui défendde s’unir avec moi. 6+6 a
135 Hélas ! le roi, trop faible,obéit sans murmure ; 6+6 b
Et, lorsque je volaispour venger son injure, 6+6 b
J’apprends que mon beau-frère,à la Ligue soumis, 6+6 a
S’unissait, pour me perdre,avec ses ennemis ; 6+6 a
De soldats, malgré lui,couvrait déjà la terre, 6+6 b
140 Et par timiditéme déclarait la guerre. 6+6 b
Je plaignis sa faiblesse ;et, sans rien ménager, 6+6 a
Je courus le combattre,au lieu de le venger. 6+6 a
De la Ligue, en cent lieux,les villes alarmées 6+6 b
Contre moi dans la Franceenfantaient des armées : 6+6 b
145 Joyeuse, avec ardeur,venait fondre sur moi, 6+6 a
Ministre impétueuxdes faiblesses du roi : 6+6 a
Guise, dont la prudenceégalait le courage, 6+6 b
Dispersait mes amis,leur fermait le passage. 6+6 b
D’armes et d’ennemispressé de toutes parts, 6+6 a
150 Je les défiai tous,et tentai les hasards. 6+6 a
« Je cherchai dans Coutrasce superbe Joyeuse. 6+6 b
Vous savez sa défaiteet sa fin malheureuse : 6+6 b
Je dois vous épargnerdes récits superflus. 6+6 a
Non, je ne reçois pointvos modestes refus ; 6+6 a
155 Non, ne me privez point,dit l’auguste princesse, 6+6 b
D’un récit qui m’éclaireautant qu’il m’intéresse ; 6+6 b
N’oubliez point ce jour,ce grand jour de Coutras, 6+6 a
Vos travaux, vos vertus,Joyeuse, et son trépas : 6+6 a
L’auteur de tant d’exploitsdoit seul me les apprendre ; 6+6 b
160 Et peut-être je suisdigne de les entendre. 6+6 b
Elle dit. Le héros,à ce discours flatteur, 6+6 a
Sentit couvrir son frontd’une noble rougeur ; 6+6 a
Et réduit, à regret,à parler de sa gloire, 6+6 b
Il poursuivit ainsicette fatale histoire : 6+6 b
165 « De tous les favorisqu’idolâtrait Valois, 6+6 a
Qui flattaient sa mollesseet lui donnaient des lois, 6+6 a
Joyeuse, né d’un sangchez les Français insigne, 6+6 b
D’une faveur si hauteétait le moins indigne : 6+6 b
Il avait des vertus ;et si de ses beaux jours 6+6 a
170 La Parque, en ce combat,n’t abrégé le cours, 6+6 a
Sans doute aux grands exploitsson âme accoutumée 6+6 b
Aurait de Guise, un jour,atteint la renommée. 6+6 b
Mais, nourri jusqu’alorsau milieu de la cour, 6+6 a
Dans le sein des plaisirs,dans les bras de l’amour, 6+6 a
175 Il n’eut à m’opposerqu’un excès de courage, 6+6 b
Dans un jeune hérosdangereux avantage. 6+6 b
Les courtisans en foule,attachés à son sort, 6+6 a
Du sein des voluptéss’avançaient à la mort. 6+6 a
Des chiffres amoureux,gages de leurs tendresses, 6+6 b
180 Traçaient sur leurs habitsles noms de leurs mtresses ; 6+6 b
Leurs armes éclataientdu feu des diamants, 6+6 a
De leurs bras énervésfrivoles ornements. 6+6 a
Ardents, tumultueux,privés d’expérience, 6+6 b
Ils portaient au combatleur superbe imprudence : 6+6 b
185 Orgueilleux de leur pompe,et fiers d’un camp nombreux, 6+6 a
Sans ordre ils s’avançaientd’un pas impétueux. 6+6 a
« D’un éclat différentmon camp frappait leur vue : 6+6 b
Mon armée, en silenceà leurs yeux étendue, 6+6 b
N’offrait de tous côtésque farouches soldats, 6+6 a
190 Endurcis aux travaux,vieillis dans les combats, 6+6 a
Accoutumés au sang,et couverts de blessures : 6+6 b
Leur fer et leurs mousquetscomposaient leurs parures. 6+6 b
Comme eux vêtu sans pompe,armé de fer comme eux, 6+6 a
Je conduisais aux coupsleurs escadrons poudreux ; 6+6 a
195 Comme eux, de mille mortsaffrontant la tempête, 6+6 b
Je n’étais distinguéqu’en marchant à leur tête. 6+6 b
Je vis nos ennemisvaincus et renversés, 6+6 a
Sous nos coups expirants,devant nous dispersés : 6+6 a
À regret dans leur seinj’enfonçais cette épée, 6+6 b
200 Qui du sang espagnolt été mieux trempée. 6+6 b
« Il le faut avouer,parmi ces courtisans 6+6 a
Que moissonna le feren la fleur de leurs ans, 6+6 a
Aucun ne fut percéque de coups honorables : 6+6 b
Tous fermes dans leur poste,et tous inébranlables, 6+6 b
205 Ils voyaient devant euxavancer le trépas, 6+6 a
Sans détourner les yeux,sans reculer d’un pas. 6+6 a
Des courtisans françaistel est le caractère : 6+6 b
La paix n’amollit pointleur valeur ordinaire ; 6+6 b
De l’ombre du reposils volent aux hasards ; 6+6 a
210 Vils flatteurs à la cour,héros aux champs de Mars. 6+6 a
« Pour moi, dans les horreursd’une mêlée affreuse, 6+6 b
J’ordonnais, mais en vain,qu’on épargnât Joyeuse : 6+6 b
Je l’apeus bientôtporté par des soldats, 6+6 a
Pâle, et déjà couvertdes ombres du trépas. 6+6 a
215 Telle une tendre fleur,qu’un matin voit éclore 6+6 b
Des baisers du Zéphireet des pleurs de l’Aurore, 6+6 b
Brille un moment aux yeux,et tombe, avant le temps, 6+6 a
Sous le tranchant du fer,ou sous l’effort des vents. 6+6 a
« Mais pourquoi rappelercette triste victoire ? 6+6 b
220 Que ne puis-je plutôtravir à la mémoire 6+6 b
Les cruels monumentsde ces affreux succès ! 6+6 a
Mon bras n’est encor teintque du sang des Français : 6+6 a
Ma grandeur, à ce prix,n’a point pour moi de charmes, 6+6 b
Et mes lauriers sanglantssont baignés de mes larmes. 6+6 b
225 « Ce malheureux combatne fit qu’approfondir 6+6 a
L’abîme dont Valoisvoulait en vain sortir. 6+6 a
Il fut plus méprisé,quand on vit sa disgrâce ; 6+6 b
Paris fut moins soumis,la Ligue eut plus d’audace, 6+6 b
Et la gloire de Guise,aigrissant ses douleurs, 6+6 a
230 Ainsi que ses affrontsredoubla ses malheurs. 6+6 a
Guise, dans Vimory,d’une main plus heureuse, 6+6 b
Vengea sur les Germainsla perte de Joyeuse ; 6+6 b
Accabla, dans Auneau,mes alliés surpris ; 6+6 a
Et, couvert de lauriers,se montra dans Paris. 6+6 a
235 Ce vainqueur y parutcomme un dieu tutélaire. 6+6 b
Valois vit triompherson superbe adversaire, 6+6 b
Qui, toujours insultantà ce prince abattu, 6+6 a
Semblait l’avoir servimoins que l’avoir vaincu. 6+6 a
« La honte irrite enfinle plus faible courage : 6+6 b
240 L’insensible Valoisressentit cet outrage ; 6+6 b
Il voulut, d’un sujetréprimant la fierté, 6+6 a
Essayer dans Parissa faible autorité : 6+6 a
Il n’en était plus temps ;la tendresse et la crainte 6+6 b
Pour lui dans tous les cœursétait alors éteinte : 6+6 b
245 Son peuple audacieux,prompt à se mutiner, 6+6 a
Le prit pour un tyrandès qu’il voulut régner. 6+6 a
On s’assemble, on conspire,on répand des alarmes ; 6+6 b
Tout bourgeois est soldat,tout Paris est en armes ; 6+6 b
Mille remparts naissants,qu’un instant a formés, 6+6 a
250 Menacent de Valoisles gardes enfermés. 6+6 a
« Guise, tranquille et fierau milieu de l’orage, 6+6 b
Précipitait du peupleou retenait la rage, 6+6 b
De la séditiongouvernait les ressorts, 6+6 a
Et faisait à son grémouvoir ce vaste corps. 6+6 a
255 Tout le peuple au palaiscourait avec furie : 6+6 b
Si Guise t dit un mot,Valois était sans vie ; 6+6 b
Mais, lorsque d’un coup d’œilil pouvait l’accabler, 6+6 a
Il parut satisfaitde l’avoir fait trembler ; 6+6 a
Et, des mutins lui-mêmearrêtant la poursuite, 6+6 b
260 Lui laissa par pitiéle pouvoir de la fuite. 6+6 b
Enfin Guise attenta,quel que fût son projet, 6+6 a
Trop peu pour un tyran,mais trop pour un sujet. 6+6 a
Quiconque a pu forcerson monarque à le craindre 6+6 b
À tout à redouter,s’il ne veut tout enfreindre. 6+6 b
265 Guise, en ses grands desseinsdès ce jour affermi, 6+6 a
Vit qu’il n’était plus tempsd’offenser à demi ; 6+6 a
Et qu’élevé si haut,mais sur un précipice, 6+6 b
S’il ne montait au trône,il marchait au supplice. 6+6 b
Enfin, mtre absolud’un peuple révolté, 6+6 a
270 Le cœur plein d’espéranceet de témérité, 6+6 a
Appuyé des Romains,secouru des Ibères, 6+6 b
Adoré des Français,secondé de ses frères, 6+6 b
Ce sujet orgueilleuxcrut ramener ces temps 6+6 a
de nos premiers roisles lâches descendants, 6+6 a
275 Déchus presque en naissantde leur pouvoir suprême, 6+6 b
Sous un froc odieuxcachaient leur diadème, 6+6 b
Et dans l’ombre d’un cltreen secret gémissants, 6+6 a
Abandonnaient l’empireaux mains de leurs tyrans. 6+6 a
« Valois, qui cependantdifférait sa vengeance, 6+6 b
280 Tenait alors dans Bloisles états de la France. 6+6 b
Peut-être on vous a ditquels furent ces états : 6+6 a
On proposa des loisqu’on n’exécuta pas ; 6+6 a
De mille députésl’éloquence stérile 6+6 b
Y fit de nos abusun détail inutile ; 6+6 b
285 Car de tant de conseilsl’effet le plus commun 6+6 a
Est de voir tous nos mauxsans en soulager un. 6+6 a
Au milieu des états,Guise avec arrogance 6+6 b
De son prince offensévint braver la présence, 6+6 b
S’assit auprès du trône,et, sûr de ses projets, 6+6 a
290 Crut dans ces députésvoir autant de sujets. 6+6 a
Déjà leur troupe indigne,à son tyran vendue, 6+6 b
Allait mettre en ses mainsla puissance absolue, 6+6 b
Lorsque, las de le craindre,et las de l’épargner, 6+6 a
Valois voulut enfinse venger et régner. 6+6 a
295 Son rival, chaque jour,soigneux de lui déplaire, 6+6 b
Dédaigneux ennemi,méprisait sa colère. 6+6 b
Ne souonnant pas même,en ce prince irrité, 6+6 a
Pour un assassinatassez de fermeté. 6+6 a
Son destin l’aveuglait,son heure était venue : 6+6 b
300 Le roi le fit lui-mêmeimmoler à sa vue. 6+6 b
De cent coups de poignardindignement percé, 6+6 a
Son orgueil, en mourant,ne fut point abaissé ; 6+6 a
Et ce front, que Valoiscraignait encor peut-être, 6+6 b
Tout pâle et tout sanglantsemblait braver son mtre. 6+6 b
305 C’est ainsi que mourutce sujet tout-puissant, 6+6 a
De vices, de vertusassemblage éclatant. 6+6 a
Le roi, dont il ravitl’autorité suprême, 6+6 b
Le souffrit lâchement,et s’en vengea de même. 6+6 b
« Bientôt ce bruit affreuxse répand dans Paris. 6+6 a
310 Le peuple épouvantéremplit l’air de ses cris. 6+6 a
Les vieillards désolés,les femmes éperdues, 6+6 b
Vont du malheureux Guiseembrasser les statues. 6+6 b
Tout Paris croit avoir,en ce pressant danger, 6+6 a
L’Église à soutenir,et son père à venger. 6+6 a
315 De Guise, au milieu d’eux,le redoutable frère, 6+6 b
Mayenne, à la vengeanceanime leur colère ; 6+6 b
Et, plus par intérêtque par ressentiment, 6+6 a
Il allume en cent lieuxce grand embrasement. 6+6 a
« Mayenne, dès longtempsnourri dans les alarmes, 6+6 b
320 Sous le superbe Guiseavait porté les armes. 6+6 b
Il succède à sa gloire,ainsi qu’à ses desseins ; 6+6 a
Le sceptre de la Liguea passé dans ses mains. 6+6 a
Cette grandeur sans borne,à ses désirs si chère, 6+6 b
Le console aisémentde la perte d’un frère : 6+6 b
325 Il servait à regret,et Mayenne aujourd’hui 6+6 a
Aime mieux le vengerque de marcher sous lui. 6+6 a
Mayenne a, je l’avoue,un courage héroïque ; 6+6 b
Il sait, par une heureuseet sage politique, 6+6 b
Réunir sous ses loismille esprits différents, 6+6 a
330 Ennemis de leur mtre,esclaves des tyrans : 6+6 a
Il connt leurs talents,il sait en faire usage ; 6+6 b
Souvent du malheur mêmeil tire un avantage. 6+6 b
Guise avec plus d’éclatéblouissait les yeux, 6+6 a
Fut plus grand, plus héros,mais non plus dangereux. 6+6 a
335 Voilà quel est Mayenne,et quelle est sa puissance. 6+6 b
Autant la Ligue altièreespère en sa prudence, 6+6 b
Autant le jeune Aumale,au cœur présomptueux, 6+6 a
Répand dans les espritsson courage orgueilleux. 6+6 a
D’Aumale est du partile bouclier terrible ; 6+6 b
340 Il a jusqu’aujourd’huile titre d’invincible : 6+6 b
Mayenne, qui le guideau milieu des combats, 6+6 a
Est l’âme de la Ligue,et l’autre en est le bras. 6+6 a
« Cependant des Flamandsl’oppresseur politique, 6+6 b
Ce voisin dangereux,ce tyran catholique, 6+6 b
345 Ce roi, dont l’artificeest le plus grand soutien, 6+6 a
Ce roi, votre ennemi,mais plus encor le mien, 6+6 a
Philippe, de Mayenneembrassant la querelle, 6+6 b
Soutient de nos rivauxla cause criminelle ; 6+6 b
Et Rome, qui devaitétouffer tant de maux, 6+6 a
350 Rome de la discordeallume les flambeaux : 6+6 a
Celui qui des chrétiensse dit encor le père 6+6 b
Met aux mains de ses filsun glaive sanguinaire. 6+6 b
« Des deux bouts de l’Europe,à mes regards surpris, 6+6 a
Tous les malheurs ensembleaccourent dans Paris. 6+6 a
355 Enfin, roi sans sujets,poursuivi sans défense, 6+6 b
Valois s’est vu forcéd’implorer ma puissance. 6+6 b
Il m’a cru généreux,et ne s’est point trompé : 6+6 a
Des malheurs de l’Étatmon cœur s’est occupé ; 6+6 a
Un danger si pressanta fléchi ma colère ; 6+6 b
360 Je n’ai plus, dans Valois,regardé qu’un beau-frère : 6+6 b
Mon devoir l’ordonnait,j’en ai subi la loi ; 6+6 a
Et roi, j’ai défendul’autorité d’un roi. 6+6 a
Je suis venu vers luisans traité, sans otage : 6+6 b
Votre sort, ai-je dit,est dans votre courage ; 6+6 b
365 Venez mourir ou vaincreaux remparts de Paris. 6+6 a
Alors un noble orgueila rempli ses esprits : 6+6 a
Je ne me flatte pointd’avoir pu dans son âme 6+6 b
Verser, par mon exemple,une si belle flamme ; 6+6 b
Sa disgrâce a sans douteéveillé sa vertu : 6+6 a
370 Il gémit du reposqui l’avait abattu. 6+6 a
Valois avait besoind’un destin si contraire ; 6+6 b
Et souvent l’infortuneaux rois est nécessaire. » 6+6 b
Tels étaient de Henriles sincères discours. 6+6 a
Des Anglais cependantil presse le secours : 6+6 a
375 Déjà du haut des mursde la ville rebelle 6+6 b
La voix de la victoireen son camp le rappelle ; 6+6 b
Mille jeunes Anglaisvont bientôt sur ses pas 6+6 a
Fendre le sein des mers,et chercher les combats. 6+6 a
Essex est à leur tête,Essex dont la vaillance 6+6 b
380 À des fiers Castillansconfondu la prudence, 6+6 b
Et qui ne croyait pasqu’un indigne destin 6+6 a
Dût flétrir les lauriersqu’avait cueillis sa main. 6+6 a
Henri ne l’attend point :ce chef que rien n’arrête, 6+6 b
Impatient de vaincre,à son départ s’apprête. 6+6 b
385 « Allez, lui dit la reine,allez, digne héros ; 6+6 a
Mes guerriers sur vos pastraverseront les flots. 6+6 a
Non, ce n’est point Valois,c’est vous qu’ils veulent suivre ; 6+6 b
À vos soins généreuxmon amitié les livre : 6+6 b
Au milieu des combatsvous les verrez courir, 6+6 a
390 Plus pour vous imiterque pour vous secourir. 6+6 a
Formés par votre exempleau grand art de la guerre, 6+6 b
Ils apprendront sous vousà servir l’Angleterre. 6+6 b
Puisse bientôt la Ligueexpirer sous vos coups ! 6+6 a
L’Espagne sert Mayenne,et Rome est contre vous : 6+6 a
395 Allez vaincre l’Espagne,et songez qu’un grand homme 6+6 b
Ne doit point redouterles vains foudres de Rome. 6+6 b
Allez des nationsvenger la liberté ; 6+6 a
De Sixte et de Philippeabaissez la fierté. 6+6 a
« Philippe, de son pèrehéritier tyrannique, 6+6 b
400 Moins grand, moins courageux,et non moins politique, 6+6 b
Divisant ses voisinspour leur donner des fers, 6+6 a
Du fond de son palaiscroit dompter l’univers. 6+6 a
« Sixte, au trône élevédu sein de la poussière, 6+6 b
Avec moins de puissancea l’âme encor plus fière : 6+6 b
405 Le pâtre de Montalteest le rival des rois ; 6+6 a
Dans Paris comme à Romeil veut donner des lois ; 6+6 a
Sous le pompeux éclatd’un triple diadème, 6+6 b
Il pense asservir tout,jusqu’à Philippe même. 6+6 b
Violent, mais adroit,dissimulé, trompeur, 6+6 a
410 Ennemi des puissants,des faibles oppresseur, 6+6 a
Dans Londres, dans ma cour,il a formé des brigues, 6+6 b
Et l’univers, qu’il trompe,est plein de ses intrigues. 6+6 b
« Voilà les ennemisque vous devez braver. 6+6 a
Contre moi l’un et l’autreosèrent s’élever. 6+6 a
415 L’un, combattant en vainl’Anglais et les orages, 6+6 b
Fit voir à l’Océansa fuite et ses naufrages ; 6+6 b
Du sang de ses guerriersce bord est encor teint : 6+6 a
L’autre se tait dans Rome,et m’estime, et me craint. 6+6 a
« Suivez donc, à leurs yeux,votre noble entreprise. 6+6 b
420 Si Mayenne est dompté,Rome sera soumise ; 6+6 b
Vous seul pouvez réglersa haine ou ses faveurs. 6+6 a
Inflexible aux vaincus,complaisante aux vainqueurs, 6+6 a
Prête à vous condamner,facile à vous absoudre, 6+6 b
C’est à vous d’allumerou d’éteindre sa foudre. 6+6 b
FIN DU CHANT TROISIÈME
mètre profil métrique : 6+6
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