Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VOL030/VOL030
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
1749
NANINE
COMÉDIE EN TROIS ACTES
EN VERS DE DIX SYLLABES
Donnée par l’Auteur
PERSONNAGES
Le COMTE d’OLBAN seigneur retiré à la campagne
La BARONNE de L’ORME parente du Comte, femme impérieuse, aigre, difficile à vivre
La MARQUISE d’OLBAN
NANINE fille élevée à la maison du Comte
PHILIBERT HOMBERT paysan du voisinage
BLAISE jardinier
GERMON domestique
MARIN autre domestique
La scène est dans le château du Comte d’Olban.
ACTE I
SCÈNE I
Le Comte D’Olban, La Baronne de L’Orme.
LA BARONNE
Il faut parler, il faut, Monsieur le Comte, 4+6 a
Vous expliquer nettement sur mon compte. 4+6 a
Ni vous ni moi n’avons un coeur tout neuf ; 4+6 a
Vous êtes libre, et depuis deux ans veuf : 4+6 a
5 Devers ce temps j’eus cet honneur moi-même ; 4+6 a
Et nos procès, dont l’embarras extrême 4+6 a
Était si triste et si peu fait pour nous, 4+6 a
Sont enterrés, ainsi que mon époux. 4+6 a
LE COMTE
Oui, tout procès m’est fort insupportable. 4+6 a
LA BARONNE
10 Ne suis-je pas comme eux fort haïssable ? 4+6 a
LE COMTE
Qui ? Vous, madame ?
LA BARONNE
Oui, moi. Depuis deux ans, 4+6 a
Libres tous deux, comme tous deux parents, 4+6 a
Pour terminer nous habitons ensemble ; 4+6 a
Le sang, le goût, l’intérêt nous rassemble. 4+6 a
LE COMTE
Ah ! L’intérêt ! Parlez mieux.
LA BARONNE
15 Non, Monsieur. 4+6 a
Je parle bien, et c’est avec douleur ; 4+6 a
Et je sais trop que votre âme inconstante 4+6 a
Ne me voit plus que comme une parente. 4+6 a
LE COMTE
Je n’ai pas l’air d’un volage, je crois. 4+6 a
LA BARONNE
20 Vous avez l’air de me manquer de foi. 4+6 a
LE COMTE, à part.
Ah !
LA BARONNE
Vous savez que cette longue guerre, 4+6 a
Que mon mari vous faisait pour ma terre, 4+6 a
A dû finir en confondant nos droits 4+6 a
Dans un hymen dicté par notre choix : 4+6 a
25 Votre promesse à ma foi vous engage ; 4+6 a
Vous différez, et qui diffère outrage. 4+6 a
LE COMTE
J’attends ma mère.
LA BARONNE
Elle radote : bon ! 4+6 a
LE COMTE
Je la respecte, et je l’aime.
LA BARONNE
Et moi, non. 4+6 a
Mais pour me faire un affront qui m’étonne, 4+6 a
30 Assurément vous n’attendez personne, 4+6 a
Perfide ! Ingrat !
LE COMTE
D’où vient ce grand courroux ? 4+6 a
Qui vous a donc dit tout cela ?
LA BARONNE
Qui ? Vous ; 4+6 a
Vous, votre ton, votre air d’indifférence, 4+6 a
Votre conduite, en un mot, qui m’offense, 4+6 a
35 Qui me soulève, et qui choque mes yeux : 4+6 a
Ayez moins tort, ou défendez-vous mieux. 4+6 a
Ne vois-je pas l’indignité, la honte, 4+6 a
L’excès, l’affront du goût qui vous surmonte ? 4+6 a
Quoi ! Pour l’objet le plus vil, le plus bas, 4+6 a
Vous me trompez !
LE COMTE
40 Non, je ne trompe pas ; 4+6 a
Dissimuler n’est pas mon caractère : 4+6 a
J’étais à vous, vous aviez su me plaire, 4+6 a
Et j’espérais avec vous retrouver 4+6 a
Ce que le ciel a voulu m’enlever, 4+6 a
45 Goûter en paix, dans cet heureux asile, 4+6 a
Les nouveaux fruits d’un noeud doux et tranquille ; 4+6 a
Mais vous cherchez à détruire vos lois. 4+6 a
Je vous l’ai dit, l’amour a deux carquois : 4+6 a
L’un est rempli de ces traits tout de flamme, 4+6 a
50 Dont la douceur porte la paix dans l’âme, 4+6 a
Qui rend plus purs nos goûts, nos sentiments, 4+6 a
Nos soins plus vifs, nos plaisirs plus touchants ; 4+6 a
L’autre n’est plein que de flèches cruelles 4+6 a
Qui, répandant les soupçons, les querelles, 4+6 a
55 Rebutent l’âme, y portent la tiédeur, 4+6 a
Font succéder les dégoûts à l’ardeur : 4+6 a
Voilà les traits que vous prenez vous-même 4+6 a
Contre nous deux ; et vous voulez qu’on aime ! 4+6 a
LA BARONNE
Oui, j’aurai tort ! Quand vous vous détachez, 4+6 a
60 C’est donc à moi que vous le reprochez. 4+6 a
Je dois souffrir vos belles incartades, 4+6 a
Vos procédés, vos comparaisons fades. 4+6 a
Qu’ai-je donc fait, pour perdre votre coeur ? 4+6 a
Que me peut-on reprocher ?
LE COMTE
Votre humeur, 4+6 a
65 N’en doutez pas : oui, la beauté, Madame, 4+6 a
Ne plaît qu’aux yeux ; la douceur charme l’âme. 4+6 a
LA BARONNE
Mais êtes-vous sans humeur, vous ?
LE COMTE
Moi ? Non ; 4+6 a
J’en ai sans doute, et pour cette raison 4+6 a
Je veux, madame, une femme indulgente, 4+6 a
70 Dont la beauté douce et compatissante, 4+6 a
À mes défauts facile à se plier, 4+6 a
Daigne avec moi me réconcilier, 4+6 a
Me corriger sans prendre un ton caustique, 4+6 a
Me gouverner sans être tyrannique, 4+6 a
75 Et dans mon coeur pénétrer pas à pas, 4+6 a
Comme un jour doux dans des yeux délicats : 4+6 a
Qui sent le joug le porte avec murmure ; 4+6 a
L’amour tyran est un dieu que j’abjure. 4+6 a
Je veux aimer, et ne veux point servir ; 4+6 a
80 C’est votre orgueil qui peut seul m’avilir. 4+6 a
J’ai des défauts ; mais le ciel fit les femmes 4+6 a
Pour corriger le levain de nos âmes, 4+6 a
Pour adoucir nos chagrins, nos humeurs, 4+6 a
Pour nous calmer, pour nous rendre meilleurs. 4+6 a
85 C’est là leur lot ; et pour moi, je préfère 4+6 a
Laideur affable à beauté rude et fière. 4+6 a
LA BARONNE
C’est fort bien dit, traître ! Vous prétendez, 4+6 a
Quand vous m’outrez, m’insultez, m’excédez, 4+6 a
Que je pardonne, en lâche complaisante, 4+6 a
90 De vos amours la honte extravagante ? 4+6 a
Et qu’à mes yeux un faux air de hauteur 4+6 a
Excuse en vous les bassesses du coeur ? 4+6 a
LE COMTE
Comment, madame ?
LA BARONNE
Oui, la jeune Nanine 4+6 a
Fait tout mon tort. Un enfant vous domine, 4+6 a
95 Une servante, une fille des champs, 4+6 a
Que j’élevai par mes soins imprudents, 4+6 a
Que par pitié votre facile mère 4+6 a
Daigna tirer du sein de la misère. 4+6 a
Vous rougissez !
LE COMTE
Moi ! Je lui veux du bien. 4+6 a
LA BARONNE
Non, vous l’aimez, j’en suis très sûre.
LE COMTE
100 Eh bien ! 4+6 a
Si je l’aimais, apprenez donc, Madame, 4+6 a
Que hautement je publierais ma flamme. 4+6 a
LA BARONNE
Vous en êtes capable.
LE COMTE
Assurément. 6+4 a
LA BARONNE
Vous oseriez trahir impudemment 4+6 a
105 De votre rang toute la bienséance ; 4+6 a
Humilier ainsi votre naissance ; 4+6 a
Et, dans la honte où vos sens sont plongés, 4+6 a
Braver l’honneur ?
LE COMTE
Dites les préjugés. 4+6 a
Je ne prends point, quoi qu’on en puisse croire, 4+6 a
110 La vanité pour l’honneur et la gloire. 4+6 a
L’éclat vous plaît ; vous mettez la grandeur 4+6 a
Dans des blasons : je la veux dans le coeur. 4+6 a
L’homme de bien, modeste avec courage, 4+6 a
Et la beauté spirituelle, sage, 4+6 a
115 Sans bien, sans nom, sans tous ces titres vains, 4+6 a
Sont à mes yeux les premiers des humains. 4+6 a
LA BARONNE
Il faut au moins être bon gentilhomme. 4+6 a
Un vil savant, un obscur honnête homme, 4+6 a
Serait chez vous, pour un peu de vertu, 4+6 a
120 Comme un seigneur avec honneur reçu ? 4+6 a
LE COMTE
Le vertueux aurait la préférence. 4+6 a
LA BARONNE
Peut-on souffrir cette humble extravagance ? 4+6 a
Ne doit-on rien, s’il vous plaît, à son rang ? 4+6 a
LE COMTE
Être honnête homme est ce qu’on doit.
LA BARONNE
Mon sang 4+6 a
125 Exigerait un plus haut caractère. 4+6 a
LE COMTE
Il est très haut, il brave le vulgaire. 4+6 a
LA BARONNE
Vous dégradez ainsi la qualité ! 4+6 a
LE COMTE
Non ; mais j’honore ainsi l’humanité. 4+6 a
LA BARONNE
Vous êtes fou ; quoi ! Le public, l’usage ! … 4+6 a
LE COMTE
130 L’usage est fait pour le mépris du sage ; 4+6 a
Je me conforme à ses ordres gênants, 4+6 a
Pour mes habits, non pour mes sentiments. 4+6 a
Il faut être homme, et d’une âme sensée, 4+6 a
Avoir à soi ses goûts et sa pensée. 4+6 a
135 Irai-je en sot aux autres m’informer 4+6 a
Qui je dois fuir, chercher, louer, blâmer ? 4+6 a
Quoi ! De mon être il faudra qu’on décide ? 4+6 a
J’ai ma raison ; c’est ma mode et mon guide. 4+6 a
Le singe est né pour être imitateur, 4+6 a
140 Et l’homme doit agir d’après son coeur. 4+6 a
LA BARONNE
Voilà parler en homme libre, en sage. 4+6 a
Allez ; aimez des filles de village, 4+6 a
Coeur noble et grand, soyez l’heureux rival 4+6 a
Du magister et du greffier fiscal ; 4+6 a
145 Soutenez bien l’honneur de votre race. 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Juste ciel ! Que faut-il que je fasse ? 4+6 a
SCÈNE II
Le Comte, La Baronne, Blaise.
LE COMTE
Que veux-tu, toi ?
BLAISE
C’est votre jardinier, 4+6 a
Qui vient, monsieur, humblement supplier 4+6 a
Votre grandeur.
LE COMTE
Ma grandeur ! Eh bien ! Blaise, 4+6 a
Que te faut-il ?
BLAISE
150 Mais c’est, ne vous déplaise, 4+6 a
Que je voudrais me marier…
LE COMTE
D’accord, 4+6 a
Très volontiers ; ce projet me plaît fort. 4+6 a
Je t’aiderai ; j’aime qu’on se marie : 4+6 a
Et la future, est-elle un peu jolie ? 4+6 a
BLAISE
155 Ah, oui, ma foi ! C’est un morceau friand. 4+6 a
LA BARONNE
Et Blaise en est aimé ?
BLAISE
Certainement. 4+6 a
LE COMTE
Et nous nommons cette beauté divine ?… 4+6 a
BLAISE
Mais, c’est…
LE COMTE
Eh bien ?
BLAISE
C’est la belle Nanine. 4+6 a
LE COMTE
Nanine ?
LA BARONNE
Ah ! Bon ! Je ne m’oppose point 4+6 a
À de pareils amours.
LE COMTE, à part.
160 Ciel ! à quel point 4+6 a
On m’avilit ! Non, je ne le puis être. 4+6 a
BLAISE
Ce parti-là doit bien plaire à mon maître. 4+6 a
LE COMTE
Tu dis qu’on t’aime, impudent !
BLAISE
Ah ! Pardon. 4+6 a
LE COMTE
T’a-t-elle dit qu’elle t’aimât ?
BLAISE
Mais… non, 4+6 a
165 Pas tout à fait ; elle m’a fait entendre 4+6 a
Tant seulement qu’elle a pour nous du tendre ; 4+6 a
D’un ton si bon, si doux, si familier, 4+6 a
Elle m’a dit cent fois : « cher jardinier, 4+6 a
Cher ami Blaise, aide-moi donc à faire 4+6 a
170 Un beau bouquet de fleurs, qui puisse plaire 4+6 a
À monseigneur, à ce maître charmant ; » 4+6 a
Et puis d’un air si touché, si touchant, 4+6 a
Elle faisait ce bouquet : et sa vue 4+6 a
Était troublée ; elle était toute émue, 4+6 a
175 Toute rêveuse, avec un certain air, 4+6 a
Un air, là, qui… peste ! L’on y voit clair. 4+6 a
LE COMTE
Blaise, va-t’en… quoi ! J’aurais su lui plaire ! 4+6 a
BLAISE
çà, n’allez pas traînasser notre affaire. 4+6 a
LE COMTE
Hem ! …
BLAISE
Vous verrez comme ce terrain-là 4+6 a
180 Entre mes mains bientôt profitera. 4+6 a
Répondez donc ; pourquoi ne me rien dire ? 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Mon coeur est trop plein. Je me retire… 4+6 a
Adieu, madame.
SCÈNE III
La Baronne, Blaise.
LA BARONNE
Il l’aime comme un fou, 4+6 a
J’en suis certaine. Et comment donc, par où, 4+6 a
185 Par quels attraits, par quelle heureuse adresse, 4+6 a
A-t-elle pu me ravir sa tendresse ? 4+6 a
Nanine ! Ô ciel ! Quel choix ! Quelle fureur ! 4+6 a
Nanine ! Non ; j’en mourrai de douleur. 4+6 a
BLAISE revenant
Ah ! Vous parlez de Nanine.
LA BARONNE
Insolente ! 4+6 a
BLAISE
190 Est-il pas vrai que Nanine est charmante ? 4+6 a
LA BARONNE
Non.
BLAISE
Eh ! Si fait : parlez un peu pour nous, 4+6 a
Protégez Blaise.
LA BARONNE
Ah ! Quels horribles coups ! 4+6 a
BLAISE
J’ai des écus ; Pierre Blaise mon père 4+6 a
M’a bien laissé trois bons journaux de terre : 4+6 a
195 Tout est pour elle, écus comptants, journaux, 4+6 a
Tout mon avoir, et tout ce que je vaux ; 4+6 a
Mon corps, mon coeur, tout moi-même, tout Blaise. 4+6 a
LA BARONNE
Autant que toi crois que j’en serais aise ; 4+6 a
Mon pauvre enfant, si je puis te servir, 4+6 a
200 Tous deux ce soir je voudrais vous unir : 4+6 a
Je lui paierai sa dot.
BLAISE
Digne Baronne, 4+6 a
Que j’aimerai votre chère personne ! 4+6 a
Que de plaisir ! Est-il possible !
LA BARONNE
Hélas ! 4+6 a
Je crains, ami, de ne réussir pas. 4+6 a
BLAISE
205 Ah ! Par pitié, réussissez, Madame. 4+6 a
LA BARONNE
Va, plût au ciel qu’elle devînt ta femme ! 4+6 a
Attends mon ordre.
BLAISE
Eh ! Puis-je attendre ?
LA BARONNE
Va. 4+6 a
BLAISE
Adieu. J’aurai, ma foi, cet enfant-là. 4+6 a
SCÈNE IV
LA BARONNE
Vit-on jamais une telle aventure ! 4+6 a
210 Peut-on sentir une plus vive injure ; 4+6 a
Plus lâchement se voir sacrifier ! 4+6 a
Le Comte Olban rival d’un jardinier ! 4+6 a
À un laquais.
Holà ! Quelqu’un ! Qu’on appelle Nanine. 4+6 a
C’est mon malheur qu’il faut que j’examine. 4+6 a
215 Où pourrait-elle avoir pris l’art flatteur, 4+6 a
L’art de séduire et de garder un coeur, 4+6 a
L’art d’allumer un feu vif et qui dure ? 4+6 a
Où ? Dans ses yeux, dans la simple nature. 4+6 a
Je crois pourtant que cet indigne amour 4+6 a
220 N’a point encore osé se mettre au jour. 4+6 a
J’ai vu qu’Olban se respecte avec elle ; 4+6 a
Ah ! C’est encore une douleur nouvelle ; 4+6 a
J’espérerais s’il se respectait moins. 4+6 a
D’un amour vrai le traître a tous les soins. 4+6 a
225 Ah ! La voici : je me sens au supplice. 4+6 a
Que la nature est pleine d’injustice ! 4+6 a
À qui va-t-elle accorder la beauté ! 4+6 a
C’est un affront fait à la qualité. 4+6 a
Approchez-vous ; venez, Mademoiselle. 4+6 a
SCÈNE V
La Baronne, Nanine.
NANINE
Madame.
LA BARONNE
230 Mais est-elle donc si belle ? 4+6 a
Ces grands yeux noirs ne disent rien du tout ; 4+6 a
Mais s’ils ont dit : j’aime… ah ! Je suis à bout. 4+6 a
Possédons-nous. Venez.
NANINE
Je viens me rendre 4+6 a
À mon devoir.
LA BARONNE
Vous vous faites attendre 4+6 a
235 Un peu de temps ; avancez-vous. Comment ! 4+6 a
Comme elle est mise ! Et quel ajustement ! 4+6 a
Il n’est pas fait pour une créature 4+6 a
De votre espèce.
NANINE
Il est vrai. Je vous jure, 4+6 a
Par mon respect, qu’en secret j’ai rougi 4+6 a
240 Plus d’une fois d’être vêtue ainsi ; 4+6 a
Mais c’est l’effet de vos bontés premières, 4+6 a
De ces bontés qui me sont toujours chères. 4+6 a
De tant de soins vous daigniez m’honorer ! 4+6 a
Vous vous plaisiez vous-même à me parer. 4+6 a
245 Songez combien vous m’aviez protégée : 4+6 a
Sous cet habit je ne suis point changée. 4+6 a
Voudriez-vous, madame, humilier 4+6 a
Un coeur soumis, qui ne peut s’oublier ? 4+6 a
LA BARONNE
Approchez-moi ce fauteuil… ah ! J’enrage… 4+6 a
D’où venez-vous ?
NANINE
Je lisais.
LA BARONNE
250 Quel ouvrage ? 4+6 a
NANINE
Un livre anglais dont on m’a fait présent. 4+6 a
LA BARONNE
Sur quel sujet ?
NANINE
Il est intéressant : 4+6 a
L’auteur prétend que les hommes sont frères, 4+6 a
Nés tous égaux ; mais ce sont des chimères : 4+6 a
255 Je ne puis croire à cette égalité. 4+6 a
LA BARONNE
Elle y croira. Quel fonds de vanité ! 4+6 a
Que l’on m’apporte ici mon écritoire… 4+6 a
NANINE
J’y vais.
LA BARONNE
Restez. Que l’on me donne à boire. 4+6 a
NANINE
Quoi ?
LA BARONNE
Rien. Prenez mon éventail… sortez. 4+6 a
260 Allez chercher mes gants… laissez… restez. 4+6 a
Avancez-vous… gardez-vous, je vous prie, 4+6 a
D’imaginer que vous soyez jolie. 4+6 a
NANINE
Vous me l’avez si souvent répété, 4+6 a
Que si j’avais ce fonds de vanité, 4+6 a
265 Si l’amour-propre avait gâté mon âme, 4+6 a
Je vous devrais ma guérison, madame. 4+6 a
LA BARONNE
Où trouve-t-elle ainsi ce qu’elle dit ? 4+6 a
Que je la hais ! Quoi ! Belle, et de l’esprit ! 4+6 a
Avec dépit.
Écoutez-moi. J’eus bien de la tendresse 4+6 a
Pour votre enfance.
NANINE
270 Oui. Puisse ma jeunesse 4+6 a
être honorée encor de vos bontés ! 4+6 a
LA BARONNE
Eh bien ! Voyez si vous les méritez. 4+6 a
Je prétends, moi, ce jour, cette heure même, 4+6 a
Vous établir ; jugez si je vous aime. 4+6 a
NANINE
Moi ?
LA BARONNE
275 Je vous donne une dot. Votre époux 4+6 a
Est fort bien fait, et très digne de vous ; 4+6 a
C’est un parti de tout point fort sortable : 4+6 a
C’est le seul même aujourd’hui convenable ; 4+6 a
Et vous devez bien m’en remercier : 4+6 a
280 C’est, en un mot, Blaise le jardinier. 4+6 a
NANINE
Blaise, Madame ?
LA BARONNE
Oui. D’où vient ce sourire ? 4+6 a
Hésitez-vous un moment d’y souscrire ? 4+6 a
Mes offres sont un ordre, entendez-vous ? 4+6 a
Obéissez, ou craignez mon courroux. 4+6 a
NANINE
Mais…
LA BARONNE
285 Apprenez qu’un mais est une offense. 4+6 a
Il vous sied bien d’avoir l’impertinence 4+6 a
De refuser un mari de ma main ! 4+6 a
Ce coeur si simple est devenu bien vain. 4+6 a
Mais votre audace est trop prématurée ; 4+6 a
290 Votre triomphe est de peu de durée. 4+6 a
Vous abusez du caprice d’un jour, 4+6 a
Et vous verrez quel en est le retour. 4+6 a
Petite ingrate, objet de ma colère, 4+6 a
Vous avez donc l’insolence de plaire ? 4+6 a
295 Vous m’entendez ; je vous ferai rentrer 4+6 a
Dans le néant dont j’ai su vous tirer. 4+6 a
Tu pleureras ton orgueil, ta folie. 4+6 a
Je te ferai renfermer pour ta vie 4+6 a
Dans un couvent.
NANINE
J’embrasse vos genoux ; 4+6 a
300 Renfermez-moi ; mon sort sera trop doux. 4+6 a
Oui, des faveurs que vous vouliez me faire, 4+6 a
Cette rigueur est pour moi la plus chère. 4+6 a
Enfermez-moi dans un cloître à jamais : 4+6 a
J’y bénirai mon maître et vos bienfaits ; 4+6 a
305 J’y calmerai des alarmes mortelles, 4+6 a
Des maux plus grands, des craintes plus cruelles, 4+6 a
Des sentiments plus dangereux pour moi 4+6 a
Que ce courroux qui me glace d’effroi. 4+6 a
Madame, au nom de ce courroux extrême, 4+6 a
310 Délivrez-moi, s’il se peut, de moi-même ; 4+6 a
Dès cet instant je suis prête à partir. 4+6 a
LA BARONNE
Est-il possible ? Et que viens-je d’ouïr ? 4+6 a
Est-il bien vrai ? Me trompez-vous, Nanine ? 4+6 a
NANINE
Non. Faites-moi cette faveur divine : 4+6 a
Mon coeur en a trop besoin.
LA BARONNE, avec un emportement de tendresse.
315 Lève-toi : 4+6 a
Que je t’embrasse. ô jour heureux pour moi ! 4+6 a
Ma chère amie, eh bien ! Je vais sur l’heure 4+6 a
Préparer tout pour ta belle demeure. 4+6 a
Ah ! Quel plaisir que de vivre en couvent ! 4+6 a
NANINE
320 C’est pour le moins un abri consolant. 4+6 a
LA BARONNE
Non ; c’est, ma fille, un séjour délectable. 4+6 a
NANINE
Le croyez-vous ?
LA BARONNE
Le monde est haïssable, 4+6 a
Jaloux…
NANINE
Oh ! Oui.
LA BARONNE
Fou, méchant, vain, trompeur, 4+6 a
Changeant, ingrat ; tout cela fait horreur. 4+6 a
NANINE
325 Oui ; j’entrevois qu’il me serait funeste, 4+6 a
Qu’il faut le fuir…
LA BARONNE
La chose est manifeste ; 4+6 a
Un bon couvent est un port assuré. 4+6 a
Monsieur le Comte, ah ! Je vous préviendrai. 4+6 a
NANINE
Que dites-vous de monseigneur ?
LA BARONNE
Je t’aime 4+6 a
330 À la fureur ; et dès ce moment même 4+6 a
Je voudrais bien te faire le plaisir 4+6 a
De t’enfermer pour ne jamais sortir. 4+6 a
Mais il est tard, hélas ! Il faut attendre 4+6 a
Le point du jour. écoute : il faut te rendre 4+6 a
335 Vers le minuit dans mon appartement. 4+6 a
Nous partirons d’ici secrètement 4+6 a
Pour ton couvent à cinq heures sonnantes : 4+6 a
Sois prête au moins.
SCÈNE VI
NANINE
Quelles douleurs cuisantes ! 4+6 a
Quel embarras ! Quel tourment ! Quel dessein ! 4+6 a
340 Quels sentiments combattent dans mon sein ! 4+6 a
Hélas ! Je fuis le plus aimable maître ! 4+6 a
En le fuyant, je l’offense peut-être ; 4+6 a
Mais, en restant, l’excès de ses bontés 4+6 a
M’attirerait trop de calamités, 4+6 a
345 Dans sa maison mettrait un trouble horrible. 4+6 a
Madame croit qu’il est pour moi sensible, 4+6 a
Que jusqu’à moi ce coeur peut s’abaisser : 4+6 a
Je le redoute, et n’ose le penser. 4+6 a
De quel courroux madame est animée ! 4+6 a
350 Quoi ! L’on me hait, et je crains d’être aimée ? 4+6 a
Mais, moi ! Mais moi ! Je me crains encor plus ; 4+6 a
Mon coeur troublé de lui-même est confus. 4+6 a
Que devenir ? De mon état tirée, 4+6 a
Pour mon malheur je suis trop éclairée. 4+6 a
355 C’est un danger, c’est peut-être un grand tort 4+6 a
D’avoir une âme au-dessus de son sort. 4+6 a
Il faut partir ; j’en mourrai, mais n’importe. 4+6 a
SCÈNE VII
Le Comte, Nanine, un laquais.
LE COMTE
Holà ! Quelqu’un ! Qu’on reste à cette porte. 4+6 a
Des sièges, vite.
Il fait la révérence à Nanine, qui lui en fait une profonde.
Asseyons-nous ici. 4+6 a
NANINE
Qui ? Moi, monsieur ?
LE COMTE
360 Oui, je le veux ainsi ; 4+6 a
Et je vous rends ce que votre conduite, 4+6 a
Votre beauté, votre vertu mérite. 4+6 a
Un diamant trouvé dans un désert 4+6 a
Est-il moins beau, moins précieux, moins cher ? 4+6 a
365 Quoi ! Vos beaux yeux semblent mouillés de larmes ! 4+6 a
Ah ! Je le vois, jalouse de vos charmes, 4+6 a
Notre Baronne aura, par ses aigreurs, 4+6 a
Par son courroux, fait répandre vos pleurs. 4+6 a
NANINE
Non, monsieur, non ; sa bonté respectable 4+6 a
370 Jamais pour moi ne fut si favorable ; 4+6 a
Et j’avouerai qu’ici tout m’attendrit. 4+6 a
LE COMTE
Vous me charmez : je craignais son dépit. 4+6 a
NANINE
Hélas ! Pourquoi ?
LE COMTE
Jeune et belle Nanine, 4+6 a
La jalousie en tous les coeurs domine : 4+6 a
375 L’homme est jaloux dès qu’il peut s’enflammer ; 4+6 a
La femme l’est, même avant que d’aimer. 4+6 a
Un jeune objet, beau, doux, discret, sincère, 4+6 a
À tout son sexe est bien sûr de déplaire. 4+6 a
L’homme est plus juste ; et d’un sexe jaloux 4+6 a
380 Nous nous vengeons autant qu’il est en nous. 4+6 a
Croyez surtout que je vous rends justice. 4+6 a
J’aime ce coeur qui n’a point d’artifice ; 4+6 a
J’admire encore à quel point vous avez 4+6 a
Développé vos talents cultivés. 4+6 a
385 De votre esprit la naïve justesse 4+6 a
Me rend surpris autant qu’il m’intéresse. 4+6 a
NANINE
J’en ai bien peu ; mais quoi ! Je vous ai vu, 4+6 a
Et je vous ai tous les jours entendu : 4+6 a
Vous avez trop relevé ma naissance ; 4+6 a
390 Je vous dois trop ; c’est par vous que je pense. 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Croyez-moi, l’esprit ne s’apprend pas. 4+6 a
NANINE
Je pense trop pour un état si bas ; 4+6 a
Au dernier rang les destins m’ont comprise. 4+6 a
LE COMTE
Dans le premier vos vertus vous ont mise. 4+6 a
395 Naïvement dites-moi quel effet 4+6 a
Ce livre anglais sur votre esprit a fait ? 4+6 a
NANINE
Il ne m’a point du tout persuadée ; 4+6 a
Plus que jamais, monsieur, j’ai dans l’idée 4+6 a
Qu’il est des coeurs si grands, si généreux, 4+6 a
400 Que tout le reste est bien vil auprès d’eux. 4+6 a
LE COMTE
Vous en êtes la preuve… ah çà, Nanine, 6+4 a
Permettez-moi qu’ici l’on vous destine 4+6 a
Un sort, un rang moins indigne de vous. 4+6 a
NANINE
Hélas ! Mon sort était trop haut, trop doux. 4+6 a
LE COMTE
405 Non. Désormais soyez de la famille : 4+6 a
Ma mère arrive ; elle vous voit en fille ; 4+6 a
Et mon estime, et sa tendre amitié 4+6 a
Doivent ici vous mettre sur un pied 4+6 a
Fort éloigné de cette indigne gêne 4+6 a
410 Où vous tenait une femme hautaine. 4+6 a
NANINE
Elle n’a fait, hélas ! Que m’avertir 4+6 a
De mes devoirs… qu’ils sont durs à remplir ! 4+6 a
LE COMTE
Quoi ! Quel devoir ? Ah ! Le vôtre est de plaire ; 4+6 a
Il est rempli : le nôtre ne l’est guère. 4+6 a
415 Il vous fallait plus d’aisance et d’éclat : 4+6 a
Vous n’êtes pas encor dans votre état. 4+6 a
NANINE
J’en suis sortie, et c’est ce qui m’accable ; 4+6 a
C’est un malheur peut-être irréparable. 4+6 a
En se levant.
Ah ! Monseigneur ! Ah ! Mon maître ! écartez 4+6 a
420 De mon esprit toutes ces vanités ; 4+6 a
De vos bienfaits confuse, pénétrée, 4+6 a
Laissez-moi vivre à jamais ignorée. 4+6 a
Le ciel me fit pour un état obscur ; 4+6 a
L’humilité n’a pour moi rien de dur. 4+6 a
425 Ah ! Laissez-moi ma retraite profonde. 4+6 a
Eh ! Que ferais-je, et que verrais-je au monde, 4+6 a
Après avoir admiré vos vertus ? 4+6 a
LE COMTE
Non, c’en est trop, je n’y résiste plus. 4+6 a
Qui ? Vous, obscure ! Vous !
NANINE
Quoi que je fasse. 6+4 a
430 Puis-je de vous obtenir une grâce ? 4+6 a
LE COMTE
Qu’ordonnez-vous ? Parlez.
NANINE
Depuis un temps 4+6 a
Votre bonté me comble de présents. 4+6 a
LE COMTE
Eh bien ! Pardon. J’en agis comme un père, 4+6 a
Un père tendre à qui sa fille est chère. 4+6 a
435 Je n’ai point l’art d’embellir un présent ; 4+6 a
Et je suis juste, et ne suis point galant. 4+6 a
De la fortune il faut venger l’injure : 4+6 a
Elle vous traita mal : mais la nature, 6+4 a
En récompense, a voulu vous doter 4+6 a
440 De tous ses biens ; j’aurais dû l’imiter. 4+6 a
NANINE
Vous en avez trop fait ; mais je me flatte 4+6 a
Qu’il m’est permis, sans que je sois ingrate, 4+6 a
De disposer de ces dons précieux 4+6 a
Que votre main rend si chers à mes yeux. 4+6 a
LE COMTE
Vous m’outragez.
SCÈNE VIII
Le Comte, Nanine, Germon.
GERMON
445 Madame vous demande, 4+6 a
Madame attend.
LE COMTE
Eh ! Que madame attende. 4+6 a
Quoi ! L’on ne peut un moment vous parler, 4+6 a
Sans qu’aussitôt on vienne nous troubler ! 4+6 a
NANINE
Avec douleur, sans doute, je vous laisse ; 4+6 a
450 Mais vous savez qu’elle fut ma maîtresse. 4+6 a
LE COMTE
Non, non, jamais je ne veux le savoir. 4+6 a
NANINE
Elle conserve un reste de pouvoir. 4+6 a
LE COMTE
Elle n’en garde aucun, je vous assure. 4+6 a
Vous gémissez… quoi ! Votre coeur murmure ? 4+6 a
Qu’avez-vous donc ?
NANINE
455 Je vous quitte à regret ; 4+6 a
Mais il le faut… Ô ciel ! C’en est donc fait ! 4+6 a
Elle sort.
SCÈNE IX
Le Comte, Germon.
LE COMTE
Elle pleurait. D’une femme orgueilleuse 4+6 a
Depuis longtemps l’aigreur capricieuse 4+6 a
La fait gémir sous trop de dureté ; 4+6 a
460 Et de quel droit ? Par quelle autorité ? 4+6 a
Sur ces abus ma raison se récrie. 4+6 a
Ce monde-ci n’est qu’une loterie 4+6 a
De biens, de rangs, de dignités, de droits, 4+6 a
Brigués sans titre, et répandus sans choix. 4+6 a
Hé !
GERMON
Monseigneur.
LE COMTE
465 Demain sur sa toilette 4+6 a
Vous porterez cette somme complète 4+6 a
De trois cents louis d’or ; n’y manquez pas : 6+4 a
Puis vous irez chercher ces gens là-bas ; 4+6 a
Ils attendront.
GERMON
Madame la Baronne 4+6 a
470 Aura l’argent que monseigneur me donne, 4+6 a
Sur sa toilette.
LE COMTE
Eh ! L’esprit lourd ! Eh non ! 4+6 a
C’est pour Nanine, entendez-vous ?
GERMON
Pardon. 4+6 a
LE COMTE
Allez, allez, laissez-moi.
Germon sort.
Ma tendresse 4+6 a
Assurément n’est point une faiblesse. 4+6 a
475 Je l’idolâtre, il est vrai ; mais mon coeur 4+6 a
Dans ses yeux seuls n’a point pris son ardeur. 4+6 a
Son caractère est fait pour plaire au sage ; 4+6 a
Et sa belle âme a mon premier hommage : 4+6 a
Mais son état ? Elle est trop au-dessus ; 4+6 a
480 Fût-il plus bas, je l’en aimerais plus. 4+6 a
Mais puis-je enfin l’épouser ? Oui, sans doute. 4+6 a
Pour être heureux qu’est-ce donc qu’il en coûte ? 4+6 a
D’un monde vain dois-je craindre l’écueil, 4+6 a
Et de mon goût me priver par orgueil ? 4+6 a
485 Mais la coutume ? … eh bien ! Elle est cruelle ; 4+6 a
Et la nature eut ses droits avant elle. 4+6 a
Eh quoi ! Rival de Blaise ! Pourquoi non ? 4+6 a
Blaise est un homme ; il l’aime, il a raison. 4+6 a
Elle fera dans une paix profonde 4+6 a
490 Le bien d’un seul, et les désirs du monde. 4+6 a
Elle doit plaire aux jardiniers, aux rois ; 4+6 a
Et mon bonheur justifiera mon choix. 4+6 a
ACTE II
SCÈNE I
Le Comte, Marin.
LE COMTE
Ah ! Cette nuit est une année entière ! 4+6 a
Que le sommeil est loin de ma paupière ! 4+6 a
495 Tout dort ici ; Nanine dort en paix ; 4+6 a
Un doux repos rafraîchit ses attraits : 4+6 a
Et moi, je vais, je cours, je veux écrire, 4+6 a
Je n’écris rien ; vainement je veux lire, 4+6 a
Mon oeil troublé voit les mots sans les voir, 4+6 a
500 Et mon esprit ne les peut concevoir ; 4+6 a
Dans chaque mot le seul nom de Nanine 4+6 a
Est imprimé par une main divine. 4+6 a
Holà ! Quelqu’un ! Qu’on vienne. Quoi ! Mes gens 4+6 a
Sont-ils pas las de dormir si longtemps ? 4+6 a
Germon ! Marin !
MARIN derrière le théâtre.
J’accours.
LE COMTE
505 Quelle paresse ! 4+6 a
Eh ! Venez vite ; il fait jour ; le temps presse : 4+6 a
Arrivez donc.
MARIN
Eh ! Monsieur, quel lutin 4+6 a
Vous a sans nous éveillé si matin ? 4+6 a
LE COMTE
L’amour.
MARIN
Oh ! Oh ! La Baronne de L’Orme 4+6 a
510 Ne permet pas qu’en ce logis on dorme. 4+6 a
Qu’ordonnez-vous ?
LE COMTE
Je veux, mon cher Marin, 4+6 a
Je veux avoir, au plus tard pour demain, 4+6 a
Six chevaux neufs, un nouvel équipage, 4+6 a
Femme de chambre adroite, bonne, et sage ; 4+6 a
515 Valet de chambre avec deux grands laquais, 4+6 a
Point libertins, qui soient jeunes, bien faits ; 4+6 a
Des diamants, des boucles des plus belles, 4+6 a
Des bijoux d’or, des étoffes nouvelles. 4+6 a
Pars dans l’instant, cours en poste à Paris ; 4+6 a
Crève tous les chevaux.
MARIN
520 Vous voilà pris. 6+4 a
J’entends, j’entends ; madame la Baronne 4+6 a
Est la maîtresse aujourd’hui qu’on nous donne ; 4+6 a
Vous l’épousez ?
LE COMTE
Quel que soit mon projet, 4+6 a
Vole et reviens.
MARIN
Vous serez satisfait. 4+6 a
SCÈNE II
Le Comte, Germon.
LE COMTE
525 Quoi ! J’aurai donc cette douceur extrême 4+6 a
De rendre heureux, d’honorer ce que j’aime ! 4+6 a
Notre Baronne avec fureur criera ; 4+6 a
Très volontiers, et tant qu’elle voudra. 4+6 a
Les vains discours, le monde, la Baronne, 4+6 a
530 Rien ne m’émeut, et je ne crains personne ; 4+6 a
Aux préjugés c’est trop être soumis : 4+6 a
Il faut les vaincre, ils sont nos ennemis ; 4+6 a
Et ceux qui font les esprits raisonnables, 4+6 a
Plus vertueux, sont les seuls respectables. 4+6 a
535 Eh ! Mais… quel bruit entends-je dans ma cour ? 4+6 a
C’est un carrosse. Oui… mais… au point du jour 4+6 a
Qui peut venir ? … c’est ma mère, peut-être. 4+6 a
Germon…
GERMON, arrivant.
Monsieur.
LE COMTE
Vois ce que ce peut être. 4+6 a
GERMON
C’est un carrosse.
LE COMTE
Eh qui ? Par quel hasard ? 4+6 a
Qui vient ici ?
GERMON
540 L’on ne vient point ; l’on part. 4+6 a
LE COMTE
Comment ! On part ?
GERMON
Madame la Baronne 4+6 a
Sort tout à l’heure.
LE COMTE
Oh ! Je le lui pardonne ; 4+6 a
Que pour jamais puisse-t-elle sortir ! 4+6 a
GERMON
Avec Nanine elle est prête à partir. 4+6 a
LE COMTE
Ciel ! Que dis-tu ? Nanine ?
GERMON
545 La suivante 4+6 a
Le dit tout haut.
LE COMTE
Quoi donc ?
GERMON
Votre parente 4+6 a
Part avec elle ; elle va, ce matin, 4+6 a
Mettre Nanine à ce couvent voisin. 4+6 a
LE COMTE
Courons, volons. Mais quoi ! Que vais-je faire ? 4+6 a
550 Pour leur parler je suis trop en colère : 4+6 a
N’importe : allons. Quand je devrais… mais non : 4+6 a
On verrait trop toute ma passion. 4+6 a
Qu’on ferme tout, qu’on vole, qu’on l’arrête ; 4+6 a
Répondez-moi d’elle sur votre tête : 4+6 a
Amenez-moi Nanine.
Germon sort.
555 Ah ! Juste ciel ! 4+6 a
On l’enlevait. Quel jour ! Quel coup mortel ! 4+6 a
Qu’ai-je donc fait ? Pourquoi ? Par quel caprice ? 4+6 a
Par quelle ingrate et cruelle injustice ? 4+6 a
Qu’ai-je donc fait, hélas ! Que l’adorer, 4+6 a
560 Sans la contraindre, et sans me déclarer, 4+6 a
Sans alarmer sa timide innocence ? 4+6 a
Pourquoi me fuir ? Je m’y perds, plus j’y pense. 4+6 a
SCÈNE III
Le Comte, Nanine.
LE COMTE
Belle Nanine, est-ce vous que je vois ? 4+6 a
Quoi ! Vous voulez vous dérober à moi ! 4+6 a
565 Ah ! Répondez, expliquez-vous, de grâce. 4+6 a
Vous avez craint, sans doute, la menace 4+6 a
De la Baronne ; et ces purs sentiments, 4+6 a
Que vos vertus m’inspirent dès longtemps, 4+6 a
Plus que jamais l’auront, sans doute, aigrie. 4+6 a
570 Vous n’auriez point de vous-même eu l’envie 4+6 a
De nous quitter, d’arracher à ces lieux 4+6 a
Leur seul éclat que leur prêtaient vos yeux. 4+6 a
Hier au soir, de pleurs toute trempée, 4+6 a
De ce dessein étiez-vous occupée ? 4+6 a
575 Répondez donc. Pourquoi me quittiez-vous ? 4+6 a
NANINE
Vous me voyez tremblante à vos genoux. 4+6 a
LE COMTE, la relevant.
Ah ! Parlez-moi. Je tremble plus encore. 4+6 a
NANINE
Madame
LE COMTE
Eh bien ?
NANINE
Madame, que j’honore, 4+6 a
Pour le couvent n’a point forcé mes voeux. 4+6 a
LE COMTE
580 Ce serait vous ? Qu’entends-je ! Ah, malheureux ! 4+6 a
NANINE
Je vous l’avoue ; oui, je l’ai conjurée 4+6 a
De mettre un frein à mon âme égarée… 4+6 a
Elle voulait, monsieur, me marier. 4+6 a
LE COMTE
Elle ? à qui donc ?
NANINE
À votre jardinier. 4+6 a
LE COMTE
Le digne choix !
NANINE
585 Et moi, toute honteuse, 4+6 a
Plus qu’on ne croit peut-être malheureuse, 4+6 a
Moi qui repousse avec un vain effort 4+6 a
Des sentiments au-dessus de mon sort, 4+6 a
Que vos bontés avaient trop élevée, 4+6 a
590 Pour m’en punir, j’en dois être privée. 4+6 a
LE COMTE
Vous, vous punir ! Ah ! Nanine ! Et de quoi ? 4+6 a
NANINE
D’avoir osé soulever contre moi 4+6 a
Votre parente, autrefois ma maîtresse. 4+6 a
Je lui déplais ; mon seul aspect la blesse : 4+6 a
595 Elle a raison ; et j’ai près d’elle, hélas ! 4+6 a
Un tort bien grand… qui ne finira pas. 4+6 a
J’ai craint ce tort ; il est peut-être extrême. 4+6 a
J’ai prétendu m’arracher à moi-même, 4+6 a
Et déchirer dans les austérités 4+6 a
600 Ce coeur trop haut, trop fier de vos bontés, 4+6 a
Venger sur lui sa faute involontaire. 4+6 a
Mais ma douleur, hélas ! La plus amère, 4+6 a
En perdant tout, en courant m’éclipser, 4+6 a
En vous fuyant, fut de vous offenser. 4+6 a
LE COMTE, se détournant et se promenant.
605 Quels sentiments ! Et quelle âme ingénue ! 4+6 a
En ma faveur est-elle prévenue ? 4+6 a
A-t-elle craint de m’aimer ? ô vertu ! 4+6 a
NANINE
Cent fois pardon, si je vous ai déplu : 4+6 a
Mais permettez qu’au fond d’une retraite 4+6 a
610 J’aille cacher ma douleur inquiète, 4+6 a
M’entretenir en secret à jamais 4+6 a
De mes devoirs, de vous, de vos bienfaits. 4+6 a
LE COMTE
N’en parlons plus. écoutez : la Baronne 4+6 a
Vous favorise, et noblement vous donne 4+6 a
615 Un domestique, un rustre pour époux ; 4+6 a
Moi, j’en sais un moins indigne de vous : 4+6 a
Il est d’un rang fort au-dessus de Blaise, 4+6 a
Jeune, honnête homme ; il est fort à son aise : 4+6 a
Je vous réponds qu’il a des sentiments : 4+6 a
620 Son caractère est loin des moeurs du temps ; 4+6 a
Et je me trompe, ou pour vous j’envisage 4+6 a
Un destin doux, un excellent ménage. 4+6 a
Un tel parti flatte-t-il votre coeur ? 4+6 a
Vaut-il pas bien le couvent ?
NANINE
Non, monsieur… 4+6 a
625 Ce nouveau bien que vous daignez me faire, 4+6 a
Je l’avouerai, ne peut me satisfaire. 4+6 a
Vous pénétrez mon coeur reconnaissant : 4+6 a
Daignez y lire, et voyez ce qu’il sent ; 4+6 a
Voyez sur quoi ma retraite se fonde. 4+6 a
630 Un jardinier, un monarque du monde, 4+6 a
Qui pour époux s’offriraient à mes voeux, 4+6 a
Également me déplairaient tous deux. 4+6 a
LE COMTE
Vous décidez mon sort. Eh bien ! Nanine, 4+6 a
Connaissez donc celui qu’on vous destine : 4+6 a
635 Vous l’estimez ; il est sous votre loi ; 4+6 a
Il vous adore, et cet époux… c’est moi. 4+6 a
À part.
L’étonnement, le trouble l’a saisie. 4+6 a
À Nanine.
Ah ! Parlez-moi ; disposez de ma vie ; 4+6 a
Ah ! Reprenez vos sens trop agités. 4+6 a
NANINE
Qu’ai-je entendu ?
LE COMTE
640 Ce que vous méritez. 4+6 a
NANINE
Quoi ! Vous m’aimez ? Ah ! Gardez-vous de croire 4+6 a
Que j’ose user d’une telle victoire. 4+6 a
Non, monsieur, non, je ne souffrirai pas 4+6 a
Qu’ainsi pour moi vous descendiez si bas : 4+6 a
645 Un tel hymen est toujours trop funeste ; 4+6 a
Le goût se passe, et le repentir reste. 4+6 a
J’ose à vos pieds attester vos aïeux… 4+6 a
Hélas ! Sur moi ne jetez point les yeux. 4+6 a
Vous avez pris pitié de mon jeune âge ; 4+6 a
650 Formé par vous, ce coeur est votre ouvrage ; 4+6 a
Il en serait indigne désormais 4+6 a
S’il acceptait le plus grand des bienfaits. 4+6 a
Oui, je vous dois des refus. Oui, mon âme 4+6 a
Doit s’immoler.
LE COMTE
Non, vous serez ma femme. 4+6 a
655 Quoi ! Tout à l’heure ici vous m’assuriez, 4+6 a
Vous l’avez dit, que vous refuseriez 4+6 a
Tout autre époux, fût-ce un prince.
NANINE
Oui, sans doute ; 4+6 a
Et ce n’est pas ce refus qui me coûte. 4+6 a
LE COMTE
Mais me haïssez-vous ?
NANINE
Aurais-je fui, 6+4 a
660 Craindrais-je tant, si vous étiez haï ? 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Ce mot seul a fait ma destinée. 4+6 a
NANINE
Eh ! Que prétendez-vous ?
LE COMTE
Notre hyménée. 6+4 a
NANINE
Songez…
LE COMTE
Je songe à tout.
NANINE
Mais prévoyez… 4+6 a
LE COMTE
Tout est prévu…
NANINE
Si vous m’aimez, croyez… 4+6 a
LE COMTE
665 Je crois former le bonheur de ma vie. 4+6 a
NANINE
Vous oubliez…
LE COMTE
Il n’est rien que j’oublie. 4+6 a
Tout sera prêt, et tout est ordonné… 4+6 a
NANINE
Quoi ! Malgré moi votre amour obstiné… 4+6 a
LE COMTE
Oui, malgré vous, ma flamme impatiente 4+6 a
670 Va tout presser pour cette heure charmante. 4+6 a
Un seul instant je quitte vos attraits 4+6 a
Pour que mes yeux n’en soient privés jamais. 4+6 a
Adieu, Nanine, adieu, vous que j’adore. 4+6 a
SCÈNE IV
NANINE
Ciel, est-ce un rêve ? Et puis-je croire encore 4+6 a
675 Que je parvienne au comble du bonheur ? 4+6 a
Non, ce n’est pas l’excès d’un tel honneur, 4+6 a
Tout grand qu’il est, qui me plaît et me frappe ; 4+6 a
À mes regards tant de grandeur échappe : 4+6 a
Mais épouser ce mortel généreux, 4+6 a
680 Lui, cet objet de mes timides voeux, 4+6 a
Lui, que j’avais tant craint d’aimer, que j’aime, 4+6 a
Lui, qui m’élève au-dessus de moi-même ; 4+6 a
Je l’aime trop pour pouvoir l’avilir : 4+6 a
Je devrais… non, je ne puis plus le fuir ; 4+6 a
685 Non… mon état ne saurait se comprendre. 4+6 a
Moi, l’épouser ! Quel parti dois-je prendre ? 4+6 a
Le ciel pourra m’éclairer aujourd’hui ; 4+6 a
Dans ma faiblesse il m’envoie un appui. 4+6 a
Peut-être même… allons ; il faut écrire, 4+6 a
690 Il faut… par où commencer, et que dire ? 4+6 a
Quelle surprise ! écrivons promptement, 4+6 a
Avant d’oser prendre un engagement. 4+6 a
Elle se met à écrire.
SCÈNE V
Nanine, Blaise.
BLAISE
Ah ! La voici. Madame la Baronne 4+6 a
En ma faveur vous a parlé, mignonne. 4+6 a
695 Ouais, elle écrit sans me voir seulement. 4+6 a
NANINE, écrivant toujours.
Blaise, bonjour.
BLAISE
Bonjour est sec, vraiment. 4+6 a
NANINE, écrivant.
À chaque mot mon embarras redouble ; 4+6 a
Toute ma lettre est pleine de mon trouble. 4+6 a
BLAISE
Le grand génie ! Elle écrit tout courant ; 4+6 a
700 Qu’elle a d’esprit ! Et que n’en ai-je autant ! 4+6 a
çà, je disais…
NANINE
Eh bien ?
BLAISE
Elle m’impose 4+6 a
Par son maintien ; devant elle je n’ose 4+6 a
M’expliquer… là… tout comme je voudrais : 4+6 a
Je suis venu cependant tout exprès. 4+6 a
NANINE
705 Cher Blaise, il faut me rendre un grand service. 4+6 a
BLAISE
Oh ! Deux plutôt.
NANINE
Je te fais la justice 4+6 a
De me fier à ta discrétion, 4+6 a
À ton bon coeur.
BLAISE
Oh ! Parlez sans façon : 4+6 a
Car, vous voyez, Blaise est prêt à tout faire 4+6 a
710 Pour vous servir ; vite, point de mystère. 4+6 a
NANINE
Tu vas souvent au village prochain, 4+6 a
À Rémival, à droite du chemin ? 4+6 a
BLAISE
Oui.
NANINE
Pourrais-tu trouver dans ce village 4+6 a
Philippe Hombert ?
BLAISE
Non. Quel est ce visage ? 4+6 a
715 Philippe Hombert ? Je ne connais pas ça. 4+6 a
NANINE
Hier au soir je crois qu’il arriva ; 4+6 a
Informe-t’en. Tâche de lui remettre, 4+6 a
Mais sans délai, cet argent, cette lettre. 4+6 a
BLAISE
Oh ! De l’argent !
NANINE
Donne aussi ce paquet ; 4+6 a
720 Monte à cheval pour avoir plus tôt fait ; 4+6 a
Pars, et sois sûr de ma reconnaissance. 4+6 a
BLAISE
J’irais pour vous au fin fond de la France. 4+6 a
Philippe Hombert est un heureux manant ; 4+6 a
La bourse est pleine : ah ! Que d’argent comptant ! 4+6 a
Est-ce une dette ?
NANINE
725 Elle est très avérée ; 4+6 a
Il n’en est point, Blaise, de plus sacrée. 4+6 a
Écoute : Hombert est peut-être inconnu ; 4+6 a
Peut-être même il n’est pas revenu. 4+6 a
Mon cher ami, tu me rendras ma lettre, 4+6 a
730 Si tu ne peux en ses mains la remettre. 4+6 a
BLAISE
Mon cher ami !
NANINE
Je me fie à ta foi. 4+6 a
BLAISE
Son cher ami !
NANINE
Va, j’attends tout de toi. 4+6 a
SCÈNE VI
La Baronne, Blaise.
BLAISE
D’où diable vient cet argent ? Quel message ! 4+6 a
Il nous aurait aidé dans le ménage. 4+6 a
735 Allons, elle a pour nous de l’amitié ; 4+6 a
Et ça vaut mieux que de l’argent, morgué ! 4+6 a
Courons, courons.
Il met l’argent et le paquet dans sa poche ; il rencontre la Baronne, et la heurte.
LA BARONNE
Eh ! Le butor ! … arrête. 4+6 a
L’étourdi m’a pensé casser la tête. 4+6 a
BLAISE
Pardon, Madame.
LA BARONNE
Où vas-tu ? Que tiens-tu ? 4+6 a
740 Que fait Nanine ? As-tu rien entendu ? 4+6 a
Monsieur le Comte est-il bien en colère ? 4+6 a
Quel billet est-ce là ?
BLAISE
C’est un mystère. 6+4 a
Peste ! …
LA BARONNE
Voyons.
BLAISE
Nanine gronderait. 4+6 a
LA BARONNE
Comment dis-tu ? Nanine ! Elle pourrait 4+6 a
745 Avoir écrit, te charger d’un message ! 4+6 a
Donne, ou je romps soudain ton mariage : 4+6 a
Donne, te dis-je.
BLAISE, riant.
Ho, ho.
LA BARONNE
De quoi ris-tu ? 4+6 a
BLAISE, riant encore.
Ha, ha.
LA BARONNE
J’en veux savoir le contenu. 4+6 a
Elle décachette la lettre.
Il m’intéresse, ou je suis bien trompée. 4+6 a
BLAISE, riant encore.
750 Ha, ha, ha, ha, qu’elle est bien attrapée ! 4+6 a
Elle n’a là qu’un chiffon de papier ; 4+6 a
Moi, j’ai l’argent, et je m’en vais payer 4+6 a
Philippe Hombert : faut servir sa maîtresse. 4+6 a
Courons.
SCÈNE VII
LA BARONNE
Lisons. « Ma joie et ma tendresse 4+6 a
755 Sont sans mesure, ainsi que mon bonheur. 4+6 a
Vous arrivez : quel moment pour mon coeur ! 4+6 a
Quoi ! Je ne puis vous voir et vous entendre ! 4+6 a
Entre vos bras je ne puis me jeter ! 4+6 b
Je vous conjure au moins de vouloir prendre 4+6 a
760 Ces deux paquets : daignez les accepter. 4+6 b
Sachez qu’on m’offre un sort digne d’envie, 4+6 a
Et dont il est permis de s’éblouir : 4+6 b
Mais il n’est rien que je ne sacrifie 4+6 a
Au seul mortel que mon coeur doit chérir. » 4+6 b
765 Ouais. Voilà donc le style de Nanine ! 4+6 a
Comme elle écrit, l’innocente orpheline ! 4+6 a
Comme elle fait parler la passion ! 4+6 a
En vérité ce billet est bien bon. 4+6 a
Tout est parfait, je ne me sens pas d’aise. 4+6 a
770 Ah, ah, rusée, ainsi vous trompiez Blaise ! 4+6 a
Vous m’enleviez en secret mon amant. 4+6 a
Vous avez feint d’aller dans un couvent ; 4+6 a
Et tout l’argent que le Comte vous donne, 4+6 a
C’est pour Philippe Hombert ! Fort bien, friponne ; 4+6 a
775 J’en suis charmée, et le perfide amour 4+6 a
Du Comte Olban méritait bien ce tour. 4+6 a
Je m’en doutais que le coeur de Nanine 4+6 a
Était plus bas que sa basse origine. 4+6 a
SCÈNE VIII
Le Comte, La Baronne.
LA BARONNE
Venez, venez, homme à grands sentiments, 4+6 a
780 Homme au-dessus des préjugés du temps, 4+6 a
Sage amoureux, philosophe sensible ; 4+6 a
Vous allez voir un trait assez risible. 4+6 a
Vous connaissez sans doute à Rémival 4+6 a
Monsieur Philippe Hombert, votre rival ? 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Quels discours vous me tenez ?
LA BARONNE
785 Peut-être 4+6 a
Ce billet-là vous le fera connaître. 4+6 a
Je crois qu’Hombert est un fort beau garçon. 4+6 a
LE COMTE
Tous vos efforts ne sont plus de saison : 4+6 a
Mon parti pris, je suis inébranlable. 4+6 a
790 Contentez-vous du tour abominable 4+6 a
Que vous vouliez me jouer ce matin. 4+6 a
LA BARONNE
Ce nouveau tour est un peu plus malin. 4+6 a
Tenez, lisez. Ceci pourra vous plaire ; 4+6 a
Vous connaîtrez les moeurs, le caractère 4+6 a
795 Du digne objet qui vous a subjugué. 4+6 a
Tandis que le Comte lit.
Tout en lisant, il me semble intrigué. 4+6 a
Il a pâli ; l’affaire émeut sa bile… 4+6 a
Eh bien ! Monsieur, que pensez-vous du style ? 4+6 a
Il ne voit rien, ne dit rien, n’entend rien : 4+6 a
800 Oh ! Le pauvre homme ! Il le méritait bien. 4+6 a
LE COMTE
Ai-je bien lu ? Je demeure stupide. 4+6 a
Ô tour affreux ! Sexe ingrat, coeur perfide ! 4+6 a
LA BARONNE
Je le connais, il est né violent ; 4+6 a
Il est prompt, ferme ; il va dans un moment 4+6 a
Prendre un parti.
SCÈNE IX
Le Comte, La Baronne, Germon.
GERMON
805 Voici dans l’avenue 4+6 a
Madame Olban.
LA BARONNE
La vieille est revenue ? 4+6 a
GERMON
Madame votre mère, entendez-vous ? 6+4 a
Est près d’ici, monsieur.
LA BARONNE
Dans son courroux, 4+6 a
Il est devenu sourd. La lettre opère. 6+4 a
GERMON, criant.
Monsieur.
LE COMTE
Plaît-il ?
GERMON, haut.
810 Madame votre mère, 4+6 a
Monsieur.
LE COMTE
Que fait Nanine en ce moment ? 4+6 a
GERMON
Mais… elle écrit dans son appartement. 4+6 a
LE COMTE, d’un air froid et sec.
Allez saisir ses papiers, allez prendre 4+6 a
Ce qu’elle écrit ; vous viendrez me le rendre. 4+6 a
Qu’on la renvoie à l’instant.
GERMON
815 Qui, monsieur ? 4+6 a
LE COMTE
Nanine.
GERMON
Non, je n’aurais pas ce coeur ; 4+6 a
Si vous saviez à quel point sa personne 4+6 a
Nous charme tous ; comme elle est noble, bonne ! 4+6 a
LE COMTE
Obéissez, ou je vous chasse.
GERMON
Allons. 4+6 a
Il sort.
SCÈNE X
Le Comte, La Baronne.
LA BARONNE
820 Ah ! Je respire : enfin nous l’emportons ; 4+6 a
Vous devenez un homme raisonnable. 4+6 a
Ah çà, voyez s’il n’est pas véritable 4+6 a
Qu’on tient toujours de son premier état, 4+6 a
Et que les gens dans un certain éclat 4+6 a
825 Ont un coeur noble, ainsi que leur personne ? 4+6 a
Le sang fait tout, et la naissance donne 4+6 a
Des sentiments à Nanine inconnus. 4+6 a
LE COMTE
Je n’en crois rien ; mais soit, n’en parlons plus : 4+6 a
Réparons tout. Le plus sage, en sa vie, 4+6 a
830 A quelquefois ses accès de folie : 4+6 a
Chacun s’égare, et le moins imprudent 4+6 a
Est celui-là qui plus tôt se repent. 4+6 a
LA BARONNE
Oui.
LE COMTE
Pour jamais cessez de parler d’elle. 4+6 a
LA BARONNE
Très volontiers.
LE COMTE
Ce sujet de querelle 4+6 a
Doit s’oublier.
LA BARONNE
835 Mais vous, de vos serments 4+6 a
Souvenez-vous.
LE COMTE
Fort bien, je vous entends ; 4+6 a
Je les tiendrai.
LA BARONNE
Ce n’est qu’un prompt hommage 4+6 a
Qui peut ici réparer mon outrage. 4+6 a
Indignement notre hymen différé 4+6 a
Est un affront.
LE COMTE
840 Il sera réparé. 4+6 a
Madame, il faut…
LA BARONNE
Il ne faut qu’un notaire. 4+6 a
LE COMTE
Vous savez bien… que j’attendais ma mère. 4+6 a
LA BARONNE
Elle est ici.
SCÈNE XI
La Marquise, Le Comte, La Baronne.
LE COMTE, à sa mère
Madame, j’aurais dû… 4+6 a
À part.
Philippe Hombert ! …
À sa mère.
Vous m’avez prévenu ; 4+6 a
845 Et mon respect, mon zèle, ma tendresse… 4+6 a
À part.
Avec cet air innocent, la traîtresse ! 4+6 a
LA MARQUISE
Mais vous extravaguez, mon très cher fils. 6+4 a
On m’avait dit, en passant par Paris, 4+6 a
Que vous aviez la tête un peu frappée : 4+6 a
850 Je m’aperçois qu’on ne m’a pas trompée : 4+6 a
Mais ce mal-là…
LE COMTE
Ciel ! Que je suis confus ! 4+6 a
LA MARQUISE
Prend-il souvent ?
LE COMTE
Il ne me prendra plus. 4+6 a
LA MARQUISE
çà, je voudrais ici vous parler seule. 4+6 a
Faisant une petite révérence à la Baronne.
Bonjour, madame.
LA BARONNE, à part.
Hom ! La vieille bégueule ! 4+6 a
855 Madame, il faut vous laisser le plaisir 4+6 a
D’entretenir monsieur tout à loisir. 4+6 a
Je me retire.
Elle sort.
SCÈNE XII
La Marquise, Le Comte.
LA MARQUISE, parlant fort vite, et d’un ton de petite vieille babillarde.
Eh bien ! Monsieur le Comte, 4+6 a
Vous faites donc à la fin votre compte 4+6 a
De me donner la Baronne pour bru ; 4+6 a
860 C’est sur cela que j’ai vite accouru. 4+6 a
Votre Baronne est une acariâtre, 4+6 a
Impertinente, altière, opiniâtre, 4+6 a
Qui n’eut jamais pour moi le moindre égard ; 4+6 a
Qui l’an passé, chez la Marquise Agard, 4+6 a
865 En plein souper me traita de bavarde : 4+6 a
D’y plus souper désormais dieu me garde ! 4+6 a
Bavarde, moi ! Je sais d’ailleurs très bien 4+6 a
Qu’elle n’a pas, entre nous, tant de bien : 4+6 a
C’est un grand point ; il faut qu’on s’en informe ; 4+6 a
870 Car on m’a dit que son château de L’Orme 4+6 a
À son mari n’appartient qu’à moitié ; 4+6 a
Qu’un vieux procès, qui n’est pas oublié, 4+6 a
Lui disputait la moitié de la terre. 4+6 a
J’ai su cela de feu votre grand-père : 4+6 a
875 Il disait vrai, c’était un homme, lui ; 4+6 a
On n’en voit plus de sa trempe aujourd’hui. 4+6 a
Paris est plein de ces petits bouts d’homme, 4+6 a
Vains, fiers, fous, sots, dont le caquet m’assomme, 4+6 a
Parlant de tout avec l’air empressé, 4+6 a
880 Et se moquant toujours du temps passé. 4+6 a
J’entends parler de nouvelle cuisine, 4+6 a
De nouveaux goûts ; on crève, on se ruine : 4+6 a
Les femmes sont sans frein, et les maris 4+6 a
Sont des benêts. Tout va de pis en pis. 4+6 a
LE COMTE, relisant le billet.
885 Qui l’aurait cru ? Ce trait me désespère. 4+6 a
Eh bien, Germon ?
SCÈNE XIII
La Marquise, Le Comte, Germon.
GERMON
Voici Votre notaire. 4+6 a
LE COMTE
Oh ! Qu’il attende.
GERMON
Et voici le papier 4+6 a
Qu’elle devait, monsieur, vous envoyer. 4+6 a
LE COMTE, lisant.
Donne… fort bien. Elle m’aime, dit-elle, 4+6 a
890 Et, par respect, me refuse… infidèle ! 4+6 a
Tu ne dis pas la raison du refus ! 4+6 a
LA MARQUISE
Ma foi, mon fils a le cerveau perclus : 4+6 a
C’est sa Baronne ; et l’amour le domine. 4+6 a
LE COMTE, à Germon.
M’a-t-on bientôt délivré de Nanine ? 4+6 a
GERMON
895 Hélas ! Monsieur, elle a déjà repris 4+6 a
Modestement ses champêtres habits, 4+6 a
Sans dire un mot de plainte et de murmure. 4+6 a
LE COMTE
Je le crois bien.
GERMON
Elle a pris cette injure 4+6 a
Tranquillement, lorsque nous pleurons tous. 4+6 a
LE COMTE
Tranquillement ?
LA MARQUISE
900 Hem ! De qui parlez-vous ? 4+6 a
GERMON
Nanine, hélas ! Madame, que l’on chasse : 4+6 a
Tout le château pleure de sa disgrâce. 4+6 a
LA MARQUISE
Vous la chassez ? Je n’entends point cela. 4+6 a
Quoi ! Ma Nanine ? Allons, rappelez-la. 4+6 a
905 Qu’a-t-elle fait, ma charmante orpheline ? 4+6 a
C’est moi, mon fils, qui vous donnai Nanine. 4+6 a
Je me souviens qu’à l’âge de dix ans 4+6 a
Elle enchantait tout le monde céans. 4+6 a
Notre Baronne ici la prit pour elle ; 4+6 a
910 Et je prédis dès lors que cette belle 4+6 a
Serait fort mal ; et j’ai très bien prédit. 4+6 a
Mais j’eus toujours chez vous peu de crédit : 4+6 a
Vous prétendez tout faire à votre tête. 4+6 a
Chasser Nanine est un trait malhonnête. 4+6 a
LE COMTE
915 Quoi ! Seule, à pied, sans secours, sans argent ? 4+6 a
GERMON
Ah ! J’oubliais de dire qu’à l’instant 4+6 a
Un vieux bonhomme à vos gens se présente : 4+6 a
Il dit que c’est une affaire importante, 4+6 a
Qu’il ne saurait communiquer qu’à vous ; 4+6 a
920 Il veut, dit-il, se mettre à vos genoux. 4+6 a
LE COMTE
Dans le chagrin où mon coeur s’abandonne, 4+6 a
Suis-je en état de parler à personne ? 4+6 a
LA MARQUISE
Ah ! Vous avez du chagrin, je le crois ; 4+6 a
Vous m’en donnez aussi beaucoup à moi. 4+6 a
925 Chasser Nanine, et faire un mariage 4+6 a
Qui me déplaît ! Non, vous n’êtes pas sage. 4+6 a
Allez ; trois mois ne seront pas passés 4+6 a
Que vous serez l’un de l’autre lassés. 4+6 a
Je vous prédis la pareille aventure 4+6 a
930 Qu’à mon cousin le Marquis de Marmure. 4+6 a
Sa femme était aigre comme verjus ; 4+6 a
Mais, entre nous, la vôtre l’est bien plus. 4+6 a
En s’épousant, ils crurent qu’ils s’aimèrent ; 4+6 a
Deux mois après tous deux se séparèrent : 4+6 a
935 Madame alla vivre avec un galant, 4+6 a
Fat, petit-maître, escroc, extravagant ; 4+6 a
Et monsieur prit une franche coquette, 4+6 a
Une intrigante et friponne parfaite ; 4+6 a
Des soupers fins, la petite maison, 4+6 a
940 Chevaux, habits, maître d’hôtel fripon, 4+6 a
Bijoux nouveaux pris à crédit, notaires, 4+6 a
Contrats vendus, et dettes usuraires : 4+6 a
Enfin monsieur et madame, en deux ans, 4+6 a
À l’hôpital allèrent tout d’un temps. 4+6 a
945 Je me souviens encor d’une autre histoire, 4+6 a
Bien plus tragique, et difficile à croire ; 4+6 a
C’était…
LE COMTE
Ma mère, il faut aller dîner. 4+6 a
Venez… Ô ciel ! Ai-je pu soupçonner 4+6 a
Pareille horreur !
LA MARQUISE
Elle est épouvantable. 4+6 a
950 Allons, je vais la raconter à table ; 4+6 a
Et vous pourrez tirer un grand profit 4+6 a
En temps et lieu de tout ce que j’ai dit. 4+6 a
ACTE III
SCÈNE I
Nanine, vêtue en paysanne ; Germon.
GERMON
Nous pleurons tous en vous voyant sortir. 4+6 a
NANINE
J’ai tardé trop ; il est temps de partir. 4+6 a
GERMON
955 Quoi ! Pour jamais, et dans cet équipage ? 4+6 a
NANINE
L’obscurité fut mon premier partage. 4+6 a
GERMON
Quel changement ! Quoi ! Du matin au soir… 4+6 a
Souffrir n’est rien ; c’est tout que de déchoir. 4+6 a
NANINE
Il est des maux mille fois plus sensibles. 4+6 a
GERMON
960 J’admire encor des regrets si paisibles. 4+6 a
Certes, mon maître est bien malavisé ; 4+6 a
Notre Baronne a sans doute abusé 4+6 a
De son pouvoir, et vous fait cet outrage : 4+6 a
Jamais monsieur n’aurait eu ce courage. 4+6 a
NANINE
965 Je lui dois tout : il me chasse aujourd’hui ; 4+6 a
Obéissons. Ses bienfaits sont à lui ; 4+6 a
Il peut user du droit de les reprendre. 4+6 a
GERMON
À ce trait-là qui diable eût pu s’attendre ? 4+6 a
En cet état qu’allez-vous devenir ? 4+6 a
NANINE
970 Me retirer, longtemps me repentir. 4+6 a
GERMON
Que nous allons haïr notre Baronne ! 4+6 a
NANINE
Mes maux sont grands, mais je les lui pardonne. 4+6 a
GERMON
Mais que dirai-je au moins de votre part 4+6 a
À notre maître, après votre départ ? 4+6 a
NANINE
975 Vous lui direz que je le remercie 4+6 a
Qu’il m’ait rendue à ma première vie, 4+6 a
Et qu’à jamais sensible à ses bontés 4+6 a
Je n’oublierai… rien… que ses cruautés. 4+6 a
GERMON
Vous me fendez le coeur, et tout à l’heure 4+6 a
980 Je quitterais pour vous cette demeure ; 4+6 a
J’irais partout avec vous m’établir : 4+6 a
Mais Monsieur Blaise a su nous prévenir ; 4+6 a
Qu’il est heureux ! Avec vous il va vivre : 4+6 a
Chacun voudrait l’imiter, et vous suivre. 4+6 a
NANINE
985 On est bien loin de me suivre… ah ! Germon ! 4+6 a
Je suis chassée… et par qui ! …
GERMON
Le démon 4+6 a
A mis du sien dans cette brouillerie : 4+6 a
Nous vous perdons… et monsieur se marie. 4+6 a
NANINE
Il se marie ! … ah ! Partons de ce lieu ; 4+6 a
990 Il fut pour moi trop dangereux… adieu… 4+6 a
Elle sort.
GERMON
Monsieur le Comte a l’âme un peu bien dure : 4+6 a
Comment chasser pareille créature ! 4+6 a
Elle paraît une fille de bien : 4+6 a
Mais il ne faut pourtant jurer de rien. 4+6 a
SCÈNE II
Le Comte, Germon.
LE COMTE
995 Eh bien ! Nanine est donc enfin partie ! 4+6 a
GERMON
Oui, c’en est fait.
LE COMTE
J’en ai l’âme ravie. 4+6 a
GERMON
Votre âme est donc de fer ?
LE COMTE
Dans le chemin 4+6 a
Philippe Hombert lui donnait-il la main ? 4+6 a
GERMON
Qui ? Quel Philippe Hombert ? Hélas ! Nanine, 4+6 a
1000 Sans écuyer, fort tristement chemine, 4+6 a
Et de ma main ne veut pas seulement. 4+6 a
LE COMTE
Où donc va-t-elle ?
GERMON
Où ? Mais apparemment 4+6 a
Chez ses amis.
LE COMTE
À Rémival, sans doute ? 4+6 a
GERMON
Oui, je crois bien qu’elle prend cette route. 4+6 a
LE COMTE
1005 Va la conduire à ce couvent voisin, 4+6 a
Où la Baronne allait dès ce matin : 4+6 a
Mon dessein est qu’on la mette sur l’heure 4+6 a
Dans cette utile et décente demeure ; 4+6 a
Ces cent louis la feront recevoir. 4+6 a
1010 Va… garde-toi de laisser entrevoir 4+6 a
Que c’est un don que je veux bien lui faire ; 4+6 a
Dis-lui que c’est un présent de ma mère ; 4+6 a
Je te défends de prononcer mon nom. 4+6 a
GERMON
Fort bien ; je vais vous obéir.
Il fait quelques pas.
LE COMTE
Germon, 4+6 a
1015 À son départ tu dis que tu l’as vue ? 4+6 a
GERMON
Eh ! Oui, vous dis-je.
LE COMTE
Elle était abattue ? 4+6 a
Elle pleurait ?
GERMON
Elle faisait bien mieux, 4+6 a
Ses pleurs coulaient à peine de ses yeux ; 4+6 a
Elle voulait ne pas pleurer.
LE COMTE
A-t-elle 4+6 a
1020 Dit quelque mot qui marque, qui décèle 4+6 a
Ses sentiments ? As-tu remarqué…
GERMON
Quoi ? 4+6 a
LE COMTE
A-t-elle enfin, Germon, parlé de moi ? 4+6 a
GERMON
Oh ! Oui, beaucoup.
LE COMTE
Eh bien ! Dis-moi donc, traître ! 4+6 a
Qu’a-t-elle dit ?
GERMON
Que vous êtes son maître ; 4+6 a
1025 Que vous avez des vertus, des bontés… 4+6 a
Qu’elle oubliera tout… hors vos cruautés. 4+6 a
LE COMTE
Va… mais surtout garde qu’elle revienne. 4+6 a
Germon sort.
Germon !
GERMON
Monsieur.
LE COMTE
Un mot ; qu’il te souvienne, 4+6 a
Si par hasard, quand tu la conduiras, 4+6 a
1030 Certain Hombert venait suivre ses pas, 4+6 a
De le chasser de la belle manière. 4+6 a
GERMON
Oui, poliment, à grands coups d’étrivière : 4+6 a
Comptez sur moi ; je sers fidèlement. 4+6 a
Le jeune Hombert, dites-vous ?
LE COMTE
Justement. 4+6 a
GERMON
1035 Bon ! Je n’ai pas l’honneur de le connaître ; 4+6 a
Mais le premier que je verrai paraître 4+6 a
Sera rossé de la bonne façon ; 4+6 a
Et puis après il me dira son nom. 4+6 a
Il fait un pas et revient.
Ce jeune Hombert est quelque amant, je gage, 4+6 a
1040 Un beau garçon, le coq de son village. 4+6 a
Laissez-moi faire.
LE COMTE
Obéis promptement. 4+6 a
GERMON
Je me doutais qu’elle avait quelque amant ; 4+6 a
Et Blaise aussi lui tient au coeur peut-être. 4+6 a
On aime mieux son égal que son maître. 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Cours, te dis-je.
SCÈNE III
LE COMTE
1045 Hélas ! Il a raison ; 4+6 a
Il prononçait ma condamnation ; 4+6 a
Et moi, du coup qui m’a pénétré l’âme 4+6 a
Je me punis ; la Baronne est ma femme ; 4+6 a
Il le faut bien, le sort en est jeté. 4+6 a
1050 Je souffrirai, je l’ai bien mérité. 4+6 a
Ce mariage est au moins convenable. 4+6 a
Notre Baronne a l’humeur peu traitable ; 4+6 a
Mais, quand on veut, on sait donner la loi : 4+6 a
Un esprit ferme est le maître chez soi. 4+6 a
SCÈNE IV
Le Comte, La Baronne, La Marquise.
LA MARQUISE
1055 Or çà, mon fils, vous épousez madame ? 4+6 a
LE COMTE
Eh ! Oui.
LA MARQUISE
Ce soir elle est donc votre femme ? 4+6 a
Elle est ma bru ?
LA BARONNE
Si vous le trouvez bon : 4+6 a
J’aurai, je crois, votre approbation. 4+6 a
LA MARQUISE
Allons, allons, il faut bien y souscrire ; 4+6 a
1060 Mais dès demain chez moi je me retire. 4+6 a
LE COMTE
Vous retirer ! Eh ! Ma mère, pourquoi ? 4+6 a
LA MARQUISE
J’emmènerai ma Nanine avec moi, 4+6 a
Vous la chassez, et moi, je la marie ; 4+6 a
Je fais la noce en mon château de Brie, 4+6 a
1065 Et je la donne au jeune sénéchal, 4+6 a
Propre neveu du procureur fiscal, 4+6 a
Jean Roc Souci ; c’est lui de qui le père 4+6 a
Eut à Corbeil cette plaisante affaire. 4+6 a
De cet enfant je ne puis me passer ; 4+6 a
1070 C’est un bijou que je veux enchâsser. 4+6 a
Je vais la marier… adieu.
LE COMTE
Ma mère, 6+4 a
Ne soyez pas contre nous en colère ; 4+6 a
Laissez Nanine aller dans le couvent ; 4+6 a
Ne changez rien à notre arrangement. 4+6 a
LA BARONNE
1075 Oui, croyez-nous, madame, une famille 4+6 a
Ne se doit point charger de telle fille. 4+6 a
LA MARQUISE
Comment ? Quoi donc ?
LA BARONNE
Peu de chose.
LA MARQUISE
Mais…
LA BARONNE
Rien. 4+6 a
LA MARQUISE
Rien, c’est beaucoup. J’entends, j’entends fort bien. 4+6 a
Aurait-elle eu quelque tendre folie ? 4+6 a
1080 Cela se peut, car elle est si jolie ! 4+6 a
Je m’y connais ; on tente, on est tenté : 4+6 a
Le coeur a bien de la fragilité ; 4+6 a
Les filles sont toujours un peu coquettes : 4+6 a
Le mal n’est pas si grand que vous le faites. 4+6 a
1085 çà, contez-moi sans nul déguisement 4+6 a
Tout ce qu’a fait notre charmante enfant. 4+6 a
LE COMTE
Moi, vous conter ?
LA MARQUISE
Vous avez bien la mine 4+6 a
D’avoir au fond quelque goût pour Nanine ; 4+6 a
Et vous pourriez…
SCÈNE V
Le Comte, La Marquise, La Baronne ; Marin, en bottes.
MARIN
Enfin tout est bâclé, 4+6 a
Tout est fini.
LA MARQUISE
Quoi ?
LA BARONNE
Qu’est-ce ?
MARIN
1090 J’ai parlé 4+6 a
À nos marchands ; j’ai bien fait mon message ; 4+6 a
Et vous aurez demain tout l’équipage. 4+6 a
LA BARONNE
Quel équipage ?
MARIN
Oui, tout ce que pour vous 4+6 a
A commandé votre futur époux ; 4+6 a
1095 Six beaux chevaux : et vous serez contente 4+6 a
De la berline ; elle est bonne, brillante ; 4+6 a
Tous les panneaux par Martin sont vernis ; 4+6 a
Les diamants sont beaux, très bien choisis ; 4+6 a
Et vous verrez des étoffes nouvelles 4+6 a
1100 D’un goût charmant… Oh ! Rien n’approche d’elles. 4+6 a
LA BARONNE, au Comte.
Vous avez donc commandé tout cela ? 4+6 a
LE COMTE
À part.
Oui… mais pour qui !
MARIN
Le tout arrivera 4+6 a
Demain matin dans ce nouveau carrosse, 4+6 a
Et sera prêt le soir pour votre noce. 4+6 a
1105 Vive Paris pour avoir sur-le-champ 4+6 a
Tout ce qu’on veut, quand on a de l’argent ! 4+6 a
En revenant, j’ai revu le notaire, 4+6 a
Tout près d’ici, griffonnant votre affaire. 4+6 a
LA BARONNE
Ce mariage a traîné bien longtemps. 4+6 a
LA MARQUISE, à part.
1110 Ah ! Je voudrais qu’il traînât quarante ans. 4+6 a
MARIN
Dans ce salon j’ai trouvé tout à l’heure 4+6 a
Un bon vieillard, qui gémit et qui pleure ; 4+6 a
Depuis longtemps il voudrait vous parler. 4+6 a
LA BARONNE
Quel importun ! Qu’on le fasse en aller ; 4+6 a
Il prend trop mal son temps.
LA MARQUISE
1115 Pourquoi, madame ? 4+6 a
Mon fils, ayez un peu de bonté d’âme, 4+6 a
Et, croyez-moi, c’est un mal des plus grands 4+6 a
De rebuter ainsi les pauvres gens : 4+6 a
Je vous ai dit cent fois dans votre enfance 4+6 a
1120 Qu’il faut pour eux avoir de l’indulgence, 4+6 a
Les écouter d’un air affable, doux. 4+6 a
Ne sont-ils pas hommes tout comme nous ? 4+6 a
On ne sait pas à qui l’on fait injure ; 4+6 a
On se repent d’avoir eu l’âme dure. 4+6 a
1125 Les orgueilleux ne prospèrent jamais. 4+6 a
À Marin.
Allez chercher ce bonhomme.
MARIN
J’y vais. 4+6 a
Il sort.
LE COMTE
Pardon, ma mère : il a fallu vous rendre 4+6 a
Mes premiers soins ; et je suis prêt d’entendre 4+6 a
Cet homme-là, malgré mon embarras. 4+6 a
SCÈNE VI
Le Comte, La Marquise, La Baronne, Le Paysan.
LA MARQUISE, au paysan.
1130 Approchez-vous, parlez, ne tremblez pas. 4+6 a
LE PAYSAN
Ah ! Monseigneur ! écoutez-moi de grâce : 4+6 a
Je suis… je tombe à vos pieds que j’embrasse ; 4+6 a
Je viens vous rendre
LE COMTE
Ami, relevez-vous : 4+6 a
Je ne veux point qu’on me parle à genoux ; 4+6 a
1135 D’un tel orgueil je suis trop incapable. 4+6 a
Vous avez l’air d’être un homme estimable. 4+6 a
Dans ma maison cherchez-vous de l’emploi ? 4+6 a
À qui parlé-je ?
LA MARQUISE
Allons, rassure-toi. 4+6 a
LE PAYSAN
Je suis, hélas ! Le père de Nanine. 4+6 a
LE COMTE
Vous ?
LA BARONNE
1140 Ta fille est une grande coquine. 4+6 a
LE PAYSAN
Ah ! Monseigneur, voilà ce que j’ai craint ; 4+6 a
Voilà le coup dont mon coeur est atteint : 4+6 a
J’ai bien pensé qu’une somme si forte 4+6 a
N’appartient pas à des gens de sa sorte ; 4+6 a
1145 Et les petits perdent bientôt leurs moeurs, 4+6 a
Et sont gâtés auprès des grands seigneurs. 4+6 a
LA BARONNE
Il a raison : mais il trompe, et Nanine 4+6 a
N’est point sa fille ; elle était orpheline. 4+6 a
LE PAYSAN
Il est trop vrai : chez de pauvres parents 4+6 a
1150 Je la laissai dès ses plus jeunes ans ; 4+6 a
Ayant perdu mon bien avec sa mère, 4+6 a
J’allai servir, forcé par la misère, 4+6 a
Ne voulant pas, dans mon funeste état, 4+6 a
Qu’elle passât pour fille d’un soldat, 4+6 a
1155 Lui défendant de me nommer son père. 4+6 a
LA MARQUISE
Pourquoi cela ? Pour moi, je considère 4+6 a
Les bons soldats ; on a grand besoin d’eux. 4+6 a
LE COMTE
Qu’a ce métier, s’il vous plaît, de honteux ? 4+6 a
LE PAYSAN
Il est bien moins honoré qu’honorable. 4+6 a
LE COMTE
1160 Ce préjugé fut toujours condamnable. 4+6 a
J’estime plus un vertueux soldat, 4+6 a
Qui de son sang sert son prince et l’état, 4+6 a
Qu’un important, que sa lâche industrie 4+6 a
Engraisse en paix du sang de la patrie. 4+6 a
LA MARQUISE
1165 çà, vous avez vu beaucoup de combats ; 4+6 a
Contez-les-moi bien tous, n’y manquez pas. 4+6 a
LE PAYSAN
Dans la douleur, hélas ! Qui me déchire, 4+6 a
Permettez-moi seulement de vous dire 4+6 a
Qu’on me promit cent fois de m’avancer : 4+6 a
1170 Mais, sans appui, comment peut-on percer ? 4+6 a
Toujours jeté dans la foule commune, 4+6 a
Mais distingué, l’honneur fut ma fortune. 4+6 a
LA MARQUISE
Vous êtes donc né de condition ? 4+6 a
LA BARONNE
Fi ! Quelle idée !
LE PAYSAN, à la Marquise.
Hélas ! Madame, non ; 4+6 a
1175 Mais je suis né d’une honnête famille : 4+6 a
Je méritais peut-être une autre fille. 4+6 a
Que vouliez-vous de mieux ?
LE COMTE
Eh ! Poursuivez. 4+6 a
LA MARQUISE
Mieux que Nanine ?
LE COMTE
Ah ! De grâce, achevez. 4+6 a
LE PAYSAN
J’appris qu’ici ma fille fut nourrie, 4+6 a
1180 Qu’elle y vivait bien traitée et chérie. 4+6 a
Heureux alors, et bénissant le ciel, 4+6 a
Vous, vos bontés, votre soin paternel, 4+6 a
Je suis venu dans le prochain village, 4+6 a
Mais plein de trouble et craignant son jeune âge, 4+6 a
1185 Tremblant encor, lorsque j’ai tout perdu, 4+6 a
De retrouver le bien qui m’est rendu. 4+6 a
Montrant la Baronne.
Je viens d’entendre, au discours de madame, 4+6 a
Que j’eus raison : elle m’a percé l’âme ; 4+6 a
Je vois fort bien que ces cent louis d’or, 4+6 a
1190 Des diamants, sont un trop grand trésor 4+6 a
Pour les tenir par un droit légitime ; 4+6 a
Elle ne peut les avoir eus sans crime. 4+6 a
Ce seul soupçon me fait frémir d’horreur, 4+6 a
Et j’en mourrai de honte et de douleur. 4+6 a
1195 Je suis venu soudain pour vous les rendre : 4+6 a
Ils sont à vous ; vous devez les reprendre, 4+6 a
Et si ma fille est criminelle, hélas ! 4+6 a
Punissez-moi, mais ne la perdez pas. 4+6 a
LA MARQUISE
Ah ! Mon cher fils ! Je suis tout attendrie. 4+6 a
LA BARONNE
1200 Ouais, est-ce un songe ? Est-ce une fourberie ? 4+6 a
LE COMTE
Ah ! Qu’ai-je fait ?
LE PAYSAN, tirant la bourse et le paquet.
Tenez, monsieur, tenez. 4+6 a
LE COMTE
Moi, les reprendre ! Ils ont été donnés ; 4+6 a
Elle en a fait un respectable usage. 4+6 a
C’est donc à vous qu’on a fait le message ? 4+6 a
Qui l’a porté ?
LE PAYSAN
1205 C’est votre jardinier, 4+6 a
À qui Nanine osa se confier. 4+6 a
LE COMTE
Quoi ! C’est à vous que le présent s’adresse ? 4+6 a
LE PAYSAN
Oui, je l’avoue.
LE COMTE
Ô douleur ! Ô tendresse ! 4+6 a
Des deux côtés quel excès de vertu ! 4+6 a
1210 Et votre nom ? … je demeure éperdu. 4+6 a
LA MARQUISE
Eh ! Dites donc votre nom ? Quel mystère ! 4+6 a
Philippe Hombert De Gatine.
LE COMTE
Ah ! Mon père ! 4+6 a
LA BARONNE
Que dit-il là ?
LE COMTE
Quel jour vient m’éclairer ! 4+6 a
J’ai fait un crime ; il le faut réparer. 4+6 a
1215 Si vous saviez combien je suis coupable ! 4+6 a
J’ai maltraité la vertu respectable. 4+6 a
Il va lui-même à un de ses gens.
Holà, courez.
LA BARONNE
Eh ! Quel empressement ! 4+6 a
LE COMTE
Vite un carrosse.
LA MARQUISE
Oui, madame, à l’instant : 4+6 a
Vous devriez être sa protectrice. 4+6 a
1220 Quand on a fait une telle injustice, 4+6 a
Sachez de moi que l’on ne doit rougir 4+6 a
Que de ne pas assez se repentir. 4+6 a
Monsieur mon fils a souvent des lubies 4+6 a
Que l’on prendrait pour de franches folies : 4+6 a
1225 Mais dans le fond c’est un coeur généreux ; 4+6 a
Il est né bon ; j’en fais ce que je veux. 4+6 a
Vous n’êtes pas, ma bru, si bienfaisante ; 4+6 a
Il s’en faut bien.
LA BARONNE
Que tout m’impatiente ! 4+6 a
Qu’il a l’air sombre, embarrassé, rêveur ! 4+6 a
1230 Quel sentiment étrange est dans son coeur ? 4+6 a
Voyez, monsieur, ce que vous voulez faire. 4+6 a
LA MARQUISE
Oui, pour Nanine.
LA BARONNE
On peut la satisfaire 4+6 a
Par des présents.
LA MARQUISE
C’est le moindre devoir. 4+6 a
LA BARONNE
Mais moi, jamais je ne veux la revoir ; 4+6 a
1235 Que du château jamais elle n’approche : 4+6 a
Entendez-vous ?
LE COMTE
J’entends.
LA MARQUISE
Quel coeur de roche ! 4+6 a
LA BARONNE
De mes soupçons évitez les éclats : 4+6 a
Vous hésitez ?
LE COMTE, après un silence.
Non, je n’hésite pas. 4+6 a
LA BARONNE
Je dois m’attendre à cette déférence ; 4+6 a
1240 Vous la devez à tous les deux, je pense. 4+6 a
LA MARQUISE
Seriez-vous bien assez cruel, mon fils ? 4+6 a
LA BARONNE
Quel parti prendrez-vous ?
LE COMTE
Il est tout pris. 6+4 a
Vous connaissez mon âme et sa franchise : 4+6 a
Il faut parler. Ma main vous fut promise ; 4+6 a
1245 Mais nous n’avions voulu former ces noeuds 4+6 a
Que pour finir un procès dangereux : 4+6 a
Je le termine ; et, dès l’instant, je donne, 4+6 a
Sans nul regret, sans détour j’abandonne 4+6 a
Mes droits entiers, et les prétentions 4+6 a
1250 Dont il naquit tant de divisions : 4+6 a
Que l’intérêt encor vous en revienne : 4+6 a
Tout est à vous ; jouissez-en sans peine. 4+6 a
Que la raison fasse du moins de nous 4+6 a
Deux bons parents, ne pouvant être époux. 4+6 a
1255 Oublions tout ; que rien ne nous aigrisse. 4+6 a
Pour n’aimer pas, faut-il qu’on se haïsse ? 4+6 a
LA BARONNE
Je m’attendais à ton manque de foi. 4+6 a
Va, je renonce à tes présents, à toi. 4+6 a
Traître ! Je vois avec qui tu vas vivre, 4+6 a
1260 À quel mépris ta passion te livre. 4+6 a
Sers noblement sous les plus viles lois ; 4+6 a
Je t’abandonne à ton indigne choix. 4+6 a
Elle sort.
SCÈNE VII
Le Comte, La Marquise, Philippe Hombert.
LE COMTE
Non, il n’est point indigne ; non, madame, 4+6 a
Un fol amour n’aveugla point mon âme : 4+6 a
1265 Cette vertu, qu’il faut récompenser, 4+6 a
Doit m’attendrir, et ne peut m’abaisser. 4+6 a
Dans ce vieillard, ce qu’on nomme bassesse 4+6 a
Fait son mérite ; et voilà sa noblesse. 4+6 a
La mienne à moi, c’est d’en payer le prix. 4+6 a
1270 C’est pour des coeurs par eux-même ennoblis. 4+6 a
Et distingués par ce grand caractère, 4+6 a
Qu’il faut passer sur la règle ordinaire : 4+6 a
Et leur naissance, avec tant de vertus, 4+6 a
Dans ma maison n’est qu’un titre de plus. 4+6 a
LA MARQUISE
1275 Quoi donc ? Quel titre ? Et que voulez-vous dire ? 4+6 a
SCÈNE VIII
Le Comte, La Marquise, Nanine, Philippe Hombert.
LE COMTE, à sa mère.
Son seul aspect devrait vous en instruire. 4+6 a
LA MARQUISE
Embrasse-moi cent fois, ma chère enfant. 4+6 a
Elle est vêtue un peu mesquinement ; 4+6 a
Mais qu’elle est belle ! Et comme elle a l’air sage ! 4+6 a
NANINE, courant entre les bras de Philippe Hombert,
après s’être baissée devant la Marquise.
1280 Ah ! La nature a mon premier hommage. 4+6 a
Mon père !
PHILIPPE HOMBERT
Ô ciel ! Ô ma fille ! Ah, monsieur ! 4+6 a
Vous réparez quarante ans de malheur. 4+6 a
LE COMTE
Oui ; mais comment faut-il que je répare 4+6 a
L’indigne affront qu’un mérite si rare 4+6 a
1285 Dans ma maison put de moi recevoir ? 4+6 a
Sous quel habit revient-elle nous voir ! 4+6 a
Il est trop vil ; mais elle le décore. 4+6 a
Non, il n’est rien que sa vertu n’honore. 4+6 a
Eh bien ! Parlez : auriez-vous la bonté 4+6 a
1290 De pardonner à tant de dureté ? 4+6 a
NANINE
Que me demandez-vous ? Ah ! Je m’étonne 6+4 a
Que vous doutiez si mon coeur vous pardonne. 4+6 a
Je n’ai pas cru que vous pussiez jamais 4+6 a
Avoir eu tort après tant de bienfaits. 4+6 a
LE COMTE
1295 Si vous avez oublié cet outrage, 4+6 a
Donnez-m’en donc le plus sûr témoignage : 4+6 a
Je ne veux plus commander qu’une fois ; 4+6 a
Mais jurez-moi d’obéir à mes lois. 4+6 a
PHILIPPE HOMBERT
Elle le doit, et sa reconnaissance… 4+6 a
NANINE, à son père.
1300 Il est bien sûr de mon obéissance. 4+6 a
LE COMTE
J’ose y compter. Oui, je vous avertis 4+6 a
Que vos devoirs ne sont pas tous remplis. 4+6 a
Je vous ai vue aux genoux de ma mère ; 4+6 a
Je vous ai vue embrasser votre père ; 4+6 a
1305 Ce qui vous reste en des moments si doux… 4+6 a
C’est… à leurs yeux… d’embrasser… votre époux. 4+6 a
NANINE
Moi !
LA MARQUISE
Quelle idée ! Est-il bien vrai ?
PHILIPPE HOMBERT
Ma fille ! 4+6 a
LE COMTE, à sa mère.
Le daignez-vous permettre ?
LA MARQUISE
La famille 4+6 a
Étrangement, mon fils, clabaudera. 4+6 a
LE COMTE
1310 En la voyant, elle l’approuvera. 4+6 a
PHILIPPE HOMBERT
Quel coup du sort ! Non, je ne puis comprendre 4+6 a
Que jusque-là vous prétendiez descendre. 4+6 a
LE COMTE
On m’a promis d’obéir… je le veux. 4+6 a
LA MARQUISE
Mon fils…
LE COMTE
Ma mère, il s’agit d’être heureux. 4+6 a
1315 L’intérêt seul a fait cent mariages. 4+6 a
Nous avons vu les hommes les plus sages 4+6 a
Ne consulter que les moeurs et le bien : 4+6 a
Elle a les moeurs, il ne lui manque rien ; 4+6 a
Et je ferai par goût et par justice 4+6 a
1320 Ce qu’on a fait cent fois par avarice. 4+6 a
Ma mère, enfin, terminez ces combats, 4+6 a
Et consentez.
NANINE
Non, n’y consentez pas ; 4+6 a
Opposez-vous à sa flamme… à la mienne ; 4+6 a
Voilà de vous ce qu’il faut que j’obtienne. 4+6 a
1325 L’amour l’aveugle ; il le faut éclairer. 4+6 a
Ah ! Loin de lui, laissez-moi l’adorer. 4+6 a
Voyez mon sort, voyez ce qu’est mon père : 4+6 a
Puis-je jamais vous appeler ma mère ? 4+6 a
LA MARQUISE
Oui, tu le peux, tu le dois ; c’en est fait : 4+6 a
1330 Je ne tiens pas contre ce dernier trait ; 4+6 a
Il nous dit trop combien il faut qu’on t’aime ; 4+6 a
Il est unique aussi bien que toi-même. 4+6 a
NANINE
J’obéis donc à votre ordre, à l’amour ; 4+6 a
Mon coeur ne peut résister.
LA MARQUISE
Que ce jour 4+6 a
1335 Soit des vertus la digne récompense, 4+6 a
Mais sans tirer jamais à conséquence. 4+6 a
mètre profil métrique : 4=6
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