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VOL016/VOL016
VOLTAIRE
(François-Marie Arouet)
1743
La Mort de César
Tragédie en trois actes
PERSONNAGES
JULES CÉSAR dictateur
MARC-ANTOINE consul
JUNIUS BRUTUS préteur
CASSIUS sénateur
CIMBER sénateur
DÉCIME sénateur
DOLABELLA sénateur
CASCA sénateur
CINNA sénateur
LES ROMAINS
LICTEURS
ACTE I
SCÈNE I
ANTOINE
César, tu vas régner ; voici le jour auguste 6+6 a
Où le peuple romain, pour toi toujours injuste, 6+6 a
Changé par tes vertus, va reconnaître en toi 6+6 b
Son vainqueur, son appui, son vengeur, et son roi. 6+6 b
5 Antoine, tu le sais, ne connaît point l'envie : 6+6 a
J'ai chéri plus que toi la gloire de ta vie ; 6+6 a
J'ai préparé la chaîne où tu mets les Romains, 6+6 b
Content d'être sous toi le second des humains ; 6+6 b
Plus fier de t'attacher ce nouveau diadème, 6+6 a
10 Plus grand de te servir que de régner moi-même. 6+6 a
Quoi ! Tu ne me réponds que par de longs soupirs ! 6+6 b
Ta grandeur fait ma joie et fait tes déplaisirs ! 6+6 b
Roi de Rome et du monde, est-ce à toi de te plaindre ? 6+6 a
César peut-il gémir, ou César peut-il craindre ? 6+6 a
15 Qui peut à ta grande âme inspirer la terreur ? 6+6 b
CÉSAR
L'amitié, cher Antoine : il faut t'ouvrir mon coeur. 6+6 b
Tu sais que je te quitte, et le destin m'ordonne 6+6 a
De porter nos drapeaux aux champs de Babylone. 6+6 a
Je pars, et vais venger sur le Parthe inhumain 6+6 b
20 La honte de Crassus et du peuple romain. 6+6 b
L'aigle des légions, que je retiens encore, 6+6 a
Demande à s'envoler vers les mers du Bosphore ; 6+6 a
Et mes braves soldats n'attendent pour signal 6+6 b
Que de revoir mon front ceint du bandeau royal. 6+6 b
25 Peut-être avec raison César peut entreprendre 6+6 a
D'attaquer un pays qu'a soumis Alexandre ; 6+6 a
Peut-être les Gaulois, Pompée, et les Romains, 6+6 b
Valent bien les Persans subjugués par ses mains : 6+6 b
J'ose au moins le penser ; et ton ami se flatte 6+6 a
30 Que le vainqueur du Rhin peut l'être de l'Euphrate. 6+6 a
Mais cet espoir m'anime et ne m'aveugle pas ; 6+6 b
Le sort peut se lasser de marcher sur mes pas ; 6+6 b
La plus haute sagesse en est souvent trompée : 6+6 a
Il peut quitter César, ayant trahi Pompée ; 6+6 a
35 Et, dans les factions comme dans les combats, 6+6 b
Du triomphe à la chute il n'est souvent qu'un pas. 6+6 b
J'ai servi, commandé, vaincu, quarante années ; 6+6 a
Du monde entre mes mains j'ai vu les destinées ; 6+6 a
Et j'ai toujours connu qu'en chaque événement 6+6 b
40 Le destin des États dépendait d'un moment. 6+6 b
Quoi qu'il puisse arriver, mon coeur n'a rien à craindre, 6+6 a
Je vaincrai sans orgueil, ou mourrai sans me plaindre. 6+6 a
Mais j'exige en partant, de ta tendre amitié, 6+6 b
Qu'Antoine à mes enfants soit pour jamais lié ; 6+6 b
45 Que Rome par mes mains défendue et conquise, 6+6 a
Que la terre à mes fils, comme à toi, soit soumise ; 6+6 a
Et qu'emportant d'ici le grand titre de roi, 6+6 b
Mon sang et mon ami le prennent après moi. 6+6 b
Je te laisse aujourd'hui ma volonté dernière ; 6+6 a
50 Antoine, à mes enfants il faut servir de père. 6+6 a
Je ne veux point de toi demander des serments, 6+6 b
De la foi des humains sacrés et vains garants ; 6+6 b
Ta promesse suffit, et je la crois plus pure 6+6 a
Que les autels des dieux entourés du parjure. 6+6 a
ANTOINE
55 C'est déjà pour Antoine une assez dure loi 6+6 b
Que tu cherches la guerre et le trépas sans moi, 6+6 b
Et que ton intérêt m'attache à l'Italie 6+6 a
Quand la gloire t'appelle aux bornes de l'Asie ; 6+6 a
Je m'afflige encor plus de voir que ton grand coeur 6+6 b
60 Doute de sa fortune, et présage un malheur : 6+6 b
Mais je ne comprends point ta bonté qui m'outrage. 6+6 a
César, que me dis-tu de tes fils, de partage ? 6+6 a
Tu n'as de fils qu'Octave, et nulle adoption 6+6 b
N'a d'un autre César appuyé ta maison. 6+6 b
CÉSAR
65 Il n'est plus temps, ami, de cacher l'amertume 6+6 a
Dont mon coeur paternel en secret se consume : 6+6 a
Octave n'est mon sang qu'à la faveur des lois ; 6+6 b
Je l'ai nommé César, il est fils de mon choix : 6+6 b
Le destin (dois-je dire ou propice, ou sévère ?) 6+6 a
70 D'un véritable fils en effet m'a fait père ; 6+6 a
D'un fils que je chéris, mais qui, pour mon malheur, 6+6 b
A ma tendre amitié répond avec horreur. 6+6 b
ANTOINE
Et quel est cet enfant ? Quel ingrat peut-il être 6+6 a
Si peu digne du sang dont les dieux l'ont fait naître ? 6+6 a
CÉSAR
75 Écoute : tu connais ce malheureux Brutus, 6+6 b
Dont Caton cultiva les farouches vertus. 6+6 b
De nos antiques lois ce défenseur austère, 6+6 a
Ce rigide ennemi du pouvoir arbitraire, 6+6 a
Qui toujours contre moi, les armes à la main, 6+6 b
80 De tous mes ennemis a suivi le destin ; 6+6 b
Qui fut mon prisonnier aux champs de Thessalie ; 6+6 a
A qui j'ai malgré lui sauvé deux fois la vie ; 6+6 a
Né, nourri loin de moi chez mes fiers ennemis… 6+6 b
ANTOINE
Brutus ! il se pourrait…
CÉSAR
Ne m'en crois pas ; tiens, lis. 6+6 b
ANTOINE
85 Dieux ! La soeur de Caton, la fière Servilie ! 6+6 a
CÉSAR
Par un hymen secret elle me fut unie. 6+6 a
Ce farouche Caton, dans nos premiers débats, 6+6 b
La fit presque à mes yeux passer en d'autres bras : 6+6 b
Mais le jour qui forma ce second hyménée 6+6 a
90 De son nouvel époux trancha la destinée. 6+6 a
Sous le nom de Brutus mon fils fut élevé. 6+6 b
Pour me haïr, ô ciel ! était-il réservé ? 6+6 b
Mais lis : tu sauras tout par cet écrit funeste. 6+6 a
ANTOINE, lit
« César, je vais mourir. La colère céleste 6+6 a
95 Va finir à la fois ma vie et mon amour. 6+6 b
Souviens-toi qu'à Brutus César donna le jour. 6+6 b
Adieu : puisse ce fils éprouver pour son père 6+6 a
L'amitié qu'en mourant te conservait sa mère ! » 6+6 a
Sevilie.
Quoi ! Faut-il que du sort la tyrannique loi, 6+6 b
100 César, te donne un fils si peu semblable à toi ! 6+6 b
CÉSAR
Il a d'autres vertus : son superbe courage 6+6 a
Flatte en secret le mien, même alors qu'il l'outrage. 6+6 a
Il m'irrite, il me plaît ; son coeur indépendant 6+6 b
Sur mes sens étonnés prend un fier ascendant. 6+6 b
105 Sa fermeté m'impose, et je l'excuse même 6+6 a
De condamner en moi l'autorité suprême : 6+6 a
Soit qu'étant homme et père, un charme séducteur, 6+6 b
L'excusant à mes yeux, me trompe en sa faveur ; 6+6 b
Soit qu'étant né Romain, la voix de ma patrie 6+6 a
110 Me parle malgré moi contre ma tyrannie, 6+6 a
Et que la liberté que je viens d'opprimer, 6+6 b
Plus forte encor que moi, me condamne à l'aimer. 6+6 b
Te dirai-je encor plus ? Si Brutus me doit l'être, 6+6 a
S'il est fils de César, il doit haïr un maître. 6+6 a
115 J'ai pensé comme lui dès mes plus jeunes ans ; 6+6 b
J'ai détesté Sylla, j'ai haï les tyrans. 6+6 b
J'eusse été citoyen si l'orgueilleux Pompée 6+6 a
N'eût voulu m'opprimer sous sa gloire usurpée. 6+6 a
Né fier, ambitieux, mais né pour les vertus, 6+6 b
120 Si je n'étais César, j'aurais été Brutus. 6+6 b
Tout homme à son état doit plier son courage. 6+6 a
Brutus tiendra bientôt un différent langage, 6+6 a
Quand il aura connu de quel sang il est né. 6+6 b
Crois-moi, le diadème, à son front destiné, 6+6 b
125 Adoucira dans lui sa rudesse importune ; 6+6 a
Il changera de moeurs en changeant de fortune. 6+6 a
La nature, le sang, mes bienfaits, tes avis, 6+6 b
Le devoir, l'intérêt, tout me rendra mon fils. 6+6 b
ANTOINE
J'en doute, je connais sa fermeté farouche : 6+6 a
130 La secte dont il est n'admet rien qui la touche. 6+6 a
Cette secte intraitable, et qui fait vani 6+6 b
D'endurcir les esprits contre l'humanité, 6+6 b
Qui dompte et foule aux pieds la nature irritée, 6+6 a
Parle seule à Brutus, et seule est écoutée. 6+6 a
135 Ces préjugés affreux, qu'ils appellent devoir, 6+6 b
Ont sur ces coeurs de bronze un absolu pouvoir. 6+6 b
Caton même, Caton, ce malheureux stoïque, 6+6 a
Ce héros forcené, la victime d'Utique, 6+6 a
Qui, fuyant un pardon qui l'eût humilié, 6+6 b
140 Préféra la mort même à ta tendre amitié ; 6+6 b
Caton fut moins altier, moins dur, et moins à craindre 6+6 a
Que l'ingrat qu'à t'aimer ta bonté veut contraindre. 6+6 a
CÉSAR
Cher ami, de quels coups tu viens de me frapper ! 6+6 b
Que m'as-tu dit ?
ANTOINE
Je t'aime, et ne te puis tromper. 6+6 b
CÉSAR
Le temps amollit tout.
ANTOINE
145 Mon coeur en désespère. 6+6 a
CÉSAR
Quoi ! sa haine…
ANTOINE
Crois-moi.
CÉSAR
N'importe, je suis père. 6+6 a
J'ai chéri, j'ai sau mes plus grands ennemis : 6+6 b
Je veux me faire aimer de Rome et de mon fils ; 6+6 b
Et, conquérant des coeurs vaincus par ma clémence, 6+6 a
150 Voir la terre et Brutus adorer ma puissance. 6+6 a
C'est à toi de m'aider dans de si grands desseins : 6+6 b
Tu m'as prêté ton bras pour dompter les humains ; 6+6 b
Dompte aujourd'hui Brutus, adoucis son courage, 6+6 a
Prépare par degrés cette vertu sauvage 6+6 a
155 Au secret important qu'il lui faut révéler, 6+6 b
Et dont mon coeur encore hésite à lui parler. 6+6 b
ANTOINE
Je ferai tout pour toi ; mais j'ai peu d'espérance. 6+6 a
SCÈNE II
DOLABELLA
César, les sénateurs attendent audience ; 6+6 a
À ton ordre suprême ils se rendent ici. 6+6 b
CÉSAR
Ils ont tardé longtemps… Qu'ils entrent.
ANTOINE
160 Les voici. 6+6 b
Que je lis sur leur front de dépit et de haine ! 6+6 a
SCÈNE III
CÉSAR assis
Venez, dignes soutiens de la grandeur romaine, 6+6 a
Compagnons de César. Approchez, Cassius, 6+6 b
Cimber, Cinna, Décime, et toi, mon cher Brutus. 6+6 b
165 Enfin voici le temps, si le ciel me seconde, 6+6 a
Où je vais achever la conquête du monde, 6+6 a
Et voir dans l'Orient le trône de Cyrus 6+6 b
Satisfaire, en tombant, aux mânes de Crassus. 6+6 b
Il est temps d'ajouter, par le droit de la guerre, 6+6 a
170 Ce qui manque aux Romains des trois parts de la terre : 6+6 a
Tout est prêt, tout prévu pour ce vaste dessein ; 6+6 b
L'Euphrate attend César, et je pars dès demain. 6+6 b
Brutus et Cassius me suivront en Asie ; 6+6 a
Antoine retiendra la Gaule et l'Italie ; 6+6 a
175 De la mer Atlantique et des bords du Bétis, 6+6 b
Cimber gouvernera les rois assujettis ; 6+6 b
Je donne à Marcellus la Grèce et la Lycie, 6+6 a
A Décime le Pont, à Casca la Syrie. 6+6 a
Ayant ainsi réglé le sort des nations, 6+6 b
180 Et laissant Rome heureuse et sans divisions, 6+6 b
Il ne reste au sénat qu'à juger sous quel titre 6+6 a
De Rome et des humains je dois être l'arbitre. 6+6 a
Sylla fut hono du nom de dictateur ; 6+6 b
Marius fut consul, et Pompée empereur. 6+6 b
185 J'ai vaincu ce dernier, et c'est assez vous dire 6+6 a
Qu'il faut un nouveau nom pour un nouvel empire, 6+6 a
Un nom plus grand, plus saint, moins sujet aux revers, 6+6 b
Autrefois craint dans Rome, et cher à l'univers. 6+6 b
Un bruit trop confirmé se répand sur la terre, 6+6 a
190 Qu'en vain Rome aux Persans ose faire la guerre ; 6+6 a
Qu'un roi seul peut les vaincre et leur donner la loi : 6+6 b
César va l'entreprendre, et César n'est pas roi ; 6+6 b
Il n'est qu'un citoyen connu par ses services, 6+6 a
Qui peut du peuple encore essuyer les caprices… 6+6 a
195 Romains, vous m'entendez, vous savez mon espoir ; 6+6 b
Songez à mes bienfaits, songez à mon pouvoir. 6+6 b
CIMBER
César, il faut parler. Ces sceptres, ces couronnes, 6+6 a
Ce fruit de nos travaux, l'univers que tu donnes, 6+6 a
Seraient, aux yeux du peuple et du sénat jaloux, 6+6 b
200 Un outrage à l'État : plus qu'un bienfait pour nous. 6+6 b
Marius, ni Sylla, ni Carbon, ni Pompée, 6+6 a
Dans leur autori sur le peuple usurpée, 6+6 a
N'ont jamais prétendu disposer à leur choix 6+6 b
Des conquêtes de Rome, et nous parler en rois. 6+6 b
205 César, nous attendions de ta clémence auguste 6+6 a
Un don plus précieux, une faveur plus juste, 6+6 a
Au-dessus des États donnés par ta bonté… 6+6 b
CÉSAR
Qu'oses-tu demander, Cimber ?
CIMBER
La liberté. 6+6 b
CASSIUS
Tu nous l'avais promise, et tu juras toi-même 6+6 a
210 D'abolir pour jamais l'autorité suprême ; 6+6 a
Et je croyais toucher à ce moment heureux 6+6 b
Où le vainqueur du monde allait combler nos voeux. 6+6 b
Fumante de son sang, captive, désolée, 6+6 a
Rome dans cet espoir renaissait consolée. 6+6 a
215 Avant que d'être à toi nous sommes ses enfants : 6+6 b
Je songe à ton pouvoir ; mais songe à tes serments. 6+6 b
BRUTUS
Oui, que César soit grand ; mais que Rome soit libre. 6+6 a
Dieux ! mtresse de l'Inde, esclave au bord du Tibre ! 6+6 a
Qu'importe que son nom commande à l'univers, 6+6 b
220 Et qu'on l'appelle reine, alors qu'elle est aux fers ? 6+6 b
Qu'importe à ma patrie, aux Romains que tu braves, 6+6 a
D'apprendre que César a de nouveaux esclaves ? 6+6 a
Les Persans ne sont pas nos plus fiers ennemis ; 6+6 b
Il en est de plus grands. Je n'ai point d'autre avis. 6+6 b
CÉSAR
Et toi, Brutus, aussi !
ANTOINE, à César
225 Tu connais leur audace : 6+6 a
Vois si ces coeurs ingrats sont dignes de leur grâce. 6+6 a
CÉSAR
Ainsi vous voulez donc, dans vos témérités, 6+6 b
Tenter ma patience et lasser mes bontés ? 6+6 b
Vous qui m'appartenez par le droit de l'épée, 6+6 a
230 Rampants sous Marius, esclaves de Pompée ; 6+6 a
Vous qui ne respirez qu'autant que mon courroux, 6+6 b
Retenu trop longtemps, s'est arrêté sur vous : 6+6 b
Républicains ingrats, qu'enhardit ma clémence, 6+6 a
Vous qui devant Sylla garderiez le silence ; 6+6 a
235 Vous que ma bonté seule invite à m'outrager, 6+6 b
Sans craindre que César s'abaisse à se venger. 6+6 b
Voilà ce qui vous donne une âme assez hardie 6+6 a
Pour oser me parler de Rome et de patrie ; 6+6 a
Pour affecter ici cette illustre hauteur 6+6 b
240 Et ces grands sentiments devant votre vainqueur. 6+6 b
Il les fallait avoir aux plaines de Pharsale. 6+6 a
La fortune entre nous devient trop inégale : 6+6 a
Si vous n'avez su vaincre, apprenez à servir. 6+6 b
BRUTUS
César, aucun de nous n'apprendra qu'à mourir. 6+6 b
245 Nul ne m'en désavoue, et nul, en Thessalie, 6+6 a
N'abaissa son courage à demander la vie. 6+6 a
Tu nous laissas le jour, mais pour nous avilir ; 6+6 b
Et nous le détestons, s'il te faut obéir. 6+6 b
César, qu'à ta colère aucun de nous n'échappe ; 6+6 a
250 Commence ici par moi : si tu veux régner, frappe. 6+6 a
Les sénateurs sortent.
CÉSAR
Écoute… Et vous, sortez. Brutus m'ose offenser ! 6+6 b
Mais sais-tu de quels traits tu viens de me percer ? 6+6 b
Va, César est bien loin d'en vouloir à ta vie. 6+6 a
Laisse là du sénat l'indiscrète furie ; 6+6 a
255 Demeure, c'est toi seul qui peux me désarmer ; 6+6 b
Demeure, c'est toi seul que César veut aimer. 6+6 b
BRUTUS
Tout mon sang est à toi, si tu tiens ta promesse ; 6+6 a
Si tu n'es qu'un tyran, j'abhorre ta tendresse ; 6+6 a
Et je ne peux rester avec Antoine et toi, 6+6 b
260 Puisqu'il n'est plus Romain, et qu'il demande un roi. 6+6 b
SCÈNE IV
ANTOINE
Eh bien ! t'ai-je trompé ? Crois-tu que la nature 6+6 a
Puisse amollir une âme et si fière et si dure ? 6+6 a
Laisse, laisse à jamais dans son obscuri 6+6 b
Ce secret malheureux qui pèse à ta bonté. 6+6 b
265 Que de Rome, s'il veut, il déplore la chute ; 6+6 a
Mais qu'il ignore au moins quel sang il persécute : 6+6 a
Il ne mérite pas de te devoir le jour. 6+6 b
Ingrat à tes bontés, ingrat à ton amour, 6+6 b
Renonce-le pour fils.
CÉSAR
Je ne le puis : je l'aime. 6+6 a
ANTOINE
270 Ah ! cesse donc d'aimer l'éclat du diadème, 6+6 a
Descends donc de ce rang où je te vois mon 6+6 b
La bonté convient mal à ton autorité ; 6+6 b
De ta grandeur naissante elle détruit l'ouvrage. 6+6 a
Quoi ! Rome est sous tes lois, et Cassius t'outrage ! 6+6 a
275 Quoi ! Cimber, quoi ! Cinna, ces obscurs sénateurs, 6+6 b
Aux yeux du roi du monde affectent ces hauteurs ! 6+6 b
Ils bravent ta puissance, et ces vaincus respirent ! 6+6 a
CÉSAR
Ils sont nés mes égaux, mes armes les vainquirent. 6+6 a
Et, trop au-dessus d'eux, je leur puis pardonner 6+6 b
280 De frémir sous le joug que je veux leur donner. 6+6 b
ANTOINE
Marius de leur sang eût été moins avare ; 6+6 a
Sylla les eût punis.
CÉSAR
Sylla fut un barbare ; 6+6 a
Il n'a su qu'opprimer : le meurtre et la fureur 6+6 b
Faisaient sa politique ainsi que sa grandeur : 6+6 b
285 Il a gouverné Rome au milieu des supplices ; 6+6 a
Il en était l'effroi, j'en serai les délices. 6+6 a
Je sais quel est le peuple : on le change en un jour ; 6+6 b
Il prodigue aisément sa haine et son amour. 6+6 b
Si ma grandeur l'aigrit, ma clémence l'attire. 6+6 a
290 Un pardon politique à qui ne peut me nuire, 6+6 a
Dans mes chaînes qu'il porte un air de liberté, 6+6 b
Ont ramené vers moi sa faible volonté. 6+6 b
Il faut couvrir de fleurs l'abîme où je l'entraîne, 6+6 a
Flatter encor ce tigre à l'instant qu'on l'enchaîne, 6+6 a
295 Lui plaire en l'accablant, l'asservir, le charmer, 6+6 b
Et punir mes rivaux en me faisant aimer. 6+6 b
ANTOINE
Il faudrait être craint : C'est ainsi que l'on règne. 6+6 a
CÉSAR
Va, ce n'est qu'aux combats que je veux qu'on me craigne. 6+6 a
ANTOINE
Le peuple abusera de ta facilité. 6+6 b
CÉSAR
300 Le peuple a jusqu'ici consacré ma bonté : 6+6 b
Vois ce temple que Rome élève à la Clémence. 6+6 a
ANTOINE
Crains qu'elle n'en élève un autre à la Vengeance ; 6+6 a
Crains des coeurs ulcérés, nourris de désespoir, 6+6 b
Idolâtres de Rome, et cruels par devoir. 6+6 b
305 Cassius alarmé prévoit qu'en ce jour même 6+6 a
Ma main doit sur ton front mettre le diadème : 6+6 a
Déjà même à tes yeux on ose en murmurer. 6+6 b
Des plus impétueux tu devrais t'assurer ; 6+6 b
A prévenir leurs coups daigne au moins te contraindre. 6+6 a
CÉSAR
310 Je les aurais punis si je les pouvais craindre. 6+6 a
Ne me conseille point de me faire haïr. 6+6 b
Je sais combattre, vaincre, et ne sais point punir. 6+6 b
Allons ; et, n'écoutant ni soupçon ni vengeance, 6+6 a
Sur l'univers soumis régnons sans violence. 6+6 a
ACTE II
SCÈNE I
ANTOINE
315 Ce superbe refus, cette animosité, 6+6 b
Marquent moins de vertu que de férocité. 6+6 b
Les bontés de César, et surtout sa puissance, 6+6 a
Méritaient plus d'égards et plus de complaisance : 6+6 a
A lui parler du moins vous pourriez consentir. 6+6 b
320 Vous ne connaissez pas qui vous osez haïr ; 6+6 b
Et vous en frémiriez si vous pouviez apprendre… 6+6 a
BRUTUS
Ah ! je frémis déjà ; mais c'est de vous entendre. 6+6 a
Ennemi des Romains, que vous avez vendus, 6+6 b
Pensez-vous, ou tromper, ou corrompre Brutus ? 6+6 b
325 Allez ramper sans moi sous la main qui vous brave ; 6+6 a
Je sais tous vos desseins, vous brûlez d'être esclave ; 6+6 a
Vous voulez un monarque, et vous êtes Romain ! 6+6 b
ANTOINE
Je suis ami, Brutus, et porte un coeur humain ; 6+6 b
Je ne recherche point une vertu plus rare. 6+6 a
330 Tu veux être un héros, va, tu n'es qu'un barbare ; 6+6 a
Et ton farouche orgueil, que rien ne peut fléchir, 6+6 b
Embrassa la vertu pour la faire haïr. 6+6 b
SCÈNE II
BRUTUS
Quelle bassesse, ô ciel ! et quelle ignominie ! 6+6 a
Voilà donc les soutiens de ma triste patrie ! 6+6 a
335 Voilà vos successeurs, Horace, Décius, 6+6 b
Et toi vengeur des lois, toi, mon sang, toi, Brutus ! 6+6 b
Quels restes, justes dieux, de la grandeur romaine ! 6+6 a
Chacun baise en tremblant la main qui nous enchaîne. 6+6 a
César nous a ravi jusques à nos vertus ; 6+6 b
340 Et je cherche ici Rome, et ne la trouve plus. 6+6 b
Vous que j'ai vus périr, vous, immortels courages, 6+6 a
Héros, dont en pleurant j'aperçois les images, 6+6 a
Famille de Pompée, et toi, divin Caton, 6+6 b
Toi, dernier des héros du sang de Scipion, 6+6 b
345 Vous ranimez en moi ces vives étincelles 6+6 a
Des vertus dont brillaient vos âmes immortelles ; 6+6 a
Vous vivez dans Brutus, vous mettez dans mon sein 6+6 b
Tout l'honneur qu'un tyran ravit au nom romain. 6+6 b
Que vois-je, grand Pompée, au pied de ta statue ? 6+6 a
350 Quel billet, sous mon nom, se présente à ma vue ? 6+6 a
Lisons : « Tu dors, Brutus, et Rome est dans les fers ! » 6+6 b
Rome, mes yeux sur toi seront toujours ouverts ; 6+6 b
Ne me reproche point des chaînes que j'abhorre. 6+6 a
Mais quel autre billet à mes yeux s'offre encore ? 6+6 a
355 « Non, tu n'es pas Brutus ! » Ah ! reproche cruel ! 6+6 b
César ! tremble, tyran ! Voilà ton coup mortel. 6+6 b
« Non, tu n'es pas Brutus ! » Je le suis, je veux l'être. 6+6 a
Je périrai, Romains, ou vous serez sans maître. 6+6 a
Je vois que Rome encore a des coeurs vertueux : 6+6 b
360 On demande un vengeur, on a sur moi les yeux ; 6+6 b
On excite cette âme, et cette main trop lente ; 6+6 a
On demande du sang… Rome sera contente. 6+6 a
SCÈNE III
CASSIUS
Je t'embrasse, Brutus, pour la dernière fois. 6+6 b
Amis, il faut tomber sous les débris des lois. 6+6 b
365 De César désormais je n'attends plus de grâce ; 6+6 a
Il sait mes sentiments, il connaît notre audace. 6+6 a
Notre âme incorruptible étonne ses desseins ; 6+6 b
Il va perdre dans nous les derniers des Romains. 6+6 b
C'en est fait, mes amis, il n'est plus de patrie, 6+6 a
370 Plus d'honneur, plus de lois ; Rome est anéantie : 6+6 a
De l'univers et d'elle il triomphe aujourd'hui ; 6+6 b
Nos imprudents aïeux n'ont vaincu que pour lui. 6+6 b
Ces dépouilles des rois, ce sceptre de la terre, 6+6 a
Six cents ans de vertus, de travaux, et de guerre 6+6 a
375 César jouit de tout, et dévore le fruit 6+6 b
Que six siècles de gloire à peine avaient produit. 6+6 b
Ah, Brutus ! es-tu né pour servir sous un maître ? 6+6 a
La liberté n'est plus.
BRUTUS
Elle est prête à renaître. 6+6 a
CASSIUS
Que dis-tu ? Mais quel bruit vient frapper mes esprits ? 6+6 b
BRUTUS
380 Laisse là ce vil peuple, et ses indignes cris. 6+6 b
CASSIUS
La liberté, dis-tu ?… Mais quoi… le bruit redouble. 6+6 a
SCÈNE IV
CASSIUS
Ah ! Cimber, est-ce toi ? Parle, quel est ce trouble ? 6+6 a
DÉCIME
Trame-t-on contre Rome un nouvel attentat ? 6+6 b
Qu'a-t-on fait ? qu'as-tu vu ?
CIMBER
La honte de l'État. 6+6 b
385 César était au temple, et cette fière idole 6+6 a
Semblait être le dieu qui tonne au Capitole. 6+6 a
C'est là qu'il annonçait son superbe dessein 6+6 b
D'aller joindre la Perse à l'empire romain. 6+6 b
On lui donnait les noms de Foudre de la guerre, 6+6 a
390 De Vengeur des Romains, de Vainqueur de la terre : 6+6 a
Mais, parmi tant d'éclat, son orgueil imprudent 6+6 b
Voulait un autre titre, et n'était pas content. 6+6 b
Enfin, parmi ces cris et ces chants d'allégresse, 6+6 a
Du peuple qui l'entoure Antoine fend la presse : 6+6 a
395 Il entre : ô honte ! ô crime indigne d'un Romain ! 6+6 b
Il entre, la couronne et le sceptre à la main. 6+6 b
On se tait, on frémit ; lui, sans que rien l'étonne, 6+6 a
Sur le front de César attache la couronne, 6+6 a
Et soudain, devant lui se mettant à genoux : 6+6 b
400 « César, règne, dit-il, sur la terre et sur nous. » 6+6 b
Des Romains, à ces mots, les visages palissent ; 6+6 a
De leurs cris douloureux les voûtes retentissent ; 6+6 a
J'ai vu des citoyens s'enfuir avec horreur, 6+6 b
D'autres rougir de honte et pleurer de douleur. 6+6 b
405 César, qui cependant lisait sur leur visage 6+6 a
De l'indignation l'éclatant témoignage, 6+6 a
Feignant des sentiments longtemps étudiés, 6+6 b
Jette et sceptre et couronne, et les foule à ses pieds. 6+6 b
Alors tout se croit libre, alors tout est en proie 6+6 a
410 Au fol enivrement d'une indiscrète joie. 6+6 a
Antoine est alarmé ; César feint et rougit ; 6+6 b
Plus il cèle son trouble, et plus on l'applaudit ; 6+6 b
La modération sert de voile à son crime ; 6+6 a
Il affecte à regret un refus magnanime. 6+6 a
415 Mais, malgré ses efforts, il frémissait tout bas 6+6 b
Qu'on applaudît en lui les vertus qu'il n'a pas. 6+6 b
Enfin, ne pouvant plus retenir sa colère, 6+6 a
Il sort du Capitole avec un front sévère ; 6+6 a
Il veut que dans une heure on s'assemble au sénat. 6+6 b
420 Dans une heure, Brutus, César change l'État. 6+6 b
De ce sénat sacré la moitié corrompue, 6+6 a
Ayant acheté Rome, à César l'a vendue ; 6+6 a
Plus lâche que ce peuple à qui, dans son malheur, 6+6 b
Le nom de roi du moins fait toujours quelque horreur. 6+6 b
425 César, déjà trop roi, veut encor la couronne : 6+6 a
Le peuple la refuse, et le sénat la donne. 6+6 a
Que faut-il faire enfin, héros qui m'écoutez ? 6+6 b
CASSIUS
Mourir, finir des jours dans l'opprobre comptés. 6+6 b
J'ai trné les liens de mon indigne vie 6+6 a
430 Tant qu'un peu d'espérance a flatté ma patrie ; 6+6 a
Voici son dernier jour, et du moins Cassius 6+6 b
Ne doit plus respirer lorsque l'État n'est plus. 6+6 b
Pleure qui voudra Rome, et lui reste fidèle ; 6+6 a
Je ne peux la venger, mais j'expire avec elle. 6+6 a
En regardant leurs statues.
435 Je vais où sont nos dieux… Pompée et Scipion, 6+6 b
Il est temps de vous suivre, et d'imiter Caton. 6+6 b
BRUTUS
Non, n'imitons personne, et servons tous d'exemple ; 6+6 a
C'est nous, braves amis, que l'univers contemple ; 6+6 a
C'est à nous de répondre à l'admiration 6+6 b
440 Que Rome en expirant conserve à notre nom. 6+6 b
Si Caton m'avait cru, plus juste en sa furie, 6+6 a
Sur César expirant il eût perdu la vie ; 6+6 a
Mais il tourna sur soi ses innocentes mains ; 6+6 b
Sa mort fut inutile au bonheur des humains. 6+6 b
445 Faisant tout pour la gloire, il ne fit rien pour Rome ; 6+6 a
Et c'est la seule faute où tomba ce grand homme. 6+6 a
CASSIUS
Que veux-tu donc qu'on fasse en un tel désespoir ? 6+6 b
BRUTUS, montrant le billet
Voilà ce qu'on m'écrit, voilà notre devoir. 6+6 b
CASSIUS
On m'en écrit autant, j'ai reçu ce reproche. 6+6 a
BRUTUS
C'est trop le mériter.
CIMBER
450 L'heure fatale approche. 6+6 a
Dans une heure un tyran détruit le nom romain. 6+6 b
BRUTUS
Dans une heure à César il faut percer le sein. 6+6 b
CASSIUS
Ah ! je te reconnais à cette noble audace. 6+6 a
DÉCIME
Ennemi des tyrans, et digne de ta race, 6+6 a
455 Voilà les sentiments que j'avais dans mon coeur. 6+6 b
CASSIUS
Tu me rends à moi-même, et je t'en dois l'honneur ; 6+6 b
C'est là ce qu'attendaient ma haine et ma colère 6+6 a
De la mâle vertu qui fait ton caractère. 6+6 a
C'est Rome qui t'inspire en des desseins si grands : 6+6 b
460 Ton nom seul est l'arrêt de la mort des tyrans. 6+6 b
Lavons, mon cher Brutus, l'opprobre de la terre ; 6+6 a
Vengeons ce Capitole, au défaut du tonnerre. 6+6 a
Toi, Cimber ; toi, Cinna ; vous, Romains indomptés, 6+6 b
Avez-vous une autre âme et d'autres volontés ? 6+6 b
CIMBER
465 Nous pensons comme toi, nous méprisons la vie : 6+6 a
Nous détestons César, nous aimons la patrie ; 6+6 a
Nous la vengerons tous : Brutus et Cassius 6+6 b
De quiconque est Romain raniment les vertus. 6+6 b
DÉCIME
Nés juges de l'État, nés les vengeurs du crime, 6+6 a
470 C'est souffrir trop longtemps la main qui nous opprime ; 6+6 a
Et quand sur un tyran nous suspendons nos coups, 6+6 b
Chaque instant qu'il respire est un crime pour nous. 6+6 b
CIMBER
Admettons-nous quelque autre à ces honneurs suprêmes ? 6+6 a
BRUTUS
Pour venger la patrie il suffit de nous-mêmes. 6+6 a
475 Dolabella, Lépide, Émile, Bibulus, 6+6 b
Ou tremblent sous César, ou bien lui sont vendus. 6+6 b
Cicéron, qui d'un traître a puni l'insolence, 6+6 a
Ne sert la liberté que par son éloquence : 6+6 a
Hardi dans le sénat, faible dans le danger, 6+6 b
480 Fait pour haranguer Rome, et non pour la venger, 6+6 b
Laissons à l'orateur qui charme sa patrie 6+6 a
Le soin de nous louer quand nous l'aurons servie. 6+6 a
Non, ce n'est qu'avec vous que je veux partager 6+6 b
Cet immortel honneur et ce pressant danger. 6+6 b
485 Dans une heure au sénat le tyran doit se rendre : 6+6 a
Là, je le punirai ; là, je le veux surprendre ; 6+6 a
Là, je veux que ce fer, enfoncé dans son sein, 6+6 b
Venge Caton, Pompée, et le peuple romain. 6+6 b
C'est hasarder beaucoup. Ses ardents satellites 6+6 a
490 Partout du Capitole occupent les limites ; 6+6 a
Ce peuple mou, volage, et facile à fléchir, 6+6 b
Ne sait s'il doit encor l'aimer ou le haïr. 6+6 b
Notre mort, mes amis, paraît inévitable ; 6+6 a
Mais qu'une telle mort est noble et désirable ! 6+6 a
495 Qu'il est beau de périr dans des desseins si grands ! 6+6 b
De voir couler son sang dans le sang des tyrans ! 6+6 b
Qu'avec plaisir alors on voit sa dernière heure ! 6+6 a
Mourons, braves amis, pourvu que César meure, 6+6 a
Et que la liberté, qu'oppriment ses forfaits, 6+6 b
500 Renaisse de sa cendre, et revive à jamais. 6+6 b
CASSIUS
Ne balançons donc plus, courons au Capitole : 6+6 a
C'est là qu'il nous opprime, et qu'il faut qu'on l'immole. 6+6 a
Ne craignons rien du peuple, il semble encor douter ; 6+6 b
Mais si l'idole tombe, il va la détester. 6+6 b
BRUTUS
505 Jurez donc avec moi, jurez sur cette épée, 6+6 a
Par le sang de Caton, par celui de Pompée, 6+6 a
Par les mânes sacrés de tous ces vrais Romains 6+6 b
Qui dans les champs d'Afrique ont fini leurs destins ; 6+6 b
Jurez par tous les dieux, vengeurs de la patrie, 6+6 a
510 Que César sous vos coups va terminer sa vie. 6+6 a
CASSIUS
Faisons plus, mes amis ; jurons d'exterminer 6+6 b
Quiconque ainsi que lui prétendra gouverner : 6+6 b
Fussent nos propres fils, nos frères ou nos pères ; 6+6 a
S'ils sont tyrans, Brutus, ils sont nos adversaires. 6+6 a
515 Un vrai républicain n'a pour père et pour fils 6+6 b
Que la vertu, les dieux, les lois, et son pays. 6+6 b
BRUTUS
Oui, j'unis pour jamais mon sang avec le vôtre, 6+6 a
Tous dès ce moment même adoptés l'un par l'autre, 6+6 a
Le salut de l'État nous a rendus parents. 6+6 b
520 Scellons notre union du sang de nos tyrans. 6+6 b
Il s'avance vers la statue de Pompée.
Nous le jurons par vous, héros, dont les images 6+6 a
À ce pressant devoir excitent nos courages ; 6+6 a
Nous promettons, Pompée, à tes sacrés genoux, 6+6 b
De faire tout pour Rome, et jamais rien pour nous ; 6+6 b
525 D'être unis pour l'État, qui dans nous se rassemble ; 6+6 a
De vivre, de combattre, et de mourir ensemble. 6+6 a
Allons, préparons-nous : c'est trop nous arrêter. 6+6 b
SCÈNE V
CÉSAR
Demeure, c'est ici que tu dois m'écouter. 6+6 b
Où vas-tu, malheureux ?
BRUTUS
Loin de la tyrannie. 6+6 a
CÉSAR
Licteurs, qu'on le retienne.
BRUTUS
530 Achève, et prends ma vie. 6+6 a
CÉSAR
Brutus, si ma colère en voulait à tes jours, 6+6 b
Je n'aurais qu'à parler, j'aurais fini leur cours. 6+6 b
Tu l'as trop mérité. Ta fière ingratitude 6+6 a
Se fait de m'offenser une farouche étude. 6+6 a
535 Je te retrouve encore avec ceux des Romains 6+6 b
Dont j'ai plus souonné les perfides desseins ; 6+6 b
Avec ceux qui tantôt ont osé me déplaire, 6+6 a
Ont blâmé ma conduite, ont bravé ma colère. 6+6 a
BRUTUS
Ils parlaient en Romains, César ; et leurs avis, 6+6 b
540 Si les dieux t'inspiraient, seraient encor suivis. 6+6 b
CÉSAR
Je souffre ton audace, et consens à t'entendre : 6+6 a
De mon rang avec toi je me plais à descendre. 6+6 a
Que me reproches-tu ?
BRUTUS
Le monde ravagé, 6+6 b
Le sang des nations, ton pays saccagé ; 6+6 b
545 Ton pouvoir, tes vertus, qui font tes injustices, 6+6 a
Qui de tes attentats sont en toi les complices ; 6+6 a
Ta funeste bonté, qui fait aimer tes fers, 6+6 b
Et qui n'est qu'un appât pour tromper l'univers. 6+6 b
CÉSAR
Ah ! c'est ce qu'il fallait reprocher à Pompée : 6+6 a
550 Par sa feinte vertu la tienne fut trompée. 6+6 a
Ce citoyen superbe, à Rome plus fatal, 6+6 b
N'a pas même voulu César pour son égal. 6+6 b
Crois-tu, s'il m'eût vaincu, que cette âme hautaine 6+6 a
Eût laissé respirer la liberté romaine ? 6+6 a
555 Sous un joug despotique il t'aurait accablé. 6+6 b
Qu'eût fait Brutus alors ?
BRUTUS
Brutus l'eût immolé. 6+6 b
CÉSAR
Voilà donc ce qu'enfin ton grand coeur me destine ! 6+6 a
Tu ne t'en défends point. Tu vis pour ma ruine, 6+6 a
Brutus !
BRUTUS
Si tu le crois, préviens donc ma fureur. 6+6 b
Qui peut te retenir ?
CÉSAR, lui présentant la lettre de Servilie
560 La nature et mon coeur. 6+6 b
Lis, ingrat, lis ; connais le sang que tu m'opposes ; 6+6 a
Vois qui tu peux haïr, et poursuis si tu l'oses. 6+6 a
BRUTUS
Où suis-je ? Qu'ai-je lu ? Me trompez-vous, mes yeux ? 6+6 b
CÉSAR
Eh bien ! Brutus, mon fils !
BRUTUS
Lui, mon père ! grands dieux ! 6+6 b
CÉSAR
565 Oui, je le suis, ingrat ! Quel silence farouche ! 6+6 a
Que dis-je ? Quels sanglots échappent de ta bouche ? 6+6 a
Mon fils… Quoi ! Je te tiens muet entre mes bras ! 6+6 b
La nature t'étonne, et ne t'attendrit pas ! 6+6 b
BRUTUS
Ô sort épouvantable, et qui me désespère ! 6+6 a
570 Ô serments ! Ô patrie ! Ô Rome toujours chère ! 6+6 a
César !… Ah, malheureux ! j'ai trop longtemps vécu. 6+6 b
CÉSAR
Parle. Quoi ! D'un remords ton coeur est combattu ! 6+6 b
Ne me déguise rien. Tu gardes le silence ! 6+6 a
Tu crains d'être mon fils ; ce nom sacré t'offense : 6+6 a
575 Tu crains de me chérir, de partager mon rang ; 6+6 b
C'est un malheur pour toi d'être né de mon sang ! 6+6 b
Ah ! ce sceptre du monde, et ce pouvoir suprême, 6+6 a
Ce César, que tu hais, les voulait pour toi-même. 6+6 a
Je voulais partager, avec Octave et toi, 6+6 b
580 Le prix de cent combats, et le titre de roi. 6+6 b
BRUTUS
Ah, dieux !
CÉSAR
Tu veux parler, et te retiens à peine ! 6+6 a
Ces transports sont-ils donc de tendresse ou de haine ? 6+6 a
Quel est donc le secret qui semble t'accabler ? 6+6 b
BRUTUS
César…
CÉSAR
Eh bien ! mon fils ?
BRUTUS
Je ne puis lui parler. 6+6 b
CÉSAR
585 Tu n'oses me nommer du tendre nom de père ? 6+6 a
BRUTUS
Si tu l'es, je te fais une unique prière. 6+6 a
CÉSAR
Parle : en te l'accordant, je croirai tout gagner. 6+6 b
BRUTUS
Fais-moi mourir sur l'heure, ou cesse de régner. 6+6 b
CÉSAR
Ah ! Barbare ennemi, tigre que je caresse ! 6+6 a
590 Ah ! Coeur dénatu qu'endurcit ma tendresse ! 6+6 a
Va, tu n'es plus mon fils. Va, cruel citoyen, 6+6 b
Mon coeur désespé prend l'exemple du tien : 6+6 b
Ce coeur, à qui tu fais cette effroyable injure, 6+6 a
Saura bien comme toi vaincre enfin la nature. 6+6 a
595 Va, César n'est pas fait pour te prier en vain ; 6+6 b
J'apprendrai de Brutus à cesser d'être humain : 6+6 b
Je ne te connais plus. Libre dans ma puissance, 6+6 a
Je n'écouterai plus une injuste clémence. 6+6 a
Tranquille, à mon courroux je vais m'abandonner ; 6+6 b
600 Mon coeur trop indulgent est las de pardonner. 6+6 b
J'imiterai Sylla, mais dans ses violences ; 6+6 a
Vous tremblerez, ingrats, au bruit de mes vengeances. 6+6 a
Va, cruel, va trouver tes indignes amis : 6+6 b
Tous m'ont osé déplaire, ils seront tous punis. 6+6 b
605 On sait ce que je puis, on verra ce que j'ose : 6+6 a
Je deviendrai barbare, et toi seul en es cause. 6+6 a
BRUTUS
Ah ! ne le quittons point dans ses cruels desseins, 6+6 b
Et sauvons, s'il se peut, César et les Romains. 6+6 b
ACTE III
SCÈNE I
CASSIUS
Enfin donc l'heure approche où Rome va renaître. 6+6 a
610 La mtresse du monde est aujourd'hui sans maître : 6+6 a
L'honneur en est à vous, Cimber, Casca, Probus, 6+6 b
Décime. Encore une heure, et le tyran n'est plus. 6+6 b
Ce que n'ont pu Caton, et Pompée, et l'Asie, 6+6 a
Nous seuls l'exécutons, nous vengeons la patrie ; 6+6 a
615 Et je veux qu'en ce jour on dise à l'univers : 6+6 b
« Mortels, respectez Rome ; elle n'est plus aux fers. » 6+6 b
CIMBER
Tu vois tous nos amis, ils sont prêts à te suivre, 6+6 a
A frapper, à mourir, à vivre s'il faut vivre ; 6+6 a
A servir le sénat dans l'un et l'autre sort, 6+6 b
620 En donnant à César, ou recevant la mort. 6+6 b
DÉCIME
Mais d'où vient que Brutus ne paraît point encore, 6+6 a
Lui, ce fier ennemi du tyran qu'il abhorre ; 6+6 a
Lui qui prit nos serments, qui nous rassembla tous ; 6+6 b
Lui qui doit sur César porter les premiers coups ? 6+6 b
625 Le gendre de Caton tarde bien à paraître. 6+6 a
Serait-il arrêté ? César peut-il connaître… 6+6 a
Mais le voici. Grands dieux ! qu'il paraît abattu ! 6+6 b
SCÈNE II
CASSIUS
Brutus, quelle infortune accable ta vertu ? 6+6 b
Le tyran sait-il tout ? Rome est-elle trahie ? 6+6 a
BRUTUS
630 Non, César ne sait point qu'on va trancher sa vie. 6+6 a
Il se confie à vous.
DÉCIME
Qui peut donc te troubler ? 6+6 b
BRUTUS
Un malheur, un secret, qui vous fera trembler. 6+6 b
CASSIUS
De nous ou du tyran, c'est la mort qui s'apprête : 6+6 a
Nous pouvons tous périr ; mais trembler, nous !
BRUTUS
Arrête : 6+6 a
635 Je vais t'épouvanter par ce secret affreux. 6+6 b
Je dois sa mort à Rome, à vous, à vos neveux, 6+6 b
Au bonheur des mortels ; et j'avais choisi l'heure, 6+6 a
Le lieu, le bras, l'instant où Rome veut qu'il meure : 6+6 a
L'honneur du premier coup à mes mains est remis ; 6+6 b
640 Tout est prêt : apprenez que Brutus est son fils. 6+6 b
CIMBER
Toi, son fils !
CASSIUS
De César !
DÉCIME
Ô Rome !
BRUTUS
Servilie 6+6 a
Par un hymen secret à César fut unie ; 6+6 a
Je suis de cet hymen le fruit infortuné. 6+6 b
CIMBER
Brutus, fils d'un tyran !
CASSIUS
Non, tu n'en es pas né ; 6+6 b
Ton coeur est trop romain.
BRUTUS
645 Ma honte est véritable. 6+6 a
Vous, amis, qui voyez le destin qui m'accable, 6+6 a
Soyez par mes serments les maîtres de mon sort. 6+6 b
Est-il quelqu'un de vous d'un esprit assez fort, 6+6 b
Assez stoïque, assez au-dessus du vulgaire, 6+6 a
650 Pour oser décider ce que Brutus doit faire ? 6+6 a
Je m'en remets à vous. Quoi ! vous baissez les yeux ! 6+6 b
Toi, Cassius, aussi, tu te tais avec eux ! 6+6 b
Aucun ne me soutient au bord de cet abîme ! 6+6 a
Aucun ne m'encourage, ou ne m'arrache au crime ! 6+6 a
655 Tu frémis, Cassius et, prompt à t'étonner… 6+6 b
CASSIUS
Je frémis du conseil que je vais te donner. 6+6 b
BRUTUS
Parle.
CASSIUS
Si tu n'étais qu'un citoyen vulgaire, 6+6 a
Je te dirais : Va, sers, sois tyran sous ton père ; 6+6 a
Écrase cet État que tu dois soutenir ; 6+6 b
660 Rome aura désormais deux traîtres à punir : 6+6 b
Mais je parle à Brutus, à ce puissant génie, 6+6 a
A ce héros armé contre la tyrannie, 6+6 a
Dont le coeur inflexible, au bien déterminé, 6+6 b
Épura tout le sang que César t'a donné. 6+6 b
665 Écoute : tu connais avec quelle furie 6+6 a
Jadis Catilina menaça sa patrie ? 6+6 a
BRUTUS
Oui.
CASSIUS
Si, le même jour que ce grand criminel 6+6 b
Dut à la liberté porter le coup mortel ; 6+6 b
Si, lorsque le sénat eut condamné ce traître, 6+6 a
670 Catilina pour fils t'eût voulu reconnaître, 6+6 a
Entre ce monstre et nous forcé de décider, 6+6 b
Parle : qu'aurais-tu fait ?
BRUTUS
Peux-tu le demander ? 6+6 b
Penses-tu qu'un instant ma vertu démentie 6+6 a
Eût mis dans la balance un homme et la patrie ? 6+6 a
CASSIUS
675 Brutus, par ce seul mot ton devoir est dicté. 6+6 b
C'est l'arrêt du sénat, Rome est en sûreté. 6+6 b
Mais ; dis, sens-tu ce trouble, et ce secret murmure, 6+6 a
Qu'un préjugé vulgaire impute à la nature ? 6+6 a
Un seul mot de César a-t-il éteint dans toi 6+6 b
680 L'amour de ton pays, ton devoir et ta foi ? 6+6 b
En disant ce secret, ou faux ou véritable, 6+6 a
En t'avouant pour fils, en est-il moins coupable ? 6+6 a
En es-tu moins Brutus ? en es-tu moins Romain ? 6+6 b
Nous dois-tu moins ta vie, et ton coeur, et ta main ? 6+6 b
685 Toi, son fils ! Rome enfin n'est-elle plus ta mère ? 6+6 a
Chacun des conjurés n'est-il donc plus ton frère ? 6+6 a
Né dans nos murs sacrés, nourri par Scipion, 6+6 b
Élève de Pompée, adopté par Caton, 6+6 b
Ami de Cassius, que veux-tu davantage ? 6+6 a
690 Ces titres sont sacrés ; tout autre les outrage. 6+6 a
Qu'importe qu'un tyran, esclave de l'amour, 6+6 b
Ait séduit Servilie, et t'ait donné le jour ? 6+6 b
Laisse là les erreurs et l'hymen de ta mère ; 6+6 a
Caton forma tes moeurs, Caton seul est ton père ; 6+6 a
695 Tu lui dois ta vertu, ton âme est toute à lui ; 6+6 b
Brise l'indigne noeud que l'on t'offre aujourd'hui ; 6+6 b
Qu'à nos serments communs ta fermeté réponde ; 6+6 a
Et tu n'as de parents que les vengeurs du monde. 6+6 a
BRUTUS
Et vous, braves amis, parlez, que pensez-vous ? 6+6 b
CIMBER
700 Jugez de nous par lui, jugez de lui par nous. 6+6 b
D'un autre sentiment si nous étions capables, 6+6 a
Rome n'aurait point eu des enfants plus coupables. 6+6 a
Mais à d'autres qu'à toi pourquoi t'en rapporter ? 6+6 b
C'est ton coeur, c'est Brutus qu'il te faut consulter. 6+6 b
BRUTUS
705 Eh bien ! à vos regards mon âme est dévoilée, 6+6 a
Lisez-y les horreurs dont elle est accablée. 6+6 a
Je ne vous cèle rien, ce coeur s'est ébranlé ; 6+6 b
De mes stoïques yeux des larmes ont coulé. 6+6 b
Après l'affreux serment que vous m'avez vu faire, 6+6 a
710 Prêt à servir l'État, mais à tuer mon père ; 6+6 a
Pleurant d'être son fils, honteux de ses bienfaits ; 6+6 b
Admirant ses vertus, condamnant ses forfaits ; 6+6 b
Voyant en lui mon père, un coupable, un grand homme, 6+6 a
Entrné par César, et retenu par Rome ; 6+6 a
715 D'horreur et de pitié mes esprits déchirés 6+6 b
Ont souhaité la mort que vous lui préparez. 6+6 b
Je vous dirai bien plus ; sachez que je l'estime : 6+6 a
Son grand coeur me séduit, au sein même du crime ; 6+6 a
Et si sur les Romains quelqu'un pouvait régner, 6+6 b
720 Il est le seul tyran que l'on dût épargner. 6+6 b
Ne vous alarmez point ; ce nom que je déteste, 6+6 a
Ce nom seul de tyran l'emporte sur le reste. 6+6 a
Le sénat, Rome, et vous, vous avez tous ma foi : 6+6 b
Le bien du monde entier me parle contre un roi. 6+6 b
725 J'embrasse avec horreur une vertu cruelle ; 6+6 a
J'en frissonne à vos yeux, mais je vous suis fidèle. 6+6 a
César me va parler ; que ne puis-je aujourd'hui 6+6 b
L'attendrir, le changer, sauver l'État et lui ! 6+6 b
Veuillent les immortels, s'expliquant par ma bouche, 6+6 a
730 Prêter à mon organe un pouvoir qui le touche ! 6+6 a
Mais si je n'obtiens rien de cet ambitieux, 6+6 b
Levez le bras, frappez, je détourne les yeux ; 6+6 b
Je ne trahirai point mon pays pour mon père : 6+6 a
Que l'on approuve, ou non, ma fermeté sévère ; 6+6 a
735 Qu'à l'univers surpris cette grande action 6+6 b
Soit un objet d'horreur ou d'admiration ; 6+6 b
Mon esprit, peu jaloux de vivre en la mémoire, 6+6 a
Ne considère point le reproche ou la gloire ; 6+6 a
Toujours indépendant, et toujours citoyen, 6+6 b
740 Mon devoir me suffit, tout le reste n'est rien. 6+6 b
Allez, ne songez plus qu'à sortir d'esclavage. 6+6 a
CASSIUS
Du salut de l'État ta parole est le gage. 6+6 a
Nous comptons tous sur toi, comme si dans ces lieux 6+6 b
Nous entendions Caton, Rome même, et nos dieux. 6+6 b
SCÈNE III
BRUTUS
745 Voici donc le moment où César va m'entendre ; 6+6 a
Voici ce Capitole où la mort va l'attendre ; 6+6 a
Épargnez-moi, grands dieux, l'horreur de le haïr ! 6+6 b
Dieux, arrêtez ces bras levés pour le punir ! 6+6 b
Rendez, s'il se peut, Rome à son grand coeur plus chère, 6+6 a
750 Et faites qu'il soit juste, afin qu'il soit mon père ! 6+6 a
Le voici. Je demeure immobile, éperdu. 6+6 b
Ô mânes de Caton, soutenez ma vertu ! 6+6 b
SCÈNE IV
CÉSAR
Eh bien ! que veux-tu ? Parle. As-tu le coeur d'un homme ? 6+6 a
Es-tu fils de César ?
BRUTUS
Oui, si tu l'es de Rome. 6+6 a
CÉSAR
755 Républicain farouche, où vas-tu t'emporter ? 6+6 b
N'as-tu voulu me voir que pour mieux m'insulter ? 6+6 b
Quoi ! tandis que sur toi mes faveurs se répandent, 6+6 a
Que du monde soumis les hommages t'attendent, 6+6 a
L'empire, mes bontés, rien ne fléchit ton coeur ? 6+6 b
De quel oeil vois-tu donc le sceptre ?
BRUTUS
760 Avec horreur. 6+6 b
CÉSAR
Je plains tes préjugés, je les excuse même. 6+6 a
Mais peux-tu me haïr ?
BRUTUS
Non, César, et je t'aime. 6+6 a
Mon coeur par tes exploits fut pour toi prévenu, 6+6 b
Avant que pour ton sang tu m'eusses reconnu. 6+6 b
765 Je me suis plaint aux dieux de voir qu'un si grand homme 6+6 a
Fût à la fois la gloire et le fléau de Rome. 6+6 a
Je déteste César avec le nom de roi ; 6+6 b
Mais César citoyen serait un dieu pour moi ; 6+6 b
Je lui sacrifierais ma fortune et ma vie. 6+6 a
CÉSAR
Que peux-tu donc haïr en moi ?
BRUTUS
770 La tyrannie. 6+6 a
Daigne écouter les voeux, les larmes, les avis 6+6 b
De tous les vrais Romains, du sénat, de ton fils. 6+6 b
Veux-tu vivre en effet le premier de la terre, 6+6 a
Jouir d'un droit plus saint que celui de la guerre, 6+6 a
775 Être encor plus que roi, plus même que César ? 6+6 b
CÉSAR
Eh bien ?
BRUTUS
Tu vois la terre enchnée à ton char ; 6+6 b
Romps nos fers, sois Romain, renonce au diadème. 6+6 a
CÉSAR
Ah ! que proposes-tu ?
BRUTUS
Ce qu'a fait Sylla même. 6+6 a
Longtemps dans notre sang Sylla s'était noyé ; 6+6 b
780 Il rendit Rome libre, et tout fut oublié. 6+6 b
Cet assassin illustre, entouré de victimes, 6+6 a
En descendant du trône effaça tous ses crimes. 6+6 a
Tu n'eus point ses fureurs, ose avoir ses vertus. 6+6 b
Ton coeur sut pardonner ; César, fais encor plus. 6+6 b
785 Que servent désormais les grâces que tu donnes ? 6+6 a
C'est à Rome, à l'État qu'il faut que tu pardonnes ; 6+6 a
Alors, plus qu'à ton rang nos coeurs te sont soumis ; 6+6 b
Alors tu sais régner ; alors je suis ton fils. 6+6 b
Quoi ! je te parle en vain ?
CÉSAR
Rome demande un maître ; 6+6 a
790 Un jour à tes dépens tu l'apprendras peut-être. 6+6 a
Tu vois nos citoyens plus puissants que des rois : 6+6 b
Nos moeurs changent, Brutus ; il faut changer nos lois. 6+6 b
La liberté n'est plus que le droit de se nuire 6+6 a
Rome, qui détruit tout, semble enfin se détruire. 6+6 a
795 Ce colosse effrayant, dont le monde est foulé, 6+6 b
En pressant l'univers, est lui-même ébranlé. 6+6 b
Il penche vers sa chute, et contre la tempête 6+6 a
Il demande mon bras pour soutenir sa tête. 6+6 a
Enfin depuis Sylla nos antiques vertus, 6+6 b
800 Les lois, Rome, l'État, sont des noms superflus. 6+6 b
Dans nos temps corrompus, pleins de guerres civiles, 6+6 a
Tu parles comme au temps des Dèces, des Émiles. 6+6 a
Caton t'a trop séduit, mon cher fils ; je prévois 6+6 b
Que ta triste vertu perdra l'État et toi. 6+6 b
805 Fais céder, si tu peux, ta raison détrompée 6+6 a
Au vainqueur de Caton, au vainqueur de Pompée, 6+6 a
À ton père qui t'aime, et qui plaint ton erreur. 6+6 b
Sois mon fils en effet, Brutus ; rends-moi ton coeur ; 6+6 b
Prends d'autres sentiments, ma bonté t'en conjure ; 6+6 a
810 Ne force point ton âme à vaincre la nature. 6+6 a
Tu ne me réponds rien ? tu détournes les yeux ? 6+6 b
BRUTUS
Je ne le connais plus. Tonnez sur moi, grands dieux ! 6+6 b
César…
CÉSAR
Quoi ! tu t'émeus ? ton âme est amollie ? 6+6 a
Ah ! mon fils…
BRUTUS
Sais-tu bien qu'il y va de ta vie ! 6+6 a
815 Sais-tu que le sénat n'a point de vrai Romain 6+6 b
Qui n'aspire en secret à te percer le sein ? 6+6 b
Que le salut de Rome, et que le tien le touche : 6+6 a
Ton génie alarmé te parle par ma bouche ; 6+6 a
Il me pousse, il me presse, il me jette à tes pieds. 6+6 b
Il se jette à ses genoux.
820 César, au nom des dieux, dans ton coeur oubliés ; 6+6 b
Au nom de tes vertus, de Rome, et de toi-même, 6+6 a
Dirai-je au nom d'un fils qui frémit et qui t'aime, 6+6 a
Qui te préfère au monde, et Rome seule à toi ? 6+6 b
Ne me rebute pas !
CÉSAR
Malheureux, laisse-moi. 6+6 b
Que me veux-tu ?
BRUTUS
825 Crois-moi, ne sois point insensible. 6+6 a
CÉSAR
L'univers peut changer ; mon âme est inflexible. 6+6 a
BRUTUS
Voilà donc la réponse ?
CÉSAR
Oui, tout est résolu. 6+6 b
Rome doit obéir quand César a voulu. 6+6 b
BRUTUS, d'un air consterné
Adieu, César.
CÉSAR
Eh quoi ! d'où viennent tes alarmes ? 6+6 a
830 Demeure encor, mon fils. Quoi ! tu verses des larmes ! 6+6 a
Quoi ! Brutus peut pleurer ! Est-ce d'avoir un roi ? 6+6 b
Pleures-tu les Romains ?
BRUTUS
Je ne pleure que toi. 6+6 b
Adieu, te dis-je.
CÉSAR
Ô Rome ! ô rigueur héroïque ! 6+6 a
Que ne puis-je à ce point aimer ma république ! 6+6 a
SCÈNE V
DOLABELLA
835 Le sénat par ton ordre au temple est arrivé : 6+6 b
On n'attend plus que toi, le trône est élevé. 6+6 b
Tous ceux qui t'ont vendu leur vie et leurs suffrages 6+6 a
Vont prodiguer l'encens au pied de tes images. 6+6 a
J'amène devant toi la foule des Romains : 6+6 b
840 Le sénat va fixer leurs esprits incertains ; 6+6 b
Mais si César croyait un citoyen qui l'aime, 6+6 a
Nos présages affreux, nos devins, nos dieux même, 6+6 a
César différerait ce grand événement. 6+6 b
CÉSAR
Quoi ! lorsqu'il faut régner, différer d'un moment ! 6+6 b
Qui pourrait m'arrêter, moi ?
DOLABELLA
845 Toute la nature 6+6 a
Conspire à t'avertir par un sinistre augure. 6+6 a
Le ciel, qui fait les rois, redoute ton trépas. 6+6 b
CÉSAR
Va, César n'est qu'un homme, et je ne pense pas 6+6 b
Que le ciel de mon sort à ce point s'inquiète, 6+6 a
850 Qu'il anime pour moi la nature muette, 6+6 a
Et que les éléments paraissent confondus, 6+6 b
Pour qu'un mortel ici respire un jour de plus. 6+6 b
Les dieux, du haut du ciel, ont compté nos années ; 6+6 a
Suivons sans reculer nos hautes destinées. 6+6 a
César n'a rien à craindre.
DOLABELLA
855 Il a des ennemis 6+6 b
Qui sous un joug nouveau sont à peine asservis : 6+6 b
Qui sait s'ils n'auraient point conspiré leur vengeance ? 6+6 a
CÉSAR
Ils n'oseraient.
DOLABELLA
Ton coeur a trop de confiance. 6+6 a
CÉSAR
Tant de précautions contre mon jour fatal 6+6 b
860 Me rendraient méprisable, et me défendraient mal. 6+6 b
DOLABELLA
Pour le salut de Rome il faut que César vive ; 6+6 a
Dans le sénat au moins permets que je te suive. 6+6 a
CÉSAR
Non ; pourquoi changer l'ordre entre nous concerté ? 6+6 b
N'avançons point, ami, le moment arrê 6+6 b
865 Qui change ses desseins découvre sa faiblesse. 6+6 a
DOLABELLA
Je te quitte à regret. Je crains, je le confesse : 6+6 a
Ce nouveau mouvement dans mon coeur est trop fort. 6+6 b
CÉSAR
Va, j'aime mieux mourir que de craindre la mort ! 6+6 b
Allons.
SCÈNE VI
DOLABELLA
Chers citoyens, quel héros, quel courage 6+6 a
870 De la terre et de vous méritait mieux l'hommage ? 6+6 a
Joignez vos voeux aux miens, peuples qui l'admirez ; 6+6 b
Confirmez les honneurs qui lui sont préparés ; 6+6 b
Vivez pour le servir, mourez pour le défendre… 6+6 a
Quelles clameurs, ô ciel ! quels cris se font entendre ! 6+6 a
LES CONJURÉS, derrière le théâtre
875 Meurs, expire, tyran ! Courage, Cassius ! 6+6 b
DOLABELLA
Ah ! courons le sauver.
SCÈNE VII
CASSIUS
C'en est fait, il n'est plus. 6+6 b
DOLABELLA
Peuples, secondez-moi ; frappons, perçons ce traître. 6+6 a
CASSIUS
Peuples, imitez-moi, vous n'avez plus de maître. 6+6 a
Nation de héros, vainqueurs de l'univers, 6+6 b
880 Vive la liberté ! ma main brise vos fers. 6+6 b
DOLABELLA
Vous trahissez, Romains, le sang de ce grand homme ? 6+6 a
CASSIUS
J'ai tué mon ami pour le salut de Rome ! 6+6 a
Il vous asservit tous, son sang est répandu. 6+6 b
Est-il quelqu'un de vous de si peu de vertu, 6+6 b
885 D'un esprit si rampant, d'un si faible courage, 6+6 a
Qu'il puisse regretter César et l'esclavage ? 6+6 a
Quel est ce vil Romain qui veut avoir un roi ? 6+6 b
S'il en est un, qu'il parle, et qu'il se plaigne à moi. 6+6 b
Mais vous n'applaudissez, vous aimez tous la gloire. 6+6 a
ROMAINS
890 César fut un tyran, périsse sa mémoire ! 6+6 a
CASSIUS
Maîtres du monde entier, de Rome heureux enfants, 6+6 b
Conservez à jamais ces nobles sentiments. 6+6 b
Je sais que devant vous Antoine va paraître : 6+6 a
Amis, souvenez-vous que César fut son maître, 6+6 a
895 Qu'il a servi sous lui, dès ses plus jeunes ans, 6+6 b
Dans l'école du crime et dans l'art des tyrans. 6+6 b
Il vient justifier son maître et son empire ; 6+6 a
Il vous méprise assez pour penser vous séduire. 6+6 a
Sans doute il peut ici faire entendre sa voix : 6+6 b
900 Telle est la loi de Rome, et j'obéis aux lois. 6+6 b
Le peuple est désormais leur organe suprême, 6+6 a
Le juge de César, d'Antoine, de moi-même. 6+6 a
Vous rentrez dans vos droits indignement perdus ; 6+6 b
César vous les ravit, je vous les ai rendus : 6+6 b
905 Je les veux affermir. Je rentre au Capitole ; 6+6 a
Brutus est au sénat ; il m'attend, et j'y vole. 6+6 a
Je vais avec Brutus, en ces murs désolés, 6+6 b
Rappeler la justice, et nos dieux exilés ; 6+6 b
Étouffer des méchants les fureurs intestines, 6+6 a
910 Et de la liberté réparer les ruines. 6+6 a
Vous, Romains, seulement consentez d'être heureux. 6+6 b
Ne vous trahissez pas, c'est tout ce que je veux ; 6+6 b
Redoutez tout d'Antoine, et surtout l'artifice. 6+6 a
ROMAINS
S'il vous ose accuser, que lui-même il périsse ! 6+6 a
CASSIUS
915 Souvenez-vous, Romains, de ces serments sacrés. 6+6 b
ROMAINS
Aux vengeurs de l'État nos coeurs sont assurés. 6+6 b
SCÈNE VIII
Un ROMAIN
Mais Antoine paraît.
Autre ROMAIN
Qu'osera-t-il nous dire ? 6+6 a
Un ROMAIN
Ses yeux versent des pleurs ; il se trouble, il soupire. 6+6 a
Un autre
Il aimait trop César.
ANTOINE, montant à la tribune aux harangues
Oui, je l'aimais, Romains ; 6+6 b
920 Oui, j'aurais de mes jours prolongé ses destins. 6+6 b
Hélas ! Vous avez tous pensé comme moi-même ; 6+6 a
Et lorsque de son front ôtant le diadème, 6+6 a
Ce héros à vos lois s'immolait aujourd'hui, 6+6 b
Qui de vous, en effet, n'eût expiré pour lui ? 6+6 b
925 Hélas ! Je ne viens point célébrer sa mémoire ; 6+6 a
La voix du monde entier parle assez de sa gloire ; 6+6 a
Mais de mon désespoir ayez quelque pitié, 6+6 b
Et pardonnez du moins des pleurs à l'amitié. 6+6 b
Un ROMAIN
Il les fallait verser quand Rome avait un maître. 6+6 a
930 César fut un héros ; mais César fut un traître. 6+6 a
Autre ROMAIN
Puisqu'il était tyran, il n'eut point de vertus. 6+6 b
Un troisième
Oui, nous approuvons tous Cassius et Brutus. 6+6 b
ANTOINE
Contre ses meurtriers je n'ai rien à vous dire ; 6+6 a
C'est à servir l'État que leur grand coeur aspire. 6+6 a
935 De votre dictateur ils ont percé le flanc : 6+6 b
Comblés de ses bienfaits, ils sont teints de son sang. 6+6 b
Pour forcer des Romains à ce coup détestable, 6+6 a
Sans doute il fallait bien que César fût coupable ; 6+6 a
Je le crois. Mais enfin César a-t-il jamais 6+6 b
940 De son pouvoir sur vous appesanti le faix ? 6+6 b
A-t-il gardé pour lui le fruit de ses conquêtes ? 6+6 a
Des dépouilles du monde il couronnait vos têtes. 6+6 a
Tout l'or des nations qui tombaient sous ses coups, 6+6 b
Tout le prix de son sang fut prodigué pour vous. 6+6 b
945 De son char de triomphe il voyait vos alarmes : 6+6 a
César en descendait pour essuyer vos larmes. 6+6 a
Du monde qu'il soumit vous triomphez en paix, 6+6 b
Puissants par son courage, heureux par ses bienfaits. 6+6 b
Il payait le service, il pardonnait l'outrage. 6+6 a
950 Vous le savez, grands dieux ! vous dont il fut l'image ; 6+6 a
Vous, dieux, qui lui laissiez le monde à gouverner, 6+6 b
Vous savez si son coeur aimait à pardonner ! 6+6 b
Un ROMAIN
Il est vrai que César fit aimer sa clémence. 6+6 a
ANTOINE
Hélas ! si sa grande âme eût connu la vengeance, 6+6 a
955 Il vivrait, et sa vie eût rempli nos souhaits. 6+6 b
Sur tous ses meurtriers il versa ses bienfaits ; 6+6 b
Deux fois à Cassius il conserva la vie. 6+6 a
Brutus… où suis-je ? ô ciel ! ô crime ! ô barbarie ! 6+6 a
Chers amis, je succombe ; et mes sens interdits… 6+6 b
960 Brutus ; son assassin !… ce monstre était son fils. 6+6 b
ROMAINS
Ah, dieux !
ANTOINE
Je vois frémir vos généreux courages ; 6+6 a
Amis, je vois les pleurs qui mouillent vos visages. 6+6 a
Oui, Brutus est son fils ; mais vous qui m'écoutez, 6+6 b
Vous étiez ses enfants dans son coeur adoptés. 6+6 b
965 Hélas ! si vous saviez sa volonté dernière ! 6+6 a
ROMAINS
Quelle est-elle ? parlez.
ANTOINE
Rome est son héritière. 6+6 a
Ses trésors sont vos biens ; vous en allez jouir : 6+6 b
Au delà du tombeau César veut vous servir. 6+6 b
C'est vous seuls qu'il aimait ; c'est pour vous qu'en Asie 6+6 a
970 Il allait prodiguer sa fortune et sa vie. 6+6 a
« Ô Romains, disait-il, peuple-roi que je sers, 6+6 b
Commandez à César, César à l'univers. » 6+6 b
Brutus ou Cassius eût-il fait davantage ? 6+6 a
ROMAINS
Ah ! nous les détestons. Ce doute nous outrage. 6+6 a
Un ROMAIN
975 César fut en effet le père de l'État. 6+6 b
ANTOINE
Votre père n'est plus : un lâche assassinat 6+6 b
Vient de trancher ici les jours de ce grand homme, 6+6 a
L'honneur de la nature et la gloire de Rome. 6+6 a
Romains, priverez-vous des honneurs du bûcher 6+6 b
980 Ce père, cet ami, qui vous était si cher ? 6+6 b
On l'apporte à vos yeux.
Le fond du théâtre s'ouvre ; des licteurs apportent le corps de César couvert d'une robe sanglante ; Antoine descend de la tribune, et se jette à genoux auprès du corps.
ROMAINS
Ô spectacle funeste ! 6+6 a
ANTOINE
Du plus grand des Romains voilà ce qui vous reste ; 6+6 a
Voilà ce dieu vengeur, idolâtré par vous, 6+6 b
Que ses assassins même adoraient à genoux ; 6+6 b
985 Qui ; toujours votre appui dans la paix, dans la guerre, 6+6 a
Une heure auparavant faisait trembler la terre ; 6+6 a
Qui devait enchner Babylone à son char : 6+6 b
Amis, en cet état connaissez-vous César ? 6+6 b
Vous les voyez, Romains, vous touchez ces blessures, 6+6 a
990 Ce sang qu'ont sous vos yeux versé des mains parjures. 6+6 a
Là, Cimber l'a frappé ; là, sur le grand César 6+6 b
Cassius et Décime enfonçaient leur poignard. 6+6 b
Là, Brutus éperdu, Brutus l'âme égarée, 6+6 a
A souillé dans ses flancs sa main dénaturée. 6+6 a
995 César, le regardant d'un oeil tranquille et doux, 6+6 b
Lui pardonnait encore en tombant sous ses coups. 6+6 b
Il l'appelait son fils ; et ce nom cher et tendre 6+6 a
Est le seul qu'en mourant César ait fait entendre : 6+6 a
« Ô mon fils ! » disait-il.
Un ROMAIN
Ô monstre que les dieux 6+6 b
1000 Devaient exterminer avant ce coup affreux ! 6+6 b
Autres Romains en regardant le corps dont ils sont proches
Dieux ! son sang coule encore.
ANTOINE
Il demande vengeance, 6+6 a
Il l'attend de vos mains et de votre vaillance. 6+6 a
Entendez-vous sa voix ? Réveillez-vous, Romains ; 6+6 b
Marchez, suivez-moi tous contre ses assassins : 6+6 b
1005 Ce sont là les honneurs qu'à César on doit rendre. 6+6 a
Des brandons du bûcher qui va le mettre en cendre, 6+6 a
Embrasons les palais de ces fiers conjurés 6+6 b
Enfonçons dans leur sein nos bras désespérés. 6+6 b
Venez, dignes amis ; venez, vengeurs des crimes, 6+6 a
1010 Au dieu de la patrie immoler ces victimes. 6+6 a
ROMAINS
Oui, nous les punirons ; oui, nous suivrons vos pas. 6+6 b
Nous jurons par son sang de venger son trépas. 6+6 b
Courons.
ANTOINE à Dolabella
Ne laissons pas leur fureur inutile ; 6+6 a
Précipitons ce peuple inconstant et facile : 6+6 a
1015 Entrnons-le à la guerre ; et, sans rien ménager, 6+6 b
Succédons à César en courant le venger. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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