Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VIG_1/VIG19
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE MODERNE
La Frégate "La Sérieuse"
La Plainte du capitaine
Poème
――――――
I
 Qu'elle était belle, ma frégate, 8 a
 Lorsqu'elle voguait dans le vent ! 8 b
 Elle avait, au soleil levant, 8 b
 Toutes les couleurs de l'agate ; 8 a
5  Ses voiles luisaient le matin 8 a
 Comme des ballons de satin ; 8 a
 Sa quille mince, longue et plate, 8 a
 Portait deux bandes d'écarlate 8 a
 Sur vingt-quatre canons cachés ; 8 a
10  Ses mâts, en arrière penchés, 8 a
 Paraissaient à demi-couchés. 8 a
 Dix fois plus vive qu'un pirate, 8 a
 En cent jours du Havre à Surate 8 a
 Elle nous emporta souvent. 8 b
15  ― Qu'elle était belle, ma frégate, 8 a
 Lorsqu'elle voguait dans le vent ! 8 b
II
BREST vante son beau portet cette rade insigne 6+6 a
peuvent manœuvrertrois cents vaisseaux de ligne ; 6+6 a
BOULOGNE, sa citéhaute et double, et CALAIS, 6+6 a
20 Sa citadelle assiseen mer comme un palais ; 6+6 a
DIEPPE a son vieux châteausoutenu par la dune, 6+6 a
Ses baigneuses cherchantla vague au clair de lune, 6+6 a
Et ses deux monts en vainpar la mer insultés ; 6+6 a
CHERBOURG a ses fanauxde bien loin consultés, 6+6 a
25 Et gronde en menaçantGuernsey la sentinelle 6+6 a
Debout près de Jersey,presque en France ainsi qu'elle. 6+6 a
LORIENT, dans sa radeau mouillage inégal, 6+6 a
Reçoit la poudre d'ordes noirs du Sénégal ; 6+6 a
SAINT-MALO dans son porttranquillement regarde 6+6 a
30 Mille rochers deboutqui lui servent de garde ; 6+6 a
LE HAVRE a pour parureensemble et pour appui 6+6 a
Notre-Dame de Grâceet HONFLEUR devant lui ; 6+6 a
BORDEAUX, de ses longs quaisparés de maisons neuves, 6+6 a
Porte jusqu'à la merses vins sur deux grands fleuves ; 6+6 a
35 Toute ville à MARSEILLEaurait droit d'envier 6+6 a
Sa ceinture de fruits,d'orange et d'olivier ; 6+6 a
D'or et de fer BAYONNEen tout temps fut prodigue ; 6+6 a
Du grand cardinal-ducLA ROCHELLE a la digue ; 6+6 a
Tous nos ports ont leur gloireou leur luxe à nommer ; 6+6 a
40 Mais TOULON a lancéla Sérieuse en mer. 6+6 a
LA TRAVERSÉE
III
 Quand la belle Sérieuse 7 a
 Pour l'Égypte appareilla, 7 b
 Sa figure gracieuse 7 a
 Avant le jour s'éveilla ; 7 b
45  A la lueur des étoiles 7 a
 Elle déploya ses voiles, 7 a
 Leurs cordages et leurs toiles, 7 a
 Comme de larges réseaux, 7 a
 Avec ce long bruit qui tremble, 7 b
50  Qui se prolonge et ressemble 7 b
 Au bruit des ailes qu'ensemble 7 b
 Ouvre une troupe d'oiseaux. 7 a
IV
 Dès que l'ancre dégagée, 7 a
 Revient par son câble à bord, 7 b
55  La proue alors est changée, 7 a
 Selon l'aiguille et le nord. 7 b
 La Sérieuse l'observe, 7 a
 Elle passe la Réserve, 7 a
 Et puis marche de conserve 7 a
60  Avec le grand Orient : 7 a
 Sa voilure toute blanche 7 b
 Comme un sein gonflé se penche ; 7 b
 Chaque mât, comme une branche, 7 b
 Touche la vague en pliant. 7 a
V
65  Avec sa démarche leste, 7 a
 Elle glisse et prend le vent, 7 b
 Laisse à l'arrière l'Alceste, 7 a
 Et marche seule à l'avant. 7 b
 Par son pavillon conduite, 7 a
70  L'escadre n'est à sa suite 7 a
 Que lorsqu'arrêtant sa fuite, 7 a
 Elle veut l'attendre enfin : 7 a
 Mais, de bons marins pourvue, 7 b
 Aussitôt qu'elle est en vue, 7 b
75  Par sa manœuvre imprévue, 7 b
 Elle part comme un dauphin. 7 a
VI
 Comme un dauphin elle saute, 7 a
 Elle plonge comme lui 7 b
 Dans la mer profonde et haute, 7 a
80   le feu Saint-Elme a lui. 7 b
 Le feu serpente avec grâce ; 7 a
 Du gouvernail qu'il embrasse 7 a
 Il marque longtemps la trace, 7 a
 Et l'on dirait un éclair 7 a
85  Qui, n'ayant pu nous atteindre, 7 b
 Dans les vagues va s'éteindre, 7 b
 Mais ne cesse de les teindre 7 b
 Du prisme enflammé de l'air. 7 a
VII
 Ainsi qu'une forêt sombre 7 a
90  La flotte venait après, 7 b
 Et de loin s'étendait l'ombre 7 a
 De ses immenses agrès. 7 b
 En voyant le Spartiate, 7 a
 Le Franklin et sa frégate, 7 a
95  Le bleu, le blanc, l'écarlate, 7 a
 De cent mâts nationaux, 7 a
 L'armée, en convoi, remise 7 b
 Comme en garde à l'Artémise, 7 b
 Nous nous dîmes : « C'est Venise 7 b
100  Qui s'avance sur les eaux. » 7 a
VIII
 Quel plaisir d'aller si vite, 7 a
 Et de voir son pavillon, 7 b
 Loin des terres qu'il évite 7 a
 Tracer un noble sillon ! 7 b
105  Au large on voit mieux le monde, 7 a
 Et sa tête énorme et ronde 7 a
 Qui se balance et qui gronde, 7 a
 Comme éprouvant un affront, 7 a
 Parce que l'homme se joue 7 b
110  De sa force, et que la proue, 7 b
 Ainsi qu'une lourde roue, 7 b
 Fend sa route sur son front. 7 a
IX
 Quel plaisir ! et quel spectacle 7 a
 Que l'élément triste et froid 7 b
115  Ouvert ainsi sans obstacle 7 a
 Par un bois de chêne étroit ! 7 b
 Sur la plaine humide et sombre, 7 a
 La nuit, reluisaient dans l'ombre 7 a
 Des insectes en grand nombre, 7 a
120  De merveilleux vermisseaux, 7 a
 Troupe brillante et frivole, 7 b
 Comme un feu follet qui vole, 7 b
 Ornant chaque banderole 7 b
 Et chaque mât des vaisseaux. 7 a
X
125  Et surtout la Sérieuse 7 a
 Était belle, nuit et jour ; 7 b
 La mer, douce et curieuse, 7 a
 La portait avec amour, 7 b
 Comme un vieux lion abaisse 7 a
130  Sa longue crinière épaisse, 7 a
 Et, sans l'agiter, y laisse 7 a
 Se jouer le lionceau ; 7 a
 Comme sur sa tête agile 7 b
 Une femme tient l'argile, 7 b
135  Ou le jonc souple et fragile 7 b
 D'un mystérieux berceau. 7 a
XI
 Moi, de sa poupe hautaine 7 a
 Je ne m'absentais jamais, 7 b
 Car, étant son capitaine, 7 a
140  Comme un enfant je l'aimais : 7 b
 J'aurais moins aimé peut-être 7 a
 L'enfant que j'aurais vu ntre ; 7 a
 De son cœur on n'est pas mtre. 7 a
 Moi, je suis un vrai marin ; 7 a
145  Ma naissance est un mystère ; 7 b
 Sans famille, et solitaire, 7 b
 Je ne connais pas la terre, 7 b
 Et la vois avec chagrin. 7 a
XII
 Mon banc de quart est mon trône, 7 a
150  J'y règne plus que les rois ; 7 b
 Sainte Barbe est ma patronne ; 7 a
 Mon sceptre est mon porte-voix ; 7 b
 Ma couronne est ma cocarde ; 7 a
 Mes officiers sont ma garde ; 7 a
155  A tous les vents je hasarde 7 a
 Mon peuple de matelots, 7 a
 Sans que personne demande 7 b
 A quel bord je veux qu'il tende, 7 b
 Et pourquoi je lui commande 7 b
160  D'être plus fort que les flots. 7 a
XIII
 Voilà toute la famille 7 a
 Qu'en mon temps il me fallait ; 7 b
 Ma frégate était ma fille. 7 a
 « Va ! » lui disais-je. Elle allait, 7 b
165  S'élançait dans la carrière, 7 a
 Laissant l'écueil en arrière, 7 a
 Comme un cheval sa barrière ; 7 a
 Et l'on m'a dit qu'une fois 7 a
 (Quand je pris terre en Sicile) 7 b
170  Sa marche fut moins facile : 7 b
 Elle parut indocile 7 b
 Aux ordres d'une autre voix. 7 a
XIV
 On l'aurait crue animée ! 7 a
 Toute l'Égypte la prit, 7 b
175  Si blanche et si bien formée, 7 a
 Pour un gracieux Esprit 7 b
 Des Français compatriote, 7 a
 Lorsqu'en avant de la flotte, 7 a
 Dont elle était le pilote, 7 a
180  Doublant une vieille tour, 7 a
 Elle entra, sans avarie, 7 b
 Aux cris : « Vive la patrie ! » 7 b
 Dans le port d'Alexandrie, 7 b
 Qu'on appelle Abou-Mandour. 7 a
LE REPOS
XV
185 Une fois, par malheur,si vous avez pris terre, 6+6 a
Peut-être qu'un de vous,sur un lac solitaire, 6+6 a
Aura vu, comme moi,quelque cygne endormi, 6+6 a
Qui se laissait au ventbalancer à demi. 6+6 a
Sa tête nonchalante,en arrière appuyée, 6+6 a
190 Se cache dans la plumeau soleil essuyée : 6+6 a
Son poitrail est lavépar le flot transparent, 6+6 a
Comme un écueil l'eause joue en expirant ; 6+6 a
Le duvet qu'en passantl'air dérobe à sa plume 6+6 a
Autour de lui s'envoleet se mêle à l'écume ; 6+6 a
195 Une aile est son coussin,l'autre est son éventail ; 6+6 a
Il dort, et de son piedle large gouvernail 6+6 a
Trouble encore, en ramant,l'eau tournoyante et douce, 6+6 a
Tandis que sur ses flancsse forme un lit de mousse, 6+6 a
De feuilles et de joncs,et d'herbages errants 6+6 a
200 Qu'apportent près de luid'invisibles courants. 6+6 a
LE COMBAT
XVI
Ainsi près d'Aboukirreposait ma frégate ; 6+6 a
A l'ancre dans la rade,en avant des vaisseaux, 6+6 b
On voyait de bien loinson corset d'écarlate 6+6 a
 Se mirer dans les eaux. 6 b
205 Ses canots l'entouraient,à leur place assignée. 6+6 a
Pas une voile ouverte,on était sans dangers. 6+6 b
Ses cordages semblaientdes filets d'araignée, 6+6 a
 Tant ils étaient légers. 6 b
Nous étions tous marins.Plus de soldats timides 6+6 a
210 Qui chancellent à bordainsi que des enfants ; 6+6 b
Ils marchaient sur leur sol,prenant des Pyramides, 6+6 a
 Montant des éléphants. 6 b
Il faisait beau. ― La mer,de sable environnée, 6+6 a
Brillait comme un bassind'argent entouré d'or ; 6+6 b
215 Un vaste soleil rougeannonça la journée 6+6 a
 Du quinze thermidor. 6 b
La Sérieuse alorss'ébranla sur sa quille : 6+6 a
Quand venait un combat,c'était toujours ainsi ; 6+6 b
Je le reconnus bien,et je lui dis : « Ma fille, 6+6 a
220  Je te comprends, merci ! » 6 b
J'avais une lunetteexercée aux étoiles ; 6+6 a
Je la pris, et la tinsferme sur l'horizon. 6+6 b
Une, deux, trois, ― je vistreize et quatorze voiles : 6+6 a
 Enfin, c'était Nelson. 6 b
225 Il courait contre nousen avant de la brise ; 6+6 a
La Sérieuse à l'ancre,immobile s'offrant, 6+6 b
Reçut le rude abordsans en être surprise, 6+6 a
 Comme un roc un torrent. 6 b
Tous passèrent près d'elleen lâchant leur bordée ; 6+6 a
230 Fière, elle réponditaussi quatorze fois, 6+6 b
Et par tous les vaisseauxelle fut débordée, 6+6 a
 Mais il en resta trois. 6 b
Trois vaisseaux de haut bord ―combattre une frégate ! 6+6 a
Est-ce l'art d'un marin ?le trait d'un amiral ? 6+6 b
235 Un écumeur de mer,un forban, un pirate, 6+6 a
 N't pas agi si mal ! 6 b
N'importe ! elle bondit,dans son repos troublée, 6+6 a
Elle tourna trois foisjetant vingt-quatre éclairs, 6+6 b
Et rendit tous les coupsdont elle était criblée, 6+6 a
240  Feux pour feux, fers pour fers. 6 b
Ses boulets enchnésfauchaient des mâts énormes, 6+6 a
Faisaient voler le sang,la poudre et le goudron, 6+6 b
S'enfonçaient dans le bois,comme au cœur des grands ormes 6+6 a
 Le coin du bûcheron. 6 b
245 Un brouillard de fumée la flamme étincelle 6+6 a
L'entourait ; mais, le corpsbrûlé, noir, écharpé, 6+6 b
Elle tournait, roulait,et se tordait sous elle, 6+6 a
 Comme un serpent coupé. 6 b
Le soleil s'éclipsadans l'air plein de bitume. 6+6 a
250 Ce jour entier passadans le feu, dans le bruit ; 6+6 b
Et, lorsque la nuit vint,sous cette ardente brume 6+6 a
 On ne vit pas la nuit. 6 b
Nous étions enferméscomme dans un orage : 6+6 a
Des deux flottes au loinle canon s'y mêlait ; 6+6 b
255 On tirait en aveugleà travers le nuage : 6+6 a
 Toute la mer brûlait. 6 b
Mais, quand le jour revint,chacun connut son œuvre. 6+6 a
Les trois vaisseaux flottaientdémâtés, et si las, 6+6 b
Qu'ils n'avaient plus de forceassez pour la manœuvre ; 6+6 a
260  Mais ma frégate, hélas ! 6 b
Elle ne voulait plusobéir à son mtre : 6+6 a
Mutilée, impuissante,elle allait au hasard ; 6+6 b
Sans gouvernail, sans mât,on n't pu reconntre 6+6 a
 La merveille de l'art ! 6 b
265 Engloutie à demi,son large pont à peine, 6+6 a
S'affaissant par degrés,se montrait sur les flots ; 6+6 b
Et là ne restaient plus,avec moi capitaine, 6+6 a
 Que douze matelots. 6 b
Je les fis mettre en merà bord d'une chaloupe, 6+6 a
270 Hors de notre eau tournanteet de son tourbillon ; 6+6 b
Et je revins tout seulme coucher sur la poupe 6+6 a
 Au pied du pavillon. 6 b
J'apeus des Anglaisles figures livides, 6+6 a
Faisant pour s'approcherun inutile effort 6+6 b
275 Sur leurs vaisseaux flottantscomme des tonneaux vides, 6+6 a
 Vaincus par notre mort. 6 b
La Sérieuse alorssemblait à l'agonie ; 6+6 a
L'eau dans ses cavitésbouillonnait sourdement ; 6+6 b
Elle, comme voyantsa carrière finie, 6+6 a
280   Gémit profondément. 6 b
Je me sentis pleurer,et ce fut un prodige, 6+6 a
Un mouvement honteux ;mais bientôt l'étouffant : 6+6 b
« Nous nous sommes conduitscomme il fallait, lui dis-je ; 6+6 a
 Adieu donc, mon enfant ! » 6 b
285 Elle plonge d'abordsa poupe, et puis sa proue ; 6+6 a
Mon pavillon noyése montrait en dessous ; 6+6 b
Puis elle s'enfonça,tournant comme une roue, 6+6 a
 Et la mer vint sur nous. 6 b
XVII
 Hélas ! deux mousses d'Angleterre 8 a
290  Me sauvèrent alors, dit-on, 8 b
 Et me voici sur un ponton ; ― 8 b
 J'aimerais presque autant la terre ! 8 a
 Cependant je respire ici 8 a
 L'odeur de la vague et des brises. 8 b
295  Vous êtes marins. Dieu merci ! 8 a
 Nous causons de combats, de prises ; 8 b
 Nous fumons, et nous prenons l'air 8 a
 Qui vient aux sabords de la mer, 8 a
 Votre voix m'anime et me flatte, 8 a
300  Aussi je vous dirai souvent : 8 b
 ― Qu'elle était belle ma frégate, 8 a
 Lorsqu'elle voguait dans le vent ! » 8 b
mètre profils métriques : 8, 7, 6, 6+6
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