Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VIG_1/VIG20
Alfred de VIGNY
POÈMES ANTIQUES ET MODERNES
1826
LIVRE MODERNE
Les Amants de Montmorency
Élévation
I
Étaient-ils malheureux ?Esprits qui le savez ! 6+6 a
Dans les trois derniers joursqu'ils s'étaient réservés, 6+6 a
― Vous les vîtes partirtous deux, l'un jeune et grave, 6+6 b
L'autre joyeuse et jeune.Insouciante esclave, 6+6 b
5 Suspendue au bras droitde son rêveur amant, 6+6 a
Comme à l'autel un vaseattaché mollement, 6+6 a
Balancée en marchantsur sa flexible épaule 6+6 b
Comme la harpe juiveà la branche du saule ; 6+6 b
Riant, les yeux en l'air,et la main dans sa main, 6+6 a
10 Elle allait en comptantles arbres du chemin, 6+6 a
Pour cueillir une fleurdemeurait en arrière, 6+6 b
Puis revenait à lui,courant dans la poussière, 6+6 b
L'arrêtait par l'habitpour l'embrasser, posait 6+6 a
Un œillet sur sa tête,et chantait, et jasait 6+6 a
15 Sur les passants nombreux,sur la riche vallée 6+6 b
Comme un large tapisà ses pieds étalée ; 6+6 b
Beau tapis de velourschatoyant et changeant, 6+6 a
Semé de clochers d'oret de maisons d'argent, 6+6 a
Tout pareils aux jouetsqu'aux enfants on achète 6+6 b
20 Et qu'au hasard pour euxpar la chambre l'on jette. 6+6 b
Ainsi, pour lui complaire,on avait sous ses pieds 6+6 a
Répandu des bijouxbrillants, multipliés, 6+6 a
En forme de troupeaux,de village aux toits roses 6+6 b
Ou bleus, d'arbres rangés,de fleurs sous l'onde écloses, 6+6 b
25 De murs blancs, de bosquetsbien noirs, de lacs bien verts, 6+6 a
Et de chênes tordus,par la poitrine ouverts ; 6+6 a
Elle voyait ainsitout préparé pour elle : 6+6 b
Enfant, elle jouait,en marchant, toute belle, 6+6 b
Toute blonde amoureuseet fière ; et c'est ainsi 6+6 a
30 Qu'ils allèrent à piedjusqu'à Montmorency. 6+6 a
II
Ils passèrent deux joursd'amour et d'harmonie, 6+6 b
De chants et de baisers,de voix, de lèvre unie, 6+6 b
De regards confondus,de soupirs bienheureux, 6+6 a
Qui furent deux momentset deux siècles pour eux. 6+6 a
35 La nuit, on entendaitleurs chants ; dans la journée, 6+6 b
Leur sommeil, tant leur âmeétait abandonnée 6+6 b
Aux caprices divinsdu désir ! Leurs repas 6+6 a
Étaient rares, distraits ;ils ne les voyaient pas. 6+6 a
Ils allaient, ils allaientau hasard et sans heures, 6+6 b
40 Passant des champs aux bois,et des bois aux demeures, 6+6 b
Se regardant toujours,laissant les airs chantés 6+6 a
Mourir, et tout à couprestaient comme enchantés. 6+6 a
L'extase avait finipar éblouir leur âme, 6+6 b
Comme seraient nos yeuxéblouis par la flamme. 6+6 b
45 Troublés, ils chancelaient,et, le troisième soir, 6+6 a
Ils étaient enivrésjusques à ne rien voir 6+6 a
Que les feux mutuelsde leurs yeux. La nature 6+6 b
Étalait vainementsa confuse peinture 6+6 b
Autour du front aimé,derrière les cheveux 6+6 a
50 Que leurs yeux noirs voyaienttracés dans leurs yeux bleus. 6+6 a
Ils tombèrent assissous des arbres peut-être 6+6 b
Ils ne le savaient pas.Le soleil allait ntre 6+6 b
Ou s'éteindreIls voyaientseulement que le jour 6+6 a
Était pâle, et l'air doux,et le monde en amour… 6+6 a
55 Un bourdonnement faibleemplissait leur oreille 6+6 b
D'une musique vagueau bruit des mers pareille, 6+6 b
Et formant des propostendres, légers, confus, 6+6 a
Que tous deux entendaient,et qu'on n'entendra plus. 6+6 a
Le vent léger disaitde sa voix la plus douce : 6+6 b
60 « Quand l'amour m'a troublé,je gémis sous la mousse. » 6+6 b
Les mélèzes touffuss'agitaient en disant : 6+6 a
« Secouons dans les airsle parfum séduisant 6+6 a
Du soir, car le parfumest le secret langage 6+6 b
Que l'amour enflamméfait sortir du feuillage. » 6+6 b
65 Le soleil inclinésur les monts dit encor : 6+6 a
« Par mes flots de lumièreet par mes gerbes d'or, 6+6 a
Je réponds en élansaux élans de votre âme ; 6+6 b
Pour exprimer l'amourmon langage est la flamme. » 6+6 b
Et les fleurs exhalaientde suaves odeurs ; 6+6 a
70 Autant que les rayonsde suaves ardeurs ; 6+6 a
Et l'on t dit des voixtimides et flûtées 6+6 b
Qui sortaient à la foisdes feuilles veloutées ; 6+6 b
Et, comme un seul accordd'accents harmonieux, 6+6 a
Tout semblait s'éleveren chœur jusques aux cieux ; 6+6 a
75 Et ces voix s'éloignaient,en rasant les campagnes, 6+6 b
Dans les enfoncementsmagiques des montagnes ; 6+6 b
Et la terre sous euxpalpitait mollement, 6+6 a
Comme le flot des mersou le cœur d'un amant ; 6+6 a
Et tout ce qui vivait,par un hymne suprême, 6+6 b
80 Accompagnait leurs voixqui se disaient : « Je t'aime ! » 6+6 b
III
Or, c'était pour mourirqu'ils étaient venus là. 6+6 a
Lequel des deux enfantsle premier en parla ? 6+6 a
Comment dans leurs baisersvint la mort ? Quelle balle 6+6 b
Traversa les deux cœursd'une atteinte inégale 6+6 b
85 Mais sûre ? Quels adieuxleurs lèvres s'unissant 6+6 a
Laissèrent s'écouleravec l'âme et le sang ? 6+6 a
Qui le saurait ? Heureuxcelui dont l'agonie 6+6 b
Fut dans les bras chérisavant l'autre finie ! 6+6 b
Heureux si nul des deuxne s'est plaint de souffrir ! 6+6 a
90 Si nul des deux n'a dit :Qu'on a peine à mourir ! 6+6 a
Si nul des deux n'a fait,pour se lever et vivre, 6+6 b
Quelque effort en fuyantcelui qu'il devait suivre ; 6+6 b
Et, reniant sa mort,par le mal égaré, 6+6 a
N'a repoussé du brasl'homicide adoré ? 6+6 a
95 Heureux l'homme surtouts'il a rendu son âme, 6+6 b
Sans avoir entenduces angoisses de femme, 6+6 b
Ces longs pleurs, ces sanglots,ces cris peants et doux 6+6 a
Qu'on apaise en ses brasou sur ses deux genoux, 6+6 a
Pour un chagrin ; mais qui,si la mort les arrache, 6+6 b
100 Font que l'on tord ses bras,qu'on blasphème, qu'on cache 6+6 b
Dans ses mains son front pâleet son cœur plein de fiel, 6+6 a
Et qu'on se prend du sangpour le jeter au ciel. ― 6+6 a
Mais qui saura leur fin ?
Sur les pauvres murailles 6+6 b
D'une auberge depuisl'on fit leurs funérailles, 6+6 b
105 Auberge pour une heureils vinrent se poser, 6+6 a
Ployant l'aile à l'abripour toujours reposer, 6+6 a
Sur un vieux papier jaune,ordinaire tenture, 6+6 b
Nous avons lu des versd'une double écriture, 6+6 b
Des vers de fou, sans rimeet sans mesure. ― Un mot 6+6 a
110 Qui n'avait pas de suiteétait tout seul en haut ; 6+6 a
Demande sans réponse,énigme inextricable, 6+6 b
Question sur la mort.― Trois noms sur une table, 6+6 b
Profondément gravésau couteau. ― C'était d'eux 6+6 a
Tout ce qui demeurait…et le récit joyeux 6+6 a
115 D'une fille au bras rouge.» Ils n'avaient, disait-elle, 6+6 b
Rien oublié. » La bonneeut quelque bagatelle 6+6 b
Qu'elle montre en suivantleurs traces, pas à pas. 6+6 a
Et Dieu ? ― Tel est le siècle :ils n'y pensèrent pas. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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