Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
VIC_1/VIC4
Gabriel VICAIRE
L’Heure enchantée
1890
Isoline
I
 Isoline, à la fenêtre, 7 a
 Regarde la mer couler. 7 b
 — « Oh ! je voudrais m’envoler, 7 b
 Comme un aiglon, loin du mtre, 7 a
5  « Enfoncer mon éperon 7 a
 Dans les flancs du vent qui passe, 7 b
 Tourbillonner dans l’espace, 7 b
 Comme un feu de bûcheron, 7 a
 « Au jour nouveau près d’éclore, 7 a
10  Jeter ma vie et mon sang, 7 b
 M’abîmer en frémissant 7 b
 Dans l’eau frche de l’aurore ! 7 a
 « Mon cœur est épouvanté 7 a
 Du temps qui me reste à vivre ; 7 b
15  J’attends l’amour qui délivre. 7 b
 J’ai soif de la liberté 7 a
II
 Chut ! Est-ce un rêve ? 4 a
 Un très doux chant 4 b
 Dans le couchant 4 b
20  Tremble et s’élève. 4 a
 L’étrange voix, 4 a
 Pleine de larmes ! 4 b
 Qu’elle a de charmes 4 b
 Au fond des bois ! 4 a
25  Par la nuit folle, 4 a
 Au firmament, 4 b
 Divinement 4 b
 Elle s’envole, 4 a
 Et dans le cœur 4 a
30  Qui s’émerveille, 4 b
 Soudain éveille 4 b
 L’amour vainqueur, 4 a
 L’amour qui gronde, 4 a
 Pleure et sourit, 4 b
35  Par qui fleurit 4 b
 L’âme du monde. 4 a
 Le ciel est clair, 4 a
 La nuit rougeoie. 4 b
 Un vent de joie 4 b
40  Court sur la mer. 4 a
 À mille lieues, 4 a
 Voyez grandir 4 b
 Et rebondir 4 b
 Les vagues bleues. 4 a
45  Voyez, voyez 4 a
 Comme elles jouent 4 b
 Et puis secouent 4 b
 Leurs crins mouillés. 4 a
 Sur le prestige 4 a
50  De leur beauté, 4 b
 Une clarté 4 b
 Passe et voltige. 4 a
 Leurs seins menus 4 a
 S’épanouissent, 4 b
55  Des perles glissent 4 b
 Sur leurs bras nus. 4 a
 Gloire éternelle 4 a
 Au vert printemps ! 4 b
 Hourrah ! J’entends 4 b
60  Sa ritournelle. 4 a
 Au gai refrain 4 a
 De la folie, 4 b
 Le monde oublie 4 b
 Ses vieux chagrins. 4 a
65  Bientôt Dieu même 4 a
 Appartra, 4 b
 Hourrah ! hourrah ! 4 b
 Pourvu qu’on aime. 4 a
III
Isoline a sentison cœur se courroucer. 6+6 a
70 Adieu la vie esclaveau château des Ténèbres ! 6+6 b
Elle va lentementpar les salles funèbres, 6+6 b
Et les portraits d’aïeuxla regardent passer. 6+6 a
Isoline descendl’escalier de la dune ; 6+6 a
Isoline se pencheet rêve sur les flots. 6+6 b
75 Une flamme d’orageavive ses yeux clos, 6+6 b
Et son vague sourireest tout fleuri de lune. 6+6 a
L’eau berce, en bruissant,son visage qui luit ; 6+6 a
Ses cheveux dénouéss’envolent dans la brise. 6+6 b
Pareille au faon sauvage,elle écoute, surprise, 6+6 b
80 La douce voix qui trembleet se meurt dans la nuit. 6+6 a
Et la voix se rapprocheet se fait plus câline. 6+6 a
— « Ô reine au corps plus fraisque le jardin des cieux, 6+6 b
Le rossignol chanteura reconnu tes yeux ; 6+6 b
Il ne veut plus quitterle jardin d’Isoline. 6+6 a
85 « J’arrive, pour te voir,du royaume des fleurs, 6+6 a
Et mon bouquet magiqueest trempé de rosée ; 6+6 b
Je viens à sa prisonravir mon épousée, 6+6 b
L’aurore est devant moiqui porte mes couleurs. 6+6 a
« Tourterelle dorée,amoureuse colombe, 6+6 a
90 N’as-tu pas dans les fersassez longtemps gémi ? 6+6 b
Ton cœur va-t-il resterà jamais endormi ? 6+6 b
Ne lèvera-t-il pasla pierre de sa tombe ? 6+6 a
« Ô ma belle de nuit,n’attends-tu pas le jour ? 6+6 a
Ces lâches t’ont muréeici toute vivante. 6+6 b
95 Quand donc briseras-tule joug qui t’épouvante, 6+6 b
Pour tomber dans les brasde l’éternel amour ? 6+6 a
« Écoute tressaillirla parole enchantée 6+6 a
Qui délivre les cœurset commande au destin ; 6+6 b
Écoute frissonnerla chanson du matin. 6+6 b
100 Surgis en plein azur,belle ressuscitée. » 6+6 a
Isoline s’étonneet, tout à coup, voici 6+6 a
Qu’un jeune homme divins’est dressé devant elle. 6+6 b
Il baise éperdumentsa robe de dentelle. 6+6 b
— « Ô ma reine, ô ma vie,ô mon trésor, merci ! 6+6 a
105 « Merci de ta beauté,merci d’être venue. 6+6 a
Du jour j’ai vécu,je t’ai donné ma foi. 6+6 b
Je t’attendais. Mon âmeerrait autour de toi. 6+6 b
Tu n’as fait qu’appartre,et je t’ai reconnue. » 6+6 a
— « Le baron, mon époux…» — « Ton époux, le voilà. 6+6 a
110 C’est toi, vois-tu, c’est toiqui m’étais destinée. 6+6 b
Au livre de l’amourj’ai lu notre hyménée. 6+6 b
Si je n’ai pas ton cœur,c’est qu’on me le vola. 6+6 a
« Viens ; je t’emporteraidans un pan de ma mante, 6+6 a
Sous la lune de mai,comme un enfant qui dort. 6+6 b
115 Viens ; nous chevaucheronsla cavale aux crins d’or. 6+6 b
La nuit sera splendideet tu seras aimante. 6+6 a
« Au pays du soleil,sous le ciel embrasé, 6+6 a
Il est un paradisradieux qu’on ignore, 6+6 b
ne frémit au ventde l’immortelle aurore 6+6 b
120 Que l’aile délicateet folle du baiser. 6+6 a
« Dès que l’aube a poséson pied sur les collines, 6+6 a
Mille roses de maitombent de son manteau. 6+6 b
Mes pages vont t’ouvrirles portes du château ; 6+6 b
Viens, partons pour le rêve,au son des mandolines. » 6+6 a
125 Le jeune homme se lève.On dirait qu’un brasier 6+6 a
Flambe au fond de ses yeux,noirs comme le mystère. 6+6 b
Son ombre de géantcouvre un arpent de terre 6+6 b
Et sa bouche a fleuricomme un jeune rosier. 6+6 a
— « Ô reine, devant moicourbe ta tête altière, 6+6 a
130 Viens, j’ai trop attendu ;viens, c’est toi que je veux. » 6+6 b
Isoline se pâmeà son tour ! Ses cheveux, 6+6 b
Comme une robe d’or,la couvrent tout entière. 6+6 a
Isoline se pâme.Elle boit l’étranger. 6+6 a
L’amour terrible en ellea déjà pris racine. 6+6 b
135 Pareille au rossignolque le serpent fascine, 6+6 b
Elle n’a même plusla force de bouger. 6+6 a
— « Un charme est sur tes yeuxqui me force à te suivre. 6+6 a
Mon cœur est dans ta maincomme un oiseau blessé. 6+6 b
Qui donc es-tu, réponds,toi qui l’as ramassé ? 6+6 b
140 Ce n’est qu’en te voyantque je commence à vivre. » 6+6 a
— « Rassure-toi. Vos gensme traitent de bandit. 6+6 a
Mais ne suis-je pas filsde roi, puisque tu m’aimes ? 6+6 b
Mon père est souverainde toutes les Bohèmes ; 6+6 b
Je n’ai qu’à faire un signeet le monde obéit. 6+6 a
145 « Le monde radieuxou sombre est mon ouvrage. 6+6 a
J’ai dérobé les fruitsde l’arbre défendu. 6+6 b
Le piège de la nuit,c’est moi qui l’ai tendu, 6+6 b
C’est moi qu’on entend rireau milieu de l’orage. » 6+6 a
Isoline se pendau cou du réprouvé. 6+6 a
150 Ainsi que deux ramiersdont les chants se répondent 6+6 b
Ils sont unis. Leurs voix,leurs souffles se confondent. 6+6 b
Voici l’instant divinqu’elle avait tant rêvé. 6+6 a
Isoline a gtéla bouche qui l’enchante. 6+6 a
Tout son corps s’abandonneaux lèvres de l’amant. 6+6 b
155 Son cœur s’en va, s’en vadélicieusement 6+6 b
Comme, au milieu des fleurs,la rivière qui chante. 6+6 a
Il a vaincu, le fieret libre adolescent. 6+6 a
Ivre de joie, il jetteau ciel un cri sauvage. 6+6 b
Comme lui sans mesureet vierges de servage, 6+6 b
160 La mer, les champs, les boisont reconnu leur sang. 6+6 a
IV
 Allons, belle fille, 5 a
 Charmer l’Orient ; 5 b
 Partons, en riant, 5 b
 Sur la mer qui brille. 5 a
165  De l’ombre émergeant, 5 a
 Gracieuse et claire, 5 b
 La nuit, pour te plaire, 5 b
 S’habille en argent. 5 a
 Le vent se mutine 5 a
170  Et veut t’emporter ; 5 b
 Écoute chanter 5 b
 Sur la brigantine. 5 a
 La coque est d’or pur, 5 a
 Les vergues d’ébène ; 5 b
175  Au mât de misaine 5 b
 La voile est d’azur. 5 a
 Glisse, ma couleuvre, 5 a
 Au milieu des flots, 5 b
 Tous les matelots 5 b
180  Sont à la manœuvre. 5 a
 Adieu la prison 5 a
 Du corps et de l’âme. 5 b
 Vois donc quelle flamme 5 b
 À notre horizon ! 5 a
185  Adieu les mensonges 5 a
 Qui nous font mourir. 5 b
 Vois d’ici fleurir 5 b
 Le pays des songes. 5 a
 Nous embarquerons 5 a
190  Pour les îles roses ; 5 b
 Nous aurons des roses 5 b
 À nos avirons. 5 a
 Sur la mer hautaine 5 a
 La nef dansera, 5 b
195  Et l’amour sera 5 b
 Notre capitaine ! 5 a
V
 — « Et hop, et hop, mon bon cheval, 8 a
 Plus vite encor, plus vite encore. 8 b
 L’air a frchi, le ciel se dore, 8 b
200  Franchis les monts, saute le val. 8 a
 « En son lit blanc mon Isoline, 8 a
 Depuis hier, m’appelle en vain. 8 b
 Elle rêve. Son corps divin 8 b
 S’est perdu dans la mousseline. 8 a
205  « Elle est pure comme le feu, 8 a
 Elle est noble comme la reine. 8 b
 Trente servants portent sa trne 8 b
 Quand elle s’en va prier Dieu. 8 a
 « Trente filles sont occupées 8 a
210  Rien qu’à peigner ses cheveux d’or. 8 b
 Elle a la clef de mon trésor, 8 b
 Et la garde de mes épées. 8 a
 « Pourquoi donc cet air de souci, 8 a
 Et dans ses yeux tant de colère ? 8 b
215  Quand je m’ébaudis pour lui plaire, 8 b
 Qu’a-t-elle donc à rire ainsi ? » 8 a
 À son cheval qu’il éperonne 8 a
 Ainsi parle le vieux baron. 8 b
 Tout blanc, c’est encore un luron. 8 b
220  Il ne pense qu’à sa baronne. 8 a
 Et hop, et hop, voici le jour. 8 a
 Partout du rose ; une merveille ! 8 b
 — « Va devant, page, et qu’on éveille 8 b
 Isoline, la fleur d’amour. 8 a
225  Je veux la voir. Gens de sa suite, 8 a
 Qu’avez-vous tous ? Éveillez-la. » 8 b
 « Hélas ! seigneur ! » — « Eh bien ? » — « Voilà. 8 b
 Notre mtresse a pris la fuite. 8 a
 « Elle est sur le vaisseau doré 8 a
230  Avec le prince de Bohême. » 8 b
 — « Gueux, vous mentez. Celle que j’aime 8 b
 Ne m’aurait pas déshonoré. 8 a
 « Isoline est de noble souche. 8 a
 Qu’on l’aille prendre. Elle m’attend. » 8 b
235  — « Hélas, mtre ! — « Eh bien ? » — « En partant, 8 b
 Tous deux se baisaient sur la bouche. 8 a
 « Leurs gens battaient du tambourin, 8 a
 Leurs drapeaux flottaient dans la nue. 8 b
 Elle riait, à demi nue, 8 b
240  Entre les bras du malandrin. » 8 a
 Ah ! le vieux baron, comme il jure ! 8 a
 On voit luire ses yeux ardents 8 b
 Il bat des pieds, grince des dents. 8 b
 — « Ai-je vécu pour cette injure ? 8 a
245  « Mon Dieu, la honte est sous mon toit ; 8 a
 Ma vieille gloire est dans la boue. 8 b
 C’est comme un soufflet sur ma joue. 8 b
 Chacun va me montrer au doigt. 8 a
 « Prostituée, infâme, infâme ! 8 a
250  A-t-elle un jour manqué de rien ? 8 b
 J’étais à ses pieds compte un chien. 8 b
 Lui fallait-il m’arracher l’âme ? 8 a
 « Pour lui faire un peu de bonheur 8 a
 J’aurais conquis toute la terre. 8 b
255  Seigneur, ma femme est adultère, 8 b
 Elle a craché sur mon honneur. 8 a
 « J’aurais dû dans la chambre haute 8 a
 Nuit et jour la cadenasser. 8 b
 Je ne pensais qu’à l’embrasser. 8 b
260  Ah ! je l’aimais trop. C’est ma faute. » 8 a
 Le vieux baron monte à la tour 8 a
 D’ si souvent la châtelaine 8 b
 Contempla la mer et la plaine 8 b
 Avec le soleil à l’entour. 8 a
265  Il a, d’une main toujours sûre, 8 a
 Brisé les meubles précieux 8 b
 Qu’aimaient à regarder ses yeux, 8 b
 Ses yeux flambe la luxure. 8 a
 Il met en pièces le grand lit 8 a
270  Tiède encor de leur hyménée, 8 b
 , depuis l’heureuse journée, 8 b
 Tant d’amour est enseveli. 8 a
 Le miroir qui l’a reflétée, 8 a
 Il l’écrase sous ses talons, 8 b
275  Le miroir ses cheveux blonds 8 b
 Faisaient une brume enchantée. 8 a
 — « Au vent, oiseaux de paradis, 8 a
 Au vent, joyaux de l’infidèle, 8 b
 Au vent, vous tous qui parlez d’elle, 8 b
280  Au vent, au vent ! Je vous maudis ! 8 a
 « Qu’on apporte l’or et la soie, 8 a
 Complices de sa trahison, 8 b
 Son livre d’heures, son blason, 8 b
 J’en veux faire un grand feu de joie ! 8 a
285  « Puisque son cœur s’est parjuré, 8 a
 Je veux qu’en ce monde elle souffre, 8 b
 En attendant la mer de soufre 8 b
  le pêcheur est torturé. 8 a
 « Mon cœur, à moi, n’a plus de larmes. 8 a
290  Elle me croit anéanti. 8 b
 Non, non. À moi tout mon parti. 8 b
 Vaillants rtres, bons hommes d’armes ; 8 a
 Vous qui m’avez suivi, blessés, 8 a
 Hâves, sanglants, dans la bataille, 8 b
295  Soldats de fer que rien n’entaille, 8 b
 Sortez de l’ombre, apparaissez ! 8 a
 « Accourez tous, joyeuse foule, 8 a
 Vous dont l’épée aime à fleurir. 8 b
 Hourrah ! La chasse va s’ouvrir ! 8 b
300  Flairez, limiers, le sang qui coule. 8 a
 Et voilà les drapeaux au vent. 8 a
 Toute une armée est sur la grève. 8 b
 Le clairon sonne ; un cri s’élève 8 b
 — « À vos ordres, mtre. En avant ! » 8 a
VI
305 Quand l’aube jette aux montssa lumière nacrée 6+6 a
Dont un reste de luneargente la pâleur, 6+6 b
Regardez-vous sortir,comme une tendre fleur, 6+6 b
L’île de pourpre et d’orde la mer azurée ? 6+6 a
Aux divines clartésdu ciel oriental, 6+6 a
310 Avez-vous reconnula jeunesse du monde ? 6+6 b
Voyez-vous cette femme,adorablement blonde, 6+6 b
Qui se penche au balcondu palais de cristal ? 6+6 a
C’est Isoline, c’estla pâle enchanteresse 6+6 a
Dont les doigts allongésportent le faucon blanc. 6+6 b
315 À ses pieds est couchéle mtre étincelant. 6+6 b
Il écoute chanterle cœur de sa mtresse. 6+6 a
Il regarde, en riant,voler ses cheveux blonds, 6+6 a
Trembler ses jeunes seinsqu’emperle la rosée, 6+6 b
Et d’un reflet d’amourtout emparadisée, 6+6 b
320 L’île heureuse s’éveilleau son des violons. 6+6 a
Au bercail est rentréle troupeau des étoiles. 6+6 a
Le soleil qui se lèveillumine les eaux. 6+6 b
Comme une lande rose passe un vol d’oiseaux, 6+6 b
La mer, en un moment,s’est couverte de voiles. 6+6 a
325 La rivière qui jaseautour du bois fleuri, 6+6 a
Se trouble. Elle a sentil’esprit de la tempête. 6+6 b
Les roses dolemmentont incliné leur tête ; 6+6 b
L’horizon radieuxet doux s’est assombri. 6+6 a
On entend des appelsguerriers, des cris de rage, 6+6 a
330 Des blasphèmes mêlésau cliquetis du fer. 6+6 b
La flotte se rapprocheet sillonne la mer. 6+6 b
L’île toute entière afrémi. Voici l’orage. 6+6 a
C’est fait. Le vieux baronest mtre du château. 6+6 a
Dès qu’il voit Isoline,il lui saute à la gorge. 6+6 b
335 — « Je t’ai donc retrouvéeà la fin ! Par Saint George, 6+6 b
Tu n’imaginais pasme revoir de sitôt. 6+6 a
« Belle trouvaille, ah ! oui,parlons-en ! Quelle flamme ! 6+6 a
Un être vil, un gueux,que la potence attend. 6+6 b
Comment as-tu traitél’homme qui t’aimait tant ? 6+6 b
340 Réponds, fille de chien,qu’as-tu fait de mon âme ? 6+6 a
« Puissance, honneur, argent,je t’avais tout donné ; 6+6 a
À toi mes champs, mes bois,mes vignes et mes granges. 6+6 b
Je te croyais pareilleà la reine des anges, 6+6 b
Et ton cœur est plus noirque celui d’un damné. » 6+6 a
345 Isoline grandit.Elle est cent fois plus belle 6+6 a
Qu’au temps l’universéperdu l’adorait. 6+6 b
On dirait un sapingéant dans la forêt, 6+6 b
Elle a les yeux flambantsde l’archange rebelle. 6+6 a
— « Baron, tes champs, tes prés,tes vignes et tes bois, 6+6 a
350 Je n’en veux rien savoir,je les crache à ta face. 6+6 b
Je ne puis être à toi,vois-tu, quoi que je fasse. 6+6 b
Il me vient un dégtdès que je t’apeois. 6+6 a
« Ta barbe et tes cheveuxme donnent la nausée. 6+6 a
Comment as-tu donc pucroire que je t’aimais ! 6+6 b
355 Tes caresses de vieuxm’ont souillée à jamais. 6+6 b
Du jour je t’ai plu,je me suis méprisée. 6+6 a
« Mon mtre, le voilà.Regarde : à demi-nu, 6+6 a
Sanglant, inanimé,c’est encor lui ma vie. 6+6 b
Jusque dans sa misèreil doit te faire envie, 6+6 b
360 Et je peux bien mourirpuisque je l’ai connu. 6+6 a
« Hélas ! Il est à bas,le chêne de Bohême. 6+6 a
L’aventurier superbea fermé ses beaux yeux. 6+6 b
En vain il a lutté,tout seul, en furieux ; 6+6 b
La mort qu’il insultaitl’a terrassé quand même. 6+6 a
365 « En vain trente des tiens,parmi les plus hardis, 6+6 a
Sont tombés sous l’éclairjoyeux de son épée ! 6+6 b
Il ne voit pas les pleursdont sa joue est trempée. 6+6 b
Il n’entend plus la voixqui l’éveillait jadis ! » 6+6 a
— « Femme, tais-toi, tais-toi.Plus de colère. Écoute : 6+6 a
370 Je ne puis oublierta cruelle beauté. 6+6 b
Peur-être as-tu péchécontre ta volonté. 6+6 b
Qui t’a volé le cœur ?C’est le diable sans doute. 6+6 a
« Mais la bête est râlanteet mort est son venin. 6+6 a
Lave-toi, cœur impur,pour que Dieu te pardonne. 6+6 b
375 Laisse couler ta honteaux pieds de la madone, 6+6 b
Au couvent de Saint-Jeanva te rendre nonnain. » 6+6 a
— « Au couvent ! mais quel cielvaudra jamais le nôtre ? 6+6 a
Non, non, je veux mouriravec mon cœur païen. 6+6 b
J’ai bu l’amour à flots ;je ne regrette rien. 6+6 b
380 J’ai vu le paradis ;je n’en connais pas d’autre. » 6+6 a
— « Arrête, malheureuse,arrête, Dieu t’entend. » 6+6 a
— « Que m’importe ? Est-ce à luique je me suis donnée ? 6+6 b
J’ai moi-même cueillila rose empoisonnée ; 6+6 b
J’ai creusé de mes mainsla fosse qui m’attend. 6+6 a
385 « À l’horizon sanglantnotre soleil se couche. 6+6 a
Adieu la douce mainqui m’enlevait au ciel, 6+6 b
Adieu la manne d’oret le gâteau de miel 6+6 b
Qui tant de fois, au lit,m’ont parfumé la bouche. 6+6 a
« Tu triomphes, baron,tu crois avoir vaincu ; 6+6 a
390 Tu ris, vieillard, de mafaiblesse. Elle te brave, 6−6 b
J’ai régné. Voudrais-tume traiter en esclave ? 6+6 b
Puisque l’amour est mortj’ai bien assez vécu. 6+6 a
« Je ne me repens pas.Si j’ai péché, mon crime 6+6 a
M’est plus cher que jamaiset je hais le bourreau. 6+6 b
395 Pourquoi donc remets-tuton épée au fourreau ? 6+6 b
Compte bien. Il te manqueau moins une victime. 6+6 a
« Égorger une femme,eh ! c’est digne de toi. 6+6 a
As-tu peur ? Joins-moi viteau mtre que j’adore ; 6+6 b
Vois, je l’aime toujours.Vois, je l’embrasse encore. 6+6 b
400 Il faut qu’au pays noirje parte avec mon roi. » 6+6 a
— « Ainsi, tu ne veux pasde ma miséricorde ? » 6+6 a
— « Non, scélérat, non, non ;de toi je ne veux rien. » 6+6 b
Le baron réfléchit.Tout son corps tremble. — « Eh bien ! 6+6 b
Puisqu’il en est ainsi,qu’on apprête la corde ! » 6+6 a
405 Douze hommes tout d’abordont pris le vagabond. 6+6 a
On le larde, on l’assomme,on le crible de boue. 6+6 b
Puis son corps pantelant,accroché sur la roue, 6+6 b
Tourne sans fin et tourneencor. Mais à quoi bon ? 6+6 a
Il a depuis longtempsrendu son âme au diable. 6+6 a
410 C’est maintenant au tourd’Isoline à mourir. 6+6 b
Qui peut la voir si jeuneet ne pas s’attendrir ? 6+6 b
Le baron se détourne.Il est impitoyable. 6+6 a
Trois goujats ont liéce corps délicieux, 6+6 a
Chair en fleur que l’amoura si souvent baisée. 6+6 b
415 Trois goujats ont meurtricette gorge rosée 6+6 b
Qui donnait à la boucheun avant-gt des cieux. 6+6 a
Ils ont broyé ces doigtsqui tenaient l’églantine, 6+6 a
Tordu ces cheveux faitsd’un rayon de soleil, 6+6 b
Souffleté ce visageadorable, pareil 6+6 b
420 À l’aurore de maisur la mer argentine. 6+6 a
Le baron dans son cœuren est tout réjoui. 6+6 a
Isoline a sentila mort planer sur elle. 6+6 b
Sa beauté tout à coupdevient surnaturelle, 6+6 b
Nul ne peut l’approchersans en être ébloui. 6+6 a
425 Elle est femme après tout.Sa vie aventureuse 6+6 a
Chevauche à l’horizonet la fait tressaillir. 6+6 b
Elle est femme. Elle sembleun instant défaillir ; 6+6 b
Il lui vient un regretde sa jeunesse heureuse. 6+6 a
Elle revoit le vieuxchâteau de ses parents. 6+6 a
430 Sa mère, au grand soleil,file sur la terrasse ; 6+6 b
Son père aux cheveux blancsarrive de la chasse, 6+6 b
Sur son cheval tranquille,entre ses chiens courants. 6+6 a
Une larme, une seule,étoile sa paupière. 6+6 a
Les vieux vivent toujourset vont prendre le deuil. 6+6 b
435 Mais ce n’est qu’un moment.Elle frémit d’orgueil 6+6 b
Et de nouveau son cœurest froid comme la pierre. 6+6 a
— « Voyons, te repens-tu ?» crie encor le baron. 6+6 a
— « Me repentir ? Jamais.» — « Eh bien, qu’on en finisse. 6+6 b
C’est toi qui l’as voulu ;je te livre au supplice. 6+6 b
440 Il tremble. Sa voix rauqueexpire en un juron. 6+6 a
Oiseaux de l’île rose,oiseaux, faites silence ; 6+6 a
Pleurez, folâtres fleursde l’île de beauté ! 6+6 b
Vous ne reverrez plusle cortège enchanté ; 6+6 b
Isoline au plus hautd’un chêne se balance. 6+6 a
445 Elle n’a pas souffert,dit-on. L’horrible mort, 6+6 a
Craintive, a respectécette forme charmante. 6+6 b
C’était l’oiseau qui prendson vol dans la tourmente. 6+6 b
Elle est quitte à présent,elle a touché le port. 6+6 a
Devant elle le flotépais des hommes d’armes 6+6 a
450 Roule, clairons en têteet drapeaux dans le vent. 6+6 b
Ah ! pareil défiléne se vit pas souvent. 6+6 b
Bien dur serait celuiqui retiendrait ses larmes. 6+6 a
Le vieux baron, muet,s’est assis à l’écart, 6+6 a
Et le front dans ses mains,pleure à la dérobée. 6+6 b
455 Après le châtimentsa fureur est tombée. 6+6 b
Il voudrait pardonnermaintenant. C’est trop tard. 6+6 a
Il regarde, navré,pendre à la verte branche 6+6 a
Ce corps divin qui l’ajadis ensorcelé. 6+6 b
Il a pleuré trois joursson bonheur écroulé, 6+6 b
460 Il a pleuré trois nuitsson Isoline blanche. 6+6 a
VII
 Frémissante encor 5 a
 De sa chevauchée, 5 b
 Sous terre est couchée 5 b
 La belle aux yeux d’or. 5 a
465  L’univers l’oublie 5 a
 En son froid linceul ; 5 b
 Le vent berce, seul, 5 b
 Sa mélancolie. 5 a
 Près des flots chantants 5 a
470  La belle repose, 5 b
 Et pas une rose 5 b
 Ne manque au printemps. 5 a
 De papillons jaunes 5 a
 Les prés sont couverts ; 5 b
475  Les chênes sont verts 5 b
 Ainsi que les aulnes. 5 a
 C’est du même feu 5 a
 Que le soir se dore ; 5 b
 Les yeux de l’aurore 5 b
480  Ont le même bleu. 5 a
 Toujours solitaire 5 a
 En son lit étroit, 5 b
 Isoline a froid 5 b
 Sous la froide terre. 5 a
485  Ô doux écoliers, 5 a
 Fillettes bien aises, 5 b
 Qui cachez des fraises 5 b
 Dans vos tabliers, 5 a
 Blondes printanières, 5 a
490  Mtres enjôleurs 5 b
 Qui portez des fleurs 5 b
 À vos boutonnières, 5 a
 L’amour, en passant, 5 a
 Vous prend dans sa ronde ; 5 b
495  Allez, par le monde, 5 b
 En vous embrassant. 5 a
 La libre nature 5 a
 Entend qu’on soit gai. 5 b
 En avant, ô gué, 5 b
500  La bonne aventure. 5 a
 Écoutez courir 5 a
 Le sang dans vos veines ; 5 b
 Comme les verveines, 5 b
 Laissez-vous fleurir. 5 a
505  Mais quand vient l’extase, 5 a
 Pensez, en vos jeux, 5 b
 Aux cœurs orageux 5 b
 Que le ciel écrase. 5 a
 Quand le point du jour 5 a
510  Fleurit la colline, 5 b
 Songez qu’Isoline 5 b
 Est morte d’amour ! 5 a
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