Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VHR_2/VHR39
Émile VERHAEREN
LES MOINES
1885
MOINE ÉPIQUE
On eût dit qu’il sortait | d’un désert de sommeil, 6+6 a
Où, face à face, avec | les gloires du soleil, 6+6 a
Sur les pitons brûlés | et les rochers austères, 6+6 a
S’endort la majesté | des lions solitaires. 6+6 a
5 Ce moine était géant, | sauvage et solennel, 6+6 a
Son corps semblait bâti | pour un œuvre éternel ; 6+6 a
Son visage, planté | de poils et de cheveux, 6+6 a
Dardait tout l’infini | par les trous de ses yeux ; 6+6 a
Quatre-vingts ans chargeaient | ses épaules tannées 6+6 a
10 Et son pas sonnait ferme | à travers les années ; 6+6 a
Son dos monumental | se carrait dans son froc, 6+6 a
Avec les angles lourds | et farouches d’un roc ; 6+6 a
Ses pieds semblaient broyer | des choses abattues 6+6 a
Et ses mains agripper | des socles de statues, 6+6 a
15 Comme si le Christ-Dieu | l’eût forgé tout en fer 6+6 a
Pour écraser sous lui | les rages de l’enfer. 6+6 a
C’était un homme épris | des époques d’épée, 6+6 a
Où l’on jetait sa vie | aux vers de l’épopée, 6+6 a
Qui dans ce siècle flasque | et dans ce temps bâtard, 6+6 a
20 Apôtre épouvantant | de noir, venait trop tard, 6+6 a
Qui n’avait pu, suivant | l’abaissement, décroître, 6+6 a
Et même était trop grand | pour tenir dans un cloître, 6+6 a
Et se noyer le cœur | dans le marais d’ennui 6+6 a
Et la banalité | des règles d’aujourd’hui. 6+6 a
25 Il lui fallait le feu | des grands sites sauvages, 6+6 a
Les rocs tortionnés | de nocturnes ravages, 6+6 a
Le ciel torride et le | désert et l’air des monts, 6−6 a
Et les tentations | en rut des vieux démons, 6+6 a
Agaçant de leurs doigts | la chair en fleur des gouges 6+6 a
30 Et lui brûlant la lèvre | avec de grands seins rouges, 6+6 a
Et lui bouchant les yeux | avec des corps vermeils, 6+6 a
Comme les eaux des lacs, | avec l’or des soleils. 6+6 a
On se l’imaginait, | au fond des solitudes, 6+6 a
Marmorisé dans la | raideur des attitudes, 6−6 a
35 L’esprit durci, le cœur | blême de chasteté, 6+6 a
Et seul, et seul toujours | avec l’immensité. 6+6 a
On le voyait marcher | au long des mers sonnantes, 6+6 a
Au long des bois rêveurs | et des mares stagnantes, 6+6 a
Avec des gestes fous | de voyant surhumain, 6+6 a
40 Et s’en venir ainsi | vers le monde romain, 6+6 a
N’ayant rien qu’une croix, | taillée au cœur des chênes, 6+6 a
Mais la bouche clamant | les ruines prochaines, 6+6 a
Mais fixes les regards, | mais énormes les yeux, 6+6 a
Barbare illuminé | qui vient tuer les dieux. 6+6 a
45 Maintenant qu’il repose | obscurément, sans bière, 6+6 a
Dans quelque coin boueux | et gras de cimetière, 6+6 a
Saccagé par les vers, | pourri, dissous, séché, 6+6 a
À voir le tertre énorme | où son corps est couché, 6+6 a
On rêve aux tueurs d’ours, | abattus dans la chasse, 6+6 a
50 À ces hommes d’un bloc | de granit et de glace, 6+6 a
Que l’on n’enterrait point, | mais dont les restes lourds, 6+6 a
Sur un bûcher tendu | de soie et de velours, 6+6 a
Dans le décor géant | des forêts allumées, 6+6 a
Au fond des soirs, là-bas, | s’en allaient en fumées. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
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