Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
VAL_6/VAL192
Paul VALÉRY
PIÈCES DIVERSES
contenues dans le recueil : POÉSIES (1942)
1942
LE PHILOSOPHE ET LA JEUNE PARQUE
Cette sorte de Fable fut écrite en guise de Préface
au Commentaire de la "Jeune Parque" par Alain.
La Jeune Parque, un jour, | trouva son Philosophe : 6+6 a
« Ah, dit-elle, de quelle étoffe 8 a
Je saurai donc mon être fait… 8 a
À plus d’un je produis l’effet 8 a
5 D’une personne tout obscure ; 8 a
Chaque mortel qui n’a point cure 8 a
De songer ni d’approfondir, 8 a
Au seul nom que je porte | a tôt fait de bondir. 6+6 a
Quand ce n’est la pitié, | j’excite la colère, 6+6 a
10 Et parmi les meilleurs esprits, 8 b
S’il est quelqu’un qui me tolère, 8 a
Le reste tient qu’il s’est mépris. 8 b
Ces gens disent qu’il faut | qu’une muse ne cause 6+6 a
Non plus de peines qu’une rose ! 8 a
15 Qui la respire | a purement plaisir. 4+6 a
Mais les amours | sont les plus précieuses 4+6 b
Qu’un long labeur | de l’âme et du désir 4+6 a
Mène à leurs fins délicieuses. 8 b
Aux cœurs profonds ne suffit point 8 a
20 D’un regard, qu’un baiser rejoint, 8 a
Pour qu’on vole au plus vif | d’une brève aventure… 6+6 a
Non !… L’objet vraiment cher | s’orne de vos tourments, 6+6 b
Vos yeux en pleurs | lui voient des diamants, 4+6 b
L’amère nuit en fait | la plus tendre peinture. 6+6 a
25 C’est pourquoi je me garde | et mes secrets charmants. 6+6 c
Mon cœur veut qu’on me force, | et vous refuse, Amants 6+6 c
Que rebutent les nœuds | de ma belle ceinture. 6+6 a
Mon Père l’a prescrit : | j’appartiens à l’effort. 6+6 a
Mes ténèbres me font | maîtresse de mon sort, 6+6 a
30 Et ne livrent enfin | qu’à l’heureux petit nombre 6+6 a
Cette innocente MOI | que fait frémir son ombre 6+6 a
Cependant que l’Amour | ébranle ses genoux. 6+6 a
CERTES, d’un grand désir | je fus l’œuvre anxieuse… 6+6 b
Mais je ne suis en moi | pas plus mystérieuse 6+6 b
35 Que le plus simple d’entre vous… 8 a
Mortels, vous êtes chair, | souvenance, présage ; 6+6 a
Vous fûtes ; vous serez ; | vous portez tel visage : 6+6 a
Vous êtes tout ; vous n’êtes rien, 8 a
Supports du monde | et roseaux que l’air brise, 4+6 b
40 Vous VIVEZ… Quelle surprise !… 7 b
Un mystère est tout votre bien, 8 a
Et cet arcane en vous | s’étonnerait du mien ? 6+6 a
Que seriez-vous, | si vous n’étiez mystère ? 4+6 a
Un peu de songe sur la terre, 8 a
45 Un peu d’amour, de faim, | de soif, qui font des pas 6+6 a
Dont aucun ne fuit le trépas, 8 a
Et vous partageriez | le pur destin des bêtes 6+6 a
Si les Dieux n’eussent mis, | comme un puissant ressort, 6+6 b
Au plus intime de vos têtes, 8 a
50 Le grand don de ne rien | comprendre à votre sort. 6+6 b
« Qui suis-je ? » dit au jour | le vivant qui s’éveille 6+6 a
Et que redresse le soleil. 8 b
« Où vais-je ? » fait l’esprit | qu’immole le sommeil, 6+6 b
Quand la nuit le recueille | en sa propre merveille. 6+6 a
55 Le plus habile | est piqué de l’abeille, 4+6 a
Dans l’âme du moindre homme | un serpent se remord ; 6+6 a
Un sot même est orné | d’énigmes par la mort 6+6 a
Qui le pare et le drape | en personnage grave, 6+6 a
Glacé d’un tel secret | qu’il en demeure esclave. 6+6 a
60 ALLEZ !… Que tout fût clair, | tout vous semblerait vain ! 6+6 a
Votre ennui peuplerait | un univers sans ombre 6+6 b
D’une impassible vie | aux âmes sans levain. 6+6 a
Mais quelque inquiétude | est un présent divin. 6+6 a
L’espoir qui dans vos yeux | brille sur un seuil sombre 6+6 b
65 Ne se repose pas | sur un monde trop sûr ; 6+6 a
De toutes vos grandeurs | le principe est obscur. 6+6 a
Les plus profonds humains, | incompris de soi-mêmes, 6+6 a
D’une certaine nuit | tirent des biens suprêmes 6+6 a
Et les très purs objets | de leurs nobles amours. 6+6 b
70 Un trésor ténébreux | fait l’éclat de vos jours : 6+6 b
Un silence est la source | étrange des poèmes. 6+6 a
Connaissez donc en vous | le fond de mon discours : 6+6 b
C’est de vous que j’ai pris | l’ombre qui vous éprouve. 6+6 a
Qui s’égare en soi-même | aussitôt me retrouve. 6+6 a
75 Dans l’obscur de la vie | où se perd le regard, 6+6 b
Le temps travaille, la mort couve, 8 a
Une Parque y songe à l’écart. 8 b
C’est MOI… Tentez d’aimer | cette jeune rebelle : 6+6 a
« §Je suis noire, mais je suis belle§ » 8 a
80 Comme chante l’Amante, | au Cantique du Roi, 6+6 a
Et si j’inspire quelque effroi, 8 a
Poème que je suis, | à qui ne peut me suivre, 6+6 b
Quoi de plus prompt | que de fermer un livre ? 4+6 b
C’est ainsi que l’on se délivre 8 b
85 De ces écrits si clairs | qu’on n’y trouve que soi. » 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6+6, 4+6, (7)
logo du CRISCO logo de l'université