Métrique en Ligne
VAL_5/VAL134
Paul VALÉRY
CORONILLA
1938-1945
III
Poèmes sans date
LA SÉRÉNADE
Ô Jeanne, sortilège, 6
Tu m'égares… Que sais-je 6
Ce qui m'est le plus doux ? 6
L'ambre de ton visage 6
5 Ou l'autre paysage 6
Que l'on voit à genoux ? 6
Tout est bon, tout se mange 6
Dans cette Jeanne étrange, 6
Et d'abord et toujours 6
10 La bouche à langue tendre 6
Où l'âme vient apprendre 6
Le goût de tes amours. 6
Parlerai-je des pommes 6
Sur qui la soif des hommes 6
15 Ose rêver leur main, 6
Ou de la tiède route 6
Qui mène sous la voûte 6
Où cesse le chemin ? 6
Taisant les mots énormes, 6
20 Pourtant chantons ces formes 6
Qui par derrière sont 6
Et pleines, en cadence, 6
Poussent, pressent la danse 6
D'atteindre le frisson. 6
25 Mais vive enfin la rose 6
Que le délice arrose 6
D'une mixte liqueur, 6
Au moment qu'une force 6
Conjointe en un seul torse 6
30 Étreint un double cœur. 6
C'est mourir dans la soie 6
De ta vivante voie 6
Si délicate dont, 6
Quand ta gorge roucoule 6
35 Chère, de toi s'écoule 6
Le flot de l'abandon. 6
Glousse, suave extase, 6
Pleure de joie, ô Vase 6
D'ombre vive et brûlant 6
40 Séjour d'une tendresse 6
En qui l'amour adresse 6
L'adieu d'un rythme lent… 6
Rouvre tes yeux, respire… 6
Oui… C'est moi, cher sourire 6
45 Qui reviens d'assez loin, 6
De si loin que tu viennes, 6
Tes lèvres et les miennes 6
N'ont pas cessé leur joint. 6
Ô Jeanne, sortilège, 6
50 Pour toi, délice ou piège, 6
L'Esprit s'est fait amant. 6
Sache que jamais homme 6
Ne pourra t'aimer comme 6
T'exalte son tourment. 6
logo du CRISCO logo de l'université