Métrique en Ligne
VAL_5/VAL123
Paul VALÉRY
CORONILLA
1938-1945
III
Poèmes sans date
ÉLÉGIE
Mon amour est de crainte et vit dans les alarmes. 12
Cet amour à soi-même est plus mystérieux 12
Que tout amour de chair que font naître tes charmes 12
Et je ne puis jamais te regarder aux yeux 12
5 Que mes yeux aussitôt ne s'emplissent de larmes. 12
À peine j'ai laissé tes lèvres et ta main 12
Trouvant la solitude en retrouvant la rue 12
Je porte un cœur trop lourd tout le long du chemin 12
Je sens à chaque pas une tristesse accrue 12
10 Qui se bâtit d'ennui tout un noir lendemain. 12
Morne et tout absorbé dans mon enfer étrange, 12
Je vis en apparence et fais ce que je dois 12
Je mâche un goût de cendre en tout ce que je mange 12
Et si l'on vient troubler mon songe de ta voix 12
15 Je hais l'homme qui parle au chagrin qu'il dérange. 12
À peine je te quitte un autre va jouir 12
Des biens que j'abandonne au bruit sec de ta porte 12
Je sais qu'à d'autres yeux tu vas t'épanouir 12
Je vous vois, je gémis, l'amertume l'emporte 12
20 Et toute force en moi se sent évanouir… 12
Alors le souvenir du léger paysage 12
Que voit ta chambre tendre au travers de tes fleurs 12
M'est un poison du cœur dont mon cœur fait usage, 12
Je sens ma vie étreinte et le jour fondre en pleurs 12
25 Devant mes yeux voilés qui cherchent ton visage. 12
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