Métrique en Ligne
ROS_1/ROS55
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
III
LA MAISON DES PYRÉNÉES
XX
LE CONTREBANDIER
Ayant longtemps suivi le sentier de montagne, 12
Distrait, j'avais gagné la frontière d'Espagne, 12
Et j'avais pris, au bout du pont, 8
La place où bien souvent, près du troupeau qui broute, 12
5 J'écoute ce que dit le douanier, et j'écoute 12
Ce que le muletier répond. 8
Toujours la même scène ingénument éclate : 12
Le petit gabelou galonné d'écarlate, 12
Avec un sourire, entendu, 8
10 Écoute le récit que l'autre lui rabâche, 12
Puis va vers la charrette, et, sous un cuir de bâche. 12
Trouve le flacon défendu. 8
Ce jour-là, c'était l'heure où s'enflamment les vitres. 12
Le grillon, dont l'amour fait chanter les élytres, 12
15 Avec le grillon alternait 8
Comme un berger d'églogue avec un autre alterne. 12
Déjà le voiturier allumait sa lanterne. 12
Tout le soir sentait le genêt. 8
Parfois, de ces garçons passaient qui, sans rien dire, 12
20 Glabres, la cigarette au coin de leur sourire, 12
Vont à pas souples et prudents ; 8
De ces filles riaient, si brunes, sous les branches, 12
Que, dans l'ombre, on ne peut voir que deux choses blanches : 12
Leurs espadrilles et leurs dents. 8
25 Et j'aperçus venir un vieillard maigre et brusque, 12
Un de ces paysans dont le regard s'embusque 12
Sous un béret qui se rabat. 8
Feignant de ramasser des pompons de platane, 12
Il trottinait, courbé, derrière un petit âne 12
30 Qui portait un sac sur son bât. 8
L'âne disparaissait sous le grand sac champêtre. 12
— Au moment où le vieux allait passer peut-être, 12
Inoffensif et toussotant, 8
Le douanier n'ayant eu vers lui qu'un regard vague, 12
35 L'âne fit un écart. Et soudain une dague 12
Tomba sur le sol en tintant. 8
Une très vieille dague espagnole. — Et puis, comme 12
L'âne faisait, malgré les efforts du pauvre homme, 12
Des bonds de poulain andalou, 8
40 On vit un ancien casque en forme d'astrolabe 12
Et deux longs éperons de style presque arabe 12
Tomber aux pieds du gabelou. 8
Et comme l'âne, ému par ces nouveaux vacarmes, 12
Ruait, — chaque ruade éparpilla des armes ! 12
45 Et, tout le sac s'ouvrant dans l'air, 8
Ce fut, pendant qu'au bruit accouraient des marmailles, 12
Un envol de rivets, de tassettes, de mailles, 12
Un feu d'artifice de fer ! 8
Quoi ! c'étaient, dans ce sac, sous une avoine fourbe, 12
50 Des armes que cachait ce vieillard qui se courbe 12
Et craintivement s'amoindrit ? 8
Prépare-t-on la guerre au fond de la vallée ? 12
Ou bien veut-on passer une armure volée 12
À l'Armeria de Madrid ? 8
55 Quelle armure est-ce là qui tombe et se bosselle ? 12
La courroie a souvent fait place à la ficelle, 12
Les boucles n'ont plus d'ardillons. 8
Quelle est cette rapière ?… Oh ! comme elle est usée ! 12
La coquille brimballe autour de la fusée ! 12
60 La garde est veuve de quillons ! 8
Une jambe de fer dont le genou se rouille 12
En rencontrant le roc un instant s'agenouille ; 12
Et, de ce fantastique sac, 8
On croit voir, sur le sol rose de crépuscule, 12
65 Tomber un chevalier qui se désarticule 12
Avec un bruit de bric-à-brac ! 8
La rondache, roulant comme un cerceau superbe, 12
S'échappe. Un gantelet crispe ses doigts sur l'herbe 12
Où le rejoint un vieux houseau. 8
70 L'âne bondit toujours. Et cependant, à terre, 12
Une cuirasse a l'air d'un grand coléoptère 12
Vidé par le bec d'un oiseau. 8
Enfin, de ce ballot que chaque bond déballe 12
Jaillit un cuivre étrange, une vieille cymbale, 12
75 Une sorte d'astre échancré, 8
On ne sait quel plateau de balance fantasque, 12
Luisant, plat comme un plat, martelé comme un casque, 12
Fourbi comme un vase sacré ! 8
Et quand tout eut roulé devant lui, de l'air digne 12
80 Qu'on prend quand on observe à regret la consigne, 12
Le douanier recula d'un pas. 8
Puis — que pouvaient avoir de terrible ces armes 12
Qu'un vieillard ramassait en les couvrant de larmes ? — 12
Puis il dit : « Ça ne passe pas ! » 8
85 Chacun aida lé vieux. Une fille d'auberge 12
Ramassa la rondache, un enfant la flamberge ; 12
Et, lorsque tout fut ramassé, 8
Le vieux, s'étant laissé sur les bras tout remettre, 12
Car l'âne en bondissant avait fui loin du maître, 12
90 S'éloigna, pesant et cassé. 8
Et le douanier s'en fut boire avec une fille 12
L'anisette espagnole où trempe une brindille 12
Qu'entoure du sucre candi. 8
Moi, je suivis le vieux. — Il allait, le dos triste. 12
95 Bientôt, il se crut seul sous le ciel d'améthyste. 12
— Et je vis qu'il avait grandi. 8
Oui, l'homme, maintenant, haussant sa silhouette, 12
Droit, — comme s'il savait aussi bien qu'un poète 12
Que, lorsqu'on se retrouve seul, 8
100 Il n'est pas de fierté que l'on ne récupère, — 12
N'avait plus l'air d'un paysan et d'un grand-père, 12
Mais d'un seigneur et d'un aïeul. 8
Le vent du sud soufflait sa brûlante caresse. 12
Et je suivais ce vieux en murmurant : « Serait-ce ?… » 12
105 Et, tout d'un coup, je dis : « Mais c'est !… » 8
Et me mis à courir à travers la campagne, 12
Pâle de voir que, plus il entrait en Espagne, 12
Plus le vieil homme grandissait. 8
Il jeta son béret, hocha sa tête grise ; 12
110 Puis, comme s'il avait entendu dans la brise 12
Le nom que je n'avais pas dit, 8
Il posa sur le sol ses armes en silence, 12
Se coiffa fièrement du plateau de balance, 12
Et, se retournant, m'attendit. 8
115 Nous étions seuls, tous deux, au milieu d'une lande. 12
Basse sur l'horizon, la lune était si grande 12
Que tout prenait un air sorcier. 8
Et le vieux, dépouillant sa cape paysanne, 12
M'apparut, sec, vêtu d'une stricte basane, 12
120 Et jambe comme un échassier. 8
Alors, je reconnus sa pauvre soubreveste, 12
La beauté de son front, la largeur de son geste, 12
Et la jeunesse de ses yeux. 8
Et je crus que j'allais trouver des mots sans nombre : 12
125 Mais, tremblant, je ne pus que m'incliner dans l'ombre 12
En disant le nom de ce vieux ! 8
A son nom, il grandit encor, mit sur sa lèvre 12
Un long doigt sarmenteux qui grelottait de fièvre, 12
Sourit un peu de mon émoi, 8
130 Puis, avec le plus noble et touchant savoir-vivre, 12
Il ôta gravement sa cymbale de cuivre, 12
Et me dit : « Eh bien ! oui, c'est moi. » 8
Je vis sa tête, avec l'auréole immortelle 12
Que lui font, en tournant sans cesse derrière elle, 12
135 Les ailes des moulins à vent ! 8
Mais : « Seigneur bachelier… », prononça-t-il, tandis que, 12
Très digne, il remettait sur sa tête le disque, 12
« Pardonnez à votre Servant 8
« Si la profession qu'il exerce l'oblige 12
140 A demeurer coiffé d'un armet. Armet, dis-je, 12
Car je doute qu'un bachelier 8
— Le fût-il de Paris, qui vaut bien Salamanque ! — 12
Prenne un armet auquel la mentonnière manque 12
Pour l'obscur bassin d'un barbier ! » 8
145 Il se tut un instant. Puis, parlant par saccades, 12
En ce langage où la sierra mit ses cascades 12
Et l'Alhambra ses rossignols : 8
« Seigneur !… » et je renonce à traduire le flegme, 12
La morgue qui redonde, et le ton d'apophtegme, 12
150 Et les jeux de mots espagnols ; 8
« Seigneur ! mon œil vous scrute au moment qu'il vous toise : 12
Vous n'êtes pas bien grand, mais votre âme courtoise 12
Est de celles que nous aimons. 8
Eh bien ?… pré tendra-t-on encor que j'exagère 12
155 Quand je dis que je suis Chevalier Errant ? — J'erre 12
Depuis soixante ans dans ces monts. 8
« Je les ai parcourus de la Rhune à Vénasque, 12
Des pays catalans jusqu'à ce pays basque 12
Dont les pommiers sont pleins de gui. 8
160 Là, j'ai des Douze Pairs vu les douze ombres tristes, 12
Et j'ai causé, du temps des batailles carlistes, 12
Avec Zumalacarrégui. 8
« Fredonnant le vieil air des Rois de Pampelune, 12
Buvant le lait de chèvre et le rayon de lune 12
165 Au creux de l'âme et de la main, 8
Dormant contre la meule où l'on plante une perche, 12
J'erre, j'erre, Seigneur, dans ces monts où je cherche 12
Un passage, un col, un chemin ! 8
« Je voudrais les franchir. Car la brise m'apporte 12
170 Je ne sais quelle odeur de conscience morte 12
Que n'aimerait pas Amadis. 8
Moi qui ne vieillis pas, je sens vieillir l'Europe. 12
Je devine combien s'épaissit et sirope 12
Le sang latin, si clair jadis ! 8
175 « Oui, ce morne géant qu'il faut tuer, ce terne 12
Caraculiambro de l'époque moderne, 12
L'Égoïsme, père d'Ennui, 8
Fait régner sur le monde une nuit si grognonne 12
Que les coiffes de la duègne Quintagnone 12
180 Sont moins noires que cette nuit ! 8
« Je veux franchir ces monts. Je veux, puisqu'il m'oublie. 12
Aller remettre un peu le siècle à la folie ! 12
Il a besoin de me revoir 8
Et de reboire une eau qu'il n'a plus guère bue. 12
185 Ma lance doit piquer l'humanité fourbue 12
Pour la pousser à l'abreuvoir ! 8
« Et quant aux vils ruisseaux où l'on se désaltère, 12
Je dois, dans leur eau grise où roule tant de terre 12
Qu'ils ne sont jamais lumineux, 8
190 Je dois, dans leur eau fade où s'affaiblit la race, 12
Aller jeter un clou de ma vieille cuirasse 12
Pour les rendre ferrugineux ! 8
« En vérité, Seigneur bachelier de mon âme, 12
Je ne suis pas content d'une Europe qui blâme 12
195 Les héroïsmes superflus. 8
Il est temps que j'y entre, et c'est à quoi je pense. 12
Mais on n'y peut entrer qu'en passant par la France, 12
Et la France ne m'aime plus ! 8
« Je ne dis pas cela parce qu'elle me raille. 12
200 Jadis, elle raillait tendrement ma ferraille. 12
Elle s'en méfie aujourd'hui. 8
Des gens, pour nous brouiller, veulent lui faire croire 12
Qu'un redresseur de torts n'est qu'un chercheur de gloire 12
Dont le geste au gouffre conduit. 8
205 « Ah ! je voudrais sortir d'Espagne, où je me ronge, 12
Pour m'en aller rapprendre au vieux monde le songe, 12
L'oubli de soi, l'amour féal, 8
Et la façon dont on se fait des Dulcinées ! 12
Mais, hélas ! il y a toujours des Pyrénées 12
210 Pour les colporteurs d'idéal ! 8
« Dès qu'elle me verrait j'aurais la France entière. 12
Et comme on le sait bien, on veille à la frontière ; 12
Et toujours, quand je veux sortir, 8
Quand, déguisé, baissant le front, je me dépêche, 12
215 La grande armure me trahit, que rien n'empêche 12
De briller ou de retentir ! 8
« C'est en vain qu'enlevant ma chère carapace 12
Je la mets dans un sac, parfois, pour qu'elle passe, 12
Ou sous des branches de genêt : 8
220 De maudits enchanteurs habitant des guérites 12
Savent percer de l'œil les formes hypocrites, 12
Et toujours on la reconnaît ! 8
« Je sais, vous me direz qu'on croit que je trafique. 12
Que j'exporte une armure ancienne et magnifique 12
225 Sans la déclarer !… C'est ainsi 8
Que toujours, quand le Sort injuste me querelle, 12
On veut me l'expliquer de façon naturelle. 12
Mais je ne suis pas fou. Merci ! 8
« Que n'ai-je, pour franchir la douane et sa baraque, 12
230 Le zèbre sur lequel chevauchait Muzaraque ! 12
J'aurais vite joué le tour. 8
Mais je n'ai qu'un ânon. Car Votre Grâce ignore… » 12
Il s'arrêta. Sa voix soudain fut moins sonore. 12
«…Que Rossinante est mort, un jour ! 8
235 « Un jour, on me l'a pris. On m'a fait cette peine. 12
Et savez-vous la fin que réservait leur haine 12
A la monture d'un héros ? 8
Elle qu'à voir la mort j'avais habituée, 12
Elle est morte les yeux bandés ! — On l'a tuée 12
240 Dans une course de taureaux ! » 8
Une larme coula sur la Triste Figure. 12
« Voilà pourquoi, Seigneur bachelier, j'inaugure 12
Une chevalerie à pied, 8
Mais qui rendrait jaloux Palmerin d'Angleterre ; 12
245 Et Roland reviendrait qu'il mettrait pied à terre, 12
Vive Dieu ! pour me copier ! 8
« Jusqu'à ce que je puisse à travers ces montagnes 12
Passer pour aller faire en France des campagnes, 12
Je jure de ne plus m'asseoir. 8
250 Je n'ai plus d'autre but, d'ailleurs. Car Votre Grâce 12
Ne sait pas… » Et sa Voix soudain devint plus basse. 12
« … Que Dulcinée est morte, un soir. 8
« Depuis qu'en son cercueil j'ai disposé sa robe, 12
Mon existence à moi ne vaut plus une arrobe 12
255 De raisin sec de Malaga ! 8
Mais il faut qu'un talon écraseur de couleuvre 12
Sonne aux chemins du monde. Il faut accomplir l'œuvre 12
Pour laquelle on vous délégua. 8
« Je dois rapprendre aux gens des choses en grand nombre ! 12
260 Car vous ne savez pas… » Sa voix devint plus sombre. 12
«…Que Sancho vit encore. Il vit ! 8
Celui-là ne meurt pas. Et même il monte en grade. 12
J'eus tort d'aimer jadis comme un bon camarade 12
Le gros homme qui me servit ! 8
265 « On l'a laissé passer, lui qui n'avait pas d'armes ! 12
Tandis que contre moi la peur met ses gendarmes 12
Qu'elle voudrait qu'on centuplât ! 8
Et partout, à présent, le Pança sur le monde 12
A si soigneusement roulé sa panse ronde 12
270 Qu'à présent, partout, tout est plat ! 8
« Sancho règne ! Il raconte en farce mon histoire. 12
On l'acclame quand il crache dans l'écritoire 12
De Gid-Hamed-Ben-Engeli. 8
Sur ses genoux cagneux la Beauté se dégrafe. 12
275 Il promulgue sa loi, qui n'a qu'un paragraphe : 12
« L'enthousiasme est aboli ! » 8
« On ne reconnaît plus le drôle. Il a du linge. 12
Les ciseaux ont passé dans sa barbe de singe. 12
Il se lave. On le décrassa. 8
280 Il soupe avec des rois chez les femmes superbes. 12
Il fait des mots au lieu de dire des proverbes. 12
Mais c'est toujours Sancho Pança ! 8
« Il amuse les gens assez vils pour permettre 12
Qu'il trahisse à la fois le grand Manchois son maître, 12
285 Et son père le grand Manchot ! 8
Mais il tremble toujours, pendant qu'il les fait rire, 12
De me voir sur le seuil paraître pour lui dire : 12
« Taisez-vous. Vous êtes Sancho ! » 8
« Il le sait bien, qu'il l'est ! C'est ce qui l'importune. 12
290 Car on profite mal d'une bonne fortune 12
Quand on s'en étonne tout bas. 8
Il sait bien quelles sont les choses éternelles, 12
Et qu'on peut s'amuser à démoder les ailes : 12
Les pattes ne voleront pas ! 8
295 « Mais, hélas ! triste et long j'erre sur la colline ! 12
Triste comme une nuit sans bruit de mandoline 12
Et long comme un jour sans combat ! 8
Je ne peux pas aller interrompre son règne ! 12
Et sans cesse je sens, à mon vieux cœur qui saigne, 12
300 Que quelque rêve au loin s'abat ! 8
« Je ne pourrais passer qu'en laissant mon armure ! 12
Mais ce serait faiblir, admettre une entamure. 12
Mon armure est comme mon nom. 8
Et j'en irais là-bas prendre une autre, peut-être ? 12
305 Non, car je rougirais de ne plus reconnaître 12
La forme de mon ombre ! Non, 8
« Car à sa silhouette on doit rester fidèle ! 12
La mienne me convient si c'est à cause d'elle 12
Qu'à la sottise je déplus ! 8
310 Qui me dessinerait un bon harnois de guerre ? 12
Je n'ai pas confiance au goût de l'antiquaire, 12
Et Gustave Doré n'est plus ! 8
« Ah ! pour porter là-bas tout l'attirail en fraude, 12
Il me faudrait un page, un complice qui rôde, 12
315 Par les rocs, le long des ruisseaux… 8
Veux-tu faire avec moi, fils, de la contrebande ? 12
Puisque pour la passer mon armure est trop grande, 12
Nous la passerons par morceaux ! 8
« En un pareil combat la ruse est exemplaire ! 12
320 Il ne laisserait pas, Seigneur, de me déplaire 12
Que Votre Grâce me blâmât 8
D'oser requérir d'elle une souplesse adroite, 12
Car tout le monde sait que j'ai l'âme aussi droite 12
Qu'un fuseau de Guadarrama ! 8
325 « Ce n'est qu'un rôle obscur qu'ici je vous propose. 12
Mais, Seigneur, vous aurez à quelque grande cause 12
Peut-être un service rendu 8
Quand, passé par tronçons que nul n'aura vu luire, 12
On verra tout d'un coup, là-bas, se reconstruire 12
330 Un paladin inattendu ! 8
» Si vous faites cela pour la moustache blanche 12
Du Très Ingénieux Hidalgo de la Manche, 12
Si vous me consacrez un peu 8
De cette jeune ardeur que le ciel vous octroie, 12
335 Je jure, bachelier, qu'avec bien plus de joie 12
Vous regarderez le ciel bleu ! 8
« Allons, donne ta main ! A moi tu t'affilies ! 12
Quoi ? Tu ne sais, dis-tu, que chanter des folies 12
Et cueillir les fleurs du buisson ? 8
340 Chante, et cueille des fleurs d'un air de nonchalance ! 12
On peut dans un bouquet passer un fer de lance, 12
Un signal dans une chanson ! 8
« Voici l'heure ! La nuit paillette sa basquine ! 12
Mes armes, qu'un reflet d'étoiles damasquine, 12
345 Sont là, d'argent, d'or et d'airain ! 8
A quoi fais-tu passer aujourd'hui la frontière ? 12
Veux-tu le soleret ? Veux-tu la cubitière ? 12
Ou bien veux-tu le gorgerin ? » 8
Il ouvrait ses longs bras à l'immense envergure ! 12
350 J'hésitais… Mais je vis sur la Triste Figure 12
Une telle déception 8
Que : « Perle de l'honneur ! Miroir de la bravoure ! » 12
M'écriai-je, en prenant un air d'Estramadoure, 12
« A votre disposition ! » 8
355 — « Choisis donc !… » Un rayon toucha comme un doigt pâle 12
Le plateau de balance — ou la vieille cymbale — 12
Ou l'espèce d'astre échancré, 8
La chose qui luisait sur le crâne fantasque, 12
L'objet plat comme un plat, martelé comme un casque, 12
360 Fourbi comme un vase sacré ! 8
Et je dis : « Par le cor de Roland ! par la griffe 12
De Pantafilando ! par le bonnet d'Alquife 12
Et par l'âme de Galaor ! 8
Je choisis — car la seule illusion m'enivre, 12
365 Et l'objet qui de tous était le plus en cuivre 12
Pour moi sera le plus en or ! — 8
« Je choisis, Chevalier, ce qui, de ton armure, 12
A soulevé le plus de rire et de murmure ! 12
C'est ton armet. Donne-le-moi ! 8
370 Puisque tu l'as couvert d'un ridicule immense, 12
Il convient que ce soit par lui que je commence ! 12
Je n'ai pas peur. Et j'ai la foi. 8
« Je jure que ceci n'est pas un plat à barbe ! 12
Donne ! » Et le long des rocs tout fleuris de joubarbe 12
375 Dont parfois j'arrachais un brin, 8
Le soir même, furtif, et de ma veste brune 12
L'empêchant d'accrocher quelque rayon de lune, 12
J'emportais l'armet de Mambrin ! 8
Et depuis lors, dans l'ombre où passe un vent morisque, 12
380 Intéressé par l'œuvre, égayé par le risque, 12
Je suis toujours sur le sentier ; 8
Je cueille des bouquets, je marche, je m'arrête, 12
Et je chante… Et je dis que je suis un poète ; 12
Mais je suis un contrebandier. 8
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