Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
ROS_1/ROS34
Edmond ROSTAND
LES MUSARDISES
1887-1893
II
INCERTITUDES
XII
L'HEURE CHARMANTE
Le repas s'achevait | en musique, aux bougies. 6+6 a
Le vieux parc n'était plus | le parc aux élégies, 6+6 a
Mais s'éclairait de ces | lanternes du Japon 6−6 b
Qui, sous le fil de fer | léger qui leur sert d'anse, 6+6 c
5 Au moindre éveil de brise | entrent toutes en danse, 6+6 c
En étirant leurs corps | annelés, de crépon. 6+6 b
Des reflets s'en allaient | sous l'eau du lac moirée 6+6 a
Croiser leurs vrilles d'or. | Ce fut une soirée 6+6 a
Unique. Le feuillage | était notre plafond ; 6+6 b
10 Des étoiles luisaient | dans tous les interstices ; 6+6 c
Les décors naturels | se mêlaient aux factices ; 6+6 c
L'amour était frivole, | ému, libre, profond. 6+6 b
Le réel avait tu | sa rumeur importune. 6+6 a
Les ombrelles des pins | se veloutaient de lune. 6+6 a
15 Un désordre joyeux | régnait dans le couvert. 6+6 b
Les candélabres hauts | de vieille argenterie 6+6 c
Portaient, à chaque branche, | une flamme fleurie 6+6 c
D'un lilliputien | abat-jour, mauve ou vert. 6+6 b
Ce fut une soirée | unique de magie 6+6 a
20 Et dont nous garderons | toujours la nostalgie : 6+6 a
Les cœurs étaient de choix, | les esprits aristos ; 6+6 b
Les silences disaient | des passages de rêves ; 6+6 c
Puis les mots repartaient, | ennoblis par ces trêves, 6+6 c
Et les âmes vibraient | ainsi que les cristaux. 6+6 b
25 Le vin était d'Asti ; | le luxe, véritable ; 6+6 a
Des violettes en | tous sens jonchaient la table ; 6+6 a
Les unes se mouraient : | elles étaient des bois ; 6+6 b
D'autres duraient encore : | elles étaient de Parme ; 6+6 c
D'un verre qu'on eût dit | soufflé dans une larme, 6+6 c
30 Des roses s'effeuillaient | d'un seul coup, quelquefois. 6+6 b
Le moindre pli, | le moindre nœud, | la moindre ganse, 4+4+4 a
Résumait en soi seul | des siècles d'élégance ; 6+6 a
Le moindre mot de ces | charmants civilisés, 6−6 b
Des siècles de finesse ; | et, dans les accessoires 6+6 c
35 Les plus inattendus, | des siècles de victoires 6+6 c
Sur la lourde matière | étaient totalisés. 6+6 b
On disputait | de poésie | et de musique ; 4+4+4 a
Un doux bavard faisait | de la métaphysique ; 6+6 a
Les fraises, cependant, | d'un tas pyramidal 6+6 b
40 S'écroulaient et roulaient | sous les doigts des gourmandes ; 6+6 c
Les rieuses offraient | moitié de leurs amandes ; 6+6 c
On entendait quelqu'un | qui parlait de Stendhal. 6+6 b
Elles glaces fondaient, | minuscules banquises, 6+6 a
En délivrant des fleurs | qui dedans étaient prises. 6+6 a
45 On se sentait parfois | dans une extase, et puis 6+6 b
On ne savait plus trop | d'où venait cette extase, 6+6 c
Si c'était du joli | mystère d'une phrase, 6+6 c
Ou de la nouveauté | d'un couteau pour les fruits. 6+6 b
Ce fut l'heure où, parmi | les coupes de Venise, 6+6 a
50 Dans un accoudement | satisfait, s'éternise 6+6 a
L'égrènement rêveur | des grappes de muscats ; 6+6 b
Alors les beaux distraits | qu'être une énigme flatte 6+6 c
Sourirent d'un sourire | un peu haut sur cravate 6+6 c
Et tinrent des propos | obscurs et délicats. 6+6 b
55 L'amour était ému, | libre, profond, frivole ; 6+6 a
Ceux-ci, faux puérils, | jouaient à pigeon-vole ; 6+6 a
Ceux-là disaient des vers. | Et quand les premiers feux 6+6 b
Palpitèrent, des cigarettes | allumées, 8+4 c
Aux cheveux plus légers | que de blondes fumées 6+6 c
60 La fumée emmêla | de bleuâtres cheveux. 6+6 b
Le paradoxe était | aux lèvres des plus sages ; 6+6 a
Les fracs étaient fleuris | d'œillets pris aux corsages ; 6+6 a
Et, comme on entendait | de lointains violons, 6+6 b
Les femmes ne faisaient | que des réponses vagues, 6+6 c
65 El, machinalement, | changeaient de doigts leurs bagues, 6+6 c
Avec des rires brefs | et des regards très longs. 6+6 b
L'orchestre avait bien soin | de n'être pas tzigane ; 6+6 a
Sa valse eût fait valser | Urgèle avec Morgane ; 6+6 a
Puis, elle se taisait, | pour reprendre soudain. 6+6 b
70 Ce fut une soirée | unique de magie. 6+6 c
Contre tous les parfums | d'un boudoir-tabagie 6+6 c
Luttaient tous les parfums | d'un nocturne jardin. 6+6 b
Oh ! les rires troublés ! | oh ! les beaux bruits de jupes ! 6+6 a
Les plaintes, à mi-voix, | ironiques, des dupes ! 6+6 a
75 Les mots précis partant | des coins esthétisants, 6+6 b
Les mots vagues des coins | philosophants, les drôles 6+6 c
Des coins moqueurs… et les | blancs haussements d'épaules 6−6 c
Aux madrigaux musqués | des dolents bien-disants ! 6+6 b
Puis, les frissons frileux | dans les robes ouvertes, 6+6 a
80 Et, le soir fraîchissant, | les fichus et les berthes 6+6 a
Jetés vite aux cous nus | par les prestes galants ; 6+6 b
Les fuites s'estompant, | doubles, sous les grands arbres ; 6+6 c
Les gestes bleus parmi | les gestes blancs des marbres ; 6+6 c
Les barques, sur le lac, | commençant des tours lents ; 6+6 b
85 Les barques promenant | des chants et des lumières… 6+6 a
Énervements heureux | et fébrilités chères ! 6+6 a
Celui-ci qui, burlesque, | éveillant des frons-frons, 6+6 b
Tente un refrain narquois | sur une mandoline, 6+6 c
Cet autre proposant | d'aller sur la colline… 6+6 c
90 Et la noble pâleur | de tous ces jeunes fronts ! 6+6 b
Ce fut une soirée | unique de magie. 6+6 a
Le vent malin souffla | la dernière bougie 6+6 a
Devant que se fondit | notre ultime sorbet. 6+6 b
Parfois, faisant pousser | des cris aux robes blanches, 6+6 c
95 On voyait, incendie | indiscret sous les branches, 6+6 c
Une lanterne | japonaise | qui flambait. 4+4+4 b
Et nous nous augmentions | l'exquis de cette fête 6+6 a
De la sentir frivole, | imprudente, inquiète ; 6+6 a
Et, délicats devins | d'un brutal avenir, 6+6 b
100 Assurés de bientôt | périr, — et quels artistes ! — 6+6 c
Tous, nous la savourions, | charmés, finement tristes, 6+6 c
Comme on fait ce qui doit | et ce qui va finir ! 6+6 b
Et ces chants, ces propos, | ces clartés et ces femmes, 6+6 a
Et la communion | légère de ces âmes, 6+6 a
105 Et ces plaisirs polis | et doux d'honnêtes gens, 6+6 b
— Honnêtes, mais pervers | un peu, — ces nonchalances, 6+6 c
Ces voix discrètes, ces | musiques, ces silences, 6−6 c
Cette complicité | parfaite d'indulgents, 6+6 b
La fraîcheur, sous les doigts, | de ces perles, ces grâces, 6+6 a
110 Cette confusion | d'esprits de toutes races, 6+6 a
Ces minutes, ce parc | où l'on était si bien, 6+6 b
Joignaient le charme encore, | à tant de charmes rares, 6+6 c
De tout ce que déjà | menacent les barbares, 6+6 c
De tout ce dont bientôt | il ne restera rien ! 6+6 b
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