Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_3/RIC303
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GAS
XIV
UN MORUTIER
Il avait des façons | de s’exprimer à lui. 6+6 a
Au jusant, il disait : | « La mé n’a de l’ennui. » 6+6 a
Quand remontait le flot : | « Il crève ses ampoules. » 6+6 b
Les nuages, c’était | le ciel plumant ses poules ; 6+6 b
5 Et la foudre en éclats, | Michel cassant ses œufs. 6+6 a
Il appelait le vent | du sud cornemuseux, 6+6 a
Celui du nord cornard, | de l’ouest brise à grenouille, 6+6 b
Celui de suroit l’brouf, | celui de terre andouille. 6+6 b
Sa pipe avait nom Jeanne | et son briquet Martin, 6+6 a
10 Et sa chique en pruneau | se baptisait l’tétin. 6+6 a
Lui-même, il se peignait | ainsi : — Vioque et précoce. 6+6 b
— Hein ? — Ben quoi ! Ça s’entend. | Conservé dans ma cosse, 6+6 b
Sec et mouillé, confit | de sel et de goudron, 6+6 a
Et bon à replanter | comme à mettre au chaudron. 6+6 a
15 Ayant tant navigué, | que j’ai la vague à l’âme. 6+6 b
Mais la cendre de l’eau | n’a pas éteint la flamme, 6+6 b
Et sous le vieux prélart | tanné par le poudrain 6+6 a
La poulie a sa graisse | et le câble son brin. 6+6 a
Donc, comme un verre, ouvert ; | fermé comme une buire ; 6+6 b
20 Cœur tendre à se détendre | et cuir de dur-à-cuire. — 6+6 b
Et je fis bien souvent | des efforts superflus 6+6 a
Pour qu’il s’expliquât mieux, | je n’en eus rien de plus. 6+6 a
Du reste, il méprisait | les terriens, jus de cancre. 6+6 b
Quant à la terre : — Un vieux | ponton toujours à l’ancre, 6+6 b
25 Une épave au rancart, | une huître à son rocher, 6+6 a
Un cul prenant racine | au banc sans décrocher. 6+6 a
Et votre air, ça qui sent | le renfermé ! Le nôtre, 6+6 b
Ça vient de l’air et pas | de la gueule d’un autre. 6+6 b
Pour respirer du frais, | du neuf et de l’entier, 6+6 a
30 Et de première main, | vive le morutier ! 6+6 a
— Pourtant, là-bas, l’amorce | et la chair corrompue. 6+6 b
Et la chambrée en tas, | il paraît que ça pue. 6+6 b
— Ça pue ! Ah ! par exemple ! | on en est embaumé. 6+6 a
Humez-moi donc le poil. | De l’élixir de mé ! — 6+6 a
35 Il fleurait le tabac, | le coltar, l’eau-de-vie, 6+6 b
Le poisson rance. — Hé! | dit-il, ça fait envie. 6+6 b
N’est-ce pas ? On en a | plein son nez, les plus creux. 6+6 a
Voyez-vous, les marins, | n’y en a que pour eux ! — 6+6 a
Et de rire. Il était | heureux, ce pauvre hère. 6+6 b
40 Pourtant je connaissais | sa vie et sa misère. 6+6 b
C’est un rude métier, | d’être Terre-neuvat ! 6+6 a
Et lui, qui l’avait fait | trente ans, disait : — Bon vat ! 6+6 a
Oui, dame ! on file ainsi | son nœud tant que ça dure. 6+6 b
N’a du dur dans la douce | et du doux dans la dure ; 6+6 b
45 Mais à force de quarts | on amène le jour. 6+6 a
Ben sûr qu’à tout compter | n’a du contre et du pour. 6+6 a
C’est selon la marée | et le fond qu’on rencontre. 6+6 b
Des fois trop contre pour, | et des fois trop pour contre ! 6+6 b
En somme, plus suivé | qu’à terre, assurément, 6+6 a
50 Sauf que, lorsqu’on a peine, | on n’a pas agrément, 6+6 a
Et que, le boujaron | vidé, faut qu’on le rince. 6+6 b
Puisqu’autant en arrive | au pelletas qu’au prince. 6+6 b
Vas-y gaîment ! Si bien | qu’en attendant mon tour 6+6 a
Je fais le pour du contre | et prends le contre en pour. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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