Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_3/RIC298
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GAS
IX
LE CHALUT
Encore un tour au treuil ! | Hardi ! Du jus de bras ! 6+6 a
Vʼlà le fer du chalut | qui sort son nez au ras. 6+6 a
Encore un tour ! Il va | saillir hors de la tasse. 6+6 b
Et la chausse ne m’a | pas l’air d’une tétasse, 6+6 b
5 Hein, les gas ? Ça vous souque | aux poignes. Le filin 6+6 a
Se tend raide à péter. | Bon signe que c’est plein ! 6+6 a
Le chalut en effet | monte au bout de la drisse, 6+6 b
Plein et lourd, gonflé rond | comme un sein de nourrice. 6+6 b
Un moment, au-dessus | du pont, en globe il pend. 6+6 a
10 Largue tout ! Et ce lait | de poissons se répand, 6+6 a
Pêle-mêle de sauts, | de couleurs, d’étincelles. 6+6 b
Est-ce toi, l’arc-en-ciel | en morceaux, qui ruisselles ? 6+6 b
On le dirait, de vrai. | Comment avec des mots 6+6 a
Peindre ces tons, ces fleurs, | ces pierres, ces émaux. 6+6 a
15 Cette chair miroitante | en fouillis de lumières, 6+6 b
Et ces splendeurs aux yeux | des marins coutumières, 6+6 b
Mais qui pour mes regards | de novice terrien 6+6 a
Ont l’aspect d’un prodige | et ne rappellent rien ? 6+6 a
Et quel tas ! On en a | plus haut qu’à demi-botte. 6+6 b
20 On glisse là-dedans | comme un homme en ribote 6+6 b
Qui parmi des écrins | et sur un médaillier 6+6 a
Piétinerait dans la | montre d’un joaillier. 6−6 a
Encor tous les joyaux | de toutes les vitrines 6+6 b
Pâliraient-ils devant | les ventres, les poitrines, 6+6 b
25 Les nageoires, les dos, | les têtes de ces corps 6+6 a
Où le prisme défait | et refait mille accords. 6+6 a
J’exagère ? Non pas. | Qu’il vienne un lapidaire, 6+6 b
Un peintre, le plus grand, | qu’il voie et considère 6+6 b
Si ce n’est pas assez | pour lui faire dire oh ! 6+6 a
30 Du plus humble de ces | poissons, du maquereau. 6−6 a
Le ventre est d’argent clair | et de nacre opaline, 6+6 b
Et le dos en saphir | rayé de tourmaline 6+6 b
Se glace d’émeraude | et de rubis changeant. 6+6 a
Au moment de la mort, | sur la nacre, l’argent. 6+6 a
35 Le saphir, le rubis, | l’émeraude, une teinte 6+6 b
De rose et de lilas | s’allume, puis, éteinte, 6+6 b
Se fond en un bouquet | fané délicieux 6+6 a
Plus tendre que celui | du couchant dans les cieux. 6+6 a
Et ce turbot, marbré | comme une agate obscure ! 6+6 b
40 Et ce merlan qui semble | un poignard en mercure ! 6+6 b
Et la plie orangée, | aux lunules de fiel ! 6+6 a
Et celle en disque blond, | tel un gâteau de miel ! 6+6 a
Et le crapaud de mer, | corps d’azur, tête plate 6+6 b
Où rutilent deux yeux | à prunelle écarlate ! 6+6 b
45 Et le hareng, vêtu | d’éclairs phosphorescents ! 6+6 a
Et que d’autres, qui sont | et des mille et des cents ! 6+6 a
Et leurs formes aussi ! | C’est la sole en ellipse ; 6+6 b
Le chabot monstrueux, | bête d’Apocalypse ; 6+6 b
Le grondin, dont le chef | carré fait un marteau ; 6+6 a
50 Le bar au gabarit | modèle de bateau ; 6+6 a
Le homard qui cisaille | et le crabe qui fauche ; 6+6 b
La limande, yeux à droite, | et la barbue, à gauche ; 6+6 b
L’oursin en hérisson | et le congre en serpent ; 6+6 a
La raie, avec sa queue | épineuse qui pend. 6+6 a
55 Et ses nageoires, dont | les rhythmiques détentes 6+6 b
À la large envergure | ont l’air d’ailes battantes ; 6+6 b
D’autres ; d’autres encor ! | Mais pendant qu’à l’écart 6+6 a
J’emprisonne dans les | cachots de mon regard 6−6 a
Ces formes, ces couleurs, | rapidement notées, 6+6 b
60 Nos gas, répartissant | les poissons par hottées, 6+6 b
Les descendent à fond | de cale. On est chantant ; 6+6 a
La pêche est bonne ; on va | continuer d’autant. 6+6 a
Range à border l’écoute ! | Et vire à contre brise ! 6+6 b
Il faut retrouver champ | où le chalut ait prise, 6+6 b
65 Et que le vent grand’largue | appuyant le bateau 6+6 a
Traîne bien au tréfond | la chausse et le rateau. 6+6 a
Adieu-vat ! C’est paré. | Laisse filer la chaîne. 6+6 b
Nageons dret, et que la | relevaille prochaine 6−6 b
Plaise à nos gas autant | que celle-ci leur plut ! 6+6 a
70 Que la chausse se gave | à crever le chalut ! 6+6 a
Faudra du jus de bras | encor. Mais, n’ayez crainte, 6+6 b
Ce n’est pas ça qui manque, | et gaîment l’on s’éreinte 6+6 b
Quand on sent que d’aplomb | ça souque en remontant. 6+6 a
On tirera d’un poing | léger, d’un cœur content, 6+6 a
75 Pour revoir le butin | pendre au bout de la drisse, 6+6 b
Plein et lourd, gonflé rond | comme un sein de nourrice. 6+6 b
Celui qui trimerait | alors en maugréant 6+6 a
Serait un failli chien, | sans cœur et fainéant ; 6+6 a
Car ça, qui du chalut | charge et distend les mailles, 6+6 b
80 C’est du pain pour les vieux, | la femme et les marmailles. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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