Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
RIC_1/RIC42
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
DEUXIÈME PARTIE
GUEUX DE PARIS
LES QUATRE SAISONS
IV
VARIATIONS DE PRINTEMPS
SUR L’ORGUE DE BARBARIE
Bonne consolatrice, | ô fée, ô Mélodie, 6+6 a
Soupir mélancolique | aux sonores langueurs, 6+6 b
Comme au lit des mourants | l’homme qui psalmodie 6+6 a
Toi qui verses le baume | et la paix à nos cœurs, 6+6 b
5 Tu sais tout embrasser | dans tes formes si vagues 6+6 a
Et merveilleusement | revêtir de tes sons, 6+6 b
À la fois ondoyants | et forts comme les vagues, 6+6 a
Nos secrets les plus chers | que seuls nous connaissons. 6+6 b
Dans l’air qu’il composa, | triste ou gai, rude ou tendre, 6+6 a
10 Qui sait ce que pour nous | met le musicien ? 6+6 b
Mais dans l’enivrement | que j’éprouve à l’entendre 6+6 a
Qui sait ce que je mets ? | Lui-même il n’en sait rien. 6+6 b
Il a chanté l’amour | peut-être sans maîtresse, 6+6 a
Parlé de désespoirs | sans en avoir aucun. 6+6 b
15 Qu’importe ? Si sa voix | exprime ma détresse, 6+6 a
Sans le savoir, sa voix | a chanté pour quelqu’un. 6+6 b
Souvent il a jeté | quelques notes joyeuses, 6+6 a
Et pourtant ma douleur | tristement s’y complaît. 6+6 b
J’entends rire ou pleurer | des voix mystérieuses 6+6 a
20 Dans un accord banal, | dans un air incomplet. 6+6 b
Puis, que de souvenirs, | que de choses passées, 6+6 a
De jours évanouis | et de bonheurs perdus, 6+6 b
Renaissent brusquement | du fond de nos pensées 6+6 a
À des sons oubliés | tout à coup entendus ! 6+6 b
25 Il suffit d’un enfant | qui chante et qui mendie, 6+6 a
D’un violon criard | ou d’un orgue aux abois, 6+6 b
Pour nous remémorer | la vieille mélodie 6+6 a
Escortée aussitôt | des choses d’autrefois. 6+6 b
C’est ainsi que ce soir, | de loin, par ma fenêtre, 6+6 a
30 Un air d’orgue arrivant | sur le vent printanier, 6+6 b
À son refrain vulgaire, | et qui fut gai peut-être, 6+6 a
Triste, je me souviens | d’un jour, l’hiver dernier. 6+6 b
Malgré les arbres verts | aux feuilles d’émeraude 6+6 a
Et les cris des oiseaux | fusant dans le ciel bleu, 6+6 b
35 Je revois devant moi | la chambre étroite et chaude 6+6 a
Où j’étais ce jour-là, | près du lit, près du feu. 6+6 b
Ce jour-là, je pleurais, | oh ! comme un enfant pleure, 6+6 a
Comme on pleure à vingt ans | d’une douleur d’amour. 6+6 b
J’écoutais lentement | couler, heure par heure, 6+6 a
40 Au bruit de mes sanglots | la longueur de ce jour, 6+6 b
Tout à coup, abîmé | dans ma pensée amère, 6+6 a
J’entendis un chant doux | au dehors murmurer. 6+6 b
Ô douleur, comme nous | qui souffrons, éphémère ! 6+6 a
C’en fut assez, hélas ! | pour cesser de pleurer. 6+6 b
45 Le cœur gros mais calmé, | je dus quitter ma place 6+6 a
Pour aller entr’ouvrir | les rideaux. Il neigeait. 6+6 b
Sous la porte cochère, | humide et noire, en face, 6+6 a
Était un pauvre vieux | que la bise assiégeait. 6+6 b
Ses doigts tout grelottants, | raidis par la froidure 6+6 a
50 Qui flagellait ce corps | de ses coups sans répit, 6+6 b
Tournaient d’un orgue faux | la manivelle dure, 6+6 a
Et le son m’arrivait | par la neige assoupi. 6+6 b
Je jetai dans la rue | une aumône au vieil homme, 6+6 a
Qui s’en alla, mettant | son orgue sur son dos. 6+6 b
55 Puis, sans savoir quel air | il jouait, quelle somme 6+6 a
J’avais pu lui jeter, | je fermai les rideaux. 6+6 b
Qu’il était loin de moi, | ce pauvre air ! Ma maîtresse 6+6 a
Ne m’ayant fait souffrir | que pour m’en aimer mieux, 6+6 b
J’avais tout oublié, | l’air, le jour, ma détresse, 6+6 a
60 Orage passager | dans l’azur de mes cieux. 6+6 b
Et voilà qu’aujourd’hui | soudain je me rappelle, 6+6 a
En entendant cet air, | que je l’avais en moi. 6+6 b
Tu reviens me trouver, | ancienne ritournelle, 6+6 a
Et tout le passé mort | ressuscite avec toi. 6+6 b
65 Oh ! chante, chante encor | par ma fenêtre ouverte, 6+6 a
Ô vieil orgue banal, | et criard, et pointu ! 6+6 b
Chante ! Dans le ciel bleu, | dans la ramure verte, 6+6 a
Je n’entends que toi seul, | et je t’aime, vois-tu ! 6+6 b
Oui, je t’aime pauvre air | qu’on traîne par les rues, 6+6 a
70 Et celui qui t’a fait | ne t’aime pas ainsi. 6+6 b
Car dans le souvenir | de tes notes perdues 6+6 a
Il n’avait mis qu’un air ; | j’y mets mon cœur aussi. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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