Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
REN_4/REN189
Armand RENAUD
Drames du peuple
1885
AUTOUR DE NOUS
Les Rats
Londres a ses journaux, | ses comptoirs, ses musées, 6+6 a
Ses docks de thés chinois | et de sucres hindous. 6+6 b
Ses tuyaux projetant | des vapeurs embrasées. 6+6 a
Ses temples, ses vaisseaux, | sa banque, ses égouts. 6+6 b
5 En haut, la foule va | se heurtant à la foule ; 6+6 a
La cité monstrueuse | agite ses évents, 6+6 b
La chaudière bouillonne | et l'équipage roule : 6+6 a
C'est le fourmillement, | le fracas des vivants. 6+6 b
En bas, le long d'un morne | et profond labyrinthe, 6+6 a
10 Sous des immensités | de voûtes en ciment. 6+6 b
Seule, dans un silence | où s'engloutit sa plainte. 6+6 a
Une eau d'un noir bourbeux | s'écoule lourdement. 6+6 b
Et cette eau roule en elle | une masse de choses 6+6 a
Informes, n'ayant plus | de couleur ni de nom, 6+6 b
15 Tous les rebuts : vieux suifs, | vieux tessons, vieilles roses. 6+6 a
De la vie à la mort | c'est le dernier chaînon. 6+6 b
Et pourtant en ce monde | il se trouve des êtres 6+6 a
Qui, loin de la lumière | et du grand air, s'en vont, 6+6 b
Des torches à la main, | aux pieds de sales guêtres, 6+6 a
20 Fouiller et refouiller | ces égouts jusqu'au fond. 6+6 b
Car le pain coûte cher | et le travail est rare, 6+6 a
Et le stupide amour | de la vie est si fort 6+6 b
Qu'à vivre, même ainsi, | la misère s'effare 6+6 a
Moins qu'à se délivrer | de la faim par la mort. 6+6 b
25 Or un vieux, un garçon | de dix ans, deux enfances, 6+6 a
Et je ne sais quel monstre | avec des cheveux roux, 6+6 b
Dont les dents avançaient | en forme de défenses, 6+6 a
Cherchaient là des charbons, | là des os, là des clous. 6+6 b
Ils allaient. Quelquefois | un jour pusillanime 6+6 a
30 D'un soupirail lointain | descendait tristement ; 6+6 b
Et ce jour, ne pouvant | filtrer jusqu'à l'abîme. 6+6 a
N'en révélait que mieux | le noir isolement. 6+6 b
Et le vieillard priait : | « Seigneur, fais que je trouve 6+6 a
De quoi sauver les miens | qui se meurent de froid. » 6+6 b
35 Le monstre, jadis femme, | à présent une louve, 6+6 a
Se disait que tout peut | s'oublier lorsqu'on boit. 6+6 b
Quant à l'enfant, chétive | et pâle créature, 6+6 a
Au corps stigmatisé | par un mal plébéien. 6+6 b
Avec fièvre, il plongeait | dans cette pourriture. 6+6 a
40 Sachant qu'on le battrait | s'il ne rapportait rien. 6+6 b
Ils étaient arrivés | sur une place ronde 6+6 a
Où trois larges égouts | aboutissaient en un. 6+6 b
Dans le lointain, vibrait | une rumeur profonde, 6+6 a
Avec les bruits connus | n'ayant rien de commun. 6+6 b
45 Cette rumeur d'abord | ne les mit pas en peine. 6+6 a
A trois, dans le bourbier, | ils fouillaient comme cent ; 6+6 b
Et chacun entassait | aubaine sur aubaine. 6+6 a
Cependant la rumeur | allait toujours croissant. 6+6 b
Et comme ils regardaient | pour en savoir la cause, 6+6 a
50 A gauche, à droite, en haut, | des murs noirs au sol gras. 6+6 b
Ils virent qu'autour d'eux | toute issue était close 6+6 a
Par un encombrement | effroyable de rats. 6+6 b
Et ces rats s'avançaient, | farouches, l'œil étrange ; 6+6 a
Tout en trottant, les gros | dévoraient les petits. 6+6 b
55 Moins grouillants sont les vers | et moins terne la fange. 6+6 a
Les hommes, à les voir, | restaient comme abrutis. 6+6 b
Déjà de leurs museaux | pointus toutes ces bêtes 6+6 a
Les flairaient, et déjà | les menaçaient des dents. 6+6 b
En vain ils piétinaient, | piétinaient sur leurs têtes. 6+6 a
60 Les rats se balançaient | à leurs haillons pendants. 6+6 b
L'effroi les avait pris | devant ce danger vague. 6+6 a
Crier ? Dans un tombeau | les cris seraient moins sourds. 6+6 b
Combattre ? C'eût été | lutter contre la vague. 6+6 a
Et jusqu'en leurs cheveux | les rats grimpaient toujours. 6+6 b
65 Les torches, de leurs mains | s'abattant, étaient mortes. 6+6 a
Ils ne voyaient plus rien. | Seulement, jusqu'en haut 6+6 b
Ils sentaient, le long d'eux, | les hideuses cohortes. 6+6 a
Tous trois durent finir | par tomber sous l'assaut. 6+6 b
Parmi les rats, alors, | immense fut la joie. 6+6 a
70 Chaque dent arrachait | quelque lambeau sanglant. 6+6 b
On leur mordait le cœur, | on leur rongeait le foie. 6+6 a
Et c'était d'autant plus | affreux que c'était lent. 6+6 b
Ils ressemblaient à ceux | qui, sous les terres lourdes, 6+6 a
Sont engloutis vivants | et qui veulent bouger. 6+6 b
75 Ils crispaient tous leurs nerfs | en convulsions sourdes. 6+6 a
Sans pouvoir empêcher | les rats de les ronger. 6+6 b
Jusqu'où va le nuage | avant d'être l'averse ? 6+6 a
Jusqu'où va la douleur | avant d'être la mort ? 6+6 b
A nous faire souffrir | la Nature s'exerce ; 6+6 a
80 Le mal succède au mal | sans assouvir le sort. 6+6 b
Ils vécurent longtemps. | Enfin le dernier râle 6+6 a
Les prit. Des visions | suprêmes firent voir 6+6 b
Ses enfants au vieillard, | son maître à l'enfant pâle, 6+6 a
Les tavernes au monstre. | Et tout redevint noir. 6+6 b
85 Oh ! remontons là-haut, | et regardons sur terre ! 6+6 a
Tout va son train, l'orgueil, | le négoce, l'amour. 6+6 b
Le festin brille. On mange | et l'on se désaltère. 6+6 a
Le chant se mêle aux fleurs | pour les heureux du jour. 6+6 b
Puis, à côté, la foule | aux machines se voue, 6+6 c
90 Hâve, sans ciel à voir, | sans air à respirer ; 6+6 d
Moteur inconscient | s'écrasant sous sa roue ; 6+6 c
Gens, sans avoir vécu, | se faisant enterrer. 6+6 d
Cependant le soleil, | avec indifférence, 6+6 a
Traîne tout, pêle-mêle, | à travers l'infini. 6+6 b
95 La joie est pour bien peu, | pour tous est la souffrance. 6+6 a
Tu le sais, ô soleil, | et n'en es point terni. 6+6 b
Étoiles, vous aussi, | pâles lueurs sereines. 6+6 a
Les lamentations | abondent sous vos yeux ; 6+6 b
Et vous ne cessez pas | de luire sur nos peines ; 6+6 a
100 Et, sans pitié de rien, | vous rêvez dans les cieux. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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