Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
REN_1/REN16
Armand RENAUD
Recueil intime
1881
II
Le petit Pendu
Quand la vieille grand’ mère | à la tête ridée 6+6 a
Fut morte, et qu’on l’eût mise | en son cercueil de bois, 6+6 b
L’enfant dans son cerveau | ne roula qu’une idée : 6+6 a
Retrouver celle dont | il aimait tant la voix. 6+6 b
5 Il n’avait jusque-là | versé que peu de larmes, 6+6 a
Et pour des riens, pour du | pain sec à son repas, 6−6 b
Pour le vent qui soufflait | avec de grands vacarmes, 6+6 a
Pour l’image d’un sou | qu’on ne lui donnait pas. 6+6 b
A présent un regret | mystérieux lui pèse. 6+6 a
10 Il pense à sa grand’mère | enterrée. Il ne peut 6+6 b
S’empêcher d’y penser. | Il sent un froid malaise 6+6 a
A ce soupçon que l’eau | la mouille quand il pleut. 6+6 b
Il regarde la chambre ; | et le fauteuil lui semble 6+6 a
Monstrueusement vide | et morne, n’ayant plus 6+6 b
15 Le corps rapetissé | de la vieille qui tremble, 6+6 a
En tenant ses genoux | entre ses doigts perclus. 6+6 b
Il sait qu’il ne doit plus | la revoir. D’habitude, 6+6 a
L’on part et l’on revient. | Le départ, cette fois, 6+6 b
Sur le retour n’a point | laissé d’incertitude, 6+6 a
20 Trop pesante est la terre | où l’on plante une croix. 6+6 b
Elle lui racontait | de si belles histoires 6+6 a
Le petit Chaperon | rouge, le Chat botté ; 6+6 b
Ou bien c’étaient de longs | récits sur nos victoires, 6+6 a
Au temps où l’on avait | chassé la royauté. 6+6 b
25 Elle était bonne. Alors | que venait la gelée, 6+6 a
Elle lui réchauffait, | entre ses mains, les doigts. 6+6 b
Et sa tiède moiteur | faisait partir l’onglée 6+6 a
Mieux que l’ardent brasier, | cruel aux doigts trop froids. 6+6 b
Au lit quand il passait | le jour, étant malade, 6+6 a
30 Les parents s’en allaient ; | l’aïeule restait là 6+6 b
A le bercer avec | une vieille ballade. 6+6 a
Il ne l’entendra plus | jamais chanter cela. 6+6 b
Il se souvient combien | de fois, tête mutine, 6+6 a
A cette pauvre aïeule | il désobéissait. 6+6 b
35 Elle ne grondait pas, | mais elle était chagrine. 6+6 a
Hélas ! s’il avait pu | deviner ce qu’il sait ! 6+6 b
Ce vide qui s’est fait | pour toujours le désole. 6+6 a
Son cœur, à s’affliger | trouvant sujet partout, 6+6 b
Pour songer à la morte, | en soi-même s’isole ; 6+6 a
40 Et des enfants rieurs | il éprouve un dégoût. 6+6 b
C’est qu’il a dans le cœur | l’invincible tendresse 6+6 a
Des êtres dans lesquels | l’oubli ne peut germer, 6+6 b
Qui, malgré la rigueur | du tombeau qui se dresse, 6+6 a
Quand ils ont commencé, | ne cessent point d’aimer. 6+6 b
45 Plus de bruit, plus de jeu ; | toute action l’ennuie. 6+6 a
Ce qui l’attire, c’est | le secret contenu 6+6 b
Dans ce corps mis en terre | et dans cette âme enfuie ; 6+6 a
C’est l’ombre où l’on retourne | après être venu. 6+6 b
Que fait-elle à présent, | cette pauvre grand’mère ? 6+6 a
50 De lui se souvient-elle, | et l’aime-t-elle autant ? 6+6 b
O crainte déchirante, | incertitude amère ! 6+6 a
Sans pouvoir lui parler, | peut-être elle l’attend ! 6+6 b
Quand il venait jadis, | la joie était en elle. 6+6 a
Sans doute, si la mort | prés d’elle l’emmenait, 6+6 b
55 Le même éclair de joie | emplirait sa prunelle. 6+6 a
Or, pour mourir, il est | un moyen qu’il connaît. 6+6 b
On cherche quelque part | un vieux débris de corde ; 6+6 a
On l’attache un peu haut, | on fait un nœud coulant, 6+6 b
Et l’on passe la tête ; | il se peut qu’on se torde ; 6+6 a
60 Mais on meurt vite, et c’est | le côté consolant. 6+6 b
Aussi, sans avoir peur, | non moins calme que sombre, 6+6 a
Il s’est tué, certain | qu’il était attendu. 6+6 b
Et la masse de gens | dont l’escalier s’encombre 6+6 a
Murmure avec stupeur : | Un enfant s’est pendu ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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