Métrique en Ligne
RAC5/RAC5
Jean RACINE
1669
Britannicus
TRAGÉDIE
ACTEURS
Néron empereur, fils d'Agrippine.
Britannicus fils de l'empereur Claudius.
Agrippine veuve de Domitius Enobarbus, mère de Néron, et,
en secondes noces, veuve de l'empereur Claudius.
Junie amante de Britannicus.
Burrhus gouverneur de Néron.
Narcisse gouverneur de Britannicus.
Albine confidente d'Agrippine.
Gardes
La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron.
Acte premier
Scène première
Agrippine, Albine.
Albine
Quoi ? tandis que Néron s'abandonne au sommeil, 12
Faut-il que vous veniez attendre son réveil ? 12
Qu'errant dans le palais sans suite et sans escorte, 12
La mère de César veille seule à sa porte ? 12
5 Madame, retournez dans votre appartement. 12
Agrippine
Albine, il ne faut pas s'éloigner un moment. 12
Je veux l'attendre ici. Les chagrins qu'il me cause 12
M'occuperont assez tout le temps qu'il repose. 12
Tout ce que j'ai prédit n'est que trop assuré : 12
10 Contre Britannicus Néron s'est déclaré. 12
L'impatient Néron cesse de se contraindre ; 12
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre. 12
Britannicus le gêne, Albine, et chaque jour 12
Je sens que je deviens importune à mon tour. 12
Albine
15 Quoi ? vous à qui Néron doit le jour qu'il respire, 12
Qui l'avez appelé de si loin à l'empire ? 12
Vous qui, déshéritant le fils de Claudius, 12
Avez nommé César l'heureux Domitius ? 12
Tout lui parle, Madame, en faveur d'Agrippine : 12
Il vous doit son amour.
Agrippine
20 Il me le doit, Albine ;
Tout, s'il est généreux, lui prescrit cette loi ; 12
Mais tout, s'il est ingrat, lui parle contre moi. 12
Albine
S'il est ingrat, Madame ? Ah ! toute sa conduite 12
Marque dans son devoir une âme trop instruite. 12
25 Depuis trois ans entiers, qu'a-t-il dit, qu'a-t-il fait 12
Qui ne promette à Rome un empereur parfait ? 12
Rome, depuis deux ans, par ses soins gouvernée, 12
Au temps de ses consuls croit être retournée : 12
Il la gouverne en père. Enfin, Néron naissant 12
30 A toutes les vertus d'Auguste vieillissant. 12
Agrippine
Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste : 12
Il commence, il est vrai, par où finit Auguste ; 12
Mais crains que l'avenir détruisant le passé, 12
Il ne finisse ainsi qu'Auguste a commencé. 12
35 Il se déguise en vain : je lis sur son visage 12
Des fiers Domitius l'humeur triste et sauvage ; 12
Il mêle avec l'orgueil qu'il a pris dans leur sang 12
La fierté des Nérons qu'il puisa dans mon flanc. 12
Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices : 12
40 De Rome, pour un temps, Caïus fut les délices ; 12
Mais sa feinte bonté se tournant en fureur, 12
Les délices de Rome en devinrent l'horreur. 12
Que m'importe, après tout, que Néron, plus fidèle, 12
D'une longue vertu laisse un jour le modèle ? 12
45 Ai-je mis dans sa main le timon de l'État 12
Pour le conduire au gré du peuple et du sénat ? 12
Ah ! que de la patrie il soit, s'il veut, le père ; 12
Mais qu'il songe un peu plus qu'Agrippine est sa mère. 12
De quel nom cependant pouvons-nous appeler 12
50 L'attentat que le jour vient de nous révéler ? 12
Il sait, car leur amour ne peut être ignorée, 12
Que de Britannicus Junie est adorée, 12
Et ce même Néron, que la vertu conduit, 12
Fait enlever Junie au milieu de la nuit ! 12
55 Que veut-il ? Est-ce haine, est-ce amour qui l'inspire ? 12
Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ? 12
Ou plutôt n'est-ce point que sa malignité 12
Punit sur eux l'appui que je leur ai prêté ? 12
Albine
Vous, leur appui, Madame ?
Agrippine
Arrête, chère Albine,
60 Je sais que j'ai moi seule avancé leur ruine ; 12
Que du trône, où le sang l'a dû faire monter, 12
Britannicus par moi s'est vu précipiter. 12
Par moi seule éloigné de l'hymen d'Octavie, 12
Le frère de Junie abandonna la vie, 12
65 Silanus, sur qui Claude avait jeté les yeux, 12
Et qui comptait Auguste au rang de ses aïeux. 12
Néron jouit de tout ; et moi, pour récompense, 12
Il faut qu'entre eux et lui je tienne la balance, 12
Afin que quelque jour, par une même loi, 12
70 Britannicus la tienne entre mon fils et moi. 12
Albine
Quel dessein !
Agrippine
Je m'assure un port dans la tempête.
Néron m'échappera, si ce frein ne l'arrête. 12
Albine
Mais prendre contre un fils tant de soins superflus ? 12
Agrippine
Je le craindrais bientôt, s'il ne me craignait plus. 12
Albine
75 Une injuste frayeur vous alarme peut-être. 12
Mais si Néron pour vous n'est plus ce qu'il doit être, 12
Du moins son changement ne vient pas jusqu'à nous, 12
Et ce sont des secrets entre César et vous. 12
Quelques titres nouveaux que Rome lui défère, 12
80 Néron n'en reçoit point qu'il ne donne à sa mère. 12
Sa prodigue amitié ne se réserve rien ; 12
Votre nom est dans Rome aussi saint que le sien. 12
A peine parle-t-on de la triste Octavie. 12
Auguste votre aïeul honora moins Livie. 12
85 Néron devant sa mère a permis le premier 12
Qu'on portât les faisceaux couronnés de laurier. 12
Quels effets voulez-vous de sa reconnaissance ? 12
Agrippine
Un peu moins de respect, et plus de confiance. 12
Tous ces présents, Albine, irritent mon dépit. 12
90 Je vois mes honneurs croître et tomber mon crédit. 12
Non, non, le temps n'est plus que Néron, jeune encore, 12
Me renvoyait les vœux d'une cour qui l'adore, 12
Lorsqu'il se reposait sur moi de tout l'État, 12
Que mon ordre au palais assemblait le sénat, 12
95 Et que derrière un voile, invisible et présente, 12
J'étais de ce grand corps l'âme toute-puissante. 12
Des volontés de Rome alors mal assuré, 12
Néron de sa grandeur n'était point enivré. 12
Ce jour, ce triste jour frappe encor ma mémoire, 12
100 Où Néron fut lui-même ébloui de sa gloire, 12
Quand les ambassadeurs de tant de rois divers 12
Vinrent le reconnaître au nom de l'univers. 12
Sur son trône avec lui j'allais prendre ma place : 12
J'ignore quel conseil prépara ma disgrâce ; 12
105 Quoi qu'il en soit, Néron, d'aussi loin qu'il me vit, 12
Laissa sur son visage éclater son dépit. 12
Mon cœur même en conçut un malheureux augure. 12
L'ingrat, d'un faux respect colorant son injure, 12
Se leva par avance, et courant m'embrasser, 12
110 Il m'écarta du trône où je m'allais placer. 12
Depuis ce coup fatal, le pouvoir d'Agrippine 12
Vers sa chute à grands pas chaque jour s'achemine. 12
L'ombre seule m'en reste, et l'on n'implore plus 12
Que le nom de Sénèque et l'appui de Burrhus. 12
Albine
115 Ah ! si de ce soupçon votre âme est prévenue, 12
Pourquoi nourrissez-vous le venin qui vous tue ? 12
Daignez avec César vous éclaircir du moins. 12
Agrippine
César ne me voit plus, Albine, sans témoins. 12
En public, à mon heure, on me donne audience ; 12
120 Sa réponse est dictée, et même son silence. 12
Je vois deux surveillants, ses maîtres et les miens, 12
Présider l'un ou l'autre à tous nos entretiens. 12
Mais je le poursuivrai d'autant plus qu'il m'évite : 12
De son désordre, Albine, il faut que je profite. 12
125 J'entends du bruit ; on ouvre. Allons subitement 12
Lui demander raison de cet enlèvement. 12
Surprenons, s'il se peut, les secrets de son âme. 12
Mais quoi ? déjà Burrhus sort de chez lui ?
Scène II
Agrippine, Burrhus, Albine.
Burrhus
Madame,
Au nom de l'empereur j'allais vous informer 12
130 D'un ordre qui d'abord a pu vous alarmer, 12
Mais qui n'est que l'effet d'une sage conduite, 12
Dont César a voulu que vous soyez instruite. 12
Agrippine
Puisqu'il le veut, entrons : il m'en instruira mieux. 12
Burrhus
César pour quelque temps s'est soustrait à nos yeux. 12
135 Déjà par une porte au public moins connue 12
L'un et l'autre consul vous avaient prévenue, 12
Madame. Mais souffrez que je retourne exprès… 12
Agrippine
Non, je ne trouble point ses augustes secrets. 12
Cependant voulez-vous qu'avec moins de contrainte 12
140 L'un et l'autre une fois nous nous parlions sans feinte ? 12
Burrhus
Burrhus pour le mensonge eut toujours trop d'horreur. 12
Agrippine
Prétendez-vous longtemps me cacher l'empereur ? 12
Ne le verrai-je plus qu'à titre d'importune ? 12
Ai-je donc élevé si haut votre fortune 12
145 Pour mettre une barrière entre mon fils et moi ? 12
Ne l'osez-vous laisser un moment sur sa foi ? 12
Entre Sénèque et vous disputez-vous la gloire 12
A qui m'effacera plus tôt de sa mémoire ? 12
Vous l'ai-je confié pour en faire un ingrat, 12
150 Pour être, sous son nom, les maîtres de l'État ? 12
Certes, plus je médite, et moins je me figure 12
Que vous m'osiez compter pour votre créature, 12
Vous, dont j'ai pu laisser vieillir l'ambition 12
Dans les honneurs obscurs de quelque légion, 12
155 Et moi qui sur le trône ai suivi mes ancêtres, 12
Moi, fille, femme, sœur et mère de vos maîtres ! 12
Que prétendez-vous donc ? Pensez-vous que ma voix 12
Ait fait un empereur pour m'en imposer trois ? 12
Néron n'est plus enfant : n'est-il pas temps qu'il règne ? 12
160 Jusqu'à quand voulez-vous que l'empereur vous craigne ? 12
Ne saurait-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux ? 12
Pour se conduire, enfin, n'a-t-il pas ses aïeux ? 12
Qu'il choisisse, s'il veut, d'Auguste ou de Tibère, 12
Qu'il imite, s'il peut, Germanicus mon père. 12
165 Parmi tant de héros je n'ose me placer, 12
Mais il est des vertus que je lui puis tracer. 12
Je puis l'instruire au moins combien sa confidence 12
Entre un sujet et lui doit laisser de distance. 12
Burrhus
Je ne m'étais chargé dans cette occasion 12
170 Que d'excuser César d'une seule action. 12
Mais puisque sans vouloir que je le justifie, 12
Vous me rendez garant du reste de sa vie, 12
Je répondrai, Madame, avec la liberté 12
D'un soldat qui sait mal farder la vérité. 12
175 Vous m'avez de César confié la jeunesse, 12
Je l'avoue, et je dois m'en souvenir sans cesse. 12
Mais vous avais-je fait serment de le trahir, 12
D'en faire un empereur qui ne sût qu'obéir ? 12
Non. Ce n'est plus à vous qu'il faut que j'en réponde, 12
180 Ce n'est plus votre fils, c'est le maître du monde. 12
J'en dois compte, Madame, à l'empire romain, 12
Qui croit voir son salut ou sa perte en ma main. 12
Ah ! si dans l'ignorance il le fallait instruire, 12
N'avait-on que Sénèque et moi pour le séduire ? 12
185 Pourquoi de sa conduite éloigner les flatteurs ? 12
Fallait-il dans l'exil chercher des corrupteurs ? 12
La cour de Claudius, en esclaves fertile, 12
Pour deux que l'on cherchait en eût présenté mille, 12
Qui tous auraient brigué l'honneur de l'avilir : 12
190 Dans une longue enfance ils l'auraient fait vieillir. 12
De quoi vous plaignez-vous, Madame ? On vous révère : 12
Ainsi que par César, on jure par sa mère. 12
L'empereur, il est vrai, ne vient plus chaque jour 12
Mettre à vos pieds l'empire, et grossir votre cour. 12
195 Mais le doit-il, Madame ? et sa reconnaissance 12
Ne peut-elle éclater que dans sa dépendance ? 12
Toujours humble, toujours le timide Néron 12
N'ose-t-il être Auguste et César que de nom ? 12
Vous le dirai-je enfin ? Rome le justifie. 12
200 Rome, à trois affranchis si longtemps asservie, 12
A peine respirant du joug qu'elle a porté, 12
Du règne de Néron compte sa liberté. 12
Que dis-je ? la vertu semble même renaître. 12
Tout l'empire n'est plus la dépouille d'un maître : 12
205 Le peuple au champ de Mars nomme ses magistrats, 12
César nomme les chefs sur la foi des soldats ; 12
Thraséas au sénat, Corbulon dans l'armée, 12
Sont encore innocents, malgré leur renommée ; 12
Les déserts, autrefois peuplés de sénateurs, 12
210 Ne sont plus habités que par leurs délateurs. 12
Qu'importe que César continue à nous croire, 12
Pourvu que nos conseils ne tendent qu'à sa gloire ; 12
Pourvu que dans le cours d'un règne florissant 12
Rome soit toujours libre, et César tout-puissant ? 12
215 Mais, Madame, Néron suffit pour se conduire. 12
J'obéis, sans prétendre à l'honneur de l'instruire. 12
Sur ses aïeux, sans doute, il n'a qu'à se régler ; 12
Pour bien faire, Néron n'a qu'à se ressembler, 12
Heureux si ses vertus, l'une à l'autre enchaînées, 12
220 Ramènent tous les ans ses premières années ! 12
Agrippine
Ainsi, sur l'avenir n'osant vous assurer, 12
Vous croyez que sans vous Néron va s'égarer. 12
Mais vous qui jusqu'ici content de votre ouvrage, 12
Venez de ses vertus nous rendre témoignage, 12
225 Expliquez-nous pourquoi, devenu ravisseur, 12
Néron de Silanus fait enlever la sœur ? 12
Ne tient-il qu'à marquer de cette ignominie 12
Le sang de mes aïeux qui brille dans Junie ? 12
De quoi l'accuse-t-il ? Et par quel attentat 12
230 Devient-elle en un jour criminelle d'État, 12
Elle qui sans orgueil jusqu'alors élevée, 12
N'aurait point vu Néron, s'il ne l'eût enlevée, 12
Et qui même aurait mis au rang de ses bienfaits 12
L'heureuse liberté de ne le voir jamais ? 12
Burrhus
235 Je sais que d'aucun crime elle n'est soupçonnée ; 12
Mais jusqu'ici César ne l'a point condamnée, 12
Madame. Aucun objet ne blesse ici ses yeux : 12
Elle est dans un palais tout plein de ses aïeux. 12
Vous savez que les droits qu'elle porte avec elle 12
240 Peuvent de son époux faire un prince rebelle, 12
Que le sang de César ne se doit allier 12
Qu'à ceux à qui César le veut bien confier, 12
Et vous-même avouerez qu'il ne serait pas juste 12
Qu'on disposât sans lui de la nièce d'Auguste. 12
Agrippine
245 Je vous entends : Néron m'apprend par votre voix 12
Qu'en vain Britannicus s'assure sur mon choix. 12
En vain, pour détourner ses yeux de sa misère, 12
J'ai flatté son amour d'un hymen qu'il espère. 12
A ma confusion, Néron veut faire voir 12
250 Qu'Agrippine promet par delà son pouvoir. 12
Rome de ma faveur est trop préoccupée : 12
Il veut par cet affront qu'elle soit détrompée, 12
Et que tout l'univers apprenne avec terreur 12
A ne confondre plus mon fils et l'empereur. 12
255 Il le peut. Toutefois j'ose encore lui dire 12
Qu'il doit avant ce coup affermir son empire, 12
Et qu'en me réduisant à la nécessité 12
D'éprouver contre lui ma faible autorité, 12
Il expose la sienne, et que dans la balance 12
260 Mon nom peut-être aura plus de poids qu'il ne pense. 12
Burrhus
Quoi Madame ? toujours soupçonner son respect ? 12
Ne peut-il faire un pas qui ne vous soit suspect ? 12
L'empereur vous croit-il du parti de Junie ? 12
Avec Britannicus vous croit-il réunie ? 12
265 Quoi ? de vos ennemis devenez-vous l'appui 12
Pour trouver un prétexte à vous plaindre de lui ? 12
Sur le moindre discours qu'on pourra vous redire, 12
Serez-vous toujours prête à partager l'empire ? 12
Vous craindrez-vous sans cesse, et vos embrassements 12
270 Ne se passeront-ils qu'en éclaircissements ? 12
Ah ! quittez d'un censeur la triste diligence ; 12
D'une mère facile affectez l'indulgence, 12
Souffrez quelques froideurs sans les faire éclater, 12
Et n'avertissez point la cour de vous quitter. 12
Agrippine
275 Et qui s'honorerait de l'appui d'Agrippine, 12
Lorsque Néron lui-même annonce ma ruine ? 12
Lorsque de sa présence il semble me bannir ? 12
Quand Burrhus à sa porte ose me retenir ? 12
Burrhus
Madame, je vois bien qu'il est temps de me taire, 12
280 Et que ma liberté commence à vous déplaire. 12
La douleur est injuste, et toutes les raisons 12
Qui ne la flattent point aigrissent ses soupçons. 12
Voici Britannicus. Je lui cède ma place. 12
Je vous laisse écouter et plaindre sa disgrâce, 12
285 Et peut-être, Madame, en accuser les soins 12
De ceux que l'empereur a consultés le moins. 12
Scène III
Agrippine, Britannicus.
Agrippine
Ah, Prince ! où courez-vous ? Quelle ardeur inquiète 12
Parmi vos ennemis en aveugle vous jette ? 12
Que venez-vous chercher ?
Britannicus
Ce que je cherche ? Ah, dieux !
290 Tout ce que j'ai perdu, Madame, est en ces lieux. 12
De mille affreux soldats Junie environnée 12
S'est vue en ce palais indignement traînée. 12
Hélas ! de quelle horreur ses timides esprits 12
A ce nouveau spectacle auront été surpris ! 12
295 Enfin on me l'enlève. Une loi trop sévère 12
Va séparer deux cœurs qu'assemblait leur misère. 12
Sans doute on ne veut pas que mêlant nos douleurs 12
Nous nous aidions l'un l'autre à porter nos malheurs. 12
Agrippine
Il suffit. Comme vous je ressens vos injures ; 12
300 Mes plaintes ont déjà précédé vos murmures. 12
Mais je ne prétends pas qu'un impuissant courroux 12
Dégage ma parole et m'acquitte envers vous. 12
Je ne m'explique point. Si vous voulez m'entendre, 12
Suivez-moi chez Pallas, où je vais vous attendre. 12
Scène IV
Britannicus, Narcisse.
Britannicus
305 La croirai-je, Narcisse ? et dois-je sur sa foi 12
La prendre pour arbitre entre son fils et moi ? 12
Qu'en dis-tu ? N'est-ce pas cette même Agrippine 12
Que mon père épousa jadis pour sa ruine, 12
Et qui, si je t'en crois, a de ses derniers jours, 12
310 Trop lents pour ses desseins, précipité le cours 12
Narcisse
N'importe. Elle se sent comme vous outragée ; 12
A vous donner Junie elle s'est engagée : 12
Unissez vos chagrins, liez vos intérêts. 12
Ce palais retentit en vain de vos regrets : 12
315 Tandis qu'on vous verra d'une voix suppliante 12
Semer ici la plainte et non pas l'épouvante, 12
Que vos ressentiments se perdront en discours, 12
Il n'en faut pas douter, vous vous plaindrez toujours. 12
Britannicus
Ah ! Narcisse, tu sais si de la servitude 12
320 Je prétends faire encore une longue habitude ; 12
Tu sais si pour jamais, de ma chute étonné, 12
Je renonce à l'empire où j'étais destiné. 12
Mais je suis seul encor : les amis de mon père 12
Sont autant d'inconnus que glace ma misère, 12
325 Et ma jeunesse même écarte loin de moi 12
Tous ceux qui dans le cœur me réservent leur foi. 12
Pour moi, depuis un an qu'un peu d'expérience 12
M'a donné de mon sort la triste connaissance, 12
Que vois-je autour de moi, que des amis vendus 12
330 Qui sont de tous mes pas les témoins assidus, 12
Qui choisis par Néron pour ce commerce infâme, 12
Trafiquent avec lui des secrets de mon âme ? 12
Quoi qu'il en soit, Narcisse, on me vend tous les jours : 12
Il prévoit mes desseins, il entend mes discours ; 12
335 Comme toi, dans mon cœur, il sait ce qui se passe. 12
Que t'en semble, Narcisse ?
Narcisse
Ah ! quelle âme assez basse…
C'est à vous de choisir des confidents discrets, 12
Seigneur, et de ne pas prodiguer vos secrets. 12
Britannicus
Narcisse, tu dis vrai. Mais cette défiance 12
340 Est toujours d'un grand cœur la dernière science ; 12
On le trompe longtemps. Mais enfin je te croi, 12
Ou plutôt je fais vœu de ne croire que toi. 12
Mon père, il m'en souvient, m'assura de ton zèle. 12
Seul de ses affranchis tu m'es toujours fidèle ; 12
345 Tes yeux, sur ma conduite incessamment ouverts, 12
M'ont sauvé jusqu'ici de mille écueils couverts. 12
Va donc voir si le bruit de ce nouvel orage 12
Aura de nos amis excité le courage. 12
Examine leurs yeux, observe leurs discours, 12
350 Vois si j'en puis attendre un fidèle secours. 12
Surtout dans ce palais remarque avec adresse 12
Avec quel soin Néron fait garder la princesse : 12
Sache si du péril ses beaux yeux sont remplis, 12
Et si son entretien m'est encore permis. 12
355 Cependant de Néron je vais trouver la mère 12
Chez Pallas, comme toi l'affranchi de mon père. 12
Je vais la voir, l'aigrir, la suivre et s'il se peut 12
M'engager sous son nom plus loin qu'elle ne veut. 12
Acte II
Scène première
Néron, Burrhus, Narcisse, Gardes.
Néron
N'en doutez point, Burrhus : malgré ses injustices, 12
360 C'est ma mère, et je veux ignorer ses caprices. 12
Mais je ne prétends plus ignorer ni souffrir 12
Le ministre insolent qui les ose nourrir. 12
Pallas de ses conseils empoisonne ma mère ; 12
Il séduit, chaque jour, Britannicus mon frère, 12
365 Ils l'écoutent tout seul, et qui suivrait leurs pas, 12
Les trouverait peut-être assemblés chez Pallas. 12
C'en est trop. De tous deux il faut que je l'écarte. 12
Pour la dernière fois, qu'il s'éloigne, qu'il parte ; 12
Je le veux, je l'ordonne ; et que la fin du jour 12
370 Ne le retrouve pas dans Rome ou dans ma cour. 12
Allez : cet ordre importe au salut de l'empire. 12
Vous, Narcisse, approchez.
(Aux gardes)
Et vous, qu'on se retire.
Scène II
Néron, Narcisse.
Narcisse
Grâces aux dieux, Seigneur, Junie entre vos mains 12
Vous assure aujourd'hui le reste des Romains. 12
375 Vos ennemis, déchus de leur vaine espérance, 12
Sont allés chez Pallas pleurer leur impuissance. 12
Mais que vois-je ? Vous-même, inquiet, étonné, 12
Plus que Britannicus paraissez consterné. 12
Que présage à mes yeux cette tristesse obscure 12
380 Et ces sombres regards errant à l'aventure ? 12
Tout vous rit : la fortune obéit à vos vœux. 12
Néron
Narcisse, c'en est fait, Néron est amoureux. 12
Narcisse
Vous ?
Néron
Depuis un moment, mais pour toute ma vie,
J'aime, (que dis-je, aimer ?) j'idolâtre Junie ! 12
Narcisse
Vous l'aimez ?
Néron
385 Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux, 12
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes, 12
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes, 12
Belle, sans ornements, dans le simple appareil 12
390 D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil. 12
Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence, 12
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence, 12
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs, 12
Relevaient de ses yeux les timides douceurs, 12
395 Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue, 12
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue : 12
Immobile, saisi d'un long étonnement, 12
Je l'ai laissé passer dans son appartement. 12
J'ai passé dans le mien. C'est là que, solitaire, 12
400 De son image en vain j'ai voulu me distraire. 12
Trop présente à mes yeux je croyais lui parler, 12
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler. 12
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce ; 12
J'employais les soupirs, et même la menace. 12
405 Voilà comme, occupé de mon nouvel amour, 12
Mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour. 12
Mais je m'en fais peut-être une trop belle image, 12
Elle m'est apparue avec trop d'avantage : 12
Narcisse, qu'en dis-tu ?
Narcisse
Quoi, Seigneur ? croira-t-on
410 Qu'elle ait pu si longtemps se cacher à Néron ? 12
Néron
Tu le sais bien, Narcisse. Et soit que sa colère 12
M'imputât le malheur qui lui ravit son frère, 12
Soit que son cœur, jaloux d'une austère fierté, 12
Enviât à nos yeux sa naissante beauté, 12
415 Fidèle à sa douleur, et dans l'ombre enfermée, 12
Elle se dérobait même à sa renommée. 12
Et c'est cette vertu, si nouvelle à la cour, 12
Dont la persévérance irrite mon amour. 12
Quoi, Narcisse ? tandis qu'il n'est point de Romaine 12
420 Que mon amour n'honore et ne rende plus vaine, 12
Qui dès qu'à ses regards elle ose se fier, 12
Sur le cœur de César ne les vienne essayer, 12
Seule dans son palais la modeste Junie 12
Regarde leurs honneurs comme une ignominie, 12
425 Fuit, et ne daigne pas peut-être s'informer 12
Si César est aimable ou bien s'il sait aimer ? 12
Dis-moi : Britannicus l'aime-t-il ?
Narcisse
Quoi ! s'il l'aime,
Seigneur ?
Néron
Si jeune encor, se connaît-il lui-même ?
D'un regard enchanteur connaît-il le poison ? 12
Narcisse
430 Seigneur, l'amour toujours n'attend pas la raison. 12
N'en doutez point, il l'aime. Instruits par tant de charmes, 12
Ses yeux sont déjà faits à l'usage des larmes. 12
A ses moindres désirs il sait s'accommoder, 12
Et peut-être déjà sait-il persuader. 12
Néron
435 Que dis-tu ? Sur son cœur il aurait quelque empire ? 12
Narcisse
Je ne sais. Mais, Seigneur, ce que je puis vous dire, 12
Je l'ai vu quelquefois s'arracher de ces lieux, 12
Le cœur plein d'un courroux qu'il cachait à vos yeux, 12
D'une cour qui le fuit pleurant l'ingratitude, 12
440 Las de votre grandeur et de sa servitude, 12
Entre l'impatience et la crainte flottant, 12
Il allait voir Junie, et revenait content. 12
Néron
D'autant plus malheureux qu'il aura su lui plaire, 12
Narcisse, il doit plutôt souhaiter sa colère. 12
445 Néron impunément ne sera pas jaloux. 12
Narcisse
Vous ? Et de quoi, Seigneur, vous inquiétez-vous ? 12
Junie a pu le plaindre et partager ses peines : 12
Elle n'a vu couler de larmes que les siennes. 12
Mais aujourd'hui, Seigneur, que ses yeux dessillés 12
450 Regardant de plus près l'éclat dont vous brillez, 12
Verront autour de vous les rois sans diadème, 12
Inconnus dans la foule, et son amant lui-même, 12
Attachés sur vos yeux s'honorer d'un regard 12
Que vous aurez sur eux fait tomber au hasard ; 12
455 Quand elle vous verra, de ce degré de gloire, 12
Venir en soupirant avouer sa victoire : 12
Maître, n'en doutez point, d'un cœur déjà charmé, 12
Commandez qu'on vous aime, et vous serez aimé. 12
Néron
A combien de chagrins il faut que je m'apprête ! 12
Que d'importunités !
Narcisse
460 Quoi donc ? qui vous arrête,
Seigneur ?
Néron
Tout : Octavie, Agrippine, Burrhus,
Sénèque, Rome entière, et trois ans de vertus. 12
Non que pour Octavie un reste de tendresse 12
M'attache à son hymen et plaigne sa jeunesse : 12
465 Mes yeux, depuis longtemps fatigués de ses soins, 12
Rarement de ses pleurs daignent être témoins ; 12
Trop heureux, si bientôt la faveur d'un divorce 12
Me soulageait d'un joug qu'on m'imposa par force ! 12
Le ciel même en secret semble la condamner : 12
470 Ses vœux, depuis quatre ans, ont beau l'importuner, 12
Les dieux ne montrent point que sa vertu les touche : 12
D'aucun gage, Narcisse, ils n'honorent sa couche ; 12
L'empire vainement demande un héritier. 12
Narcisse
Que tardez-vous, Seigneur, à la répudier ? 12
475 L'empire, votre cœur, tout condamne Octavie. 12
Auguste, votre aïeul, soupirait pour Livie : 12
Par un double divorce ils s'unirent tous deux, 12
Et vous devez l'empire à ce divorce heureux. 12
Tibère, que l'hymen plaça dans sa famille, 12
480 Osa bien à ses yeux répudier sa fille. 12
Vous seul, jusques ici contraire à vos désirs, 12
N'osez par un divorce assurer vos plaisirs. 12
Néron
Et ne connais-tu pas l'implacable Agrippine ? 12
Mon amour inquiet déjà se l'imagine 12
485 Qui m'amène Octavie, et d'un œil enflammé 12
Atteste les saints droits d'un nœud qu'elle a formé ; 12
Et portant à mon cœur des atteintes plus rudes, 12
Me fait un long récit de mes ingratitudes. 12
De quel front soutenir ce fâcheux entretien ? 12
Narcisse
490 N'êtes-vous pas, Seigneur, votre maître et le sien ? 12
Vous verrons-nous toujours trembler sous sa tutelle ? 12
Vivez, régnez pour vous : c'est trop régner pour elle. 12
Craignez-vous ? Mais, Seigneur, vous ne la craignez pas : 12
Vous venez de bannir le superbe Pallas, 12
495 Pallas, dont vous savez qu'elle soutient l'audace. 12
Néron
Éloigné de ses yeux, j'ordonne, je menace, 12
J'écoute vos conseils, j'ose les approuver ; 12
Je m'excite contre elle, et tâche à la braver : 12
Mais (je t'expose ici mon âme toute nue) 12
500 Sitôt que mon malheur me ramène à sa vue, 12
Soit que je n'ose encor démentir le pouvoir 12
De ces yeux où j'ai lu si longtemps mon devoir ; 12
Soit qu'à tant de bienfaits ma mémoire fidèle 12
Lui soumettre en secret tout ce que je tiens d'elle, 12
505 Mais enfin mes efforts ne me servent de rien : 12
Mon génie étonné tremble devant le sien. 12
Et c'est pour m'affranchir de cette dépendance, 12
Que je la fuis partout, que même je l'offense, 12
Et que de temps en temps j'irrite ses ennuis, 12
510 Afin qu'elle m'évite autant que je la fuis. 12
Mais je t'arrête trop. Retire-toi, Narcisse ; 12
Britannicus pourrait t'accuser d'artifice. 12
Narcisse
Non, non ; Britannicus s'abandonne à ma foi ; 12
Par son ordre, Seigneur, il croit que je vous voi, 12
515 Que je m'informe ici de tout ce qui le touche, 12
Et veut de vos secrets être instruit par ma bouche. 12
Impatient surtout de revoir ses amours, 12
Il attend de mes soins ce fidèle secours. 12
Néron
J'y consens ; porte-lui cette douce nouvelle : 12
Il la verra.
Narcisse
520 Seigneur, bannissez-le loin d'elle.
Néron
J'ai mes raisons, Narcisse ; et tu peux concevoir 12
Que je lui vendrai cher le plaisir de la voir. 12
Cependant vante-lui ton heureux stratagème, 12
Dis-lui qu'en sa faveur on me trompe moi-même, 12
525 Qu'il la voit sans mon ordre. On ouvre : la voici. 12
Va retrouver ton maître, et l'amener ici. 12
Scène III
Néron, Junie.
Néron
Vous vous troublez, Madame, et changez de visage. 12
Lisez-vous dans mes yeux quelque triste présage ? 12
Junie
Seigneur, je ne vous puis déguiser mon erreur : 12
530 J'allais voir Octavie, et non pas l'empereur. 12
Néron
Je le sais bien, Madame, et n'ai pu sans envie 12
Apprendre vos bontés pour l'heureuse Octavie. 12
Junie
Vous, Seigneur ?
Néron
Pensez-vous, Madame, qu'en ces lieux,
Seule pour vous connaître Octavie ait des yeux ? 12
Junie
535 Et quel autre, Seigneur, voulez-vous que j'implore ? 12
A qui demanderai-je un crime que j'ignore ? 12
Vous qui le punissez, vous ne l'ignorez pas : 12
De grâce, apprenez-moi, Seigneur, mes attentats. 12
Néron
Quoi, Madame ? est-ce donc une légère offense 12
540 De m'avoir si longtemps caché votre présence ? 12
Ces trésors dont le ciel voulut vous embellir, 12
Les avez-vous reçus pour les ensevelir ? 12
L'heureux Britannicus verra-t-il sans alarmes 12
Croître, loin de nos yeux, son amour et vos charmes ? 12
545 Pourquoi, de cette gloire exclu jusqu'à ce jour, 12
M'avez-vous, sans pitié, relégué dans ma cour ? 12
On dit plus : vous souffrez sans en être offensée 12
Qu'il vous ose, Madame, expliquer sa pensée. 12
Car je ne croirai point que sans me consulter 12
550 La sévère Junie ait voulu le flatter, 12
Ni qu'elle ait consenti d'aimer et d'être aimée, 12
Sans que j'en sois instruit que par la renommée. 12
Junie
Je ne vous nierai point, Seigneur, que ses soupirs 12
M'ont daigné quelquefois expliquer ses désirs. 12
555 Il n'a point détourné ses regards d'une fille, 12
Seul reste du débris d'une illustre famille. 12
Peut-être il se souvient qu'en un temps plus heureux 12
Son père me nomma pour l'objet de ses vœux. 12
Il m'aime ; il obéit à l'empereur son père, 12
560 Et j'ose dire encore, à vous, à votre mère : 12
Vos désirs sont toujours si conformes aux siens… 12
Néron
Ma mère a ses desseins, Madame, et j'ai les miens. 12
Ne parlons plus ici de Claude et d'Agrippine : 12
Ce n'est point par leur choix que je me détermine. 12
565 C'est à moi seul, Madame, à répondre de vous, 12
Et je veux de ma main vous choisir un époux. 12
Junie
Ah ! Seigneur songez-vous que toute autre alliance 12
Fera honte aux Césars, auteurs de ma naissance ? 12
Néron
Non, Madame, l'époux dont je vous entretiens 12
570 Peut sans honte assembler vos aïeux et les siens, 12
Vous pouvez, sans rougir, consentir à sa flamme. 12
Junie
Et quel est donc, Seigneur, cet époux ?
Néron
Moi, madame.
Junie
Vous ?
Néron
Je vous nommerais, Madame, un autre nom,
Si j'en savais quelque autre au-dessus de Néron. 12
575 Oui, pour vous faire un choix où vous puissiez souscrire, 12
J'ai parcouru des yeux la cour, Rome et l'empire. 12
Plus j'ai cherché, Madame, et plus je cherche encor 12
En quelles mains je dois confier ce trésor, 12
Plus je vois que César, digne seul de vous plaire, 12
580 En doit être lui seul l'heureux dépositaire, 12
Et ne peut dignement vous confier qu'aux mains 12
A qui Rome a commis l'empire des humains. 12
Vous-même, consultez vos premières années : 12
Claudius à son fils les avait destinées, 12
585 Mais c'était en un temps où de l'empire entier 12
Il croyait quelque jour le nommer l'héritier. 12
Les dieux ont prononcé. Loin de leur contredire, 12
C'est à vous de passer du côté de l'empire. 12
En vain de ce présent ils m'auraient honoré, 12
590 Si votre cœur devait en être séparé, 12
Si tant de soins ne sont adoucis par vos charmes, 12
Si tandis que je donne aux veilles, aux alarmes, 12
Des jours toujours à plaindre et toujours enviés, 12
Je ne vais quelquefois respirer à vos pieds. 12
595 Qu'Octavie à vos yeux ne fasse point d'ombrage : 12
Rome, aussi bien que moi, vous donne son suffrage, 12
Répudie Octavie, et me fait dénouer 12
Un hymen que le ciel ne veut point avouer. 12
Songez-y donc, Madame, et pesez en vous-même 12
600 Ce choix digne des soins d'un prince qui vous aime, 12
Digne de vos beaux yeux trop longtemps captivés, 12
Digne de l'univers à qui vous vous devez. 12
Junie
Seigneur, avec raison je demeure étonnée. 12
Je me vois, dans le cours d'une même journée, 12
605 Comme une criminelle amenée en ces lieux ; 12
Et lorsque avec frayeur je parais à vos yeux, 12
Que sur mon innocence à peine je me fie, 12
Vous m'offrez tout d'un coup la place d'Octavie. 12
J'ose dire pourtant que je n'ai mérité 12
610 Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. 12
Et pouvez-vous, Seigneur, souhaiter qu'une fille 12
Qui vit presque en naissant éteindre sa famille, 12
Qui dans l'obscurité nourrissant sa douleur, 12
S'est fait une vertu conforme à son malheur, 12
615 Passe subitement de cette nuit profonde 12
Dans un rang qui l'expose aux yeux de tout le monde, 12
Dont je n'ai pu de loin soutenir la clarté, 12
Et dont une autre enfin remplit la majesté ? 12
Néron
Je vous ai déjà dit que je la répudie. 12
620 Ayez moins de frayeur, ou moins de modestie. 12
N'accusez point ici mon choix d'aveuglement ; 12
Je vous réponds de vous ; consentez seulement. 12
Du sang dont vous sortez rappelez la mémoire, 12
Et ne préférez point à la solide gloire 12
625 Des honneurs dont César prétend vous revêtir, 12
La gloire d'un refus sujet au repentir. 12
Junie
Le ciel connaît, Seigneur, le fond de ma pensée. 12
Je ne me flatte point d'une gloire insensée : 12
Je sais de vos présents mesurer la grandeur ; 12
630 Mais plus ce rang sur moi répandrait de splendeur, 12
Plus il me ferait honte, et mettrait en lumière 12
Le crime d'en avoir dépouillé l'héritière. 12
Néron
C'est de ses intérêts prendre beaucoup de soin, 12
Madame ; et l'amitié ne peut aller plus loin. 12
635 Mais ne nous flattons point, et laissons le mystère : 12
La sœur vous touche ici beaucoup moins que le frère, 12
Et pour Britannicus…
Junie
Il a su me toucher,
Seigneur, et je n'ai point prétendu m'en cacher. 12
Cette sincérité sans doute est peu discrète ; 12
640 Mais toujours de mon cœur ma bouche est l'interprète. 12
Absente de la cour, je n'ai pas dû penser, 12
Seigneur, qu'en l'art de feindre il fallût m'exercer. 12
J'aime Britannicus. Je lui fus destinée 12
Quand l'empire devait suivre son hyménée : 12
645 Mais ces mêmes malheurs qui l'en ont écarté, 12
Ses honneurs abolis, son palais déserté, 12
La fuite d'une cour que sa chute a bannie, 12
Sont autant de liens qui retiennent Junie. 12
Tout ce que vous voyez conspire à vos désirs ; 12
650 Vos jours toujours sereins coulent dans les plaisirs : 12
L'empire en est pour vous l'inépuisable source ; 12
Ou, si quelque chagrin en interrompt la course, 12
Tout l'univers soigneux de les entretenir 12
S'empresse à l'effacer de votre souvenir. 12
655 Britannicus est seul. Quelque ennui qui le presse, 12
Il ne voit, dans son sort, que moi qui s'intéresse, 12
Et n'a pour tout plaisir, Seigneur, que quelques pleurs 12
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs. 12
Néron
Et ce sont ces plaisirs et ces pleurs que j'envie, 12
660 Que tout autre que lui me paierait de sa vie. 12
Mais je garde à ce prince un traitement plus doux : 12
Madame, il va bientôt paraître devant vous. 12
Junie
Ah, Seigneur ! vos vertus m'ont toujours rassurée. 12
Néron
Je pouvais de ces lieux lui défendre l'entrée ; 12
665 Mais, Madame, je veux prévenir le danger 12
Où son ressentiment le pourrait engager. 12
Je ne veux point le perdre : il vaut mieux que lui-même 12
Entende son arrêt de la bouche qu'il aime. 12
Si ses jours vous sont chers, éloignez-le de vous, 12
670 Sans qu'il ait aucun lieu de me croire jaloux. 12
De son bannissement prenez sur vous l'offense, 12
Et soit par vos discours, soit par votre silence, 12
Du moins par vos froideurs, faites-lui concevoir 12
Qu'il doit porter ailleurs ses vœux et son espoir. 12
Junie
675 Moi ! que je lui prononce un arrêt si sévère ? 12
Ma bouche mille fois lui jura le contraire. 12
Quand même jusque-là je pourrais me trahir, 12
Mes yeux lui défendront, Seigneur, de m'obéir. 12
Néron
Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame. 12
680 Renfermez votre amour dans le fond de votre âme 12
Vous n'aurez point pour moi de langages secrets : 12
J'entendrai des regards que vous croirez muets, 12
Et sa perte sera l'infaillible salaire 12
D'un geste ou d'un soupir échappé pour lui plaire. 12
Junie
685 Hélas ! si j'ose encor former quelques souhaits, 12
Seigneur, permettez-moi de ne le voir jamais ! 12
Scène IV
Néron, Junie, Narcisse.
Narcisse
Britannicus, Seigneur, demande la princesse : 12
Il approche.
Néron
Qu'il vienne.
Junie
Ah Seigneur !
Néron
Je vous laisse.
Sa fortune dépend de vous plus que de moi : 12
690 Madame, en le voyant, songez que je vous voi. 12
Scène V
Junie, Narcisse.
Junie
Ah ! cher Narcisse, cours au-devant de ton maître : 12
Dis-lui… Je suis perdue, et je le vois paraître ! 12
Scène VI
Junie, Britannicus, Narcisse.
Britannicus
Madame, quel bonheur me rapproche de vous ? 12
Quoi ? je puis donc jouir d'un entretien si doux ? 12
695 Mais parmi ce plaisir, quel chagrin me dévore ! 12
Hélas ! puis-je espérer de vous revoir encore ? 12
Faut-il que je dérobe, avec mille détours, 12
Un bonheur que vos yeux m'accordaient tous les jours ? 12
Quelle nuit ! quel réveil ! Vos pleurs, votre présence 12
700 N'ont point de ces cruels désarmé l'insolence ? 12
Que faisait votre amant ? Quel démon envieux 12
M'a refusé l'honneur de mourir à vos yeux ? 12
Hélas ! dans la frayeur dont vous étiez atteinte, 12
M'avez-vous en secret adressé quelque plainte ? 12
705 Ma princesse, avez-vous daigné me souhaiter ? 12
Songiez-vous aux douleurs que vous m'alliez coûter ? 12
Vous ne me dites rien ? Quel accueil ! Quelle glace ! 12
Est-ce ainsi que vos yeux consolent ma disgrâce ? 12
Parlez : nous sommes seuls. Notre ennemi trompé 12
710 Tandis que je vous parle est ailleurs occupé. 12
Ménageons les moments de cette heureuse absence. 12
Junie
Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance. 12
Ces murs mêmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux, 12
Et jamais l'empereur n'est absent de ces lieux. 12
Britannicus
715 Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive ? 12
Quoi ? déjà votre amour souffre qu'on le captive ? 12
Qu'est devenu ce cœur qui me jurait toujours 12
De faire à Néron même envier nos amours ? 12
Mais bannissez, Madame, une inutile crainte. 12
720 La foi dans tous les cœurs n'est pas encore éteinte ; 12
Chacun semble des yeux approuver mon courroux, 12
La mère de Néron se déclare pour nous, 12
Rome, de sa conduite elle-même offensée… 12
Junie
Ah ! Seigneur, vous parlez contre votre pensée. 12
725 Vous-même, vous m'avez avoué mille fois 12
Que Rome le louait d'une commune voix ; 12
Toujours à sa vertu vous rendiez quelque hommage. 12
Sans doute la douleur vous dicte ce langage. 12
Britannicus
Ce discours me surprend, il le faut avouer. 12
730 Je ne vous cherchais pas pour l'entendre louer. 12
Quoi ? pour vous confier la douleur qui m'accable, 12
A peine je dérobe un moment favorable, 12
Et ce moment si cher, Madame, est consumé 12
A louer l'ennemi dont je suis opprimé ? 12
735 Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire ? 12
Quoi ! même vos regards ont appris à se taire ? 12
Que vois-je ? Vous craignez de rencontrer mes yeux ? 12
Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ? 12
Ah ! si je le croyais… Au nom des dieux, Madame, 12
740 Éclaircissez le trouble où vous jetez mon âme. 12
Parlez. Ne suis-je plus dans votre souvenir ? 12
Junie
Retirez-vous, Seigneur ; l'empereur va venir. 12
Britannicus
Après ce coup, Narcisse, à qui dois-je m'attendre ? 12
Scène VII
Néron, Junie, Narcisse.
Néron
Madame…
Junie
Non, Seigneur, je ne puis rien entendre.
745 Vous êtes obéi. Laissez couler du moins 12
Des larmes dont ses yeux ne seront pas témoins. 12
Scène VIII
Néron, Narcisse.
Néron
Eh bien ! de leur amour tu vois la violence, 12
Narcisse : elle a paru jusque dans son silence ! 12
Elle aime mon rival, je ne puis l'ignorer ; 12
750 Mais je mettrai ma joie à le désespérer. 12
Je me fais de sa peine une image charmante, 12
Et je l'ai vu douter du cœur de son amante. 12
Je la suis. Mon rival t'attend pour éclater : 12
Par de nouveaux soupçons, va, cours le tourmenter. 12
755 Et tandis qu'à mes yeux on le pleure, on l'adore, 12
Fais-lui payer bien cher un bonheur qu'il ignore. 12
Narcisse
(seul)
La fortune t'appelle une seconde fois, 12
Narcisse : voudrais-tu résister à sa voix ? 12
Suivons jusques au bout ses ordres favorables ; 12
760 Et pour nous rendre heureux, perdons les misérables. 12
Acte III
Scène première
Néron, Burrhus.
Burrhus
Pallas obéira, Seigneur.
Néron
Et de quel œil
Ma mère a-t-elle vu confondre son orgueil ? 12
Burrhus
Ne doutez point, Seigneur, que ce coup ne la frappe, 12
Qu'en reproches bientôt sa douleur ne s'échappe. 12
765 Ses transports dès longtemps commencent d'éclater. 12
A d'inutiles cris puissent-ils s'arrêter ! 12
Néron
Quoi ? de quelque dessein la croyez-vous capable ? 12
Burrhus
Agrippine, Seigneur, est toujours redoutable. 12
Rome et tous vos soldats révèrent ses aïeux ; 12
770 Germanicus son père est présent à leurs yeux. 12
Elle sait son pouvoir ; vous savez son courage ; 12
Et ce qui me la fait redouter davantage, 12
C'est que vous appuyez vous-même son courroux 12
Et que vous lui donnez des armes contre vous. 12
Néron
Moi, Burrhus ?
Burrhus
775 Cet amour, Seigneur, qui vous possède…
Néron
Je vous entends, Burrhus. Le mal est sans remède. 12
Mon cœur s'en est plus dit que vous ne m'en direz ; 12
Il faut que j'aime enfin.
Burrhus
Vous vous le figurez,
Seigneur ; et satisfait de quelque résistance, 12
780 Vous redoutez un mal faible dans sa naissance. 12
Mais si, dans son devoir, votre cœur affermi 12
Voulait ne point s'entendre avec son ennemi, 12
Si de vos premiers ans vous consultiez la gloire, 12
Si vous daigniez, Seigneur, rappeler la mémoire 12
785 Des vertus d'Octavie indignes de ce prix, 12
Et de son chaste amour vainqueur de vos mépris, 12
Surtout si, de Junie évitant la présence, 12
Vous condamniez vos yeux à quelques jours d'absence : 12
Croyez-moi, quelque amour qui semble vous charmer, 12
790 On n'aime point, Seigneur, si l'on ne veut aimer. 12
Néron
Je vous croirai, Burrhus, lorsque dans les alarmes 12
Il faudra soutenir la gloire de nos armes, 12
Ou lorsque, plus tranquille, assis dans le sénat, 12
Il faudra décider du destin de l'état : 12
795 Je m'en reposerai sur votre expérience. 12
Mais, croyez-moi, l'amour est une autre science, 12
Burrhus, et je ferais quelque difficulté 12
D'abaisser jusque-là votre sévérité. 12
Adieu. Je souffre trop, éloigné de Junie. 12
Scène II
Burrhus, seul
Burrhus
800 Enfin, Burrhus, Néron découvre son génie : 12
Cette férocité que tu croyais fléchir, 12
De tes faibles liens est prête à s'affranchir. 12
En quels excès peut-être elle va se répandre ! 12
O dieux ! en ce malheur quel conseil dois-je prendre ? 12
805 Sénèque, dont les soins me devraient soulager, 12
Occupé loin de Rome, ignore ce danger. 12
Mais quoi ? si d'Agrippine excitant la tendresse 12
Je pouvais… La voici : mon bonheur me l'adresse. 12
Scène III
Agrippine, Burrhus, Albine.
Agrippine
Eh bien ! je me trompais, Burrhus, dans mes soupçons ? 12
810 Et vous vous signalez par d'illustres leçons ! 12
On exile Pallas, dont le crime peut-être 12
Est d'avoir à l'empire élevé votre maître. 12
Vous le savez trop bien : jamais, sans ses avis, 12
Claude qu'il gouvernait n'eût adopté mon fils. 12
815 Que dis-je ? A son épouse on donne une rivale ; 12
On affranchit Néron de la foi conjugale ! 12
Digne emploi d'un ministre ennemi des flatteurs, 12
Choisi pour mettre un frein à ses jeunes ardeurs, 12
De les flatter lui-même, et nourrir dans son âme 12
820 Le mépris de sa mère et l'oubli de sa femme ! 12
Burrhus
Madame, jusqu'ici c'est trop tôt m'accuser. 12
L'empereur n'a rien fait qu'on ne puisse excuser. 12
N'imputez qu'à Pallas un exil nécessaire : 12
Son orgueil dès longtemps exigeait ce salaire, 12
825 Et l'empereur ne fait qu'accomplir à regret 12
Ce que toute la cour demandait en secret. 12
Le reste est un malheur qui n'est point sans ressource : 12
Des larmes d'Octavie on peut tarir la source. 12
Mais calmez vos transports. Par un chemin plus doux, 12
830 Vous lui pourrez plus tôt ramener son époux : 12
Les menaces, les cris le rendront plus farouche. 12
Agrippine
Ah ! l'on s'efforce en vain de me fermer la bouche. 12
Je vois que mon silence irrite vos dédains, 12
Et c'est trop respecter l'ouvrage de mes mains. 12
835 Pallas n'emporte pas tout l'appui d'Agrippine : 12
Le ciel m'en laisse assez pour venger ma ruine. 12
Le fils de Claudius commence à ressentir 12
Des crimes dont je n'ai que le seul repentir. 12
J'irai, n'en doutez point, le montrer à l'armée, 12
840 Plaindre aux yeux des soldats son enfance opprimée, 12
Leur faire, à mon exemple, expier leur erreur. 12
On verra d'un côté le fils d'un empereur 12
Redemandant la foi jurée à sa famille, 12
Et de Germanicus on entendra la fille ; 12
845 De l'autre, l'on verra le fils d'Aenobarbus, 12
Appuyé de Sénèque et du tribun Burrhus, 12
Qui tous deux, de l'exil rappelés par moi-même, 12
Partagent à mes yeux l'autorité suprême. 12
De nos crimes communs je veux qu'on soit instruit ; 12
850 On saura les chemins par où je l'ai conduit. 12
Pour rendre sa puissance et la vôtre odieuses, 12
J'avouerai les rumeurs les plus injurieuses : 12
Je confesserai tout, exils, assassinats, 12
Poison même…
Burrhus
Madame, ils ne vous croiront pas.
855 Ils sauront récuser l'injuste stratagème 12
D'un témoin irrité qui s'accuse lui-même. 12
Pour moi, qui le premier secondai vos desseins, 12
Qui fis même jurer l'armée entre ses mains, 12
Je ne me repens point de ce zèle sincère. 12
860 Madame, c'est un fils qui succède à son père. 12
En adoptant Néron, Claudius par son choix 12
De son fils et du vôtre a confondu les droits. 12
Rome l'a pu choisir. Ainsi, sans être injuste, 12
Elle choisit Tibère adopté par Auguste ; 12
865 Et le jeune Agrippa, de son sang descendu, 12
Se vit exclu du rang vainement prétendu. 12
Sur tant de fondements sa puissance établie 12
Par vous-même aujourd'hui ne peut être affaiblie : 12
Et s'il m'écoute encor, Madame, sa bonté 12
870 Vous en fera bientôt perdre la volonté. 12
J'ai commencé, je vais poursuivre mon ouvrage. 12
Scène IV
Agrippine, Albine.
Albine
Dans quel emportement la douleur vous engage, 12
Madame ! L'empereur puisse-t-il l'ignorer ! 12
Agrippine
Ah ! lui-même à mes yeux puisse-t-il se montrer ! 12
Albine
875 Madame, au nom des dieux, cachez votre colère. 12
Quoi ? pour les intérêts de la sœur ou du frère, 12
Faut-il sacrifier le repos de vos jours ? 12
Contraindrez-vous César jusque dans ses amours ? 12
Agrippine
Quoi ? tu ne vois donc pas jusqu'où l'on me ravale, 12
880 Albine ? C'est à moi qu'on donne une rivale. 12
Bientôt, si je ne romps ce funeste lien, 12
Ma place est occupée et je ne suis plus rien. 12
Jusqu'ici d'un vain titre Octavie honorée, 12
Inutile à la cour, en était ignorée. 12
885 Les grâces, les honneurs, par moi seule versés, 12
M'attiraient des mortels les vœux intéressés. 12
Une autre de César a surpris la tendresse : 12
Elle aura le pouvoir d'épouse et de maîtresse, 12
Le fruit de tant de soins, la pompe des Césars, 12
890 Tout deviendra le prix d'un seul de ses regards. 12
Que dis-je ? l'on m'évite, et déjà délaissée… 12
Ah ! je ne puis, Albine, en souffrir la pensée. 12
Quand je devrais du ciel hâter l'arrêt fatal, 12
Néron, l'ingrat Néron… Mais voici son rival. 12
Scène V
Britannicus, Agrippine, Narcisse, Albine.
Britannicus
895 Nos ennemis communs ne sont pas invincibles, 12
Madame, nos malheurs trouvent des cœurs sensibles. 12
Vos amis et les miens, jusqu'alors si secrets, 12
Tandis que nous perdions le temps en vains regrets, 12
Animés du courroux qu'allume l'injustice, 12
900 Viennent de confier leur douleur à Narcisse. 12
Néron n'est pas encor tranquille possesseur 12
De l'ingrate qu'il aime au mépris de ma sœur. 12
Si vous êtes toujours sensible à son injure, 12
On peut dans son devoir ramener le parjure. 12
905 La moitié du sénat s'intéresse pour nous : 12
Sylla, Pison, Plautus…
Agrippine
Prince, que dites-vous ?
Sylla, Pison, Plautus ! les chefs de la noblesse ! 12
Britannicus
Madame, je vois bien que ce discours vous blesse ; 12
Et que votre courroux, tremblant, irrésolu, 12
910 Craint déjà d'obtenir tout ce qu'il a voulu. 12
Non, vous avez trop bien établi ma disgrâce : 12
D'aucun ami pour moi ne redoutez l'audace. 12
Il ne m'en reste plus, et vos soins trop prudents 12
Les ont tous écartés ou séduits dès longtemps. 12
Agrippine
915 Seigneur, à vos soupçons donnez moins de créance : 12
Notre salut dépend de notre intelligence. 12
J'ai promis, il suffit. Malgré vos ennemis, 12
Je ne révoque rien de ce que j'ai promis. 12
Le coupable Néron fuit en vain ma colère : 12
920 Tôt ou tard il faudra qu'il entende sa mère. 12
J'essaierai tour à tour la force et la douceur, 12
Ou moi-même, avec moi conduisant votre sœur, 12
J'irai semer partout ma crainte et ses alarmes, 12
Et ranger tous les cœurs du parti de ses larmes. 12
925 Adieu. J'assiégerai Néron de toutes parts. 12
Vous, si vous m'en croyez, évitez ses regards. 12
Scène VI
Britannicus, Narcisse.
Britannicus
Ne m'as-tu point flatté d'une fausse espérance ? 12
Puis-je sur ton récit fonder quelque assurance, 12
Narcisse ?
Narcisse
Oui. Mais, Seigneur, ce n'est pas en ces lieux
930 Qu'il faut développer ce mystère à vos yeux. 12
Sortons. Qu'attendez-vous ?
Britannicus
Ce que j'attends, Narcisse ?
Hélas !
Narcisse
Expliquez-vous.
Britannicus
Si par ton artifice,
Je pouvais revoir…
Narcisse
Qui ?
Britannicus
J'en rougis. Mais enfin
D'un cœur moins agité j'attendrais mon destin. 12
Narcisse
935 Après tous mes discours, vous la croyez fidèle ? 12
Britannicus
Non, je la crois, Narcisse, ingrate, criminelle, 12
Digne de mon courroux ; mais je sens, malgré moi, 12
Que je ne le crois pas autant que je le doi. 12
Dans ses égarements mon cœur opiniâtre 12
940 Lui prête des raisons, l'excuse, l'idolâtre. 12
Je voudrais vaincre enfin mon incrédulité, 12
Je la voudrais haïr avec tranquillité. 12
Et qui croira qu'un cœur si grand en apparence, 12
D'une infidèle cour ennemi dès l'enfance, 12
945 Renonce à tant de gloire, et dès le premier jour 12
Trame une perfidie inouïe à la cour ? 12
Narcisse
Et qui sait si l'ingrate, en sa longue retraite, 12
N'a point de l'empereur médité la défaite ? 12
Trop sûre que ses yeux ne pouvaient se cacher, 12
950 Peut-être elle fuyait pour se faire chercher, 12
Pour exciter Néron par la gloire pénible 12
De vaincre une fierté jusqu'alors invincible. 12
Britannicus
Je ne la puis donc voir ?
Narcisse
Seigneur, en ce moment
Elle reçoit les vœux de son nouvel amant. 12
Britannicus
955 Eh bien ! Narcisse, allons. Mais que vois-je ? C'est elle. 12
Narcisse
(à part)
Ah ! dieux ! A l'empereur portons cette nouvelle. 12
Scène VII
Britannicus, Junie.
Junie
Retirez-vous, Seigneur, et fuyez un courroux 12
Que ma persévérance allume contre vous. 12
Néron est irrité. Je me suis échappée 12
960 Tandis qu'à l'arrêter sa mère est occupée. 12
Adieu ; réservez-vous, sans blesser mon amour, 12
Au plaisir de me voir justifier un jour ; 12
Votre image sans cesse est présente à mon âme : 12
Rien ne l'en peut bannir.
Britannicus
Je vous entends, Madame ;
965 Vous voulez que ma fuite assure vos désirs, 12
Que je laisse un champ libre à vos nouveaux soupirs. 12
Sans doute, en me voyant, une pudeur secrète 12
Ne vous laisse goûter qu'une joie inquiète. 12
Hé bien ! il faut partir.
Junie
Seigneur, sans m'imputer…
Britannicus
970 Ah ! vous deviez du moins plus longtemps disputer. 12
Je ne murmure point qu'une amitié commune 12
Se range du parti que flatte la fortune ; 12
Que l'éclat d'un empire ait pu vous éblouir ; 12
Qu'aux dépens de ma sœur vous en vouliez jouir ; 12
975 Mais que de ces grandeurs comme une autre occupée 12
Vous m'en ayez paru si longtemps détrompée, 12
Non, je l'avoue encor, mon cœur désespéré 12
Contre ce seul malheur n'était point préparé. 12
J'ai vu sur ma ruine élever l'injustice ; 12
980 De mes persécuteurs j'ai vu le ciel complice ; 12
Tant d'horreurs n'avaient point épuisé son courroux, 12
Madame ; il me restait d'être oublié de vous. 12
Junie
Dans un temps plus heureux ma juste impatience 12
Vous ferait repentir de votre défiance. 12
985 Mais Néron vous menace : en ce pressant danger, 12
Seigneur, j'ai d'autres soins que de vous affliger. 12
Allez, rassurez-vous et cessez de vous plaindre : 12
Néron nous écoutait, et m'ordonnait de feindre. 12
Britannicus
Quoi ? le cruel…
Junie
Témoin de tout notre entretien,
990 D'un visage sévère examinait le mien, 12
Prêt à faire sur vous éclater la vengeance 12
D'un geste confident de notre intelligence. 12
Britannicus
Néron nous écoutait, Madame ! mais, hélas ! 12
Vos yeux auraient pu feindre et ne m'abuser pas ; 12
995 Ils pouvaient me nommer l'auteur de cet outrage. 12
L'amour est-il muet, ou n'a-t-il qu'un langage ? 12
De quel trouble un regard pouvait me préserver ! 12
Il fallait…
Junie
Il fallait me taire et vous sauver.
Combien de fois, hélas ! puisqu'il faut vous le dire, 12
1000 Mon cœur de son désordre allait-il vous instruire ? 12
De combien de soupirs interrompant le cours 12
Ai-je évité vos yeux que je cherchais toujours ? 12
Quel tourment de se taire en voyant ce qu'on aime, 12
De l'entendre gémir, de l'affliger soi-même, 12
1005 Lorsque par un regard on peut le consoler ! 12
Mais quels pleurs ce regard aurait-il fait couler ! 12
Ah ! dans ce souvenir, inquiète, troublée, 12
Je ne me sentais pas assez dissimulée. 12
De mon front effrayé je craignais la pâleur, 12
1010 Je trouvais mes regards trop pleins de ma douleur. 12
Sans cesse il me semblait que Néron en colère 12
Me venait reprocher trop de soin de vous plaire, 12
Je craignais mon amour vainement renfermé, 12
Enfin, j'aurais voulu n'avoir jamais aimé. 12
1015 Hélas ! pour son bonheur, Seigneur, et pour le nôtre, 12
Il n'est que trop instruit de mon cœur et du vôtre ! 12
Allez, encore un coup, cachez-vous à ses yeux : 12
Mon cœur plus à loisir vous éclaircira mieux. 12
De mille autres secrets j'aurais compte à vous rendre. 12
Britannicus
1020 Ah ! n'en voilà que trop. C'est trop me faire entendre, 12
Madame, mon bonheur, mon crime, vos bontés. 12
Et savez-vous pour moi tout ce que vous quittez ? 12
(Se jetant aux pieds de Junie)
Quand pourrai-je à vos pieds expier ce reproche ? 12
Junie
Que faites-vous ? Hélas ! votre rival s'approche. 12
Scène VIII
Néron, Britannicus, Junie.
Néron
1025 Prince, continuez des transports si charmants. 12
Je conçois vos bontés par ses remerciements, 12
Madame. A vos genoux je viens de le surprendre, 12
Mais il aurait aussi quelque grâce à me rendre : 12
Ce lieu le favorise, et je vous y retiens 12
1030 Pour lui faciliter de si doux entretiens. 12
Britannicus
Je puis mettre à ses pieds ma douleur ou ma joie 12
Partout où sa bonté consent que je la voie ; 12
Et l'aspect de ces lieux où vous la retenez 12
N'a rien dont mes regards doivent être étonnés. 12
Néron
1035 Et que vous montrent-ils qui ne vous avertisse 12
Qu'il faut qu'on me respecte et que l'on m'obéisse ? 12
Britannicus
Ils ne nous ont pas vus l'un et l'autre élever, 12
Moi pour vous obéir et vous pour me braver, 12
Et ne s'attendaient pas, lorsqu'ils nous virent naître, 12
1040 Qu'un jour Domitius me dût parler en maître. 12
Néron
Ainsi par le destin nos vœux sont traversés : 12
J'obéissais alors, et vous obéissez. 12
Si vous n'avez appris à vous laisser conduire, 12
Vous êtes jeune encore, et l'on peut vous instruire. 12
Britannicus
Et qui m'en instruira ?
Néron
1045 Tout l'empire à la fois,
Rome.
Britannicus
Rome met-elle au nombre de vos droits
Tout ce qu'a de cruel l'injustice et la force, 12
Les emprisonnements, le rapt et le divorce ? 12
Néron
Rome ne porte point ses regards curieux 12
1050 Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux. 12
Imitez son respect.
Britannicus
On sait ce qu'elle en pense.
Néron
Elle se tait du moins : imitez son silence. 12
Britannicus
Ainsi Néron commence à ne plus se forcer. 12
Néron
Néron de vos discours commence à se lasser. 12
Britannicus
1055 Chacun devait bénir le bonheur de son règne. 12
Néron
Heureux ou malheureux, il suffit qu'on me craigne. 12
Britannicus
Je connais mal Junie ou de tels sentiments 12
Ne mériteront pas ses applaudissements. 12
Néron
Du moins, si je ne sais le secret de lui plaire, 12
1060 Je sais l'art de punir un rival téméraire. 12
Britannicus
Pour moi, quelque péril qui me puisse accabler, 12
Sa seule inimitié peut me faire trembler. 12
Néron
Souhaitez-la, c'est tout ce que je vous puis dire. 12
Britannicus
Le bonheur de lui plaire est le seul où j'aspire. 12
Néron
1065 Elle vous l'a promis, vous lui plairez toujours. 12
Britannicus
Je ne sais pas du moins épier ses discours. 12
Je la laisse expliquer sur tout ce qui me touche, 12
Et ne me cache point pour lui fermer la bouche. 12
Néron
Je vous entends. Eh bien, gardes !
Junie
Que faites-vous ?
1070 C'est votre frère. Hélas ! C'est un amant jaloux ; 12
Seigneur, mille malheurs persécutent sa vie. 12
Ah ! son bonheur peut-il exciter votre envie ? 12
Souffrez que de vos cœurs rapprochant les liens, 12
Je me cache à vos yeux et me dérobe aux siens ; 12
1075 Ma fuite arrêtera vos discordes fatales, 12
Seigneur, j'irai remplir le nombre des vestales. 12
Ne lui disputez plus mes vœux infortunés, 12
Souffrez que les dieux seuls en soient importunés. 12
Néron
L'entreprise, Madame, est étrange et soudaine. 12
1080 Dans son appartement, gardes, qu'on la ramène. 12
Gardez Britannicus dans celui de sa sœur. 12
Britannicus
C'est ainsi que Néron sait disputer un cœur. 12
Junie
Prince, sans l'irriter, cédons à cet orage. 12
Néron
Gardes, obéissez sans tarder davantage. 12
Scène IX
Néron, Burrhus.
Burrhus
Que vois-je ? O ciel !
Néron, sans voir Burrhus.
1085 Ainsi leurs feux sont redoublés.
Je reconnais la main qui les a rassemblés. 12
Agrippine ne s'est présentée à ma vue, 12
Ne s'est dans ses discours si longtemps étendue, 12
Que pour faire jouer ce ressort odieux. 12
1090 Qu'on sache si ma mère est encore en ces lieux. 12
(apercevant Burrhus)
Burrhus, dans ce palais je veux qu'on la retienne, 12
Et qu'au lieu de sa garde on lui donne la mienne. 12
Burrhus
Quoi, Seigneur ? sans l'ouïr ? Une mère ?
Néron
Arrêtez.
J'ignore quel projet, Burrhus, vous méditez, 12
1095 Mais depuis quelques jours tout ce que je désire 12
Trouve en vous un censeur prêt à me contredire. 12
Répondez-m'en, vous dis-je ; ou sur votre refus 12
D'autres me répondront et d'elle et de Burrhus. 12
Acte IV
Scène première
Agrippine, Burrhus.
Burrhus
Oui, Madame, à loisir vous pourrez vous défendre : 12
1100 César lui-même ici consent de vous entendre. 12
Si son ordre au palais vous a fait retenir, 12
C'est peut-être à dessein de vous entretenir. 12
Quoi qu'il en soit, si j'ose expliquer ma pensée, 12
Ne vous souvenez plus qu'il vous ait offensée : 12
1105 Préparez-vous plutôt à lui tendre les bras ; 12
Défendez-vous, Madame, et ne l'accusez pas. 12
Vous voyez, c'est lui seul que la cour envisage. 12
Quoiqu'il soit votre fils, et même votre ouvrage, 12
Il est votre empereur. Vous êtes, comme nous, 12
1110 Sujette à ce pouvoir qu'il a reçu de vous. 12
Selon qu'il vous menace, ou bien qu'il vous caresse, 12
La cour autour de vous ou s'écarte ou s'empresse. 12
C'est son appui qu'on cherche en cherchant votre appui. 12
Mais voici l'empereur.
Agrippine
Qu'on me laisse avec lui.
Scène II
Néron, Agrippine.
Agrippine
(s'asseyant)
1115 Approchez-vous, Néron, et prenez votre place. 12
On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse. 12
J'ignore de quel crime on a pu me noircir : 12
De tous ceux que j'ai faits je vais vous éclaircir. 12
Vous régnez : vous savez combien votre naissance 12
1120 Entre l'empire et vous avait mis de distance. 12
Les droits de mes aïeux, que Rome a consacrés, 12
Étaient même sans moi d'inutiles degrés. 12
Quand de Britannicus la mère condamnée 12
Laissa de Claudius disputer l'hyménée, 12
1125 Parmi tant de beautés qui briguèrent son choix, 12
Qui de ses affranchis mendièrent les voix, 12
Je souhaitai son lit, dans la seule pensée 12
De vous laisser au trône où je serais placée. 12
Je fléchis mon orgueil, j'allai prier Pallas. 12
1130 Son maître, chaque jour caressé dans mes bras, 12
Prit insensiblement dans les yeux de sa nièce 12
L'amour où je voulais amener sa tendresse. 12
Mais ce lien du sang qui nous joignait tous deux 12
Écartait Claudius d'un lit incestueux ; 12
1135 Il n'osait épouser la fille de son frère. 12
Le sénat fut séduit : une loi moins sévère 12
Mit Claude dans mon lit, et Rome à mes genoux. 12
C'était beaucoup pour moi, ce n'était rien pour vous. 12
Je vous fis sur mes pas entrer dans sa famille : 12
1140 Je vous nommai son gendre, et vous donnai sa fille ; 12
Silanus, qui l'aimait, s'en vit abandonné 12
Et marqua de son sang ce jour infortuné. 12
Ce n'était rien encore. Eussiez-vous pu prétendre 12
Qu'un jour Claude à son fils pût préférer son gendre ? 12
1145 De ce même Pallas j'implorai le secours : 12
Claude vous adopta, vaincu par ses discours, 12
Vous appela Néron, et du pouvoir suprême 12
Voulut, avant le temps, vous faire part lui-même. 12
C'est alors que chacun, rappelant le passé, 12
1150 Découvrit mon dessein déjà trop avancé, 12
Que de Britannicus la disgrâce future 12
Des amis de son père excita le murmure. 12
Mes promesses aux uns éblouirent les yeux ; 12
L'exil me délivra des plus séditieux ; 12
1155 Claude même, lassé de ma plainte éternelle, 12
Éloigna de son fils tous ceux de qui le zèle, 12
Engagé dès longtemps à suivre son destin, 12
Pouvait du trône encor lui rouvrir le chemin. 12
Je fis plus : je choisis moi-même dans ma suite 12
1160 Ceux à qui je voulais qu'on livrât sa conduite ; 12
J'eus soin de vous nommer, par un contraire choix, 12
Des gouverneurs que Rome honorait de sa voix ; 12
Je fus sourde à la brigue, et crus la renommée : 12
J'appelai de l'exil, je tirai de l'armée, 12
1165 Et ce même Sénèque, et ce même Burrhus, 12
Qui depuis… Rome alors estimait leurs vertus. 12
De Claude en même temps épuisant les richesses, 12
Ma main, sous votre nom, répandait ses largesses. 12
Les spectacles, les dons, invincibles appas, 12
1170 Vous attiraient les cœurs du peuple et des soldats, 12
Qui d'ailleurs, réveillant leur tendresse première, 12
Favorisaient en vous Germanicus mon père. 12
Cependant Claudius penchait vers son déclin. 12
Ses yeux, longtemps fermés, s'ouvrirent à la fin : 12
1175 Il connut son erreur. Occupé de sa crainte, 12
Il laissa pour son fils échapper quelque plainte, 12
Et voulut, mais trop tard, assembler ses amis. 12
Ses gardes, son palais, son lit m'étaient soumis. 12
Je lui laissai sans fruit consumer sa tendresse ; 12
1180 De ses derniers soupirs je me rendis maîtresse : 12
Mes soins, en apparence, épargnant ses douleurs, 12
De son fils, en mourant, lui cachèrent les pleurs. 12
Il mourut. Mille bruits en courent à ma honte. 12
J'arrêtai de sa mort la nouvelle trop prompte, 12
1185 Et tandis que Burrhus allait secrètement 12
De l'armée en vos mains exiger le serment, 12
Que vous marchiez au camp, conduit sous mes auspices, 12
Dans Rome les autels fumaient de sacrifices : 12
Par mes ordres trompeurs tout le peuple excité 12
1190 Du prince déjà mort demandait la santé. 12
Enfin des légions l'entière obéissance 12
Ayant de votre empire affermi la puissance, 12
On vit Claude, et le peuple, étonné de son sort, 12
Apprit en même temps votre règne et sa mort. 12
1195 C'est le sincère aveu que je voulais vous faire. 12
Voilà tous mes forfaits. En voici le salaire. 12
Du fruit de tant de soins à peine jouissant 12
En avez-vous six mois paru reconnaissant, 12
Que lassé d'un respect qui vous gênait peut-être, 12
1200 Vous avez affecté de ne me plus connaître. 12
J'ai vu Burrhus, Sénèque, aigrissant vos soupçons, 12
De l'infidélité vous tracer des leçons, 12
Ravis d'être vaincus dans leur propre science. 12
J'ai vu favorisés de votre confiance 12
1205 Othon, Sénécion, jeunes voluptueux, 12
Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux ; 12
Et lorsque vos mépris excitant mes murmures, 12
Je vous ai demandé raison de tant d'injures, 12
Seul recours d'un ingrat qui se voit confondu, 12
1210 Par de nouveaux affronts vous m'avez répondu. 12
Aujourd'hui je promets Junie à votre frère, 12
Ils se flattent tous deux du choix de votre mère : 12
Que faites-vous ? Junie, enlevée à la cour, 12
Devient en une nuit l'objet de votre amour ; 12
1215 Je vois de votre cœur Octavie effacée, 12
Prête à sortir du lit où je l'avais placée ; 12
Je vois Pallas banni, votre frère arrêté ; 12
Vous attentez enfin jusqu'à ma liberté : 12
Burrhus ose sur moi porter ses mains hardies. 12
1220 Et lorsque, convaincu de tant de perfidies, 12
Vous deviez ne me voir que pour les expier, 12
C'est vous qui m'ordonnez de me justifier. 12
Néron
Je me souviens toujours que je vous dois l'empire, 12
Et sans vous fatiguer du soin de le redire, 12
1225 Votre bonté, Madame, avec tranquillité 12
Pouvait se reposer sur ma fidélité. 12
Aussi bien ces soupçons, ces plaintes assidues, 12
Ont fait croire à tous ceux qui les ont entendues 12
Que jadis (j'ose ici vous le dire entre nous) 12
1230 Vous n'aviez, sous mon nom, travaillé que pour vous. 12
Tant d'honneurs, disaient-ils, et tant de déférences, 12
Sont-ce de ses bienfaits de faibles récompenses ? 12
Quel crime a donc commis ce fils tant condamné ? 12
Est-ce pour obéir qu'elle l'a couronné ? 12
1235 N'est-il de son pouvoir que le dépositaire ? 12
Non que, si jusque-là j'avais pu vous complaire, 12
Je n'eusse pris plaisir, Madame, à vous céder 12
Ce pouvoir que vos cris semblaient redemander ; 12
Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse. 12
1240 Vous entendiez les bruits qu'excitait ma faiblesse. 12
Le sénat chaque jour et le peuple, irrités 12
De s'ouïr par ma voix dicter vos volontés, 12
Publiaient qu'en mourant Claude avec sa puissance 12
M'avait encor laissé sa simple obéissance. 12
1245 Vous avez vu cent fois nos soldats en courroux 12
Porter en murmurant leurs aigles devant vous, 12
Honteux de rabaisser par cet indigne usage 12
Les héros dont encore elles portent l'image. 12
Toute autre se serait rendue à leurs discours, 12
1250 Mais si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours. 12
Avec Britannicus contre moi réunie, 12
Vous le fortifiez du parti de Junie, 12
Et la main de Pallas trame tous ces complots. 12
Et lorsque malgré moi j'assure mon repos, 12
1255 On vous voit de colère et de haine animée. 12
Vous voulez présenter mon rival à l'armée : 12
Déjà jusques au camp le bruit en a couru. 12
Agrippine
Moi, le faire empereur ? Ingrat ! l'avez-vous cru ? 12
Quel serait mon dessein ? qu'aurais-je pu prétendre ? 12
1260 Quels honneurs dans sa cour, quel rang pourrais-je attendre ? 12
Ah ! si sous votre empire on ne m'épargne pas, 12
Si mes accusateurs observent tous mes pas, 12
Si de leur empereur ils poursuivent la mère, 12
Que ferais-je au milieu d'une cour étrangère ? 12
1265 Ils me reprocheraient, non des cris impuissants, 12
Des desseins étouffés aussitôt que naissants, 12
Mais des crimes pour vous commis à votre vue, 12
Et dont je ne serais que trop tôt convaincue. 12
Vous ne me trompez point, je vois tous vos détours : 12
1270 Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours. 12
Dès vos plus jeunes ans, mes soins et mes tendresses 12
N'ont arraché de vous que de feintes caresses. 12
Rien ne vous a pu vaincre, et votre dureté 12
Aurait dû dans son cours arrêter ma bonté. 12
1275 Que je suis malheureuse ! Et par quelle infortune 12
Faut-il que tous mes soins me rendent importune ? 12
Je n'ai qu'un fils. O ciel, qui m'entends aujourd'hui, 12
T'ai-je fait quelques vœux qui ne fussent pour lui ? 12
Remords, crainte, périls, rien ne m'a retenue ; 12
1280 J'ai vaincu ses mépris ; j'ai détourné ma vue 12
Des malheurs qui dès lors me furent annoncés ; 12
J'ai fait ce que j'ai pu : vous régnez, c'est assez. 12
Avec ma liberté que vous m'avez ravie, 12
Si vous le souhaitez prenez encor ma vie, 12
1285 Pourvu que par ma mort tout le peuple irrité 12
Ne vous ravisse pas ce qui m'a tant coûté. 12
Néron
Eh bien donc ! prononcez. Que voulez-vous qu'on fasse ? 12
Agrippine
De mes accusateurs qu'on punisse l'audace ; 12
Que de Britannicus on calme le courroux ; 12
1290 Que Junie à son choix puisse prendre un époux ; 12
Qu'ils soient libres tous deux, et que Pallas demeure ; 12
Que vous me permettiez de vous voir À toute heure ; 12
(Apercevant Burrhus dans le fond du théâtre)
Que ce même Burrhus, qui nous vient écouter, 12
A votre porte enfin n'ose plus m'arrêter. 12
Néron
1295 Oui, Madame, je veux que ma reconnaissance 12
Désormais dans les cœurs grave votre puissance, 12
Et je bénis déjà cette heureuse froideur, 12
Qui de notre amitié va rallumer l'ardeur. 12
Quoi que Pallas ait fait, il suffit, je l'oublie, 12
1300 Avec Britannicus je me réconcilie, 12
Et quant à cet amour qui nous a séparés, 12
Je vous fais notre arbitre, et vous nous jugerez. 12
Allez donc, et portez cette joie à mon frère. 12
Gardes, qu'on obéisse aux ordres de ma mère. 12
Scène III
Néron, Burrhus.
Burrhus
1305 Que cette paix, Seigneur, et ces embrassements 12
Vont offrir à mes yeux des spectacles charmants ! 12
Vous savez si jamais ma voix lui fut contraire, 12
Si de son amitié j'ai voulu vous distraire, 12
Et si j'ai mérité cet injuste courroux. 12
Néron
1310 Je ne vous flatte point, je me plaignais de vous, 12
Burrhus : je vous ai crus tous deux d'intelligence, 12
Mais son inimitié vous rend ma confiance. 12
Elle se hâte trop, Burrhus, de triompher : 12
J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer. 12
Burrhus
Quoi, Seigneur ?
Néron
1315 C'en est trop : il faut que sa ruine
Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine. 12
Tant qu'il respirera je ne vis qu'à demi. 12
Elle m'a fatigué de ce nom ennemi ; 12
Et je ne prétends pas que sa coupable audace 12
1320 Une seconde fois lui promette ma place. 12
Burrhus
Elle va donc bientôt pleurer Britannicus ? 12
Néron
Avant la fin du jour je ne le craindrai plus. 12
Burrhus
Et qui de ce dessein vous inspire l'envie ? 12
Néron
Ma gloire, mon amour, ma sûreté, ma vie. 12
Burrhus
1325 Non, quoi que vous disiez, cet horrible dessein 12
Ne fut jamais, Seigneur, conçu dans votre sein. 12
Néron
Burrhus !
Burrhus
De votre bouche, ô ciel ! puis-je l'apprendre ?
Vous-même sans frémir avez-vous pu l'entendre ? 12
Songez-vous dans quel sang vous allez vous baigner ? 12
1330 Néron dans tous les cœurs est-il las de régner ? 12
Que dira-t-on de vous ? Quelle est votre pensée ? 12
Néron
Quoi ? toujours enchaîné de ma gloire passée, 12
J'aurai devant les yeux je ne sais quel amour 12
Que le hasard nous donne et nous ôte en un jour ? 12
1335 Soumis à tous leurs vœux, à mes désirs contraire, 12
Suis-je leur empereur seulement pour leur plaire ? 12
Burrhus
Et ne suffit-il pas, Seigneur, à vos souhaits 12
Que le bonheur public soit un de vos bienfaits ? 12
C'est à vous à choisir, vous êtes encor maître. 12
1340 Vertueux jusqu'ici, vous pouvez toujours l'être : 12
Le chemin est tracé, rien ne vous retient plus ; 12
Vous n'avez qu'à marcher de vertus en vertus. 12
Mais si de vos flatteurs vous suivez la maxime, 12
Il vous faudra, Seigneur, courir de crime en crime, 12
1345 Soutenir vos rigueurs par d'autres cruautés, 12
Et laver dans le sang vos bras ensanglantés. 12
Britannicus mourant excitera le zèle 12
De ses amis, tout prêts à prendre sa querelle. 12
Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs, 12
1350 Qui, même après leur mort, auront des successeurs. 12
Vous allumez un feu qui ne pourra s'éteindre. 12
Craint de tout l'univers, il vous faudra tout craindre, 12
Toujours punir, toujours trembler dans vos projets, 12
Et pour vos ennemis compter tous vos sujets. 12
1355 Ah ! de vos premiers ans l'heureuse expérience 12
Vous fait-elle, Seigneur, haïr votre innocence ? 12
Songez-vous au bonheur qui les a signalés ? 12
Dans quel repos, ô ciel ! les avez-vous coulés ! 12
Quel plaisir de penser et de dire en vous-même : 12
1360 Partout, en ce moment, on me bénit, on m'aime ; 12
On ne voit point le peuple à mon nom s'alarmer ; 12
Le ciel dans tous leurs pleurs ne m'entend point nommer ; 12
Leur sombre inimitié ne fuit point mon visage ; 12
Je vois voler partout les cœurs à mon passage ! 12
1365 Tels étaient vos plaisirs. Quel changement, ô dieux ! 12
Le sang le plus abject vous était précieux. 12
Un jour, il m'en souvient, le sénat équitable 12
Vous pressait de souscrire à la mort d'un coupable ; 12
Vous résistiez, Seigneur, à leur sévérité : 12
1370 Votre cœur s'accusait de trop de cruauté, 12
Et plaignant les malheurs attachés à l'empire : 12
« Je voudrais, disiez-vous, ne savoir pas écrire ». 12
Non, ou vous me croirez, ou bien de ce malheur 12
Ma mort m'épargnera la vue et la douleur : 12
1375 On ne me verra point survivre à votre gloire ; 12
Si vous allez commettre une action si noire, 12
(Se jetant aux pieds de Néron)
Me voilà prêt, Seigneur : avant que de partir, 12
Faites percer ce cœur qui n'y peut consentir ; 12
Appelez les cruels qui vous l'ont inspirée, 12
1380 Qu'ils viennent essayer leur main mal assurée… 12
Mais je vois que mes pleurs touchent mon empereur, 12
Je vois que sa vertu frémit de leur fureur. 12
Ne perdez point de temps, nommez-moi les perfides 12
Qui vous osent donner ces conseils parricides ; 12
1385 Appelez votre frère, oubliez dans ses bras… 12
Néron
Ah ! que demandez-vous ?
Burrhus
Non, il ne vous hait pas,
Seigneur ; on le trahit : je sais son innocence ; 12
Je vous réponds pour lui de son obéissance. 12
J'y cours. Je vais presser un entretien si doux. 12
Néron
1390 Dans mon appartement qu'il m'attende avec vous. 12
Scène IV
Néron, Narcisse.
Narcisse
Seigneur, j'ai tout prévu pour une mort si juste. 12
Le poison est tout prêt. La fameuse Locuste 12
A redoublé pour moi ses soins officieux : 12
Elle a fait expirer un esclave à mes yeux ; 12
1395 Et le fer est moins prompt pour trancher une vie 12
Que le nouveau poison que sa main me confie. 12
Néron
Narcisse, c'est assez ; je reconnais ce soin, 12
Et ne souhaite pas que vous alliez plus loin. 12
Narcisse
Quoi ? pour Britannicus votre haine affaiblie 12
Me défend…
Néron
1400 Oui, Narcisse : on nous réconcilie.
Narcisse
Je me garderai bien de vous en détourner, 12
Seigneur. Mais il s'est vu tantôt emprisonner : 12
Cette offense en son cœur sera longtemps nouvelle. 12
Il n'est point de secrets que le temps ne révèle : 12
1405 Il saura que ma main lui devait présenter 12
Un poison que votre ordre avait fait apprêter. 12
Les dieux de ce dessein puissent-ils le distraire ! 12
Mais peut-être il fera ce que vous n'osez faire. 12
Néron
On répond de son cœur, et je vaincrai le mien. 12
Narcisse
1410 Et l'hymen de Junie en est-il le lien ? 12
Seigneur, lui faites-vous encor ce sacrifice ? 12
Néron
C'est prendre trop de soin. Quoi qu'il en soit, Narcisse, 12
Je ne le compte plus parmi mes ennemis. 12
Narcisse
Agrippine, Seigneur, se l'était bien promis : 12
1415 Elle a repris sur vous son souverain empire. 12
Néron
Quoi donc ? Qu'a-t-elle dit ? Et que voulez-vous dire ? 12
Narcisse
Elle s'en est vantée assez publiquement. 12
Néron
De quoi ?
Narcisse
Qu'elle n'avait qu'à vous voir un moment,
Qu'à tout ce grand éclat, à ce courroux funeste, 12
1420 On verrait succéder un silence modeste ; 12
Que vous-même à la paix souscririez le premier, 12
Heureux que sa bonté daignât tout oublier. 12
Néron
Mais, Narcisse, dis-moi, que veux-tu que je fasse ? 12
Je n'ai que trop de pente à punir son audace, 12
1425 Et si je m'en croyais, ce triomphe indiscret 12
Serait bientôt suivi d'un éternel regret. 12
Mais de tout l'univers quel sera le langage ? 12
Sur les pas des tyrans veux-tu que je m'engage, 12
Et que Rome, effaçant tant de titres d'honneur, 12
1430 Me laisse pour tous noms celui d'empoisonneur ? 12
Ils mettront ma vengeance au rang des parricides. 12
Narcisse
Et prenez-vous, Seigneur, leurs caprices pour guides ? 12
Avez-vous prétendu qu'ils se tairaient toujours ? 12
Est-ce à vous de prêter l'oreille à leurs discours ? 12
1435 De vos propres désirs perdrez-vous la mémoire ? 12
Et serez-vous le seul que vous n'oserez croire ? 12
Mais, Seigneur, les Romains ne vous sont pas connus. 12
Non, non, dans leurs discours ils sont plus retenus. 12
Tant de précaution affaiblit votre règne : 12
1440 Ils croiront, en effet, mériter qu'on les craigne. 12
Au joug, depuis longtemps, ils se sont façonnés : 12
Ils adorent la main qui les tient enchaînés. 12
Vous les verrez toujours ardents à vous complaire. 12
Leur prompte servitude a fatigué Tibère. 12
1445 Moi-même, revêtu d'un pouvoir emprunté, 12
Que je reçus de Claude avec la liberté, 12
J'ai cent fois, dans le cours de ma gloire passée, 12
Tenté leur patience, et ne l'ai point lassée. 12
D'un empoisonnement vous craignez la noirceur ? 12
1450 Faites périr le frère, abandonnez la sœur ; 12
Rome, sur ses autels, prodiguant les victimes, 12
Fussent-ils innocents, leur trouvera des crimes ; 12
Vous verrez mettre au rang des jours infortunés 12
Ceux où jadis la sœur et le frère sont nés. 12
Néron
1455 Narcisse, encore un coup, je ne puis l'entreprendre. 12
J'ai promis à Burrhus, il a fallu me rendre. 12
Je ne veux point encore, en lui manquant de foi, 12
Donner à sa vertu des armes contre moi. 12
J'oppose à ses raisons un courage inutile : 12
1460 Je ne l'écoute point avec un cœur tranquille. 12
Narcisse
Burrhus ne pense pas, Seigneur, tout ce qu'il dit : 12
Son adroite vertu ménage son crédit. 12
Ou plutôt ils n'ont tous qu'une même pensée : 12
Ils verraient par ce coup leur puissance abaissée ; 12
1465 Vous seriez libre alors, Seigneur ; et devant vous, 12
Ces maîtres orgueilleux fléchiraient comme nous. 12
Quoi donc ? ignorez-vous tout ce qu'ils osent dire ? 12
Néron, s'ils en sont crus, n'est point né pour l'empire ; 12
Il ne dit, il ne fait que ce qu'on lui prescrit : 12
1470 Burrhus conduit son cœur, Sénèque son esprit. 12
Pour toute ambition, pour vertu singulière, 12
Il excelle à conduire un char dans la carrière, 12
A disputer des prix indignes de ses mains, 12
A se donner lui-même en spectacle aux Romains, 12
1475 A venir prodiguer sa voix sur un théâtre, 12
A réciter des chants qu'il veut qu'on idolâtre, 12
Tandis que des soldats, de moments en moments, 12
Vont arracher pour lui les applaudissements. 12
Ah ! ne voulez-vous pas les forcer à se taire ? 12
Néron
1480 Viens, Narcisse : allons voir ce que nous devons faire. 12
Acte premier
Scène première
Britannicus, Junie.
Britannicus
Oui, Madame, Néron (qui l'aurait pu penser ?) 12
Dans son appartement m'attend pour m'embrasser. 12
Il y fait de sa cour inviter la jeunesse : 12
Il veut que d'un festin la pompe et l'allégresse 12
1485 Confirment à leurs yeux la foi de nos serments, 12
Et réchauffent l'ardeur de nos embrassements. 12
Il éteint cet amour, source de tant de haine, 12
Il vous fait de mon sort arbitre souveraine. 12
Pour moi, quoique banni du rang de mes aïeux, 12
1490 Quoique de leur dépouille il se pare à mes yeux, 12
Depuis qu'à mon amour cessant d'être contraire 12
Il semble me céder la gloire de vous plaire, 12
Mon cœur, je l'avouerai, lui pardonne en secret, 12
Et lui laisse le reste avec moins de regret. 12
1495 Quoi ! je ne serai plus séparé de vos charmes ? 12
Quoi ! même en ce moment, je puis voir sans alarmes 12
Ces yeux que n'ont émus ni soupirs ni terreur, 12
Qui m'ont sacrifié l'empire et l'empereur ! 12
Ah ! Madame… Mais quoi ? Quelle nouvelle crainte 12
1500 Tient parmi mes transports votre joie en contrainte ? 12
D'où vient qu'en m'écoutant, vos yeux, vos tristes yeux, 12
Avec de longs regards se tournent vers les cieux ? 12
Qu'est-ce que vous craignez ?
Junie
Je l'ignore moi-même ;
Mais je crains.
Britannicus
Vous m'aimez ?
Junie
Hélas ! si je vous aime ?
Britannicus
1505 Néron ne trouble plus notre félicité. 12
Junie
Mais me répondez-vous de sa sincérité ? 12
Britannicus
Quoi ? vous le soupçonnez d'une haine couverte ? 12
Junie
Néron m'aimait tantôt, il jurait votre perte ; 12
Il me fuit, il vous cherche : un si grand changement 12
1510 Peut-il être, Seigneur, l'ouvrage d'un moment ? 12
Britannicus
Cet ouvrage, Madame, est un coup d'Agrippine : 12
Elle a cru que ma perte entraînait sa ruine. 12
Grâce aux préventions de son esprit jaloux, 12
Nos plus grands ennemis ont combattu pour nous. 12
1515 Je m'en fie aux transports qu'elle m'a fait paraître ; 12
Je m'en fie à Burrhus ; j'en crois même son maître : 12
Je crois qu'à mon exemple impuissant à trahir, 12
Il hait à cœur ouvert, ou cesse de haïr. 12
Junie
Seigneur, ne jugez pas de son cœur par le vôtre : 12
1520 Sur des pas différents vous marchez l'un et l'autre. 12
Je ne connais Néron et la cour que d'un jour, 12
Mais, si j'ose le dire, hélas ! dans cette cour 12
Combien tout ce qu'on dit est loin de ce qu'on pense ! 12
Que la bouche et le cœur sont peu d'intelligence ! 12
1525 Avec combien de joie on y trahit sa foi ! 12
Quel séjour étranger et pour vous et pour moi ! 12
Britannicus
Mais que son amitié soit véritable ou feinte, 12
Si vous craignez Néron, lui-même est-il sans crainte ? 12
Non, non, il n'ira point, par un lâche attentat, 12
1530 Soulever contre lui le peuple et le sénat. 12
Que dis-je ? Il reconnaît sa dernière injustice. 12
Ses remords ont paru, même aux yeux de Narcisse. 12
Ah ! s'il vous avait dit, ma Princesse, à quel point… 12
Junie
Mais Narcisse, seigneur, ne vous trahit-il point ? 12
Britannicus
1535 Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s'en défie ? 12
Junie
Et que sais-je ? Il y va, Seigneur, de votre vie. 12
Tout m'est suspect : je crains que tout ne soit séduit. 12
Je crains Néron, je crains le malheur qui me suit. 12
D'un noir pressentiment malgré moi prévenue, 12
1540 Je vous laisse à regret éloigner de ma vue. 12
Hélas ! si cette paix dont vous vous repaissez 12
Couvrait contre vos jours quelques pièges dressés ! 12
Si Néron, irrité de notre intelligence, 12
Avait choisi la nuit pour cacher sa vengeance ! 12
1545 S'il préparait ses coups tandis que je vous vois ! 12
Et si je vous parlais pour la dernière fois ! 12
Ah ! Prince !
Britannicus
Vous pleurez ! Ah ! ma chère Princesse !
Et pour moi jusque-là votre cœur s'intéresse ? 12
Quoi, Madame ? en un jour où plein de sa grandeur 12
1550 Néron croit éblouir vos yeux de sa splendeur, 12
Dans des lieux où chacun me fuit et le révère, 12
Aux pompes de sa cour préférer ma misère ? 12
Quoi ? dans ce même jour et dans ces mêmes lieux, 12
Refuser un empire et pleurer à mes yeux ? 12
1555 Mais, Madame, arrêtez ces précieuses larmes : 12
Mon retour va bientôt dissiper vos alarmes. 12
Je me rendrais suspect par un plus long séjour. 12
Adieu. Je vais, le cœur tout plein de mon amour, 12
Au milieu des transports d'une aveugle jeunesse, 12
1560 Ne voir, n'entretenir que ma belle princesse. 12
Adieu.
Junie
Prince…
Britannicus
On m'attend, Madame, il faut partir.
Junie
Mais du moins attendez qu'on vous vienne avertir. 12
Scène II
Agrippine, Britannicus, Junie.
Agrippine
Prince, que tardez-vous ? Partez en diligence : 12
Néron impatient se plaint de votre absence. 12
1565 La joie, et le plaisir, de tous les conviés 12
Attend pour éclater que vous vous embrassiez. 12
Ne faites point languir une si juste envie ; 12
Allez. Et nous, Madame, allons chez Octavie. 12
Britannicus
Allez, belle Junie, et d'un esprit content, 12
1570 Hâtez-vous d'embrasser ma sœur qui vous attend. 12
Dès que je le pourrai, je reviens sur vos traces, 12
Madame, et de vos soins j'irai vous rendre grâces. 12
Scène III
Agrippine, Junie.
Agrippine
Madame, ou je me trompe, ou durant vos adieux, 12
Quelques pleurs répandus ont obscurci vos yeux. 12
1575 Puis-je savoir quel trouble a formé ce nuage ? 12
Doutez-vous d'une paix dont je fais mon ouvrage ? 12
Junie
Après tous les ennuis que ce jour m'a coûtés, 12
Ai-je pu rassurer mes esprits agités ? 12
Hélas ! à peine encor je conçois ce miracle, 12
1580 Quand même à vos bontés, je craindrais quelque obstacle, 12
Le changement, Madame, est commun à la cour, 12
Et toujours quelque crainte accompagne l'amour. 12
Agrippine
Il suffit. J'ai parlé, tout a changé de face. 12
Mes soins à vos soupçons ne laissent point de place. 12
1585 Je réponds d'une paix jurée entre mes mains, 12
Néron m'en a donné des gages trops certains. 12
Ah ! si vous aviez vu par combien de caresses 12
Il m'a renouvelé la foi de ses promesses ! 12
Par quels embrassements il vient de m'arrêter ! 12
1590 Ses bras, dans nos adieux, ne pouvaient me quitter. 12
Sa facile bonté, sur son front répandue, 12
Jusqu'aux moindres secrets est d'abord descendue : 12
Il s'épanchait en fils qui vient en liberté 12
Dans le sein de sa mère oublier sa fierté, 12
1595 Mais bientôt, reprenant un visage sévère, 12
Tel que d'un empereur qui consulte sa mère, 12
Sa confidence auguste a mis entre mes mains 12
Des secrets d'où dépend le destin des humains. 12
Non, il le faut ici confesser à sa gloire, 12
1600 Son cœur n'enferme point une malice noire, 12
Et nos seuls ennemis, altérant sa bonté, 12
Abusaient contre nous de sa facilité. 12
Mais enfin, à son tour, leur puissance décline ; 12
Rome encore une fois va connaître Agrippine ; 12
1605 Déjà de ma faveur on adore le bruit. 12
Cependant en ces lieux n'attendons pas la nuit : 12
Passons chez Octavie, et donnons-lui le reste 12
D'un jour autant heureux que je l'ai cru funeste. 12
Mais qu'est-ce que j'entends ? Quel tumulte confus ? 12
Que peut-on faire ?
Junie
1610 O ciel ! sauvez Britannicus !
Scène IV
Agrippine, Junie, Burrhus.
Agrippine
Burrhus, où courez-vous ? Arrêtez. Que veut dire… 12
Burrhus
Madame, c'en est fait, Britannicus expire. 12
Junie
Ah ! mon Prince !
Agrippine
Il expire ?
Burrhus
Ou plutôt il est mort,
Madame.
Junie
Pardonnez, Madame, à ce transport.
1615 Je vais le secourir, si je puis, ou le suivre. 12
Scène V
Agrippine, Burrhus.
Agrippine
Quel attentat, Burrhus !
Burrhus
Je n'y pourrai survivre,
Madame : il faut quitter la cour et l'empereur. 12
Agrippine
Quoi ? du sang de son frère il n'a point eu d'horreur ? 12
Burrhus
Ce dessein s'est conduit avec plus de mystère. 12
1620 A peine l'empereur a vu venir son frère, 12
Il se lève, il l'embrasse, on se tait, et soudain 12
César prend le premier une coupe à la main : 12
Pour achever ce jour sous de meilleurs auspices, 12
Ma main de cette coupe épanche les prémices, 12
1625 Dit-il ; Dieux, que j'appelle à cette effusion, 12
Venez favoriser notre réunion. 12
Par les mêmes serments Britannicus se lie. 12
La coupe dans ses mains par Narcisse est remplie, 12
Mais ses lèvres à peine en ont touché les bords… 12
1630 Le fer ne produit point de si puissants efforts, 12
Madame : la lumière à ses yeux est ravie, 12
Il tombe sur son lit sans chaleur et sans vie. 12
Jugez combien ce coup frappe tous les esprits : 12
La moitié s'épouvante et sort avec des cris, 12
1635 Mais ceux qui de la cour ont un plus long usage 12
Sur les yeux de César composent leur visage. 12
Cependant sur son lit il demeure penché ; 12
D'aucun étonnement il ne paraît touché : 12
Ce mal, dont vous craignez, dit-il, la violence 12
1640 A souvent, sans péril, attaqué son enfance. 12
Narcisse veut en vain affecter quelque ennui, 12
Et sa perfide joie éclate malgré lui. 12
Pour moi, dût l'empereur punir ma hardiesse, 12
D'une odieuse cour j'ai traversé la presse, 12
1645 Et j'allais, accablé de cet assassinat, 12
Pleurer Britannicus, César et tout l'État. 12
Agrippine
Le voici. Vous verrez si c'est moi qui l'inspire. 12
Scène VI
Agrippine, Néron, Burrhus, Narcisse.
Néron, voyant Agrippine
Dieux !
Agrippine
Arrêtez, Néron : j'ai deux mots à vous dire.
Britannicus est mort, je reconnais les coups, 12
Je connais l'assassin.
Néron
Et qui, Madame ?
Agrippine
1650 Vous.
Néron
Moi ! Voilà les soupçons dont vous êtes capable. 12
Il n'est point de malheur dont je ne sois coupable, 12
Et si l'on veut, Madame, écouter vos discours, 12
Ma main de Claude même aura tranché les jours. 12
1655 Son fils vous était cher ; sa mort peut vous confondre, 12
Mais des coups du destin je ne puis pas répondre. 12
Agrippine
Non, non, Britannicus est mort empoisonné : 12
Narcisse a fait le coup, vous l'avez ordonné. 12
Néron
Madame !… Mais qui peut vous tenir ce langage ? 12
Narcisse
1660 Hé ! Seigneur, ce soupçon vous fait-il tant d'outrage ? 12
Britannicus, Madame, eut des desseins secrets 12
Qui vous auraient coûté de plus justes regrets. 12
Il aspirait plus loin qu'à l'hymen de Junie ; 12
De vos propres bontés il vous aurait punie. 12
1665 Il vous trompait vous-même, et son cœur offensé 12
Prétendait tôt ou tard rappeler le passé. 12
Soit donc que malgré vous le sort vous ait servie, 12
Soit qu'instruit des complots qui menaçaient sa vie, 12
Sur ma fidélité César s'en soit remis, 12
1670 Laissez les pleurs, Madame, à vos seuls ennemis ; 12
Qu'ils mettent ce malheur au rang des plus sinistres. 12
Mais vous…
Agrippine
Poursuis, Néron ; avec de tels ministres,
Par des faits glorieux tu te vas signaler. 12
Poursuis. Tu n'as pas fait ce pas pour reculer. 12
1675 Ta main a commencé par le sang de ton frère ; 12
Je prévois que tes coups viendront jusqu'à ta mère. 12
Dans le fond de ton cœur, je sais que tu me hais ; 12
Tu voudras t'affranchir du joug de mes bienfaits. 12
Mais je veux que ma mort te soit même inutile ; 12
1680 Ne crois pas qu'en mourant je te laisse tranquille. 12
Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi. 12
Partout, à tout moment, m'offriront devant toi. 12
Tes remords te suivront comme autant de furies, 12
Tu croiras les calmer par d'autres barbaries : 12
1685 Ta fureur, s'irritant soi-même dans son cours, 12
D'un sang toujours nouveau marquera tous tes jours. 12
Mais j'espère qu'enfin le ciel, las de tes crimes, 12
Ajoutera ta perte à tant d'autres victimes, 12
Qu'après t'être couvert de leur sang et du mien, 12
1690 Tu te verras forcé de répandre le tien, 12
Et ton nom paraîtra dans la race future, 12
Aux plus cruels tyrans une cruelle injure. 12
Voilà ce que mon cœur se présage de toi. 12
Adieu. Tu peux sortir.
Néron
Narcisse, suivez-moi.
Scène VII
Agrippine, Burrhus.
Agrippine
1695 Ah ciel ! de mes soupçons quelle était l'injustice ! 12
Je condamnais Burrhus pour écouter Narcisse. 12
Burrhus, avez-vous vu quels regards furieux 12
Néron en me quittant m'a laissés pour adieux ? 12
C'en est fait, le cruel n'a plus rien qui l'arrête : 12
1700 Le coup qu'on m'a prédit va tomber sur ma tête. 12
Il vous accablera vous-même à votre tour. 12
Burrhus
Ah ! Madame, pour moi j'ai vécu trop d'un jour. 12
Plût au ciel que sa main, heureusement cruelle, 12
Eût fait sur moi l'essai de sa fureur nouvelle ! 12
1705 Qu'il ne m'eût pas donné, par ce triste attentat, 12
Un gage trop certain des malheurs de l'État ! 12
Son crime seul n'est pas ce qui me désespère ; 12
Sa jalousie a pu l'armer contre son frère ; 12
Mais s'il vous faut, Madame, expliquer ma douleur : 12
1710 Néron l'a vu mourir sans changer de couleur. 12
Ses yeux indifférents ont déjà la constance 12
D'un tyran dans le crime endurci dès l'enfance. 12
Qu'il achève, Madame, et qu'il fasse périr 12
Un ministre importun qui ne le peut souffrir. 12
1715 Hélas ! loin de vouloir éviter sa colère, 12
La plus soudaine mort me sera la plus chère. 12
Scène VIII
Agrippine, Burrhus, Albine.
Albine
Pour accabler César d'un éternel ennui, 12
Madame, sans mourir elle est morte pour lui. 12
Vous savez de ces lieux comme elle s'est ravie : 12
1720 Elle a feint de passer chez la triste Octavie ; 12
Mais bientôt elle a pris des chemins écartés 12
Où mes yeux ont suivi ses pas précipités. 12
Des portes du palais elle sort éperdue. 12
D'abord elle a d'Auguste aperçu la statue, 12
1725 Et mouillant de ses pleurs le marbre de ses pieds, 12
Que de ses bras pressants elle tenait liés : 12
Prince, par ces genoux, dit-elle, que j'embrasse, 12
Protège en ce moment le reste de ta race. 12
Rome, dans ton palais, vient de voir immoler 12
1730 Le seul de tes neveux qui te pût ressembler. 12
On veut après sa mort que je lui sois parjure ; 12
Mais pour lui conserver une foi toujours pure, 12
Prince, je me dévoue à ces dieux immortels 12
Dont ta vertu t'a fait partager les autels. 12
1735 Le peuple cependant, que ce spectacle étonne, 12
Vole de toutes parts, se presse, l'environne, 12
S'attendrit à ses pleurs, et plaignant son ennui, 12
D'une commune voix la prend sous son appui. 12
Ils la mènent au temple, où depuis tant d'années 12
1740 Au culte des autels nos vierges destinées 12
Gardent fidèlement le dépôt précieux 12
Du feu toujours ardent qui brûle pour nos dieux. 12
César les voit partir sans oser les distraire. 12
Narcisse, plus hardi, s'empresse pour lui plaire : 12
1745 Il vole vers Junie, et sans s'épouvanter, 12
D'une profane main commence à l'arrêter. 12
De mille coups mortels, son audace est punie ; 12
Son infidèle sang rejaillit sur Junie. 12
César, de tant d'objets en même temps frappé, 12
1750 Le laisse entre les mains qui l'ont enveloppé. 12
Il rentre. Chacun fuit son silence farouche. 12
Le seul nom de Junie échappe de sa bouche. 12
Il marche sans dessein, ses yeux mal assurés 12
N'osent lever au ciel leurs regards égarés, 12
1755 Et l'on craint, si la nuit jointe à la solitude 12
Vient de son désespoir aigrir l'inquiétude, 12
Si vous l'abandonnez plus longtemps sans secours, 12
Que sa douleur bientôt n'attente sur ses jours. 12
Le temps presse : courez. Il ne faut qu'un caprice ; 12
Il se perdrait, Madame.
Agrippine
1760 Il se ferait justice.
Mais, Burrhus, allons voir jusqu'où vont ses transports. 12
Voyons quel changement produiront ses remords, 12
S'il voudra désormais suivre d'autres maximes. 12
Burrhus
Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes ! 12
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