Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
RAC5/RAC5
Jean RACINE
1669
Britannicus
TRAGÉDIE
ACTEURS
Néron empereur, fils d'Agrippine.
Britannicus fils de l'empereur Claudius.
Agrippine veuve de Domitius Enobarbus, mère de Néron, et,
en secondes noces, veuve de l'empereur Claudius.
Junie amante de Britannicus.
Burrhus gouverneur de Néron.
Narcisse gouverneur de Britannicus.
Albine confidente d'Agrippine.
Gardes
La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Néron.
Acte premier
Scène première
Agrippine, Albine.
Albine
Quoi ? tandis que Nérons'abandonne au sommeil, 6+6 a
Faut-il que vous veniezattendre son réveil ? 6+6 a
Qu'errant dans le palaissans suite et sans escorte, 6+6 b
La mère de Césarveille seule à sa porte ? 6+6 b
5 Madame, retournezdans votre appartement. 6+6 a
Agrippine
Albine, il ne faut pass'éloigner un moment. 6+6 a
Je veux l'attendre ici.Les chagrins qu'il me cause 6+6 b
M'occuperont asseztout le temps qu'il repose. 6+6 b
Tout ce que j'ai préditn'est que trop assuré : 6+6 a
10 Contre BritannicusNéron s'est déclaré. 6+6 a
L'impatient Néroncesse de se contraindre ; 6+6 b
Las de se faire aimer,il veut se faire craindre. 6+6 b
Britannicus le gêne,Albine, et chaque jour 6+6 a
Je sens que je deviensimportune à mon tour. 6+6 a
Albine
15 Quoi ? vous à qui Nérondoit le jour qu'il respire, 6+6 b
Qui l'avez appeléde si loin à l'empire ? 6+6 b
Vous qui, déshéritantle fils de Claudius, 6+6 a
Avez nommé Césarl'heureux Domitius ? 6+6 a
Tout lui parle, Madame,en faveur d'Agrippine : 6+6 b
Il vous doit son amour.
Agrippine
20 Il me le doit, Albine ; 6+6 b
Tout, s'il est généreux,lui prescrit cette loi ; 6+6 a
Mais tout, s'il est ingrat,lui parle contre moi. 6+6 a
Albine
S'il est ingrat, Madame ?Ah ! toute sa conduite 6+6 b
Marque dans son devoirune âme trop instruite. 6+6 b
25 Depuis trois ans entiers,qu'a-t-il dit, qu'a-t-il fait 6+6 a
Qui ne promette à Romeun empereur parfait ? 6+6 a
Rome, depuis deux ans,par ses soins gouvernée, 6+6 b
Au temps de ses consulscroit être retournée : 6+6 b
Il la gouverne en père.Enfin, Néron naissant 6+6 a
30 A toutes les vertusd'Auguste vieillissant. 6+6 a
Agrippine
Non, non, mon intérêtne me rend point injuste : 6+6 b
Il commence, il est vrai,par finit Auguste ; 6+6 b
Mais crains que l'avenirdétruisant le passé, 6+6 a
Il ne finisse ainsiqu'Auguste a commencé. 6+6 a
35 Il se déguise en vain :je lis sur son visage 6+6 b
Des fiers Domitiusl'humeur triste et sauvage ; 6+6 b
Il mêle avec l'orgueilqu'il a pris dans leur sang 6+6 a
La fierté des Néronsqu'il puisa dans mon flanc. 6+6 a
Toujours la tyranniea d'heureuses prémices : 6+6 b
40 De Rome, pour un temps,Caïus fut les délices ; 6+6 b
Mais sa feinte bontése tournant en fureur, 6+6 a
Les délices de Romeen devinrent l'horreur. 6+6 a
Que m'importe, après tout,que Néron, plus fidèle, 6+6 b
D'une longue vertulaisse un jour le modèle ? 6+6 b
45 Ai-je mis dans sa mainle timon de l'État 6+6 a
Pour le conduire au grédu peuple et du sénat ? 6+6 a
Ah ! que de la patrieil soit, s'il veut, le père ; 6+6 b
Mais qu'il songe un peu plusqu'Agrippine est sa mère. 6+6 b
De quel nom cependantpouvons-nous appeler 6+6 a
50 L'attentat que le jourvient de nous révéler ? 6+6 a
Il sait, car leur amourne peut être ignorée, 6+6 b
Que de BritannicusJunie est adorée, 6+6 b
Et ce même Néron,que la vertu conduit, 6+6 a
Fait enlever Junieau milieu de la nuit ! 6+6 a
55 Que veut-il ? Est-ce haine,est-ce amour qui l'inspire ? 6+6 b
Cherche-t-il seulementle plaisir de leur nuire ? 6+6 b
Ou plutôt n'est-ce pointque sa malignité 6+6 a
Punit sur eux l'appuique je leur ai prêté ? 6+6 a
Albine
Vous, leur appui, Madame ?
Agrippine
Arrête, chère Albine, 6+6 b
60 Je sais que j'ai moi seuleavancé leur ruine ; 6+6 b
Que du trône, le sangl'a dû faire monter, 6+6 a
Britannicus par mois'est vu précipiter. 6+6 a
Par moi seule éloignéde l'hymen d'Octavie, 6+6 b
Le frère de Junieabandonna la vie, 6+6 b
65 Silanus, sur qui Claudeavait jeté les yeux, 6+6 a
Et qui comptait Augusteau rang de ses aïeux. 6+6 a
Néron jouit de tout ;et moi, pour récompense, 6+6 b
Il faut qu'entre eux et luije tienne la balance, 6+6 b
Afin que quelque jour,par une même loi, 6+6 a
70 Britannicus la tienneentre mon fils et moi. 6+6 a
Albine
Quel dessein !
Agrippine
Je m'assureun port dans la tempête. 6+6 b
Néron m'échappera,si ce frein ne l'arrête. 6+6 b
Albine
Mais prendre contre un filstant de soins superflus ? 6+6 a
Agrippine
Je le craindrais bientôt,s'il ne me craignait plus. 6+6 a
Albine
75 Une injuste frayeurvous alarme peut-être. 6+6 b
Mais si Néron pour vousn'est plus ce qu'il doit être, 6+6 b
Du moins son changementne vient pas jusqu'à nous, 6+6 a
Et ce sont des secretsentre César et vous. 6+6 a
Quelques titres nouveauxque Rome lui défère, 6+6 b
80 Néron n'en reçoit pointqu'il ne donne à sa mère. 6+6 b
Sa prodigue amitiéne se réserve rien ; 6+6 a
Votre nom est dans Romeaussi saint que le sien. 6+6 a
A peine parle-t-onde la triste Octavie. 6+6 b
Auguste votre aïeulhonora moins Livie. 6+6 b
85 Néron devant sa mèrea permis le premier 6+6 a
Qu'on portât les faisceauxcouronnés de laurier. 6+6 a
Quels effets voulez-vousde sa reconnaissance ? 6+6 b
Agrippine
Un peu moins de respect,et plus de confiance. 6+6 b
Tous ces présents, Albine,irritent mon dépit. 6+6 a
90 Je vois mes honneurs crtreet tomber mon crédit. 6+6 a
Non, non, le temps n'est plusque Néron, jeune encore, 6+6 b
Me renvoyait les vœuxd'une cour qui l'adore, 6+6 b
Lorsqu'il se reposaitsur moi de tout l'État, 6+6 a
Que mon ordre au palaisassemblait le sénat, 6+6 a
95 Et que derrière un voile,invisible et présente, 6+6 b
J'étais de ce grand corpsl'âme toute-puissante. 6+6 b
Des volontés de Romealors mal assuré, 6+6 a
Néron de sa grandeurn'était point enivré. 6+6 a
Ce jour, ce triste jourfrappe encor ma mémoire, 6+6 b
100 Néron fut lui-mêmeébloui de sa gloire, 6+6 b
Quand les ambassadeursde tant de rois divers 6+6 a
Vinrent le reconntreau nom de l'univers. 6+6 a
Sur son trône avec luij'allais prendre ma place : 6+6 b
J'ignore quel conseilprépara ma disgrâce ; 6+6 b
105 Quoi qu'il en soit, Néron,d'aussi loin qu'il me vit, 6+6 a
Laissa sur son visageéclater son dépit. 6+6 a
Mon cœur même en conçutun malheureux augure. 6+6 b
L'ingrat, d'un faux respectcolorant son injure, 6+6 b
Se leva par avance,et courant m'embrasser, 6+6 a
110 Il m'écarta du trône je m'allais placer. 6+6 a
Depuis ce coup fatal,le pouvoir d'Agrippine 6+6 b
Vers sa chute à grands paschaque jour s'achemine. 6+6 b
L'ombre seule m'en reste,et l'on n'implore plus 6+6 a
Que le nom de Sénèqueet l'appui de Burrhus. 6+6 a
Albine
115 Ah ! si de ce souonvotre âme est prévenue, 6+6 b
Pourquoi nourrissez-vousle venin qui vous tue ? 6+6 b
Daignez avec Césarvous éclaircir du moins. 6+6 a
Agrippine
César ne me voit plus,Albine, sans témoins. 6+6 a
En public, à mon heure,on me donne audience ; 6+6 b
120 Sa réponse est dictée,et même son silence. 6+6 b
Je vois deux surveillants,ses mtres et les miens, 6+6 a
Présider l'un ou l'autreà tous nos entretiens. 6+6 a
Mais je le poursuivraid'autant plus qu'il m'évite : 6+6 b
De son désordre, Albine,il faut que je profite. 6+6 b
125 J'entends du bruit ; on ouvre.Allons subitement 6+6 a
Lui demander raisonde cet enlèvement. 6+6 a
Surprenons, s'il se peut,les secrets de son âme. 6+6 b
Mais quoi ? déjà Burrhussort de chez lui ?
Scène II
Agrippine, Burrhus, Albine.
Burrhus
Madame, 6+6 b
Au nom de l'empereurj'allais vous informer 6+6 a
130 D'un ordre qui d'aborda pu vous alarmer, 6+6 a
Mais qui n'est que l'effetd'une sage conduite, 6+6 b
Dont César a vouluque vous soyez instruite. 6+6 b
Agrippine
Puisqu'il le veut, entrons :il m'en instruira mieux. 6+6 a
Burrhus
César pour quelque tempss'est soustrait à nos yeux. 6+6 a
135 Déjà par une porteau public moins connue 6+6 b
L'un et l'autre consulvous avaient prévenue, 6+6 b
Madame. Mais souffrezque je retourne exprès… 6+6 a
Agrippine
Non, je ne trouble pointses augustes secrets. 6+6 a
Cependant voulez-vousqu'avec moins de contrainte 6+6 b
140 L'un et l'autre une foisnous nous parlions sans feinte ? 6+6 b
Burrhus
Burrhus pour le mensongeeut toujours trop d'horreur. 6+6 a
Agrippine
Prétendez-vous longtempsme cacher l'empereur ? 6+6 a
Ne le verrai-je plusqu'à titre d'importune ? 6+6 b
Ai-je donc élevési haut votre fortune 6+6 b
145 Pour mettre une barrièreentre mon fils et moi ? 6+6 a
Ne l'osez-vous laisserun moment sur sa foi ? 6+6 a
Entre Sénèque et vousdisputez-vous la gloire 6+6 b
A qui m'effaceraplus tôt de sa mémoire ? 6+6 b
Vous l'ai-je confiépour en faire un ingrat, 6+6 a
150 Pour être, sous son nom,les mtres de l'État ? 6+6 a
Certes, plus je médite,et moins je me figure 6+6 b
Que vous m'osiez compterpour votre créature, 6+6 b
Vous, dont j'ai pu laisservieillir l'ambition 6+6 a
Dans les honneurs obscursde quelque légion, 6+6 a
155 Et moi qui sur le trôneai suivi mes ancêtres, 6+6 b
Moi, fille, femme, sœuret mère de vos mtres ! 6+6 b
Que prétendez-vous donc ?Pensez-vous que ma voix 6+6 a
Ait fait un empereurpour m'en imposer trois ? 6+6 a
Néron n'est plus enfant :n'est-il pas temps qu'il règne ? 6+6 b
160 Jusqu'à quand voulez-vousque l'empereur vous craigne ? 6+6 b
Ne saurait-il rien voirqu'il n'emprunte vos yeux ? 6+6 a
Pour se conduire, enfin,n'a-t-il pas ses aïeux ? 6+6 a
Qu'il choisisse, s'il veut,d'Auguste ou de Tibère, 6+6 b
Qu'il imite, s'il peut,Germanicus mon père. 6+6 b
165 Parmi tant de hérosje n'ose me placer, 6+6 a
Mais il est des vertusque je lui puis tracer. 6+6 a
Je puis l'instruire au moinscombien sa confidence 6+6 b
Entre un sujet et luidoit laisser de distance. 6+6 b
Burrhus
Je ne m'étais chargédans cette occasion 6+6 a
170 Que d'excuser Césard'une seule action. 6+6 a
Mais puisque sans vouloirque je le justifie, 6+6 b
Vous me rendez garantdu reste de sa vie, 6+6 b
Je répondrai, Madame,avec la liberté 6+6 a
D'un soldat qui sait malfarder la vérité. 6+6 a
175 Vous m'avez de Césarconfié la jeunesse, 6+6 b
Je l'avoue, et je doism'en souvenir sans cesse. 6+6 b
Mais vous avais-je faitserment de le trahir, 6+6 a
D'en faire un empereurqui ne sût qu'obéir ? 6+6 a
Non. Ce n'est plus à vousqu'il faut que j'en réponde, 6+6 b
180 Ce n'est plus votre fils,c'est le mtre du monde. 6+6 b
J'en dois compte, Madame,à l'empire romain, 6+6 a
Qui croit voir son salutou sa perte en ma main. 6+6 a
Ah ! si dans l'ignoranceil le fallait instruire, 6+6 b
N'avait-on que Sénèqueet moi pour le séduire ? 6+6 b
185 Pourquoi de sa conduiteéloigner les flatteurs ? 6+6 a
Fallait-il dans l'exilchercher des corrupteurs ? 6+6 a
La cour de Claudius,en esclaves fertile, 6+6 b
Pour deux que l'on cherchaiten t présenté mille, 6+6 b
Qui tous auraient briguél'honneur de l'avilir : 6+6 a
190 Dans une longue enfanceils l'auraient fait vieillir. 6+6 a
De quoi vous plaignez-vous,Madame ? On vous révère : 6+6 b
Ainsi que par César,on jure par sa mère. 6+6 b
L'empereur, il est vrai,ne vient plus chaque jour 6+6 a
Mettre à vos pieds l'empire,et grossir votre cour. 6+6 a
195 Mais le doit-il, Madame ?et sa reconnaissance 6+6 b
Ne peut-elle éclaterque dans sa dépendance ? 6+6 b
Toujours humble, toujoursle timide Néron 6+6 a
N'ose-t-il être Augusteet César que de nom ? 6+6 a
Vous le dirai-je enfin ?Rome le justifie. 6+6 b
200 Rome, à trois affranchissi longtemps asservie, 6+6 b
A peine respirantdu joug qu'elle a porté, 6+6 a
Du règne de Néroncompte sa liberté. 6+6 a
Que dis-je ? la vertusemble même rentre. 6+6 b
Tout l'empire n'est plusla dépouille d'un mtre : 6+6 b
205 Le peuple au champ de Marsnomme ses magistrats, 6+6 a
César nomme les chefssur la foi des soldats ; 6+6 a
Thraséas au sénat,Corbulon dans l'armée, 6+6 b
Sont encore innocents,malgré leur renommée ; 6+6 b
Les déserts, autrefoispeuplés de sénateurs, 6+6 a
210 Ne sont plus habitésque par leurs délateurs. 6+6 a
Qu'importe que Césarcontinue à nous croire, 6+6 b
Pourvu que nos conseilsne tendent qu'à sa gloire ; 6+6 b
Pourvu que dans le coursd'un règne florissant 6+6 a
Rome soit toujours libre,et César tout-puissant ? 6+6 a
215 Mais, Madame, Néronsuffit pour se conduire. 6+6 b
J'obéis, sans prétendreà l'honneur de l'instruire. 6+6 b
Sur ses aïeux, sans doute,il n'a qu'à se régler ; 6+6 a
Pour bien faire, Néronn'a qu'à se ressembler, 6+6 a
Heureux si ses vertus,l'une à l'autre enchnées, 6+6 b
220 Ramènent tous les ansses premières années ! 6+6 b
Agrippine
Ainsi, sur l'avenirn'osant vous assurer, 6+6 a
Vous croyez que sans vousNéron va s'égarer. 6+6 a
Mais vous qui jusqu'icicontent de votre ouvrage, 6+6 b
Venez de ses vertusnous rendre témoignage, 6+6 b
225 Expliquez-nous pourquoi,devenu ravisseur, 6+6 a
Néron de Silanusfait enlever la sœur ? 6+6 a
Ne tient-il qu'à marquerde cette ignominie 6+6 b
Le sang de mes aïeuxqui brille dans Junie ? 6+6 b
De quoi l'accuse-t-il ?Et par quel attentat 6+6 a
230 Devient-elle en un jourcriminelle d'État, 6+6 a
Elle qui sans orgueiljusqu'alors élevée, 6+6 b
N'aurait point vu Néron,s'il ne l't enlevée, 6+6 b
Et qui même aurait misau rang de ses bienfaits 6+6 a
L'heureuse libertéde ne le voir jamais ? 6+6 a
Burrhus
235 Je sais que d'aucun crimeelle n'est souonnée ; 6+6 b
Mais jusqu'ici Césarne l'a point condamnée, 6+6 b
Madame. Aucun objetne blesse ici ses yeux : 6+6 a
Elle est dans un palaistout plein de ses aïeux. 6+6 a
Vous savez que les droitsqu'elle porte avec elle 6+6 b
240 Peuvent de son épouxfaire un prince rebelle, 6+6 b
Que le sang de Césarne se doit allier 6+6 a
Qu'à ceux à qui Césarle veut bien confier, 6+6 a
Et vous-même avouerezqu'il ne serait pas juste 6+6 b
Qu'on disposât sans luide la nièce d'Auguste. 6+6 b
Agrippine
245 Je vous entends : Néronm'apprend par votre voix 6+6 a
Qu'en vain Britannicuss'assure sur mon choix. 6+6 a
En vain, pour détournerses yeux de sa misère, 6+6 b
J'ai flatté son amourd'un hymen qu'il espère. 6+6 b
A ma confusion,Néron veut faire voir 6+6 a
250 Qu'Agrippine prometpar delà son pouvoir. 6+6 a
Rome de ma faveurest trop préoccupée : 6+6 b
Il veut par cet affrontqu'elle soit détrompée, 6+6 b
Et que tout l'universapprenne avec terreur 6+6 a
A ne confondre plusmon fils et l'empereur. 6+6 a
255 Il le peut. Toutefoisj'ose encore lui dire 6+6 b
Qu'il doit avant ce coupaffermir son empire, 6+6 b
Et qu'en me réduisantà la nécessité 6+6 a
D'éprouver contre luima faible autorité, 6+6 a
Il expose la sienne,et que dans la balance 6+6 b
260 Mon nom peut-être auraplus de poids qu'il ne pense. 6+6 b
Burrhus
Quoi Madame ? toujourssouonner son respect ? 6+6 a
Ne peut-il faire un pasqui ne vous soit suspect ? 6+6 a
L'empereur vous croit-ildu parti de Junie ? 6+6 b
Avec Britannicusvous croit-il réunie ? 6+6 b
265 Quoi ? de vos ennemisdevenez-vous l'appui 6+6 a
Pour trouver un prétexteà vous plaindre de lui ? 6+6 a
Sur le moindre discoursqu'on pourra vous redire, 6+6 b
Serez-vous toujours prêteà partager l'empire ? 6+6 b
Vous craindrez-vous sans cesse,et vos embrassements 6+6 a
270 Ne se passeront-ilsqu'en éclaircissements ? 6+6 a
Ah ! quittez d'un censeurla triste diligence ; 6+6 b
D'une mère facileaffectez l'indulgence, 6+6 b
Souffrez quelques froideurssans les faire éclater, 6+6 a
Et n'avertissez pointla cour de vous quitter. 6+6 a
Agrippine
275 Et qui s'honoreraitde l'appui d'Agrippine, 6+6 b
Lorsque Néron lui-mêmeannonce ma ruine ? 6+6 b
Lorsque de sa présenceil semble me bannir ? 6+6 a
Quand Burrhus à sa porteose me retenir ? 6+6 a
Burrhus
Madame, je vois bienqu'il est temps de me taire, 6+6 b
280 Et que ma libertécommence à vous déplaire. 6+6 b
La douleur est injuste,et toutes les raisons 6+6 a
Qui ne la flattent pointaigrissent ses souons. 6+6 a
Voici Britannicus.Je lui cède ma place. 6+6 b
Je vous laisse écouteret plaindre sa disgrâce, 6+6 b
285 Et peut-être, Madame,en accuser les soins 6+6 a
De ceux que l'empereura consultés le moins. 6+6 a
Scène III
Agrippine, Britannicus.
Agrippine
Ah, Prince ! courez-vous ?Quelle ardeur inquiète 6+6 b
Parmi vos ennemisen aveugle vous jette ? 6+6 b
Que venez-vous chercher ?
Britannicus
Ce que je cherche ? Ah, dieux ! 6+6 a
290 Tout ce que j'ai perdu,Madame, est en ces lieux. 6+6 a
De mille affreux soldatsJunie environnée 6+6 b
S'est vue en ce palaisindignement trnée. 6+6 b
Hélas ! de quelle horreurses timides esprits 6+6 a
A ce nouveau spectacleauront été surpris ! 6+6 a
295 Enfin on me l'enlève.Une loi trop sévère 6+6 b
Va séparer deux cœursqu'assemblait leur misère. 6+6 b
Sans doute on ne veut pasque mêlant nos douleurs 6+6 a
Nous nous aidions l'un l'autreà porter nos malheurs. 6+6 a
Agrippine
Il suffit. Comme vousje ressens vos injures ; 6+6 b
300 Mes plaintes ont déjàprécédé vos murmures. 6+6 b
Mais je ne prétends pasqu'un impuissant courroux 6+6 a
Dégage ma paroleet m'acquitte envers vous. 6+6 a
Je ne m'explique point.Si vous voulez m'entendre, 6+6 b
Suivez-moi chez Pallas, je vais vous attendre. 6+6 b
Scène IV
Britannicus, Narcisse.
Britannicus
305 La croirai-je, Narcisse ?et dois-je sur sa foi 6+6 a
La prendre pour arbitreentre son fils et moi ? 6+6 a
Qu'en dis-tu ? N'est-ce pascette même Agrippine 6+6 b
Que mon père épousajadis pour sa ruine, 6+6 b
Et qui, si je t'en crois,a de ses derniers jours, 6+6 a
310 Trop lents pour ses desseins,précipité le cours 6+6 a
Narcisse
N'importe. Elle se sentcomme vous outragée ; 6+6 b
A vous donner Junieelle s'est engagée : 6+6 b
Unissez vos chagrins,liez vos intérêts. 6+6 a
Ce palais retentiten vain de vos regrets : 6+6 a
315 Tandis qu'on vous verrad'une voix suppliante 6+6 b
Semer ici la plainteet non pas l'épouvante, 6+6 b
Que vos ressentimentsse perdront en discours, 6+6 a
Il n'en faut pas douter,vous vous plaindrez toujours. 6+6 a
Britannicus
Ah ! Narcisse, tu saissi de la servitude 6+6 b
320 Je prétends faire encoreune longue habitude ; 6+6 b
Tu sais si pour jamais,de ma chute étonné, 6+6 a
Je renonce à l'empire j'étais destiné. 6+6 a
Mais je suis seul encor :les amis de mon père 6+6 b
Sont autant d'inconnusque glace ma misère, 6+6 b
325 Et ma jeunesse mêmeécarte loin de moi 6+6 a
Tous ceux qui dans le cœurme réservent leur foi. 6+6 a
Pour moi, depuis un anqu'un peu d'expérience 6+6 b
M'a donné de mon sortla triste connaissance, 6+6 b
Que vois-je autour de moi,que des amis vendus 6+6 a
330 Qui sont de tous mes pasles témoins assidus, 6+6 a
Qui choisis par Néronpour ce commerce infâme, 6+6 b
Trafiquent avec luides secrets de mon âme ? 6+6 b
Quoi qu'il en soit, Narcisse,on me vend tous les jours : 6+6 a
Il prévoit mes desseins,il entend mes discours ; 6+6 a
335 Comme toi, dans mon cœur,il sait ce qui se passe. 6+6 b
Que t'en semble, Narcisse ?
Narcisse
Ah ! quelle âme assez basse 6+6 b
C'est à vous de choisirdes confidents discrets, 6+6 a
Seigneur, et de ne pasprodiguer vos secrets. 6+6 a
Britannicus
Narcisse, tu dis vrai.Mais cette défiance 6+6 b
340 Est toujours d'un grand cœurla dernière science ; 6+6 b
On le trompe longtemps.Mais enfin je te croi, 6+6 a
Ou plutôt je fais vœude ne croire que toi. 6+6 a
Mon père, il m'en souvient,m'assura de ton zèle. 6+6 b
Seul de ses affranchistu m'es toujours fidèle ; 6+6 b
345 Tes yeux, sur ma conduiteincessamment ouverts, 6+6 a
M'ont sauvé jusqu'icide mille écueils couverts. 6+6 a
Va donc voir si le bruitde ce nouvel orage 6+6 b
Aura de nos amisexcité le courage. 6+6 b
Examine leurs yeux,observe leurs discours, 6+6 a
350 Vois si j'en puis attendreun fidèle secours. 6+6 a
Surtout dans ce palaisremarque avec adresse 6+6 b
Avec quel soin Néronfait garder la princesse : 6+6 b
Sache si du périlses beaux yeux sont remplis, 6+6 a
Et si son entretienm'est encore permis. 6+6 a
355 Cependant de Néronje vais trouver la mère 6+6 b
Chez Pallas, comme toil'affranchi de mon père. 6+6 b
Je vais la voir, l'aigrir,la suivre et s'il se peut 6+6 a
M'engager sous son nomplus loin qu'elle ne veut. 6+6 a
Acte II
Scène première
Néron, Burrhus, Narcisse, Gardes.
Néron
N'en doutez point, Burrhus :malgré ses injustices, 6+6 b
360 C'est ma mère, et je veuxignorer ses caprices. 6+6 b
Mais je ne prétends plusignorer ni souffrir 6+6 a
Le ministre insolentqui les ose nourrir. 6+6 a
Pallas de ses conseilsempoisonne ma mère ; 6+6 b
Il séduit, chaque jour,Britannicus mon frère, 6+6 b
365 Ils l'écoutent tout seul,et qui suivrait leurs pas, 6+6 a
Les trouverait peut-êtreassemblés chez Pallas. 6+6 a
C'en est trop. De tous deuxil faut que je l'écarte. 6+6 b
Pour la dernière fois,qu'il s'éloigne, qu'il parte ; 6+6 b
Je le veux, je l'ordonne ;et que la fin du jour 6+6 a
370 Ne le retrouve pasdans Rome ou dans ma cour. 6+6 a
Allez : cet ordre importeau salut de l'empire. 6+6 b
Vous, Narcisse, approchez.
(Aux gardes)
Et vous, qu'on se retire. 6+6 b
Scène II
Néron, Narcisse.
Narcisse
Grâces aux dieux, Seigneur,Junie entre vos mains 6+6 a
Vous assure aujourd'huile reste des Romains. 6+6 a
375 Vos ennemis, déchusde leur vaine espérance, 6+6 b
Sont allés chez Pallaspleurer leur impuissance. 6+6 b
Mais que vois-je ? Vous-même,inquiet, étonné, 6+6 a
Plus que Britannicusparaissez consterné. 6+6 a
Que présage à mes yeuxcette tristesse obscure 6+6 b
380 Et ces sombres regardserrant à l'aventure ? 6+6 b
Tout vous rit : la fortuneobéit à vos vœux. 6+6 a
Néron
Narcisse, c'en est fait,Néron est amoureux. 6+6 a
Narcisse
Vous ?
Néron
Depuis un moment,mais pour toute ma vie, 6+6 b
J'aime, (que dis-je, aimer ?) j'idolâtre Junie ! 6+6 b
Narcisse
Vous l'aimez ?
Néron
385 Excitéd'un désir curieux, 6+6 a
Cette nuit je l'ai vuearriver en ces lieux, 6+6 a
Triste, levant au cielses yeux mouillés de larmes, 6+6 b
Qui brillaient au traversdes flambeaux et des armes, 6+6 b
Belle, sans ornements,dans le simple appareil 6+6 a
390 D'une beauté qu'on vientd'arracher au sommeil. 6+6 a
Que veux-tu ? Je ne saissi cette négligence, 6+6 b
Les ombres, les flambeaux,les cris et le silence, 6+6 b
Et le farouche aspectde ses fiers ravisseurs, 6+6 a
Relevaient de ses yeuxles timides douceurs, 6+6 a
395 Quoi qu'il en soit, ravid'une si belle vue, 6+6 b
J'ai voulu lui parler,et ma voix s'est perdue : 6+6 b
Immobile, saisid'un long étonnement, 6+6 a
Je l'ai laissé passerdans son appartement. 6+6 a
J'ai passé dans le mien.C'est là que, solitaire, 6+6 b
400 De son image en vainj'ai voulu me distraire. 6+6 b
Trop présente à mes yeuxje croyais lui parler, 6+6 a
J'aimais jusqu'à ses pleursque je faisais couler. 6+6 a
Quelquefois, mais trop tard,je lui demandais grâce ; 6+6 b
J'employais les soupirs,et même la menace. 6+6 b
405 Voilà comme, occupéde mon nouvel amour, 6+6 a
Mes yeux, sans se fermer,ont attendu le jour. 6+6 a
Mais je m'en fais peut-êtreune trop belle image, 6+6 b
Elle m'est apparueavec trop d'avantage : 6+6 b
Narcisse, qu'en dis-tu ?
Narcisse
Quoi, Seigneur ? croira-t-on 6+6 a
410 Qu'elle ait pu si longtempsse cacher à Néron ? 6+6 a
Néron
Tu le sais bien, Narcisse.Et soit que sa colère 6+6 b
M'imputât le malheurqui lui ravit son frère, 6+6 b
Soit que son cœur, jalouxd'une austère fierté, 6+6 a
Enviât à nos yeuxsa naissante beauté, 6+6 a
415 Fidèle à sa douleur,et dans l'ombre enfermée, 6+6 b
Elle se dérobaitmême à sa renommée. 6+6 b
Et c'est cette vertu,si nouvelle à la cour, 6+6 a
Dont la persévéranceirrite mon amour. 6+6 a
Quoi, Narcisse ? tandisqu'il n'est point de Romaine 6+6 b
420 Que mon amour n'honoreet ne rende plus vaine, 6+6 b
Qui dès qu'à ses regardselle ose se fier, 6+6 a
Sur le cœur de Césarne les vienne essayer, 6+6 a
Seule dans son palaisla modeste Junie 6+6 b
Regarde leurs honneurscomme une ignominie, 6+6 b
425 Fuit, et ne daigne paspeut-être s'informer 6+6 a
Si César est aimableou bien s'il sait aimer ? 6+6 a
Dis-moi : Britannicusl'aime-t-il ?
Narcisse
Quoi ! s'il l'aime, 6+6 b
Seigneur ?
Néron
Si jeune encor,se connt-il lui-même ? 6+6 b
D'un regard enchanteurconnt-il le poison ? 6+6 a
Narcisse
430 Seigneur, l'amour toujoursn'attend pas la raison. 6+6 a
N'en doutez point, il l'aime.Instruits par tant de charmes, 6+6 b
Ses yeux sont déjà faitsà l'usage des larmes. 6+6 b
A ses moindres désirsil sait s'accommoder, 6+6 a
Et peut-être déjàsait-il persuader. 6+6 a
Néron
435 Que dis-tu ? Sur son cœuril aurait quelque empire ? 6+6 b
Narcisse
Je ne sais. Mais, Seigneur,ce que je puis vous dire, 6+6 b
Je l'ai vu quelquefoiss'arracher de ces lieux, 6+6 a
Le cœur plein d'un courrouxqu'il cachait à vos yeux, 6+6 a
D'une cour qui le fuitpleurant l'ingratitude, 6+6 b
440 Las de votre grandeuret de sa servitude, 6+6 b
Entre l'impatienceet la crainte flottant, 6+6 a
Il allait voir Junie,et revenait content. 6+6 a
Néron
D'autant plus malheureuxqu'il aura su lui plaire, 6+6 b
Narcisse, il doit plutôtsouhaiter sa colère. 6+6 b
445 Néron impunémentne sera pas jaloux. 6+6 a
Narcisse
Vous ? Et de quoi, Seigneur,vous inquiétez-vous ? 6+6 a
Junie a pu le plaindreet partager ses peines : 6+6 b
Elle n'a vu coulerde larmes que les siennes. 6+6 b
Mais aujourd'hui, Seigneur,que ses yeux dessillés 6+6 a
450 Regardant de plus prèsl'éclat dont vous brillez, 6+6 a
Verront autour de vousles rois sans diadème, 6+6 b
Inconnus dans la foule,et son amant lui-même, 6+6 b
Attachés sur vos yeuxs'honorer d'un regard 6+6 a
Que vous aurez sur euxfait tomber au hasard ; 6+6 a
455 Quand elle vous verra,de ce degré de gloire, 6+6 b
Venir en soupirantavouer sa victoire : 6+6 b
Mtre, n'en doutez point,d'un cœur déjà charmé, 6+6 a
Commandez qu'on vous aime,et vous serez aimé. 6+6 a
Néron
A combien de chagrinsil faut que je m'apprête ! 6+6 b
Que d'importunités !
Narcisse
460 Quoi donc ? qui vous arrête, 6+6 b
Seigneur ?
Néron
Tout : Octavie,Agrippine, Burrhus, 6+6 a
Sénèque, Rome entière,et trois ans de vertus. 6+6 a
Non que pour Octavieun reste de tendresse 6+6 b
M'attache à son hymenet plaigne sa jeunesse : 6+6 b
465 Mes yeux, depuis longtempsfatigués de ses soins, 6+6 a
Rarement de ses pleursdaignent être témoins ; 6+6 a
Trop heureux, si bientôtla faveur d'un divorce 6+6 b
Me soulageait d'un jougqu'on m'imposa par force ! 6+6 b
Le ciel même en secretsemble la condamner : 6+6 a
470 Ses vœux, depuis quatre ans,ont beau l'importuner, 6+6 a
Les dieux ne montrent pointque sa vertu les touche : 6+6 b
D'aucun gage, Narcisse,ils n'honorent sa couche ; 6+6 b
L'empire vainementdemande un héritier. 6+6 a
Narcisse
Que tardez-vous, Seigneur,à la répudier ? 6+6 a
475 L'empire, votre cœur,tout condamne Octavie. 6+6 b
Auguste, votre aïeul,soupirait pour Livie : 6+6 b
Par un double divorceils s'unirent tous deux, 6+6 a
Et vous devez l'empireà ce divorce heureux. 6+6 a
Tibère, que l'hymenplaça dans sa famille, 6+6 b
480 Osa bien à ses yeuxrépudier sa fille. 6+6 b
Vous seul, jusques icicontraire à vos désirs, 6+6 a
N'osez par un divorceassurer vos plaisirs. 6+6 a
Néron
Et ne connais-tu pasl'implacable Agrippine ? 6+6 b
Mon amour inquietdéjà se l'imagine 6+6 b
485 Qui m'amène Octavie,et d'un œil enflammé 6+6 a
Atteste les saints droitsd'un nœud qu'elle a formé ; 6+6 a
Et portant à mon cœurdes atteintes plus rudes, 6+6 b
Me fait un long récitde mes ingratitudes. 6+6 b
De quel front soutenirce fâcheux entretien ? 6+6 a
Narcisse
490 N'êtes-vous pas, Seigneur,votre mtre et le sien ? 6+6 a
Vous verrons-nous toujourstrembler sous sa tutelle ? 6+6 b
Vivez, régnez pour vous :c'est trop régner pour elle. 6+6 b
Craignez-vous ? Mais, Seigneur,vous ne la craignez pas : 6+6 a
Vous venez de bannirle superbe Pallas, 6+6 a
495 Pallas, dont vous savezqu'elle soutient l'audace. 6+6 b
Néron
Éloigné de ses yeux,j'ordonne, je menace, 6+6 b
J'écoute vos conseils,j'ose les approuver ; 6+6 a
Je m'excite contre elle,et tâche à la braver : 6+6 a
Mais (je t'expose icimon âme toute nue) 6+6 b
500 Sitôt que mon malheurme ramène à sa vue, 6+6 b
Soit que je n'ose encordémentir le pouvoir 6+6 a
De ces yeux j'ai lusi longtemps mon devoir ; 6+6 a
Soit qu'à tant de bienfaitsma mémoire fidèle 6+6 b
Lui soumettre en secrettout ce que je tiens d'elle, 6+6 b
505 Mais enfin mes effortsne me servent de rien : 6+6 a
Mon génie étonnétremble devant le sien. 6+6 a
Et c'est pour m'affranchirde cette dépendance, 6+6 b
Que je la fuis partout,que même je l'offense, 6+6 b
Et que de temps en tempsj'irrite ses ennuis, 6+6 a
510 Afin qu'elle m'éviteautant que je la fuis. 6+6 a
Mais je t'arrête trop.Retire-toi, Narcisse ; 6+6 b
Britannicus pourraitt'accuser d'artifice. 6+6 b
Narcisse
Non, non ; Britannicuss'abandonne à ma foi ; 6+6 a
Par son ordre, Seigneur,il croit que je vous voi, 6+6 a
515 Que je m'informe icide tout ce qui le touche, 6+6 b
Et veut de vos secretsêtre instruit par ma bouche. 6+6 b
Impatient surtoutde revoir ses amours, 6+6 a
Il attend de mes soinsce fidèle secours. 6+6 a
Néron
J'y consens ; porte-luicette douce nouvelle : 6+6 b
Il la verra.
Narcisse
520 Seigneur,bannissez-le loin d'elle. 6+6 b
Néron
J'ai mes raisons, Narcisse ;et tu peux concevoir 6+6 a
Que je lui vendrai cherle plaisir de la voir. 6+6 a
Cependant vante-luiton heureux stratagème, 6+6 b
Dis-lui qu'en sa faveuron me trompe moi-même, 6+6 b
525 Qu'il la voit sans mon ordre.On ouvre : la voici. 6+6 a
Va retrouver ton mtre,et l'amener ici. 6+6 a
Scène III
Néron, Junie.
Néron
Vous vous troublez, Madame,et changez de visage. 6+6 b
Lisez-vous dans mes yeuxquelque triste présage ? 6+6 b
Junie
Seigneur, je ne vous puisdéguiser mon erreur : 6+6 a
530 J'allais voir Octavie,et non pas l'empereur. 6+6 a
Néron
Je le sais bien, Madame,et n'ai pu sans envie 6+6 b
Apprendre vos bontéspour l'heureuse Octavie. 6+6 b
Junie
Vous, Seigneur ?
Néron
Pensez-vous,Madame, qu'en ces lieux, 6+6 a
Seule pour vous conntreOctavie ait des yeux ? 6+6 a
Junie
535 Et quel autre, Seigneur,voulez-vous que j'implore ? 6+6 b
A qui demanderai-jeun crime que j'ignore ? 6+6 b
Vous qui le punissez,vous ne l'ignorez pas : 6+6 a
De grâce, apprenez-moi,Seigneur, mes attentats. 6+6 a
Néron
Quoi, Madame ? est-ce doncune légère offense 6+6 b
540 De m'avoir si longtempscaché votre présence ? 6+6 b
Ces trésors dont le cielvoulut vous embellir, 6+6 a
Les avez-vous reçuspour les ensevelir ? 6+6 a
L'heureux Britannicusverra-t-il sans alarmes 6+6 b
Crtre, loin de nos yeux,son amour et vos charmes ? 6+6 b
545 Pourquoi, de cette gloireexclu jusqu'à ce jour, 6+6 a
M'avez-vous, sans pitié,relégué dans ma cour ? 6+6 a
On dit plus : vous souffrezsans en être offensée 6+6 b
Qu'il vous ose, Madame,expliquer sa pensée. 6+6 b
Car je ne croirai pointque sans me consulter 6+6 a
550 La sévère Junieait voulu le flatter, 6+6 a
Ni qu'elle ait consentid'aimer et d'être aimée, 6+6 b
Sans que j'en sois instruitque par la renommée. 6+6 b
Junie
Je ne vous nierai point,Seigneur, que ses soupirs 6+6 a
M'ont daigné quelquefoisexpliquer ses désirs. 6+6 a
555 Il n'a point détournéses regards d'une fille, 6+6 b
Seul reste du débrisd'une illustre famille. 6+6 b
Peut-être il se souvientqu'en un temps plus heureux 6+6 a
Son père me nommapour l'objet de ses vœux. 6+6 a
Il m'aime ; il obéità l'empereur son père, 6+6 b
560 Et j'ose dire encore,à vous, à votre mère : 6+6 b
Vos désirs sont toujourssi conformes aux siens… 6+6 a
Néron
Ma mère a ses desseins,Madame, et j'ai les miens. 6+6 a
Ne parlons plus icide Claude et d'Agrippine : 6+6 b
Ce n'est point par leur choixque je me détermine. 6+6 b
565 C'est à moi seul, Madame,à répondre de vous, 6+6 a
Et je veux de ma mainvous choisir un époux. 6+6 a
Junie
Ah ! Seigneur songez-vousque toute autre alliance 6+6 b
Fera honte aux Césars,auteurs de ma naissance ? 6+6 b
Néron
Non, Madame, l'épouxdont je vous entretiens 6+6 a
570 Peut sans honte assemblervos aïeux et les siens, 6+6 a
Vous pouvez, sans rougir,consentir à sa flamme. 6+6 b
Junie
Et quel est donc, Seigneur,cet époux ?
Néron
Moi, madame. 6+6 b
Junie
Vous ?
Néron
Je vous nommerais,Madame, un autre nom, 6+6 a
Si j'en savais quelque autreau-dessus de Néron. 6+6 a
575 Oui, pour vous faire un choix vous puissiez souscrire, 6+6 b
J'ai parcouru des yeuxla cour, Rome et l'empire. 6+6 b
Plus j'ai cherché, Madame,et plus je cherche encor 6+6 a
En quelles mains je doisconfier ce trésor, 6+6 a
Plus je vois que César,digne seul de vous plaire, 6+6 b
580 En doit être lui seull'heureux dépositaire, 6+6 b
Et ne peut dignementvous confier qu'aux mains 6+6 a
A qui Rome a commisl'empire des humains. 6+6 a
Vous-même, consultezvos premières années : 6+6 b
Claudius à son filsles avait destinées, 6+6 b
585 Mais c'était en un temps de l'empire entier 6+6 a
Il croyait quelque jourle nommer l'héritier. 6+6 a
Les dieux ont prononcé.Loin de leur contredire, 6+6 b
C'est à vous de passerdu côté de l'empire. 6+6 b
En vain de ce présentils m'auraient honoré, 6+6 a
590 Si votre cœur devaiten être séparé, 6+6 a
Si tant de soins ne sontadoucis par vos charmes, 6+6 b
Si tandis que je donneaux veilles, aux alarmes, 6+6 b
Des jours toujours à plaindreet toujours enviés, 6+6 a
Je ne vais quelquefoisrespirer à vos pieds. 6+6 a
595 Qu'Octavie à vos yeuxne fasse point d'ombrage : 6+6 b
Rome, aussi bien que moi,vous donne son suffrage, 6+6 b
Répudie Octavie,et me fait dénouer 6+6 a
Un hymen que le cielne veut point avouer. 6+6 a
Songez-y donc, Madame,et pesez en vous-même 6+6 b
600 Ce choix digne des soinsd'un prince qui vous aime, 6+6 b
Digne de vos beaux yeuxtrop longtemps captivés, 6+6 a
Digne de l'universà qui vous vous devez. 6+6 a
Junie
Seigneur, avec raisonje demeure étonnée. 6+6 b
Je me vois, dans le coursd'une même journée, 6+6 b
605 Comme une criminelleamenée en ces lieux ; 6+6 a
Et lorsque avec frayeurje parais à vos yeux, 6+6 a
Que sur mon innocenceà peine je me fie, 6+6 b
Vous m'offrez tout d'un coupla place d'Octavie. 6+6 b
J'ose dire pourtantque je n'ai mérité 6+6 a
610 Ni cet excès d'honneur,ni cette indignité. 6+6 a
Et pouvez-vous, Seigneur,souhaiter qu'une fille 6+6 b
Qui vit presque en naissantéteindre sa famille, 6+6 b
Qui dans l'obscuriténourrissant sa douleur, 6+6 a
S'est fait une vertuconforme à son malheur, 6+6 a
615 Passe subitementde cette nuit profonde 6+6 b
Dans un rang qui l'exposeaux yeux de tout le monde, 6+6 b
Dont je n'ai pu de loinsoutenir la clarté, 6+6 a
Et dont une autre enfinremplit la majesté ? 6+6 a
Néron
Je vous ai déjà ditque je la répudie. 6+6 b
620 Ayez moins de frayeur,ou moins de modestie. 6+6 b
N'accusez point icimon choix d'aveuglement ; 6+6 a
Je vous réponds de vous ;consentez seulement. 6+6 a
Du sang dont vous sortezrappelez la mémoire, 6+6 b
Et ne préférez pointà la solide gloire 6+6 b
625 Des honneurs dont Césarprétend vous revêtir, 6+6 a
La gloire d'un refussujet au repentir. 6+6 a
Junie
Le ciel connt, Seigneur,le fond de ma pensée. 6+6 b
Je ne me flatte pointd'une gloire insensée : 6+6 b
Je sais de vos présentsmesurer la grandeur ; 6+6 a
630 Mais plus ce rang sur moirépandrait de splendeur, 6+6 a
Plus il me ferait honte,et mettrait en lumière 6+6 b
Le crime d'en avoirdépouillé l'héritière. 6+6 b
Néron
C'est de ses intérêtsprendre beaucoup de soin, 6+6 a
Madame ; et l'amitiéne peut aller plus loin. 6+6 a
635 Mais ne nous flattons point,et laissons le mystère : 6+6 b
La sœur vous touche icibeaucoup moins que le frère, 6+6 b
Et pour Britannicus…
Junie
Il a su me toucher, 6+6 a
Seigneur, et je n'ai pointprétendu m'en cacher. 6+6 a
Cette sincéritésans doute est peu discrète ; 6+6 b
640 Mais toujours de mon cœurma bouche est l'interprète. 6+6 b
Absente de la cour,je n'ai pas dû penser, 6+6 a
Seigneur, qu'en l'art de feindreil fallût m'exercer. 6+6 a
J'aime Britannicus.Je lui fus destinée 6+6 b
Quand l'empire devaitsuivre son hyménée : 6+6 b
645 Mais ces mêmes malheursqui l'en ont écarté, 6+6 a
Ses honneurs abolis,son palais déserté, 6+6 a
La fuite d'une courque sa chute a bannie, 6+6 b
Sont autant de liensqui retiennent Junie. 6+6 b
Tout ce que vous voyezconspire à vos désirs ; 6+6 a
650 Vos jours toujours sereinscoulent dans les plaisirs : 6+6 a
L'empire en est pour vousl'inépuisable source ; 6+6 b
Ou, si quelque chagrinen interrompt la course, 6+6 b
Tout l'univers soigneuxde les entretenir 6+6 a
S'empresse à l'effacerde votre souvenir. 6+6 a
655 Britannicus est seul.Quelque ennui qui le presse, 6+6 b
Il ne voit, dans son sort,que moi qui s'intéresse, 6+6 b
Et n'a pour tout plaisir,Seigneur, que quelques pleurs 6+6 a
Qui lui font quelquefoisoublier ses malheurs. 6+6 a
Néron
Et ce sont ces plaisirset ces pleurs que j'envie, 6+6 b
660 Que tout autre que luime paierait de sa vie. 6+6 b
Mais je garde à ce princeun traitement plus doux : 6+6 a
Madame, il va bientôtpartre devant vous. 6+6 a
Junie
Ah, Seigneur ! vos vertusm'ont toujours rassurée. 6+6 b
Néron
Je pouvais de ces lieuxlui défendre l'entrée ; 6+6 b
665 Mais, Madame, je veuxprévenir le danger 6+6 a
son ressentimentle pourrait engager. 6+6 a
Je ne veux point le perdre :il vaut mieux que lui-même 6+6 b
Entende son arrêtde la bouche qu'il aime. 6+6 b
Si ses jours vous sont chers,éloignez-le de vous, 6+6 a
670 Sans qu'il ait aucun lieude me croire jaloux. 6+6 a
De son bannissementprenez sur vous l'offense, 6+6 b
Et soit par vos discours,soit par votre silence, 6+6 b
Du moins par vos froideurs,faites-lui concevoir 6+6 a
Qu'il doit porter ailleursses vœux et son espoir. 6+6 a
Junie
675 Moi ! que je lui prononceun arrêt si sévère ? 6+6 b
Ma bouche mille foislui jura le contraire. 6+6 b
Quand même jusque-làje pourrais me trahir, 6+6 a
Mes yeux lui défendront,Seigneur, de m'obéir. 6+6 a
Néron
Caché près de ces lieux,je vous verrai, Madame. 6+6 b
680 Renfermez votre amourdans le fond de votre âme 6+6 b
Vous n'aurez point pour moide langages secrets : 6+6 a
J'entendrai des regardsque vous croirez muets, 6+6 a
Et sa perte seral'infaillible salaire 6+6 b
D'un geste ou d'un soupiréchappé pour lui plaire. 6+6 b
Junie
685 Hélas ! si j'ose encorformer quelques souhaits, 6+6 a
Seigneur, permettez-moide ne le voir jamais ! 6+6 a
Scène IV
Néron, Junie, Narcisse.
Narcisse
Britannicus, Seigneur,demande la princesse : 6+6 b
Il approche.
Néron
Qu'il vienne.
Junie
Ah Seigneur !
Néron
Je vous laisse. 6+6 b
Sa fortune dépendde vous plus que de moi : 6+6 a
690 Madame, en le voyant,songez que je vous voi. 6+6 a
Scène V
Junie, Narcisse.
Junie
Ah ! cher Narcisse, coursau-devant de ton mtre : 6+6 b
Dis-lui… Je suis perdue,et je le vois partre ! 6+6 b
Scène VI
Junie, Britannicus, Narcisse.
Britannicus
Madame, quel bonheurme rapproche de vous ? 6+6 a
Quoi ? je puis donc jouird'un entretien si doux ? 6+6 a
695 Mais parmi ce plaisir,quel chagrin me dévore ! 6+6 b
Hélas ! puis-je espérerde vous revoir encore ? 6+6 b
Faut-il que je dérobe,avec mille détours, 6+6 a
Un bonheur que vos yeuxm'accordaient tous les jours ? 6+6 a
Quelle nuit ! quel réveil !Vos pleurs, votre présence 6+6 b
700 N'ont point de ces cruelsdésarmé l'insolence ? 6+6 b
Que faisait votre amant ?Quel démon envieux 6+6 a
M'a refusé l'honneurde mourir à vos yeux ? 6+6 a
Hélas ! dans la frayeurdont vous étiez atteinte, 6+6 b
M'avez-vous en secretadressé quelque plainte ? 6+6 b
705 Ma princesse, avez-vousdaigné me souhaiter ? 6+6 a
Songiez-vous aux douleursque vous m'alliez cter ? 6+6 a
Vous ne me dites rien ?Quel accueil ! Quelle glace ! 6+6 b
Est-ce ainsi que vos yeuxconsolent ma disgrâce ? 6+6 b
Parlez : nous sommes seuls.Notre ennemi trompé 6+6 a
710 Tandis que je vous parleest ailleurs occupé. 6+6 a
Ménageons les momentsde cette heureuse absence. 6+6 b
Junie
Vous êtes en des lieuxtout pleins de sa puissance. 6+6 b
Ces murs mêmes, Seigneur,peuvent avoir des yeux, 6+6 a
Et jamais l'empereurn'est absent de ces lieux. 6+6 a
Britannicus
715 Et depuis quand, Madame,êtes-vous si craintive ? 6+6 b
Quoi ? déjà votre amoursouffre qu'on le captive ? 6+6 b
Qu'est devenu ce cœurqui me jurait toujours 6+6 a
De faire à Néron mêmeenvier nos amours ? 6+6 a
Mais bannissez, Madame,une inutile crainte. 6+6 b
720 La foi dans tous les cœursn'est pas encore éteinte ; 6+6 b
Chacun semble des yeuxapprouver mon courroux, 6+6 a
La mère de Néronse déclare pour nous, 6+6 a
Rome, de sa conduiteelle-même offensée 6+6 b
Junie
Ah ! Seigneur, vous parlezcontre votre pensée. 6+6 b
725 Vous-même, vous m'avezavoué mille fois 6+6 a
Que Rome le louaitd'une commune voix ; 6+6 a
Toujours à sa vertuvous rendiez quelque hommage. 6+6 b
Sans doute la douleurvous dicte ce langage. 6+6 b
Britannicus
Ce discours me surprend,il le faut avouer. 6+6 a
730 Je ne vous cherchais paspour l'entendre louer. 6+6 a
Quoi ? pour vous confierla douleur qui m'accable, 6+6 b
A peine je dérobeun moment favorable, 6+6 b
Et ce moment si cher,Madame, est consumé 6+6 a
A louer l'ennemidont je suis opprimé ? 6+6 a
735 Qui vous rend à vous-même,en un jour, si contraire ? 6+6 b
Quoi ! même vos regardsont appris à se taire ? 6+6 b
Que vois-je ? Vous craignezde rencontrer mes yeux ? 6+6 a
Néron vous plairait-il ?Vous serais-je odieux ? 6+6 a
Ah ! si je le croyais…Au nom des dieux, Madame, 6+6 b
740 Éclaircissez le trouble vous jetez mon âme. 6+6 b
Parlez. Ne suis-je plusdans votre souvenir ? 6+6 a
Junie
Retirez-vous, Seigneur ;l'empereur va venir. 6+6 a
Britannicus
Après ce coup, Narcisse,à qui dois-je m'attendre ? 6+6 b
Scène VII
Néron, Junie, Narcisse.
Néron
Madame
Junie
Non, Seigneur,je ne puis rien entendre. 6+6 b
745 Vous êtes obéi.Laissez couler du moins 6+6 a
Des larmes dont ses yeuxne seront pas témoins. 6+6 a
Scène VIII
Néron, Narcisse.
Néron
Eh bien ! de leur amourtu vois la violence, 6+6 b
Narcisse : elle a parujusque dans son silence ! 6+6 b
Elle aime mon rival,je ne puis l'ignorer ; 6+6 a
750 Mais je mettrai ma joieà le désespérer. 6+6 a
Je me fais de sa peineune image charmante, 6+6 b
Et je l'ai vu douterdu cœur de son amante. 6+6 b
Je la suis. Mon rivalt'attend pour éclater : 6+6 a
Par de nouveaux souons,va, cours le tourmenter. 6+6 a
755 Et tandis qu'à mes yeuxon le pleure, on l'adore, 6+6 b
Fais-lui payer bien cherun bonheur qu'il ignore. 6+6 b
Narcisse
(seul)
La fortune t'appelleune seconde fois, 6+6 a
Narcisse : voudrais-turésister à sa voix ? 6+6 a
Suivons jusques au boutses ordres favorables ; 6+6 b
760 Et pour nous rendre heureux,perdons les misérables. 6+6 b
Acte III
Scène première
Néron, Burrhus.
Burrhus
Pallas obéira,Seigneur.
Néron
Et de quel œil 6+6 a
Ma mère a-t-elle vuconfondre son orgueil ? 6+6 a
Burrhus
Ne doutez point, Seigneur,que ce coup ne la frappe, 6+6 b
Qu'en reproches bientôtsa douleur ne s'échappe. 6+6 b
765 Ses transports dès longtempscommencent d'éclater. 6+6 a
A d'inutiles crispuissent-ils s'arrêter ! 6+6 a
Néron
Quoi ? de quelque desseinla croyez-vous capable ? 6+6 b
Burrhus
Agrippine, Seigneur,est toujours redoutable. 6+6 b
Rome et tous vos soldatsrévèrent ses aïeux ; 6+6 a
770 Germanicus son pèreest présent à leurs yeux. 6+6 a
Elle sait son pouvoir ;vous savez son courage ; 6+6 b
Et ce qui me la faitredouter davantage, 6+6 b
C'est que vous appuyezvous-même son courroux 6+6 a
Et que vous lui donnezdes armes contre vous. 6+6 a
Néron
Moi, Burrhus ?
Burrhus
775 Cet amour,Seigneur, qui vous possède 6+6 b
Néron
Je vous entends, Burrhus.Le mal est sans remède. 6+6 b
Mon cœur s'en est plus ditque vous ne m'en direz ; 6+6 a
Il faut que j'aime enfin.
Burrhus
Vous vous le figurez, 6+6 a
Seigneur ; et satisfaitde quelque résistance, 6+6 b
780 Vous redoutez un malfaible dans sa naissance. 6+6 b
Mais si, dans son devoir,votre cœur affermi 6+6 a
Voulait ne point s'entendreavec son ennemi, 6+6 a
Si de vos premiers ansvous consultiez la gloire, 6+6 b
Si vous daigniez, Seigneur,rappeler la mémoire 6+6 b
785 Des vertus d'Octavieindignes de ce prix, 6+6 a
Et de son chaste amourvainqueur de vos mépris, 6+6 a
Surtout si, de Junieévitant la présence, 6+6 b
Vous condamniez vos yeuxà quelques jours d'absence : 6+6 b
Croyez-moi, quelque amourqui semble vous charmer, 6+6 a
790 On n'aime point, Seigneur,si l'on ne veut aimer. 6+6 a
Néron
Je vous croirai, Burrhus,lorsque dans les alarmes 6+6 b
Il faudra soutenirla gloire de nos armes, 6+6 b
Ou lorsque, plus tranquille,assis dans le sénat, 6+6 a
Il faudra déciderdu destin de l'état : 6+6 a
795 Je m'en reposeraisur votre expérience. 6+6 b
Mais, croyez-moi, l'amourest une autre science, 6+6 b
Burrhus, et je feraisquelque difficulté 6+6 a
D'abaisser jusque-làvotre sévérité. 6+6 a
Adieu. Je souffre trop,éloigné de Junie. 6+6 b
Scène II
Burrhus, seul
Burrhus
800 Enfin, Burrhus, Nérondécouvre son génie : 6+6 b
Cette férocitéque tu croyais fléchir, 6+6 a
De tes faibles liensest prête à s'affranchir. 6+6 a
En quels excès peut-êtreelle va se répandre ! 6+6 b
O dieux ! en ce malheurquel conseil dois-je prendre ? 6+6 b
805 Sénèque, dont les soinsme devraient soulager, 6+6 a
Occupé loin de Rome,ignore ce danger. 6+6 a
Mais quoi ? si d'Agrippineexcitant la tendresse 6+6 b
Je pouvais… La voici :mon bonheur me l'adresse. 6+6 b
Scène III
Agrippine, Burrhus, Albine.
Agrippine
Eh bien ! je me trompais,Burrhus, dans mes souons ? 6+6 a
810 Et vous vous signalezpar d'illustres leçons ! 6+6 a
On exile Pallas,dont le crime peut-être 6+6 b
Est d'avoir à l'empireélevé votre mtre. 6+6 b
Vous le savez trop bien :jamais, sans ses avis, 6+6 a
Claude qu'il gouvernaitn't adopté mon fils. 6+6 a
815 Que dis-je ? A son épouseon donne une rivale ; 6+6 b
On affranchit Néronde la foi conjugale ! 6+6 b
Digne emploi d'un ministreennemi des flatteurs, 6+6 a
Choisi pour mettre un freinà ses jeunes ardeurs, 6+6 a
De les flatter lui-même,et nourrir dans son âme 6+6 b
820 Le mépris de sa mèreet l'oubli de sa femme ! 6+6 b
Burrhus
Madame, jusqu'icic'est trop tôt m'accuser. 6+6 a
L'empereur n'a rien faitqu'on ne puisse excuser. 6+6 a
N'imputez qu'à Pallasun exil nécessaire : 6+6 b
Son orgueil dès longtempsexigeait ce salaire, 6+6 b
825 Et l'empereur ne faitqu'accomplir à regret 6+6 a
Ce que toute la courdemandait en secret. 6+6 a
Le reste est un malheurqui n'est point sans ressource : 6+6 b
Des larmes d'Octavieon peut tarir la source. 6+6 b
Mais calmez vos transports.Par un chemin plus doux, 6+6 a
830 Vous lui pourrez plus tôtramener son époux : 6+6 a
Les menaces, les crisle rendront plus farouche. 6+6 b
Agrippine
Ah ! l'on s'efforce en vainde me fermer la bouche. 6+6 b
Je vois que mon silenceirrite vos dédains, 6+6 a
Et c'est trop respecterl'ouvrage de mes mains. 6+6 a
835 Pallas n'emporte pastout l'appui d'Agrippine : 6+6 b
Le ciel m'en laisse assezpour venger ma ruine. 6+6 b
Le fils de Claudiuscommence à ressentir 6+6 a
Des crimes dont je n'aique le seul repentir. 6+6 a
J'irai, n'en doutez point,le montrer à l'armée, 6+6 b
840 Plaindre aux yeux des soldatsson enfance opprimée, 6+6 b
Leur faire, à mon exemple,expier leur erreur. 6+6 a
On verra d'un côtéle fils d'un empereur 6+6 a
Redemandant la foijurée à sa famille, 6+6 b
Et de Germanicuson entendra la fille ; 6+6 b
845 De l'autre, l'on verrale fils d'Aenobarbus, 6+6 a
Appuyé de Sénèqueet du tribun Burrhus, 6+6 a
Qui tous deux, de l'exilrappelés par moi-même, 6+6 b
Partagent à mes yeuxl'autorité suprême. 6+6 b
De nos crimes communsje veux qu'on soit instruit ; 6+6 a
850 On saura les cheminspar je l'ai conduit. 6+6 a
Pour rendre sa puissanceet la vôtre odieuses, 6+6 b
J'avouerai les rumeursles plus injurieuses : 6+6 b
Je confesserai tout,exils, assassinats, 6+6 a
Poison même
Burrhus
Madame,ils ne vous croiront pas. 6+6 a
855 Ils sauront récuserl'injuste stratagème 6+6 b
D'un témoin irritéqui s'accuse lui-même. 6+6 b
Pour moi, qui le premiersecondai vos desseins, 6+6 a
Qui fis même jurerl'armée entre ses mains, 6+6 a
Je ne me repens pointde ce zèle sincère. 6+6 b
860 Madame, c'est un filsqui succède à son père. 6+6 b
En adoptant Néron,Claudius par son choix 6+6 a
De son fils et du vôtrea confondu les droits. 6+6 a
Rome l'a pu choisir.Ainsi, sans être injuste, 6+6 b
Elle choisit Tibèreadopté par Auguste ; 6+6 b
865 Et le jeune Agrippa,de son sang descendu, 6+6 a
Se vit exclu du rangvainement prétendu. 6+6 a
Sur tant de fondementssa puissance établie 6+6 b
Par vous-même aujourd'huine peut être affaiblie : 6+6 b
Et s'il m'écoute encor,Madame, sa bonté 6+6 a
870 Vous en fera bientôtperdre la volonté. 6+6 a
J'ai commencé, je vaispoursuivre mon ouvrage. 6+6 b
Scène IV
Agrippine, Albine.
Albine
Dans quel emportementla douleur vous engage, 6+6 b
Madame ! L'empereurpuisse-t-il l'ignorer ! 6+6 a
Agrippine
Ah ! lui-même à mes yeuxpuisse-t-il se montrer ! 6+6 a
Albine
875 Madame, au nom des dieux,cachez votre colère. 6+6 b
Quoi ? pour les intérêtsde la sœur ou du frère, 6+6 b
Faut-il sacrifierle repos de vos jours ? 6+6 a
Contraindrez-vous Césarjusque dans ses amours ? 6+6 a
Agrippine
Quoi ? tu ne vois donc pasjusqu' l'on me ravale, 6+6 b
880 Albine ? C'est à moiqu'on donne une rivale. 6+6 b
Bientôt, si je ne rompsce funeste lien, 6+6 a
Ma place est occupéeet je ne suis plus rien. 6+6 a
Jusqu'ici d'un vain titreOctavie honorée, 6+6 b
Inutile à la cour,en était ignorée. 6+6 b
885 Les grâces, les honneurs,par moi seule versés, 6+6 a
M'attiraient des mortelsles vœux intéressés. 6+6 a
Une autre de Césara surpris la tendresse : 6+6 b
Elle aura le pouvoird'épouse et de mtresse, 6+6 b
Le fruit de tant de soins,la pompe des Césars, 6+6 a
890 Tout deviendra le prixd'un seul de ses regards. 6+6 a
Que dis-je ? l'on m'évite,et déjà délaissée 6+6 b
Ah ! je ne puis, Albine,en souffrir la pensée. 6+6 b
Quand je devrais du cielhâter l'arrêt fatal, 6+6 a
Néron, l'ingrat NéronMais voici son rival. 6+6 a
Scène V
Britannicus, Agrippine, Narcisse, Albine.
Britannicus
895 Nos ennemis communsne sont pas invincibles, 6+6 b
Madame, nos malheurstrouvent des cœurs sensibles. 6+6 b
Vos amis et les miens,jusqu'alors si secrets, 6+6 a
Tandis que nous perdionsle temps en vains regrets, 6+6 a
Animés du courrouxqu'allume l'injustice, 6+6 b
900 Viennent de confierleur douleur à Narcisse. 6+6 b
Néron n'est pas encortranquille possesseur 6+6 a
De l'ingrate qu'il aimeau mépris de ma sœur. 6+6 a
Si vous êtes toujourssensible à son injure, 6+6 b
On peut dans son devoirramener le parjure. 6+6 b
905 La moitié du sénats'intéresse pour nous : 6+6 a
Sylla, Pison, Plautus…
Agrippine
Prince, que dites-vous ? 6+6 a
Sylla, Pison, Plautus !les chefs de la noblesse ! 6+6 b
Britannicus
Madame, je vois bienque ce discours vous blesse ; 6+6 b
Et que votre courroux,tremblant, irrésolu, 6+6 a
910 Craint déjà d'obtenirtout ce qu'il a voulu. 6+6 a
Non, vous avez trop bienétabli ma disgrâce : 6+6 b
D'aucun ami pour moine redoutez l'audace. 6+6 b
Il ne m'en reste plus,et vos soins trop prudents 6+6 a
Les ont tous écartésou séduits dès longtemps. 6+6 a
Agrippine
915 Seigneur, à vos souonsdonnez moins de créance : 6+6 b
Notre salut dépendde notre intelligence. 6+6 b
J'ai promis, il suffit.Malgré vos ennemis, 6+6 a
Je ne révoque riende ce que j'ai promis. 6+6 a
Le coupable Néronfuit en vain ma colère : 6+6 b
920 Tôt ou tard il faudraqu'il entende sa mère. 6+6 b
J'essaierai tour à tourla force et la douceur, 6+6 a
Ou moi-même, avec moiconduisant votre sœur, 6+6 a
J'irai semer partoutma crainte et ses alarmes, 6+6 b
Et ranger tous les cœursdu parti de ses larmes. 6+6 b
925 Adieu. J'assiégeraiNéron de toutes parts. 6+6 a
Vous, si vous m'en croyez,évitez ses regards. 6+6 a
Scène VI
Britannicus, Narcisse.
Britannicus
Ne m'as-tu point flattéd'une fausse espérance ? 6+6 b
Puis-je sur ton récitfonder quelque assurance, 6+6 b
Narcisse ?
Narcisse
Oui. Mais, Seigneur,ce n'est pas en ces lieux 6+6 a
930 Qu'il faut développerce mystère à vos yeux. 6+6 a
Sortons. Qu'attendez-vous ?
Britannicus
Ce que j'attends, Narcisse ? 6+6 b
Hélas !
Narcisse
Expliquez-vous.
Britannicus
Si par ton artifice, 6+6 b
Je pouvais revoir…
Narcisse
Qui ?
Britannicus
J'en rougis. Mais enfin 6+6 a
D'un cœur moins agitéj'attendrais mon destin. 6+6 a
Narcisse
935 Après tous mes discours,vous la croyez fidèle ? 6+6 b
Britannicus
Non, je la crois, Narcisse,ingrate, criminelle, 6+6 b
Digne de mon courroux ;mais je sens, malgré moi, 6+6 a
Que je ne le crois pasautant que je le doi. 6+6 a
Dans ses égarementsmon cœur opiniâtre 6+6 b
940 Lui prête des raisons,l'excuse, l'idolâtre. 6+6 b
Je voudrais vaincre enfinmon incrédulité, 6+6 a
Je la voudrais haïravec tranquillité. 6+6 a
Et qui croira qu'un cœursi grand en apparence, 6+6 b
D'une infidèle courennemi dès l'enfance, 6+6 b
945 Renonce à tant de gloire,et dès le premier jour 6+6 a
Trame une perfidieinouïe à la cour ? 6+6 a
Narcisse
Et qui sait si l'ingrate,en sa longue retraite, 6+6 b
N'a point de l'empereurmédité la défaite ? 6+6 b
Trop sûre que ses yeuxne pouvaient se cacher, 6+6 a
950 Peut-être elle fuyaitpour se faire chercher, 6+6 a
Pour exciter Néronpar la gloire pénible 6+6 b
De vaincre une fiertéjusqu'alors invincible. 6+6 b
Britannicus
Je ne la puis donc voir ?
Narcisse
Seigneur, en ce moment 6+6 a
Elle reçoit les vœuxde son nouvel amant. 6+6 a
Britannicus
955 Eh bien ! Narcisse, allons.Mais que vois-je ? C'est elle. 6+6 b
Narcisse
(à part)
Ah ! dieux ! A l'empereurportons cette nouvelle. 6+6 b
Scène VII
Britannicus, Junie.
Junie
Retirez-vous, Seigneur,et fuyez un courroux 6+6 a
Que ma persévéranceallume contre vous. 6+6 a
Néron est irrité.Je me suis échappée 6+6 b
960 Tandis qu'à l'arrêtersa mère est occupée. 6+6 b
Adieu ; réservez-vous,sans blesser mon amour, 6+6 a
Au plaisir de me voirjustifier un jour ; 6+6 a
Votre image sans cesseest présente à mon âme : 6+6 b
Rien ne l'en peut bannir.
Britannicus
Je vous entends, Madame ; 6+6 b
965 Vous voulez que ma fuiteassure vos désirs, 6+6 a
Que je laisse un champ libreà vos nouveaux soupirs. 6+6 a
Sans doute, en me voyant,une pudeur secrète 6+6 b
Ne vous laisse gterqu'une joie inquiète. 6+6 b
Hé bien ! il faut partir.
Junie
Seigneur, sans m'imputer 6+6 a
Britannicus
970 Ah ! vous deviez du moinsplus longtemps disputer. 6+6 a
Je ne murmure pointqu'une amitié commune 6+6 b
Se range du partique flatte la fortune ; 6+6 b
Que l'éclat d'un empireait pu vous éblouir ; 6+6 a
Qu'aux dépens de ma sœurvous en vouliez jouir ; 6+6 a
975 Mais que de ces grandeurscomme une autre occupée 6+6 b
Vous m'en ayez parusi longtemps détrompée, 6+6 b
Non, je l'avoue encor,mon cœur désespéré 6+6 a
Contre ce seul malheurn'était point préparé. 6+6 a
J'ai vu sur ma ruineélever l'injustice ; 6+6 b
980 De mes persécuteursj'ai vu le ciel complice ; 6+6 b
Tant d'horreurs n'avaient pointépuisé son courroux, 6+6 a
Madame ; il me restaitd'être oublié de vous. 6+6 a
Junie
Dans un temps plus heureuxma juste impatience 6+6 b
Vous ferait repentirde votre défiance. 6+6 b
985 Mais Néron vous menace :en ce pressant danger, 6+6 a
Seigneur, j'ai d'autres soinsque de vous affliger. 6+6 a
Allez, rassurez-vouset cessez de vous plaindre : 6+6 b
Néron nous écoutait,et m'ordonnait de feindre. 6+6 b
Britannicus
Quoi ? le cruel…
Junie
Témoinde tout notre entretien, 6+6 a
990 D'un visage sévèreexaminait le mien, 6+6 a
Prêt à faire sur vouséclater la vengeance 6+6 b
D'un geste confidentde notre intelligence. 6+6 b
Britannicus
Néron nous écoutait,Madame ! mais, hélas ! 6+6 a
Vos yeux auraient pu feindreet ne m'abuser pas ; 6+6 a
995 Ils pouvaient me nommerl'auteur de cet outrage. 6+6 b
L'amour est-il muet,ou n'a-t-il qu'un langage ? 6+6 b
De quel trouble un regardpouvait me préserver ! 6+6 a
Il fallait…
Junie
Il fallaitme taire et vous sauver. 6+6 a
Combien de fois, hélas !puisqu'il faut vous le dire, 6+6 b
1000 Mon cœur de son désordreallait-il vous instruire ? 6+6 b
De combien de soupirsinterrompant le cours 6+6 a
Ai-je évité vos yeuxque je cherchais toujours ? 6+6 a
Quel tourment de se taireen voyant ce qu'on aime, 6+6 b
De l'entendre gémir,de l'affliger soi-même, 6+6 b
1005 Lorsque par un regardon peut le consoler ! 6+6 a
Mais quels pleurs ce regardaurait-il fait couler ! 6+6 a
Ah ! dans ce souvenir,inquiète, troublée, 6+6 b
Je ne me sentais pasassez dissimulée. 6+6 b
De mon front effrayéje craignais la pâleur, 6+6 a
1010 Je trouvais mes regardstrop pleins de ma douleur. 6+6 a
Sans cesse il me semblaitque Néron en colère 6+6 b
Me venait reprochertrop de soin de vous plaire, 6+6 b
Je craignais mon amourvainement renfermé, 6+6 a
Enfin, j'aurais voulun'avoir jamais aimé. 6+6 a
1015 Hélas ! pour son bonheur,Seigneur, et pour le nôtre, 6+6 b
Il n'est que trop instruitde mon cœur et du vôtre ! 6+6 b
Allez, encore un coup,cachez-vous à ses yeux : 6+6 a
Mon cœur plus à loisirvous éclaircira mieux. 6+6 a
De mille autres secretsj'aurais compte à vous rendre. 6+6 b
Britannicus
1020 Ah ! n'en voilà que trop.C'est trop me faire entendre, 6+6 b
Madame, mon bonheur,mon crime, vos bontés. 6+6 a
Et savez-vous pour moitout ce que vous quittez ? 6+6 a
(Se jetant aux pieds de Junie)
Quand pourrai-je à vos piedsexpier ce reproche ? 6+6 b
Junie
Que faites-vous ? Hélas !votre rival s'approche. 6+6 b
Scène VIII
Néron, Britannicus, Junie.
Néron
1025 Prince, continuezdes transports si charmants. 6+6 a
Je conçois vos bontéspar ses remerciements, 6+6 a
Madame. A vos genouxje viens de le surprendre, 6+6 b
Mais il aurait aussiquelque grâce à me rendre : 6+6 b
Ce lieu le favorise,et je vous y retiens 6+6 a
1030 Pour lui faciliterde si doux entretiens. 6+6 a
Britannicus
Je puis mettre à ses piedsma douleur ou ma joie 6+6 b
Partout sa bontéconsent que je la voie ; 6+6 b
Et l'aspect de ces lieux vous la retenez 6+6 a
N'a rien dont mes regardsdoivent être étonnés. 6+6 a
Néron
1035 Et que vous montrent-ilsqui ne vous avertisse 6+6 b
Qu'il faut qu'on me respecteet que l'on m'obéisse ? 6+6 b
Britannicus
Ils ne nous ont pas vusl'un et l'autre élever, 6+6 a
Moi pour vous obéiret vous pour me braver, 6+6 a
Et ne s'attendaient pas,lorsqu'ils nous virent ntre, 6+6 b
1040 Qu'un jour Domitiusme dût parler en mtre. 6+6 b
Néron
Ainsi par le destinnos vœux sont traversés : 6+6 a
J'obéissais alors,et vous obéissez. 6+6 a
Si vous n'avez apprisà vous laisser conduire, 6+6 b
Vous êtes jeune encore,et l'on peut vous instruire. 6+6 b
Britannicus
Et qui m'en instruira ?
Néron
1045 Tout l'empire à la fois, 6+6 a
Rome.
Britannicus
Rome met-elleau nombre de vos droits 6+6 a
Tout ce qu'a de cruell'injustice et la force, 6+6 b
Les emprisonnements,le rapt et le divorce ? 6+6 b
Néron
Rome ne porte pointses regards curieux 6+6 a
1050 Jusque dans des secretsque je cache à ses yeux. 6+6 a
Imitez son respect.
Britannicus
On sait ce qu'elle en pense. 6+6 b
Néron
Elle se tait du moins :imitez son silence. 6+6 b
Britannicus
Ainsi Néron commenceà ne plus se forcer. 6+6 a
Néron
Néron de vos discourscommence à se lasser. 6+6 a
Britannicus
1055 Chacun devait bénirle bonheur de son règne. 6+6 b
Néron
Heureux ou malheureux,il suffit qu'on me craigne. 6+6 b
Britannicus
Je connais mal Junieou de tels sentiments 6+6 a
Ne mériteront passes applaudissements. 6+6 a
Néron
Du moins, si je ne saisle secret de lui plaire, 6+6 b
1060 Je sais l'art de punirun rival téméraire. 6+6 b
Britannicus
Pour moi, quelque périlqui me puisse accabler, 6+6 a
Sa seule inimitiépeut me faire trembler. 6+6 a
Néron
Souhaitez-la, c'est toutce que je vous puis dire. 6+6 b
Britannicus
Le bonheur de lui plaireest le seul j'aspire. 6+6 b
Néron
1065 Elle vous l'a promis,vous lui plairez toujours. 6+6 a
Britannicus
Je ne sais pas du moinsépier ses discours. 6+6 a
Je la laisse expliquersur tout ce qui me touche, 6+6 b
Et ne me cache pointpour lui fermer la bouche. 6+6 b
Néron
Je vous entends. Eh bien,gardes !
Junie
Que faites-vous ? 6+6 a
1070 C'est votre frère. Hélas !C'est un amant jaloux ; 6+6 a
Seigneur, mille malheurspersécutent sa vie. 6+6 b
Ah ! son bonheur peut-ilexciter votre envie ? 6+6 b
Souffrez que de vos cœursrapprochant les liens, 6+6 a
Je me cache à vos yeuxet me dérobe aux siens ; 6+6 a
1075 Ma fuite arrêteravos discordes fatales, 6+6 b
Seigneur, j'irai remplirle nombre des vestales. 6+6 b
Ne lui disputez plusmes vœux infortunés, 6+6 a
Souffrez que les dieux seulsen soient importunés. 6+6 a
Néron
L'entreprise, Madame,est étrange et soudaine. 6+6 b
1080 Dans son appartement,gardes, qu'on la ramène. 6+6 b
Gardez Britannicusdans celui de sa sœur. 6+6 a
Britannicus
C'est ainsi que Néronsait disputer un cœur. 6+6 a
Junie
Prince, sans l'irriter,cédons à cet orage. 6+6 b
Néron
Gardes, obéissezsans tarder davantage. 6+6 b
Scène IX
Néron, Burrhus.
Burrhus
Que vois-je ? O ciel !
Néron, sans voir Burrhus.
1085 Ainsileurs feux sont redoublés. 6+6 a
Je reconnais la mainqui les a rassemblés. 6+6 a
Agrippine ne s'estprésentée à ma vue, 6+6 b
Ne s'est dans ses discourssi longtemps étendue, 6+6 b
Que pour faire jouerce ressort odieux. 6+6 a
1090 Qu'on sache si ma mèreest encore en ces lieux. 6+6 a
(apercevant Burrhus)
Burrhus, dans ce palaisje veux qu'on la retienne, 6+6 b
Et qu'au lieu de sa gardeon lui donne la mienne. 6+6 b
Burrhus
Quoi, Seigneur ? sans l'ouïr ?Une mère ?
Néron
Arrêtez. 6+6 a
J'ignore quel projet,Burrhus, vous méditez, 6+6 a
1095 Mais depuis quelques jourstout ce que je désire 6+6 b
Trouve en vous un censeurprêt à me contredire. 6+6 b
Répondez-m'en, vous dis-je ;ou sur votre refus 6+6 a
D'autres me répondrontet d'elle et de Burrhus. 6+6 a
Acte IV
Scène première
Agrippine, Burrhus.
Burrhus
Oui, Madame, à loisirvous pourrez vous défendre : 6+6 b
1100 César lui-même iciconsent de vous entendre. 6+6 b
Si son ordre au palaisvous a fait retenir, 6+6 a
C'est peut-être à desseinde vous entretenir. 6+6 a
Quoi qu'il en soit, si j'oseexpliquer ma pensée, 6+6 b
Ne vous souvenez plusqu'il vous ait offensée : 6+6 b
1105 Préparez-vous plutôtà lui tendre les bras ; 6+6 a
Défendez-vous, Madame,et ne l'accusez pas. 6+6 a
Vous voyez, c'est lui seulque la cour envisage. 6+6 b
Quoiqu'il soit votre fils,et même votre ouvrage, 6+6 b
Il est votre empereur.Vous êtes, comme nous, 6+6 a
1110 Sujette à ce pouvoirqu'il a reçu de vous. 6+6 a
Selon qu'il vous menace,ou bien qu'il vous caresse, 6+6 b
La cour autour de vousou s'écarte ou s'empresse. 6+6 b
C'est son appui qu'on chercheen cherchant votre appui. 6+6 a
Mais voici l'empereur.
Agrippine
Qu'on me laisse avec lui. 6+6 a
Scène II
Néron, Agrippine.
Agrippine
(s'asseyant)
1115 Approchez-vous, Néron,et prenez votre place. 6+6 b
On veut sur vos souonsque je vous satisfasse. 6+6 b
J'ignore de quel crimeon a pu me noircir : 6+6 a
De tous ceux que j'ai faitsje vais vous éclaircir. 6+6 a
Vous régnez : vous savezcombien votre naissance 6+6 b
1120 Entre l'empire et vousavait mis de distance. 6+6 b
Les droits de mes aïeux,que Rome a consacrés, 6+6 a
Étaient même sans moid'inutiles degrés. 6+6 a
Quand de Britannicusla mère condamnée 6+6 b
Laissa de Claudiusdisputer l'hyménée, 6+6 b
1125 Parmi tant de beautésqui briguèrent son choix, 6+6 a
Qui de ses affranchismendièrent les voix, 6+6 a
Je souhaitai son lit,dans la seule pensée 6+6 b
De vous laisser au trône je serais placée. 6+6 b
Je fléchis mon orgueil,j'allai prier Pallas. 6+6 a
1130 Son mtre, chaque jourcaressé dans mes bras, 6+6 a
Prit insensiblementdans les yeux de sa nièce 6+6 b
L'amour je voulaisamener sa tendresse. 6+6 b
Mais ce lien du sangqui nous joignait tous deux 6+6 a
Écartait Claudiusd'un lit incestueux ; 6+6 a
1135 Il n'osait épouserla fille de son frère. 6+6 b
Le sénat fut séduit :une loi moins sévère 6+6 b
Mit Claude dans mon lit,et Rome à mes genoux. 6+6 a
C'était beaucoup pour moi,ce n'était rien pour vous. 6+6 a
Je vous fis sur mes pasentrer dans sa famille : 6+6 b
1140 Je vous nommai son gendre,et vous donnai sa fille ; 6+6 b
Silanus, qui l'aimait,s'en vit abandonné 6+6 a
Et marqua de son sangce jour infortuné. 6+6 a
Ce n'était rien encore.Eussiez-vous pu prétendre 6+6 b
Qu'un jour Claude à son filspût préférer son gendre ? 6+6 b
1145 De ce même Pallasj'implorai le secours : 6+6 a
Claude vous adopta,vaincu par ses discours, 6+6 a
Vous appela Néron,et du pouvoir suprême 6+6 b
Voulut, avant le temps,vous faire part lui-même. 6+6 b
C'est alors que chacun,rappelant le passé, 6+6 a
1150 Découvrit mon desseindéjà trop avancé, 6+6 a
Que de Britannicusla disgrâce future 6+6 b
Des amis de son pèreexcita le murmure. 6+6 b
Mes promesses aux unséblouirent les yeux ; 6+6 a
L'exil me délivrades plus séditieux ; 6+6 a
1155 Claude même, lasséde ma plainte éternelle, 6+6 b
Éloigna de son filstous ceux de qui le zèle, 6+6 b
Engagé dès longtempsà suivre son destin, 6+6 a
Pouvait du trône encorlui rouvrir le chemin. 6+6 a
Je fis plus : je choisismoi-même dans ma suite 6+6 b
1160 Ceux à qui je voulaisqu'on livrât sa conduite ; 6+6 b
J'eus soin de vous nommer,par un contraire choix, 6+6 a
Des gouverneurs que Romehonorait de sa voix ; 6+6 a
Je fus sourde à la brigue,et crus la renommée : 6+6 b
J'appelai de l'exil,je tirai de l'armée, 6+6 b
1165 Et ce même Sénèque,et ce même Burrhus, 6+6 a
Qui depuis… Rome alorsestimait leurs vertus. 6+6 a
De Claude en même tempsépuisant les richesses, 6+6 b
Ma main, sous votre nom,répandait ses largesses. 6+6 b
Les spectacles, les dons,invincibles appas, 6+6 a
1170 Vous attiraient les cœursdu peuple et des soldats, 6+6 a
Qui d'ailleurs, réveillantleur tendresse première, 6+6 b
Favorisaient en vousGermanicus mon père. 6+6 b
Cependant Claudiuspenchait vers son déclin. 6+6 a
Ses yeux, longtemps fermés,s'ouvrirent à la fin : 6+6 a
1175 Il connut son erreur.Occupé de sa crainte, 6+6 b
Il laissa pour son filséchapper quelque plainte, 6+6 b
Et voulut, mais trop tard,assembler ses amis. 6+6 a
Ses gardes, son palais,son lit m'étaient soumis. 6+6 a
Je lui laissai sans fruitconsumer sa tendresse ; 6+6 b
1180 De ses derniers soupirsje me rendis mtresse : 6+6 b
Mes soins, en apparence,épargnant ses douleurs, 6+6 a
De son fils, en mourant,lui cachèrent les pleurs. 6+6 a
Il mourut. Mille bruitsen courent à ma honte. 6+6 b
J'arrêtai de sa mortla nouvelle trop prompte, 6+6 b
1185 Et tandis que Burrhusallait secrètement 6+6 a
De l'armée en vos mainsexiger le serment, 6+6 a
Que vous marchiez au camp,conduit sous mes auspices, 6+6 b
Dans Rome les autelsfumaient de sacrifices : 6+6 b
Par mes ordres trompeurstout le peuple excité 6+6 a
1190 Du prince déjà mortdemandait la santé. 6+6 a
Enfin des légionsl'entière obéissance 6+6 b
Ayant de votre empireaffermi la puissance, 6+6 b
On vit Claude, et le peuple,étonné de son sort, 6+6 a
Apprit en même tempsvotre règne et sa mort. 6+6 a
1195 C'est le sincère aveuque je voulais vous faire. 6+6 b
Voilà tous mes forfaits.En voici le salaire. 6+6 b
Du fruit de tant de soinsà peine jouissant 6+6 a
En avez-vous six moisparu reconnaissant, 6+6 a
Que lassé d'un respectqui vous gênait peut-être, 6+6 b
1200 Vous avez affectéde ne me plus conntre. 6+6 b
J'ai vu Burrhus, Sénèque,aigrissant vos souons, 6+6 a
De l'infidélitévous tracer des leçons, 6+6 a
Ravis d'être vaincusdans leur propre science. 6+6 b
J'ai vu favorisésde votre confiance 6+6 b
1205 Othon, Sénécion,jeunes voluptueux, 6+6 a
Et de tous vos plaisirsflatteurs respectueux ; 6+6 a
Et lorsque vos méprisexcitant mes murmures, 6+6 b
Je vous ai demandéraison de tant d'injures, 6+6 b
Seul recours d'un ingratqui se voit confondu, 6+6 a
1210 Par de nouveaux affrontsvous m'avez répondu. 6+6 a
Aujourd'hui je prometsJunie à votre frère, 6+6 b
Ils se flattent tous deuxdu choix de votre mère : 6+6 b
Que faites-vous ? Junie,enlevée à la cour, 6+6 a
Devient en une nuitl'objet de votre amour ; 6+6 a
1215 Je vois de votre cœurOctavie effacée, 6+6 b
Prête à sortir du lit je l'avais placée ; 6+6 b
Je vois Pallas banni,votre frère arrêté ; 6+6 a
Vous attentez enfinjusqu'à ma liberté : 6+6 a
Burrhus ose sur moiporter ses mains hardies. 6+6 b
1220 Et lorsque, convaincude tant de perfidies, 6+6 b
Vous deviez ne me voirque pour les expier, 6+6 a
C'est vous qui m'ordonnezde me justifier. 6+6 a
Néron
Je me souviens toujoursque je vous dois l'empire, 6+6 b
Et sans vous fatiguerdu soin de le redire, 6+6 b
1225 Votre bonté, Madame,avec tranquillité 6+6 a
Pouvait se reposersur ma fidélité. 6+6 a
Aussi bien ces souons,ces plaintes assidues, 6+6 b
Ont fait croire à tous ceuxqui les ont entendues 6+6 b
Que jadis (j'ose icivous le dire entre nous) 6+6 a
1230 Vous n'aviez, sous mon nom,travaillé que pour vous. 6+6 a
Tant d'honneurs, disaient-ils, et tant de déférences, 6+6 b
Sont-ce de ses bienfaitsde faibles récompenses ? 6+6 b
Quel crime a donc commisce fils tant condamné ? 6+6 a
Est-ce pour obéirqu'elle l'a couronné ? 6+6 a
1235 N'est-il de son pouvoirque le dépositaire ? 6+6 b
Non que, si jusque-làj'avais pu vous complaire, 6+6 b
Je n'eusse pris plaisir,Madame, à vous céder 6+6 a
Ce pouvoir que vos crissemblaient redemander ; 6+6 a
Mais Rome veut un mtre,et non une mtresse. 6+6 b
1240 Vous entendiez les bruitsqu'excitait ma faiblesse. 6+6 b
Le sénat chaque jouret le peuple, irrités 6+6 a
De s'ouïr par ma voixdicter vos volontés, 6+6 a
Publiaient qu'en mourantClaude avec sa puissance 6+6 b
M'avait encor laissésa simple obéissance. 6+6 b
1245 Vous avez vu cent foisnos soldats en courroux 6+6 a
Porter en murmurantleurs aigles devant vous, 6+6 a
Honteux de rabaisserpar cet indigne usage 6+6 b
Les héros dont encoreelles portent l'image. 6+6 b
Toute autre se seraitrendue à leurs discours, 6+6 a
1250 Mais si vous ne régnez,vous vous plaignez toujours. 6+6 a
Avec Britannicuscontre moi réunie, 6+6 b
Vous le fortifiezdu parti de Junie, 6+6 b
Et la main de Pallastrame tous ces complots. 6+6 a
Et lorsque malgré moij'assure mon repos, 6+6 a
1255 On vous voit de colèreet de haine animée. 6+6 b
Vous voulez présentermon rival à l'armée : 6+6 b
Déjà jusques au cample bruit en a couru. 6+6 a
Agrippine
Moi, le faire empereur ?Ingrat ! l'avez-vous cru ? 6+6 a
Quel serait mon dessein ?qu'aurais-je pu prétendre ? 6+6 b
1260 Quels honneurs dans sa cour,quel rang pourrais-je attendre ? 6+6 b
Ah ! si sous votre empireon ne m'épargne pas, 6+6 a
Si mes accusateursobservent tous mes pas, 6+6 a
Si de leur empereurils poursuivent la mère, 6+6 b
Que ferais-je au milieud'une cour étrangère ? 6+6 b
1265 Ils me reprocheraient,non des cris impuissants, 6+6 a
Des desseins étouffésaussitôt que naissants, 6+6 a
Mais des crimes pour vouscommis à votre vue, 6+6 b
Et dont je ne seraisque trop tôt convaincue. 6+6 b
Vous ne me trompez point,je vois tous vos détours : 6+6 a
1270 Vous êtes un ingrat,vous le fûtes toujours. 6+6 a
Dès vos plus jeunes ans,mes soins et mes tendresses 6+6 b
N'ont arraché de vousque de feintes caresses. 6+6 b
Rien ne vous a pu vaincre,et votre dureté 6+6 a
Aurait dû dans son coursarrêter ma bonté. 6+6 a
1275 Que je suis malheureuse !Et par quelle infortune 6+6 b
Faut-il que tous mes soinsme rendent importune ? 6+6 b
Je n'ai qu'un fils. O ciel,qui m'entends aujourd'hui, 6+6 a
T'ai-je fait quelques vœuxqui ne fussent pour lui ? 6+6 a
Remords, crainte, périls,rien ne m'a retenue ; 6+6 b
1280 J'ai vaincu ses mépris ;j'ai détourné ma vue 6+6 b
Des malheurs qui dès lorsme furent annoncés ; 6+6 a
J'ai fait ce que j'ai pu :vous régnez, c'est assez. 6+6 a
Avec ma libertéque vous m'avez ravie, 6+6 b
Si vous le souhaitezprenez encor ma vie, 6+6 b
1285 Pourvu que par ma morttout le peuple irrité 6+6 a
Ne vous ravisse pasce qui m'a tant cté. 6+6 a
Néron
Eh bien donc ! prononcez.Que voulez-vous qu'on fasse ? 6+6 b
Agrippine
De mes accusateursqu'on punisse l'audace ; 6+6 b
Que de Britannicuson calme le courroux ; 6+6 a
1290 Que Junie à son choixpuisse prendre un époux ; 6+6 a
Qu'ils soient libres tous deux,et que Pallas demeure ; 6+6 b
Que vous me permettiezde vous voir À toute heure ; 6+6 b
(Apercevant Burrhus dans le fond du théâtre)
Que ce même Burrhus,qui nous vient écouter, 6+6 a
A votre porte enfinn'ose plus m'arrêter. 6+6 a
Néron
1295 Oui, Madame, je veuxque ma reconnaissance 6+6 b
Désormais dans les cœursgrave votre puissance, 6+6 b
Et je bénis déjàcette heureuse froideur, 6+6 a
Qui de notre amitiéva rallumer l'ardeur. 6+6 a
Quoi que Pallas ait fait,il suffit, je l'oublie, 6+6 b
1300 Avec Britannicusje me réconcilie, 6+6 b
Et quant à cet amourqui nous a séparés, 6+6 a
Je vous fais notre arbitre,et vous nous jugerez. 6+6 a
Allez donc, et portezcette joie à mon frère. 6+6 b
Gardes, qu'on obéisseaux ordres de ma mère. 6+6 b
Scène III
Néron, Burrhus.
Burrhus
1305 Que cette paix, Seigneur,et ces embrassements 6+6 a
Vont offrir à mes yeuxdes spectacles charmants ! 6+6 a
Vous savez si jamaisma voix lui fut contraire, 6+6 b
Si de son amitiéj'ai voulu vous distraire, 6+6 b
Et si j'ai méritécet injuste courroux. 6+6 a
Néron
1310 Je ne vous flatte point,je me plaignais de vous, 6+6 a
Burrhus : je vous ai crustous deux d'intelligence, 6+6 b
Mais son inimitiévous rend ma confiance. 6+6 b
Elle se hâte trop,Burrhus, de triompher : 6+6 a
J'embrasse mon rival,mais c'est pour l'étouffer. 6+6 a
Burrhus
Quoi, Seigneur ?
Néron
1315 C'en est trop :il faut que sa ruine 6+6 b
Me délivre à jamaisdes fureurs d'Agrippine. 6+6 b
Tant qu'il respireraje ne vis qu'à demi. 6+6 a
Elle m'a fatiguéde ce nom ennemi ; 6+6 a
Et je ne prétends pasque sa coupable audace 6+6 b
1320 Une seconde foislui promette ma place. 6+6 b
Burrhus
Elle va donc bientôtpleurer Britannicus ? 6+6 a
Néron
Avant la fin du jourje ne le craindrai plus. 6+6 a
Burrhus
Et qui de ce desseinvous inspire l'envie ? 6+6 b
Néron
Ma gloire, mon amour,ma sûreté, ma vie. 6+6 b
Burrhus
1325 Non, quoi que vous disiez,cet horrible dessein 6+6 a
Ne fut jamais, Seigneur,conçu dans votre sein. 6+6 a
Néron
Burrhus !
Burrhus
De votre bouche,ô ciel ! puis-je l'apprendre ? 6+6 b
Vous-même sans frémiravez-vous pu l'entendre ? 6+6 b
Songez-vous dans quel sangvous allez vous baigner ? 6+6 a
1330 Néron dans tous les cœursest-il las de régner ? 6+6 a
Que dira-t-on de vous ?Quelle est votre pensée ? 6+6 b
Néron
Quoi ? toujours enchnéde ma gloire passée, 6+6 b
J'aurai devant les yeuxje ne sais quel amour 6+6 a
Que le hasard nous donneet nous ôte en un jour ? 6+6 a
1335 Soumis à tous leurs vœux,à mes désirs contraire, 6+6 b
Suis-je leur empereurseulement pour leur plaire ? 6+6 b
Burrhus
Et ne suffit-il pas,Seigneur, à vos souhaits 6+6 a
Que le bonheur publicsoit un de vos bienfaits ? 6+6 a
C'est à vous à choisir,vous êtes encor mtre. 6+6 b
1340 Vertueux jusqu'ici,vous pouvez toujours l'être : 6+6 b
Le chemin est tracé,rien ne vous retient plus ; 6+6 a
Vous n'avez qu'à marcherde vertus en vertus. 6+6 a
Mais si de vos flatteursvous suivez la maxime, 6+6 b
Il vous faudra, Seigneur,courir de crime en crime, 6+6 b
1345 Soutenir vos rigueurspar d'autres cruautés, 6+6 a
Et laver dans le sangvos bras ensanglantés. 6+6 a
Britannicus mourantexcitera le zèle 6+6 b
De ses amis, tout prêtsà prendre sa querelle. 6+6 b
Ces vengeurs trouverontde nouveaux défenseurs, 6+6 a
1350 Qui, même après leur mort,auront des successeurs. 6+6 a
Vous allumez un feuqui ne pourra s'éteindre. 6+6 b
Craint de tout l'univers,il vous faudra tout craindre, 6+6 b
Toujours punir, toujourstrembler dans vos projets, 6+6 a
Et pour vos ennemiscompter tous vos sujets. 6+6 a
1355 Ah ! de vos premiers ansl'heureuse expérience 6+6 b
Vous fait-elle, Seigneur,haïr votre innocence ? 6+6 b
Songez-vous au bonheurqui les a signalés ? 6+6 a
Dans quel repos, ô ciel !les avez-vous coulés ! 6+6 a
Quel plaisir de penseret de dire en vous-même : 6+6 b
1360 Partout, en ce moment,on me bénit, on m'aime ; 6+6 b
On ne voit point le peupleà mon nom s'alarmer ; 6+6 a
Le ciel dans tous leurs pleursne m'entend point nommer ; 6+6 a
Leur sombre inimitiéne fuit point mon visage ; 6+6 b
Je vois voler partoutles cœurs à mon passage ! 6+6 b
1365 Tels étaient vos plaisirs.Quel changement, ô dieux ! 6+6 a
Le sang le plus abjectvous était précieux. 6+6 a
Un jour, il m'en souvient,le sénat équitable 6+6 b
Vous pressait de souscrireà la mort d'un coupable ; 6+6 b
Vous résistiez, Seigneur,à leur sévérité : 6+6 a
1370 Votre cœur s'accusaitde trop de cruauté, 6+6 a
Et plaignant les malheursattachés à l'empire : 6+6 b
« Je voudrais, disiez-vous,ne savoir pas écrire ». 6+6 b
Non, ou vous me croirez,ou bien de ce malheur 6+6 a
Ma mort m'épargnerala vue et la douleur : 6+6 a
1375 On ne me verra pointsurvivre à votre gloire ; 6+6 b
Si vous allez commettreune action si noire, 6+6 b
(Se jetant aux pieds de Néron)
Me voilà prêt, Seigneur :avant que de partir, 6+6 a
Faites percer ce cœurqui n'y peut consentir ; 6+6 a
Appelez les cruelsqui vous l'ont inspirée, 6+6 b
1380 Qu'ils viennent essayerleur main mal assurée 6+6 b
Mais je vois que mes pleurstouchent mon empereur, 6+6 a
Je vois que sa vertufrémit de leur fureur. 6+6 a
Ne perdez point de temps,nommez-moi les perfides 6+6 b
Qui vous osent donnerces conseils parricides ; 6+6 b
1385 Appelez votre frère,oubliez dans ses bras… 6+6 a
Néron
Ah ! que demandez-vous ?
Burrhus
Non, il ne vous hait pas, 6+6 a
Seigneur ; on le trahit :je sais son innocence ; 6+6 b
Je vous réponds pour luide son obéissance. 6+6 b
J'y cours. Je vais presserun entretien si doux. 6+6 a
Néron
1390 Dans mon appartementqu'il m'attende avec vous. 6+6 a
Scène IV
Néron, Narcisse.
Narcisse
Seigneur, j'ai tout prévupour une mort si juste. 6+6 b
Le poison est tout prêt.La fameuse Locuste 6+6 b
A redoublé pour moises soins officieux : 6+6 a
Elle a fait expirerun esclave à mes yeux ; 6+6 a
1395 Et le fer est moins promptpour trancher une vie 6+6 b
Que le nouveau poisonque sa main me confie. 6+6 b
Néron
Narcisse, c'est assez ;je reconnais ce soin, 6+6 a
Et ne souhaite pasque vous alliez plus loin. 6+6 a
Narcisse
Quoi ? pour Britannicusvotre haine affaiblie 6+6 b
Me défend…
Néron
1400 Oui, Narcisse :on nous réconcilie. 6+6 b
Narcisse
Je me garderai biende vous en détourner, 6+6 a
Seigneur. Mais il s'est vutantôt emprisonner : 6+6 a
Cette offense en son cœursera longtemps nouvelle. 6+6 b
Il n'est point de secretsque le temps ne révèle : 6+6 b
1405 Il saura que ma mainlui devait présenter 6+6 a
Un poison que votre ordreavait fait apprêter. 6+6 a
Les dieux de ce desseinpuissent-ils le distraire ! 6+6 b
Mais peut-être il ferace que vous n'osez faire. 6+6 b
Néron
On répond de son cœur,et je vaincrai le mien. 6+6 a
Narcisse
1410 Et l'hymen de Junieen est-il le lien ? 6+6 a
Seigneur, lui faites-vousencor ce sacrifice ? 6+6 b
Néron
C'est prendre trop de soin.Quoi qu'il en soit, Narcisse, 6+6 b
Je ne le compte plusparmi mes ennemis. 6+6 a
Narcisse
Agrippine, Seigneur,se l'était bien promis : 6+6 a
1415 Elle a repris sur vousson souverain empire. 6+6 b
Néron
Quoi donc ? Qu'a-t-elle dit ?Et que voulez-vous dire ? 6+6 b
Narcisse
Elle s'en est vantéeassez publiquement. 6+6 a
Néron
De quoi ?
Narcisse
Qu'elle n'avaitqu'à vous voir un moment, 6+6 a
Qu'à tout ce grand éclat,à ce courroux funeste, 6+6 b
1420 On verrait succéderun silence modeste ; 6+6 b
Que vous-même à la paixsouscririez le premier, 6+6 a
Heureux que sa bontédaignât tout oublier. 6+6 a
Néron
Mais, Narcisse, dis-moi,que veux-tu que je fasse ? 6+6 b
Je n'ai que trop de penteà punir son audace, 6+6 b
1425 Et si je m'en croyais,ce triomphe indiscret 6+6 a
Serait bientôt suivid'un éternel regret. 6+6 a
Mais de tout l'universquel sera le langage ? 6+6 b
Sur les pas des tyransveux-tu que je m'engage, 6+6 b
Et que Rome, effaçanttant de titres d'honneur, 6+6 a
1430 Me laisse pour tous nomscelui d'empoisonneur ? 6+6 a
Ils mettront ma vengeanceau rang des parricides. 6+6 b
Narcisse
Et prenez-vous, Seigneur,leurs caprices pour guides ? 6+6 b
Avez-vous prétenduqu'ils se tairaient toujours ? 6+6 a
Est-ce à vous de prêterl'oreille à leurs discours ? 6+6 a
1435 De vos propres désirsperdrez-vous la mémoire ? 6+6 b
Et serez-vous le seulque vous n'oserez croire ? 6+6 b
Mais, Seigneur, les Romainsne vous sont pas connus. 6+6 a
Non, non, dans leurs discoursils sont plus retenus. 6+6 a
Tant de précautionaffaiblit votre règne : 6+6 b
1440 Ils croiront, en effet,mériter qu'on les craigne. 6+6 b
Au joug, depuis longtemps,ils se sont façonnés : 6+6 a
Ils adorent la mainqui les tient enchnés. 6+6 a
Vous les verrez toujoursardents à vous complaire. 6+6 b
Leur prompte servitudea fatigué Tibère. 6+6 b
1445 Moi-même, revêtud'un pouvoir emprunté, 6+6 a
Que je reçus de Claudeavec la liberté, 6+6 a
J'ai cent fois, dans le coursde ma gloire passée, 6+6 b
Tenté leur patience,et ne l'ai point lassée. 6+6 b
D'un empoisonnementvous craignez la noirceur ? 6+6 a
1450 Faites périr le frère,abandonnez la sœur ; 6+6 a
Rome, sur ses autels,prodiguant les victimes, 6+6 b
Fussent-ils innocents,leur trouvera des crimes ; 6+6 b
Vous verrez mettre au rangdes jours infortunés 6+6 a
Ceux jadis la sœuret le frère sont nés. 6+6 a
Néron
1455 Narcisse, encore un coup,je ne puis l'entreprendre. 6+6 b
J'ai promis à Burrhus,il a fallu me rendre. 6+6 b
Je ne veux point encore,en lui manquant de foi, 6+6 a
Donner à sa vertudes armes contre moi. 6+6 a
J'oppose à ses raisonsun courage inutile : 6+6 b
1460 Je ne l'écoute pointavec un cœur tranquille. 6+6 b
Narcisse
Burrhus ne pense pas,Seigneur, tout ce qu'il dit : 6+6 a
Son adroite vertuménage son crédit. 6+6 a
Ou plutôt ils n'ont tousqu'une même pensée : 6+6 b
Ils verraient par ce coupleur puissance abaissée ; 6+6 b
1465 Vous seriez libre alors,Seigneur ; et devant vous, 6+6 a
Ces mtres orgueilleuxfléchiraient comme nous. 6+6 a
Quoi donc ? ignorez-voustout ce qu'ils osent dire ? 6+6 b
Néron, s'ils en sont crus,n'est point né pour l'empire ; 6+6 b
Il ne dit, il ne faitque ce qu'on lui prescrit : 6+6 a
1470 Burrhus conduit son cœur,Sénèque son esprit. 6+6 a
Pour toute ambition,pour vertu singulière, 6+6 b
Il excelle à conduireun char dans la carrière, 6+6 b
A disputer des prixindignes de ses mains, 6+6 a
A se donner lui-mêmeen spectacle aux Romains, 6+6 a
1475 A venir prodiguersa voix sur un théâtre, 6+6 b
A réciter des chantsqu'il veut qu'on idolâtre, 6+6 b
Tandis que des soldats,de moments en moments, 6+6 a
Vont arracher pour luiles applaudissements. 6+6 a
Ah ! ne voulez-vous pasles forcer à se taire ? 6+6 b
Néron
1480 Viens, Narcisse : allons voirce que nous devons faire. 6+6 b
Acte premier
Scène première
Britannicus, Junie.
Britannicus
Oui, Madame, Néron(qui l'aurait pu penser ?) 6+6 a
Dans son appartementm'attend pour m'embrasser. 6+6 a
Il y fait de sa courinviter la jeunesse : 6+6 b
Il veut que d'un festinla pompe et l'allégresse 6+6 b
1485 Confirment à leurs yeuxla foi de nos serments, 6+6 a
Et réchauffent l'ardeurde nos embrassements. 6+6 a
Il éteint cet amour,source de tant de haine, 6+6 b
Il vous fait de mon sortarbitre souveraine. 6+6 b
Pour moi, quoique bannidu rang de mes aïeux, 6+6 a
1490 Quoique de leur dépouilleil se pare à mes yeux, 6+6 a
Depuis qu'à mon amourcessant d'être contraire 6+6 b
Il semble me céderla gloire de vous plaire, 6+6 b
Mon cœur, je l'avouerai,lui pardonne en secret, 6+6 a
Et lui laisse le resteavec moins de regret. 6+6 a
1495 Quoi ! je ne serai plusséparé de vos charmes ? 6+6 b
Quoi ! même en ce moment,je puis voir sans alarmes 6+6 b
Ces yeux que n'ont émusni soupirs ni terreur, 6+6 a
Qui m'ont sacrifiél'empire et l'empereur ! 6+6 a
Ah ! Madame… Mais quoi ?Quelle nouvelle crainte 6+6 b
1500 Tient parmi mes transportsvotre joie en contrainte ? 6+6 b
D' vient qu'en m'écoutant,vos yeux, vos tristes yeux, 6+6 a
Avec de longs regardsse tournent vers les cieux ? 6+6 a
Qu'est-ce que vous craignez ?
Junie
Je l'ignore moi-même ; 6+6 b
Mais je crains.
Britannicus
Vous m'aimez ?
Junie
Hélas ! si je vous aime ? 6+6 b
Britannicus
1505 Néron ne trouble plusnotre félicité. 6+6 a
Junie
Mais me répondez-vousde sa sincérité ? 6+6 a
Britannicus
Quoi ? vous le souonnezd'une haine couverte ? 6+6 b
Junie
Néron m'aimait tantôt,il jurait votre perte ; 6+6 b
Il me fuit, il vous cherche :un si grand changement 6+6 a
1510 Peut-il être, Seigneur,l'ouvrage d'un moment ? 6+6 a
Britannicus
Cet ouvrage, Madame,est un coup d'Agrippine : 6+6 b
Elle a cru que ma perteentrnait sa ruine. 6+6 b
Grâce aux préventionsde son esprit jaloux, 6+6 a
Nos plus grands ennemisont combattu pour nous. 6+6 a
1515 Je m'en fie aux transportsqu'elle m'a fait partre ; 6+6 b
Je m'en fie à Burrhus ;j'en crois même son mtre : 6+6 b
Je crois qu'à mon exempleimpuissant à trahir, 6+6 a
Il hait à cœur ouvert,ou cesse de haïr. 6+6 a
Junie
Seigneur, ne jugez pasde son cœur par le vôtre : 6+6 b
1520 Sur des pas différentsvous marchez l'un et l'autre. 6+6 b
Je ne connais Néronet la cour que d'un jour, 6+6 a
Mais, si j'ose le dire,hélas ! dans cette cour 6+6 a
Combien tout ce qu'on ditest loin de ce qu'on pense ! 6+6 b
Que la bouche et le cœursont peu d'intelligence ! 6+6 b
1525 Avec combien de joieon y trahit sa foi ! 6+6 a
Quel séjour étrangeret pour vous et pour moi ! 6+6 a
Britannicus
Mais que son amitiésoit véritable ou feinte, 6+6 b
Si vous craignez Néron,lui-même est-il sans crainte ? 6+6 b
Non, non, il n'ira point,par un lâche attentat, 6+6 a
1530 Soulever contre luile peuple et le sénat. 6+6 a
Que dis-je ? Il reconntsa dernière injustice. 6+6 b
Ses remords ont paru,même aux yeux de Narcisse. 6+6 b
Ah ! s'il vous avait dit,ma Princesse, à quel point… 6+6 a
Junie
Mais Narcisse, seigneur,ne vous trahit-il point ? 6+6 a
Britannicus
1535 Et pourquoi voulez-vousque mon cœur s'en défie ? 6+6 b
Junie
Et que sais-je ? Il y va,Seigneur, de votre vie. 6+6 b
Tout m'est suspect : je crainsque tout ne soit séduit. 6+6 a
Je crains Néron, je crainsle malheur qui me suit. 6+6 a
D'un noir pressentimentmalgré moi prévenue, 6+6 b
1540 Je vous laisse à regretéloigner de ma vue. 6+6 b
Hélas ! si cette paixdont vous vous repaissez 6+6 a
Couvrait contre vos joursquelques pièges dressés ! 6+6 a
Si Néron, irritéde notre intelligence, 6+6 b
Avait choisi la nuitpour cacher sa vengeance ! 6+6 b
1545 S'il préparait ses coupstandis que je vous vois ! 6+6 a
Et si je vous parlaispour la dernière fois ! 6+6 a
Ah ! Prince !
Britannicus
Vous pleurez !Ah ! ma chère Princesse ! 6+6 b
Et pour moi jusque-làvotre cœur s'intéresse ? 6+6 b
Quoi, Madame ? en un jour plein de sa grandeur 6+6 a
1550 Néron croit éblouirvos yeux de sa splendeur, 6+6 a
Dans des lieux chacunme fuit et le révère, 6+6 b
Aux pompes de sa courpréférer ma misère ? 6+6 b
Quoi ? dans ce même jouret dans ces mêmes lieux, 6+6 a
Refuser un empireet pleurer à mes yeux ? 6+6 a
1555 Mais, Madame, arrêtezces précieuses larmes : 6+6 b
Mon retour va bientôtdissiper vos alarmes. 6+6 b
Je me rendrais suspectpar un plus long séjour. 6+6 a
Adieu. Je vais, le cœurtout plein de mon amour, 6+6 a
Au milieu des transportsd'une aveugle jeunesse, 6+6 b
1560 Ne voir, n'entretenirque ma belle princesse. 6+6 b
Adieu.
Junie
Prince
Britannicus
On m'attend,Madame, il faut partir. 6+6 a
Junie
Mais du moins attendezqu'on vous vienne avertir. 6+6 a
Scène II
Agrippine, Britannicus, Junie.
Agrippine
Prince, que tardez-vous ?Partez en diligence : 6+6 b
Néron impatientse plaint de votre absence. 6+6 b
1565 La joie, et le plaisir,de tous les conviés 6+6 a
Attend pour éclaterque vous vous embrassiez. 6+6 a
Ne faites point languirune si juste envie ; 6+6 b
Allez. Et nous, Madame,allons chez Octavie. 6+6 b
Britannicus
Allez, belle Junie,et d'un esprit content, 6+6 a
1570 Hâtez-vous d'embrasserma sœur qui vous attend. 6+6 a
Dès que je le pourrai,je reviens sur vos traces, 6+6 b
Madame, et de vos soinsj'irai vous rendre grâces. 6+6 b
Scène III
Agrippine, Junie.
Agrippine
Madame, ou je me trompe,ou durant vos adieux, 6+6 a
Quelques pleurs répandusont obscurci vos yeux. 6+6 a
1575 Puis-je savoir quel troublea formé ce nuage ? 6+6 b
Doutez-vous d'une paixdont je fais mon ouvrage ? 6+6 b
Junie
Après tous les ennuisque ce jour m'a ctés, 6+6 a
Ai-je pu rassurermes esprits agités ? 6+6 a
Hélas ! à peine encorje conçois ce miracle, 6+6 b
1580 Quand même à vos bontés,je craindrais quelque obstacle, 6+6 b
Le changement, Madame,est commun à la cour, 6+6 a
Et toujours quelque crainteaccompagne l'amour. 6+6 a
Agrippine
Il suffit. J'ai parlé,tout a changé de face. 6+6 b
Mes soins à vos souonsne laissent point de place. 6+6 b
1585 Je réponds d'une paixjurée entre mes mains, 6+6 a
Néron m'en a donnédes gages trops certains. 6+6 a
Ah ! si vous aviez vupar combien de caresses 6+6 b
Il m'a renouveléla foi de ses promesses ! 6+6 b
Par quels embrassementsil vient de m'arrêter ! 6+6 a
1590 Ses bras, dans nos adieux,ne pouvaient me quitter. 6+6 a
Sa facile bonté,sur son front répandue, 6+6 b
Jusqu'aux moindres secretsest d'abord descendue : 6+6 b
Il s'épanchait en filsqui vient en liberté 6+6 a
Dans le sein de sa mèreoublier sa fierté, 6+6 a
1595 Mais bientôt, reprenantun visage sévère, 6+6 b
Tel que d'un empereurqui consulte sa mère, 6+6 b
Sa confidence augustea mis entre mes mains 6+6 a
Des secrets d' dépendle destin des humains. 6+6 a
Non, il le faut iciconfesser à sa gloire, 6+6 b
1600 Son cœur n'enferme pointune malice noire, 6+6 b
Et nos seuls ennemis,altérant sa bonté, 6+6 a
Abusaient contre nousde sa facilité. 6+6 a
Mais enfin, à son tour,leur puissance décline ; 6+6 b
Rome encore une foisva conntre Agrippine ; 6+6 b
1605 Déjà de ma faveuron adore le bruit. 6+6 a
Cependant en ces lieuxn'attendons pas la nuit : 6+6 a
Passons chez Octavie,et donnons-lui le reste 6+6 b
D'un jour autant heureuxque je l'ai cru funeste. 6+6 b
Mais qu'est-ce que j'entends ?Quel tumulte confus ? 6+6 a
Que peut-on faire ?
Junie
1610 O ciel !sauvez Britannicus ! 6+6 a
Scène IV
Agrippine, Junie, Burrhus.
Agrippine
Burrhus, courez-vous ?Arrêtez. Que veut dire 6+6 b
Burrhus
Madame, c'en est fait,Britannicus expire. 6+6 b
Junie
Ah ! mon Prince !
Agrippine
Il expire ?
Burrhus
Ou plutôt il est mort, 6+6 a
Madame.
Junie
Pardonnez,Madame, à ce transport. 6+6 a
1615 Je vais le secourir,si je puis, ou le suivre. 6+6 b
Scène V
Agrippine, Burrhus.
Agrippine
Quel attentat, Burrhus !
Burrhus
Je n'y pourrai survivre, 6+6 b
Madame : il faut quitterla cour et l'empereur. 6+6 a
Agrippine
Quoi ? du sang de son frèreil n'a point eu d'horreur ? 6+6 a
Burrhus
Ce dessein s'est conduitavec plus de mystère. 6+6 b
1620 A peine l'empereura vu venir son frère, 6+6 b
Il se lève, il l'embrasse,on se tait, et soudain 6+6 a
César prend le premierune coupe à la main : 6+6 a
Pour achever ce joursous de meilleurs auspices, 6+6 b
Ma main de cette coupeépanche les prémices, 6+6 b
1625 Dit-il ; Dieux, que j'appelleà cette effusion, 6+6 a
Venez favorisernotre réunion. 6+6 a
Par les mêmes sermentsBritannicus se lie. 6+6 b
La coupe dans ses mainspar Narcisse est remplie, 6+6 b
Mais ses lèvres à peineen ont touché les bords… 6+6 a
1630 Le fer ne produit pointde si puissants efforts, 6+6 a
Madame : la lumièreà ses yeux est ravie, 6+6 b
Il tombe sur son litsans chaleur et sans vie. 6+6 b
Jugez combien ce coupfrappe tous les esprits : 6+6 a
La moitié s'épouvanteet sort avec des cris, 6+6 a
1635 Mais ceux qui de la couront un plus long usage 6+6 b
Sur les yeux de Césarcomposent leur visage. 6+6 b
Cependant sur son litil demeure penché ; 6+6 a
D'aucun étonnementil ne part touché : 6+6 a
Ce mal, dont vous craignez,dit-il, la violence 6+6 b
1640 A souvent, sans péril,attaqué son enfance. 6+6 b
Narcisse veut en vainaffecter quelque ennui, 6+6 a
Et sa perfide joieéclate malgré lui. 6+6 a
Pour moi, dût l'empereurpunir ma hardiesse, 6+6 b
D'une odieuse courj'ai traversé la presse, 6+6 b
1645 Et j'allais, accabléde cet assassinat, 6+6 a
Pleurer Britannicus,César et tout l'État. 6+6 a
Agrippine
Le voici. Vous verrezsi c'est moi qui l'inspire. 6+6 b
Scène VI
Agrippine, Néron, Burrhus, Narcisse.
Néron, voyant Agrippine
Dieux !
Agrippine
Arrêtez, Néron :j'ai deux mots à vous dire. 6+6 b
Britannicus est mort,je reconnais les coups, 6+6 a
Je connais l'assassin.
Néron
Et qui, Madame ?
Agrippine
1650 Vous. 6+6 a
Néron
Moi ! Voilà les souonsdont vous êtes capable. 6+6 b
Il n'est point de malheurdont je ne sois coupable, 6+6 b
Et si l'on veut, Madame,écouter vos discours, 6+6 a
Ma main de Claude mêmeaura tranché les jours. 6+6 a
1655 Son fils vous était cher ;sa mort peut vous confondre, 6+6 b
Mais des coups du destinje ne puis pas répondre. 6+6 b
Agrippine
Non, non, Britannicusest mort empoisonné : 6+6 a
Narcisse a fait le coup,vous l'avez ordonné. 6+6 a
Néron
Madame !… Mais qui peutvous tenir ce langage ? 6+6 b
Narcisse
1660 Hé ! Seigneur, ce souonvous fait-il tant d'outrage ? 6+6 b
Britannicus, Madame,eut des desseins secrets 6+6 a
Qui vous auraient ctéde plus justes regrets. 6+6 a
Il aspirait plus loinqu'à l'hymen de Junie ; 6+6 b
De vos propres bontésil vous aurait punie. 6+6 b
1665 Il vous trompait vous-même,et son cœur offensé 6+6 a
Prétendait tôt ou tardrappeler le passé. 6+6 a
Soit donc que malgré vousle sort vous ait servie, 6+6 b
Soit qu'instruit des complotsqui menaçaient sa vie, 6+6 b
Sur ma fidélitéCésar s'en soit remis, 6+6 a
1670 Laissez les pleurs, Madame,à vos seuls ennemis ; 6+6 a
Qu'ils mettent ce malheurau rang des plus sinistres. 6+6 b
Mais vous…
Agrippine
Poursuis, Néron ;avec de tels ministres, 6+6 b
Par des faits glorieuxtu te vas signaler. 6+6 a
Poursuis. Tu n'as pas faitce pas pour reculer. 6+6 a
1675 Ta main a commencépar le sang de ton frère ; 6+6 b
Je prévois que tes coupsviendront jusqu'à ta mère. 6+6 b
Dans le fond de ton cœur,je sais que tu me hais ; 6+6 a
Tu voudras t'affranchirdu joug de mes bienfaits. 6+6 a
Mais je veux que ma mortte soit même inutile ; 6+6 b
1680 Ne crois pas qu'en mourantje te laisse tranquille. 6+6 b
Rome, ce ciel, ce jourque tu reçus de moi. 6+6 a
Partout, à tout moment,m'offriront devant toi. 6+6 a
Tes remords te suivrontcomme autant de furies, 6+6 b
Tu croiras les calmerpar d'autres barbaries : 6+6 b
1685 Ta fureur, s'irritantsoi-même dans son cours, 6+6 a
D'un sang toujours nouveaumarquera tous tes jours. 6+6 a
Mais j'espère qu'enfinle ciel, las de tes crimes, 6+6 b
Ajoutera ta perteà tant d'autres victimes, 6+6 b
Qu'après t'être couvertde leur sang et du mien, 6+6 a
1690 Tu te verras forcéde répandre le tien, 6+6 a
Et ton nom partradans la race future, 6+6 b
Aux plus cruels tyransune cruelle injure. 6+6 b
Voilà ce que mon cœurse présage de toi. 6+6 a
Adieu. Tu peux sortir.
Néron
Narcisse, suivez-moi. 6+6 a
Scène VII
Agrippine, Burrhus.
Agrippine
1695 Ah ciel ! de mes souonsquelle était l'injustice ! 6+6 b
Je condamnais Burrhuspour écouter Narcisse. 6+6 b
Burrhus, avez-vous vuquels regards furieux 6+6 a
Néron en me quittantm'a laissés pour adieux ? 6+6 a
C'en est fait, le crueln'a plus rien qui l'arrête : 6+6 b
1700 Le coup qu'on m'a préditva tomber sur ma tête. 6+6 b
Il vous accableravous-même à votre tour. 6+6 a
Burrhus
Ah ! Madame, pour moij'ai vécu trop d'un jour. 6+6 a
Plût au ciel que sa main,heureusement cruelle, 6+6 b
t fait sur moi l'essaide sa fureur nouvelle ! 6+6 b
1705 Qu'il ne m't pas donné,par ce triste attentat, 6+6 a
Un gage trop certaindes malheurs de l'État ! 6+6 a
Son crime seul n'est pasce qui me désespère ; 6+6 b
Sa jalousie a pul'armer contre son frère ; 6+6 b
Mais s'il vous faut, Madame,expliquer ma douleur : 6+6 a
1710 Néron l'a vu mourirsans changer de couleur. 6+6 a
Ses yeux indifférentsont déjà la constance 6+6 b
D'un tyran dans le crimeendurci dès l'enfance. 6+6 b
Qu'il achève, Madame,et qu'il fasse périr 6+6 a
Un ministre importunqui ne le peut souffrir. 6+6 a
1715 Hélas ! loin de vouloiréviter sa colère, 6+6 b
La plus soudaine mortme sera la plus chère. 6+6 b
Scène VIII
Agrippine, Burrhus, Albine.
Albine
Pour accabler Césard'un éternel ennui, 6+6 a
Madame, sans mourirelle est morte pour lui. 6+6 a
Vous savez de ces lieuxcomme elle s'est ravie : 6+6 b
1720 Elle a feint de passerchez la triste Octavie ; 6+6 b
Mais bientôt elle a prisdes chemins écartés 6+6 a
mes yeux ont suivises pas précipités. 6+6 a
Des portes du palaiselle sort éperdue. 6+6 b
D'abord elle a d'Augusteapeu la statue, 6+6 b
1725 Et mouillant de ses pleursle marbre de ses pieds, 6+6 a
Que de ses bras pressantselle tenait liés : 6+6 a
Prince, par ces genoux,dit-elle, que j'embrasse, 6+6 b
Protège en ce momentle reste de ta race. 6+6 b
Rome, dans ton palais,vient de voir immoler 6+6 a
1730 Le seul de tes neveuxqui te pût ressembler. 6+6 a
On veut après sa mortque je lui sois parjure ; 6+6 b
Mais pour lui conserverune foi toujours pure, 6+6 b
Prince, je me dévoueà ces dieux immortels 6+6 a
Dont ta vertu t'a faitpartager les autels. 6+6 a
1735 Le peuple cependant,que ce spectacle étonne, 6+6 b
Vole de toutes parts,se presse, l'environne, 6+6 b
S'attendrit à ses pleurs,et plaignant son ennui, 6+6 a
D'une commune voixla prend sous son appui. 6+6 a
Ils la mènent au temple, depuis tant d'années 6+6 b
1740 Au culte des autelsnos vierges destinées 6+6 b
Gardent fidèlementle dépôt précieux 6+6 a
Du feu toujours ardentqui brûle pour nos dieux. 6+6 a
César les voit partirsans oser les distraire. 6+6 b
Narcisse, plus hardi,s'empresse pour lui plaire : 6+6 b
1745 Il vole vers Junie,et sans s'épouvanter, 6+6 a
D'une profane maincommence à l'arrêter. 6+6 a
De mille coups mortels,son audace est punie ; 6+6 b
Son infidèle sangrejaillit sur Junie. 6+6 b
César, de tant d'objetsen même temps frappé, 6+6 a
1750 Le laisse entre les mainsqui l'ont enveloppé. 6+6 a
Il rentre. Chacun fuitson silence farouche. 6+6 b
Le seul nom de Junieéchappe de sa bouche. 6+6 b
Il marche sans dessein,ses yeux mal assurés 6+6 a
N'osent lever au cielleurs regards égarés, 6+6 a
1755 Et l'on craint, si la nuitjointe à la solitude 6+6 b
Vient de son désespoiraigrir l'inquiétude, 6+6 b
Si vous l'abandonnezplus longtemps sans secours, 6+6 a
Que sa douleur bientôtn'attente sur ses jours. 6+6 a
Le temps presse : courez.Il ne faut qu'un caprice ; 6+6 b
Il se perdrait, Madame.
Agrippine
1760 Il se ferait justice. 6+6 b
Mais, Burrhus, allons voirjusqu' vont ses transports. 6+6 a
Voyons quel changementproduiront ses remords, 6+6 a
S'il voudra désormaissuivre d'autres maximes. 6+6 b
Burrhus
Plût aux dieux que ce fûtle dernier de ses crimes ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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