Métrique en Ligne
RAC12/RAC12
Jean RACINE
1691
Athalie
TRAGÉDIE
ACTEURS
Joas roi de Juda, fils d'Okosias.
Athalie veuve de Joram, aïeule de Joas.
Joad autrement Joïada, grand prêtre.
Josabet tante de Joas, femme du grand prêtre.
Zacharie fils de Joad et de Josabet.
Salomith sœur de Zacharie.
Abner l'un des principaux officiers des rois de Juda.
Azarias, Ismaël, et les trois autres chefs des prêtres et des lévites. confidente d'Esther.
Mathan prêtre apostat, sacrificateur de Baal.
Nabal confident de Mathan.
Agar femme de la suite d'Athalie.
Troupe de prêtres et de lévites. — Suite d'Athalie. — La nourrice de Joas. — Chœur de jeunes filles de la tribu de Lévi.
La scène est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de l'appartement du grand prêtre.
Acte premier
Scène première
Joad, Abner.
Abner
Oui, je viens dans son temple adorer l'Éternel. 12
Je viens, selon l'usage antique et solennel, 12
Célébrer avec vous la fameuse journée 12
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée. 12
5 Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour 12
La trompette sacrée annonçoit le retour, 12
Du temple, orné partout de festons magnifiques, 12
Le peuple saint en foule inondoit les portiques ; 12
Et tous devant l'autel avec ordre introduits, 12
10 De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits, 12
Au Dieu de l'univers consacroient ces prémices. 12
Les prêtres ne pouvoient suffire aux sacrifices. 12
L'audace d'une femme, arrêtant ce concours, 12
En des jours ténébreux a changé ces beaux jours. 12
15 D'adorateurs zélés à peine un petit nombre 12
Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre. 12
Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal, 12
Ou même, s'empressant aux autels de Baal, 12
Se fait initier à ses honteux mystères, 12
20 Et blasphème le nom qu'ont invoqué leurs pères. 12
Je tremble qu'Athalie, à ne vous rien cacher, 12
Vous-même de l'autel vous faisant arracher, 12
N'achève enfin sur vous ses vengeances funestes, 12
Et d'un respect forcé ne dépouille les restes. 12
Joad
25 D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment ? 12
Abner
Pensez-vous être saint et juste impunément ? 12
Dès longtemps elle hait cette fermeté rare 12
Qui rehausse en Joad l'éclat de la tiare. 12
Dès longtemps votre amour pour la religion 12
30 Est traité de révolte et de sédition. 12
Du mérite éclatant cette reine jalouse 12
Hait surtout Josabet, votre fidèle épouse. 12
Si du grand prêtre Aaron Joad est successeur, 12
De notre dernier roi Josabet est la sœur. 12
35 Mathan d'ailleurs, Mathan, ce prêtre sacrilége, 12
Plus méchant qu'Athalie, à toute heure l'assiège, 12
Mathan, de nos autels infâme déserteur, 12
Et de toute vertu zélé persécuteur. 12
C'est peu que le front ceint d'une mitre étrangère, 12
40 Ce lévite à Baal prête son ministère : 12
Ce temple l'importune, et son impiété 12
Voudroit anéantir le Dieu qu'il a quitté. 12
Pour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il n'invente ; 12
Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante ; 12
45 Il affecte pour vous une fausse douceur, 12
Et par là de son fiel colorant la noirceur, 12
Tantôt à cette reine il vous peint redoutable, 12
Tantôt, voyant pour l'or sa soif insatiable, 12
Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connoissez, 12
50 Vous cachez des trésors par David amassés. 12
Enfin depuis deux jours la superbe Athalie 12
Dans un sombre chagrin paroît ensevelie. 12
Je l'observois hier, et je voyois ses yeux 12
Lancer sur le lieu saint des regards furieux, 12
55 Comme si dans le fond de ce vaste édifice 12
Dieu cachoit un vengeur armé pour son supplice. 12
Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douter 12
Que sur vous son courroux ne soit prêt d'éclater, 12
Et que de Jézabel la fille sanguinaire 12
60 Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire. 12
Joad
Celui qui met un frein à la fureur des flots 12
Sait aussi des méchants arrêter les complots. 12
Soumis avec respect à sa volonté sainte, 12
Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte. 12
65 Cependant je rends grâce au zèle officieux 12
Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux. 12
Je vois que l'injustice en secret vous irrite, 12
Que vous avez encor le cœur israélite. 12
Le ciel en soit béni. Mais ce secret courroux, 12
70 Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ? 12
La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ? 12
Huit ans déjà passés, une impie étrangère 12
Du sceptre de David usurpe tous les droits, 12
Se baigne impunément dans le sang de nos rois, 12
75 Des enfants de son fils détestable homicide, 12
Et même contre Dieu lève son bras perfide. 12
Et vous, l'un des soutiens de ce tremblant État, 12
Vous nourri dans les camps du saint roi Josaphat, 12
Qui sous son fils Joram commandiez nos armées, 12
80 Qui rassurâtes seul nos villes alarmées, 12
Lorsque d'Okosias le trépas imprévu 12
Dispersa tout son camp à l'aspect de Jéhu, 12
« Je crains Dieu, dites-vous, sa vérité me touche. » 12
Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche : 12
85 « Du zèle de ma loi que sert de vous parer ? 12
Par de stériles vœux pensez-vous m'honorer ? 12
Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ? 12
Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ? 12
Le sang de vos rois crie, et n'est point écouté. 12
90 Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété. 12
Du milieu de mon peuple exterminez les crimes, 12
Et vous viendrez alors m'immoler vos victimes. » 12
Abner
Hé ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ? 12
Benjamin est sans force, et Juda sans vertu. 12
95 Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race 12
Éteignit tout le feu de leur antique audace. 12
« Dieu même, disent-ils, s'est retiré de nous : 12
De l'honneur des Hébreux autrefois si jaloux, 12
Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée ; 12
100 Et sa miséricorde à la fin s'est lassée. 12
On ne voit plus pour nous ses redoutables mains 12
De merveilles sans nombre effrayer les humains ; 12
L'arche sainte est muette, et ne rend plus d'oracles. » 12
Joad
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ? 12
105 Quand Dieu par plus d'effets montra-t-il son pouvoir ? 12
Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir, 12
Peuple ingrat ? Quoi ? toujours les plus grandes merveilles 12
Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles ? 12
Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours 12
110 Des prodiges fameux accomplis en nos jours ? 12
Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces, 12
Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ; 12
L'impie Achab détruit, et de son sang trempé 12
Le champ que par le meurtre il avoit usurpé ; 12
115 Près de ce champ fatal Jézabel immolée, 12
Sous les pieds des chevaux cette reine foulée, 12
Dans son sang inhumain les chiens désaltérés, 12
Et de son corps hideux les membres déchirés ; 12
Des prophètes menteurs la troupe confondue, 12
120 Et la flamme du ciel sur l'autel descendue ; 12
Élie aux éléments parlant en souverain, 12
Les cieux par lui fermés et devenus d'airain, 12
Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée, 12
Les morts se ranimants à la voix d'Élisée : 12
125 Reconnoissez, Abner, à ces traits éclatants, 12
Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps : 12
Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire : 12
Et son peuple est toujours présent à sa mémoire. 12
Abner
Mais où sont ces honneurs à David tant promis, 12
130 Et prédits même encore à Salomon son fils ? 12
Hélas ! nous espérions que de leur race heureuse 12
Devoit sortir de rois une suite nombreuse ; 12
Que sur toute tribu, sur toute nation, 12
L'un d'eux établiroit sa domination, 12
135 Feroit cesser partout la discorde et la guerre, 12
Et verroit à ses pieds tous les rois de la terre. 12
Joad
Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ? 12
Abner
Ce roi fils de David, où le chercherons-nous ? 12
Le ciel même peut-il réparer les ruines 12
140 De cet arbre séché jusque dans ses racines ? 12
Athalie étouffa l'enfant même au berceau. 12
Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ? 12
Ah ! si dans sa fureur elle s'étoit trompée ; 12
Si du sang de nos rois quelque goutte échappée… 12
Joad
Hé bien ! que feriez-vous ?
Abner
145 Ô jour heureux pour moi !
De quelle ardeur j'irois reconnoître mon roi ! 12
Doutez-vous qu'à ses pieds nos tribus empressées… 12
Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ? 12
Déplorable héritier de ces rois triomphants, 12
150 Okosias restoit seul avec ses enfants. 12
Par les traits de Jéhu je vis percer le père ; 12
Vous avez vu les fils massacrés par la mère. 12
Joad
Je ne m'explique point. Mais quand l'astre du jour 12
Aura sur l'horizon fait le tiers de son tour, 12
155 Lorsque la troisième heure aux prières rappelle, 12
Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle. 12
Dieu pourra vous montrer par d'importants bienfaits 12
Que sa parole est stable et ne trompe jamais. 12
Allez : pour ce grand jour il faut que je m'apprête, 12
160 Et du temple déjà l'aube blanchit le faîte. 12
Abner
Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas ? 12
L'illustre Josabet porte vers vous ses pas. 12
Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle 12
Qu'attire de ce jour la pompe solennelle. 12
Scène II
Joad, Josabet.
Joad
165 Les temps sont accomplis, Princesse : il faut parler, 12
Et votre heureux larcin ne se peut plus celer. 12
Des ennemis de Dieu la coupable insolence, 12
Abusant contre lui de ce profond silence, 12
Accuse trop longtemps ses promesses d'erreur. 12
170 Que dis-je ? Le succès animant leur fureur, 12
Jusque sur notre autel votre injuste marâtre 12
Veut offrir à Baal un encens idolâtre. 12
Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé, 12
Sous l'aile du Seigneur dans le temple élevé. 12
175 De nos princes hébreux il aura le courage, 12
Et déjà son esprit a devancé son âge. 12
Avant que son destin s'explique par ma voix, 12
Je vais l'offrir au Dieu par qui règnent les rois. 12
Aussitôt assemblant nos lévites, nos prêtres, 12
180 Je leur déclarerai l'héritier de leurs maîtres. 12
Josabet
Sait-il déjà son nom et son noble destin ? 12
Joad
Il ne répond encor qu'au nom d'Éliacin, 12
Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère, 12
À qui j'ai par pitié daigné servir de père. 12
Josabet
185 Hélas ! de quel péril je l'avois su tirer ! 12
Dans quel péril encore est-il prêt de rentrer ! 12
Joad
Quoi ? déjà votre foi s'affloiblit et s'étonne ? 12
Josabet
À vos sages conseils, Seigneur, je m'abandonne. 12
Du jour que j'arrachai cet enfant à la mort, 12
190 Je remis en vos mains tout le soin de son sort. 12
Même, de mon amour craignant la violence, 12
Autant que je le puis, j'évite sa présence, 12
De peur qu'en le voyant, quelque trouble indiscret 12
Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret. 12
195 Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières 12
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières. 12
Cependant aujourd'hui puis-je vous demander 12
Quels amis vous avez prêts à vous seconder ? 12
Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre ? 12
200 A-t-il près de son roi fait serment de se rendre ? 12
Joad
Abner, quoiqu'on se pût assurer sur sa foi, 12
Ne sait pas même encor si nous avons un roi. 12
Josabet
Mais à qui de Joas confiez-vous la garde ? 12
Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde ? 12
205 De mon père sur eux les bienfaits répandus… 12
Joad
À l'injuste Athalie ils se sont tous vendus. 12
Josabet
Qui donc opposez-vous contre ses satellites ? 12
Joad
Ne vous l'ai-je pas dit ? Nos prêtres, nos lévites. 12
Josabet
Je sais que près de vous en secret assemblé, 12
210 Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé ; 12
Que pleins d'amour pour vous, d'horreur pour Athalie, 12
Un serment solennel par avance les lie 12
À ce fils de David qu'on leur doit révéler. 12
Mais quelque noble ardeur dont ils puissent brûler, 12
215 Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ? 12
Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle ? 12
Doutez-vous qu'Athalie, au premier bruit semé 12
Qu'un fils d'Okosias est ici renfermé, 12
De ses fiers étrangers assemblant les cohortes, 12
220 N'environne le temple, et n'en brise les portes ? 12
Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints, 12
Qui levant au Seigneur leurs innocentes mains, 12
Ne savent que gémir et prier pour nos crimes, 12
Et n'ont jamais versé que le sang des victimes ? 12
225 Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups… 12
Joad
Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous, 12
Dieu, qui de l'orphelin protége l'innocence, 12
Et fait dans la foiblesse éclater sa puissance ; 12
Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël 12
230 Jura d'exterminer Achab et Jézabel ; 12
Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille, 12
A jusque sur son fils poursuivi leur famille ; 12
Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu, 12
Sur cette race impie est toujours étendu ? 12
Josabet
235 Et c'est sur tous ces rois sa justice sévère 12
Que je crains pour le fils de mon malheureux frère. 12
Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné, 12
Avec eux en naissant ne fut pas condamné ? 12
Si Dieu, le séparant d'une odieuse race, 12
240 En faveur de David voudra lui faire grâce ? 12
Hélas ! l'état horrible où le ciel me l'offrit 12
Revient à tout moment effrayer mon esprit. 12
De princes égorgés la chambre étoit remplie. 12
Un poignard à la main, l'implacable Athalie 12
245 Au carnage animoit ses barbares soldats, 12
Et poursuivoit le cours de ses assassinats. 12
Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue. 12
Je me figure encor sa nourrice éperdue, 12
Qui devant les bourreaux s'étoit jetée en vain, 12
250 Et foible le tenoit renversé sur son sein. 12
Je le pris tout sanglant. En baignant son visage, 12
Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage ; 12
Et soit frayeur encore, ou pour me caresser, 12
De ses bras innocents je me sentis presser. 12
255 Grand Dieu, que mon amour ne lui soit point funeste. 12
Du fidèle David c'est le précieux reste : 12
Nourri dans ta maison, en l'amour de ta loi, 12
Il ne connoît encor d'autre père que toi. 12
Sur le point d'attaquer une reine homicide, 12
260 À l'aspect du péril si ma foi s'intimide, 12
Si la chair et le sang, se troublant aujourd'hui, 12
Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui, 12
Conserve l'héritier de tes saintes promesses, 12
Et ne punis que moi de toutes mes foiblesses. 12
Joad
265 Vos larmes, Josabet, n'ont rien de criminel ; 12
Mais Dieu veut qu'on espère en son soin paternel. 12
Il ne recherche point, aveugle en sa colère, 12
Sur le fils qui le craint l'impiété du père. 12
Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux 12
270 Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs vœux. 12
Autant que de David la race est respectée, 12
Autant de Jézabel la fille est détestée. 12
Joas les touchera par sa noble pudeur, 12
Où semble de son sang reluire la splendeur ; 12
275 Et Dieu, par sa voix même appuyant notre exemple, 12
De plus près à leur cœur parlera dans son temple. 12
Deux infidèles rois tour à tour l'ont bravé : 12
Il faut que sur le trône un roi soit élevé, 12
Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancêtres 12
280 Dieu l'a fait remonter par la main de ses prêtres, 12
L'a tiré par leur main de l'oubli du tombeau, 12
Et de David éteint rallumé le flambeau. 12
Grand Dieu, si tu prévois qu'indigne de sa race, 12
Il doive de David abandonner la trace, 12
285 Qu'il soit comme le fruit en naissant arraché, 12
Ou qu'un souffle ennemi dans sa fleur a séché. 12
Mais si ce même enfant, à tes ordres docile, 12
Doit être à tes desseins un instrument utile, 12
Fais qu'au juste héritier le sceptre soit remis ; 12
290 Livre en mes foibles mains ses puissants ennemis ; 12
Confonds dans ses conseils une reine cruelle. 12
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle 12
Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur, 12
De la chute des rois funeste avant-coureur. 12
295 L'heure me presse : adieu. Des plus saintes familles 12
Votre fils et sa sœur vous amènent les filles. 12
Scène III
Josabet, Zacharie, Salomith, Le Chœur.
Josabet
Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas ; 12
De votre auguste père accompagnez les pas. 12
Ô filles de Lévi, troupe jeune et fidèle, 12
300 Que déjà le Seigneur embrase de son zèle, 12
Qui venez si souvent partager mes soupirs, 12
Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs, 12
Ces festons dans vos mains et ces fleurs sur vos têtes 12
Autrefois convenoient à nos pompeuses fêtes. 12
305 Mais, hélas ! en ce temps d'opprobre et de douleurs, 12
Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs ? 12
J'entends déjà, j'entends la trompette sacrée, 12
Et du temple bientôt on permettra l'entrée. 12
Tandis que je me vais préparer à marcher, 12
310 Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher. 12
Scène IV
Le Chœur.
Tout le Chœur
chante.
Tout l'univers est plein de sa magnificence. 12
Qu'on l'adore ce Dieu, qu'on l'invoque à jamais. 12
Son empire a des temps précédé la naissance. 12
Chantons, publions ses bienfaits. 8
Une voix
seule.
315 En vain l'injuste violence 8
Au peuple qui le loue imposeroit silence : 12
Son nom ne périra jamais. 8
Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance. 12
Tout l'univers est plein de sa magnificence. 12
320 Chantons, publions ses bienfaits. 8
Tout le Chœur
répète.
Tout l'univers est plein de sa magnificence : 12
Chantons, publions ses bienfaits. 8
Une voix
seule.
Il donne aux fleurs leur aimable peinture. 10
Il fait naître et mûrir les fruits. 8
325 Il leur dispense avec mesure 8
Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ; 12
Le champ qui les reçut les rend avec usure. 12
Une autre
Il commande au soleil d'animer la nature, 12
Et la lumière est un don de ses mains ; 10
330 Mais sa loi sainte, sa loi pure 8
Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains. 12
Une autre
Ô mont de Sinaï, conserve la mémoire 12
De ce jour à jamais auguste et renommé, 12
Quand, sur ton sommet enflammé, 8
335 Dans un nuage épais le Seigneur enfermé 12
Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire. 12
Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs, 10
Ces torrents de fumée, et ce bruit dans les airs, 12
Ces trompettes et ce tonnerre : 8
340 Venoit-il renverser l'ordre des éléments ? 12
Sur ses antiques fondements 8
Venoit-il ébranler la terre ? 8
Une autre
Il venoit révéler aux enfants des Hébreux 12
De ses préceptes saints la lumière immortelle. 12
345 Il venoit à ce peuple heureux 8
Ordonner de l'aimer d'une amour éternelle. 12
Tout le Chœur
Ô divine, ô charmante loi ! 8
Ô justice ! Ô bonté suprême ! 8
Que de raisons, quelle douceur extrême 10
350 D'engager à ce Dieu son amour et sa foi ! 12
Une voix
seule.
D'un joug cruel il sauva nos aïeux, 10
Les nourrit au désert d'un pain délicieux. 12
Il nous donne ses lois, il se donne lui-même. 12
Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime. 10
Le Chœur
355 Ô justice ! Ô bonté suprême ! 8
La même voix
Des mers pour eux il entr'ouvrit les eaux, 10
D'un aride rocher fit sortir des ruisseaux. 12
Il nous donne ses lois, il se donne lui-même. 12
Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime. 10
Le Chœur
360 Ô divine, ô charmante loi ! 8
Que de raisons, quelle douceur extrême 10
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi ! 12
Une autre voix
seule.
Vous qui ne connoissez qu'une crainte servile, 12
Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer ? 12
365 Est-il donc à vos cœurs, est-il si difficile 12
Et si pénible de l'aimer ? 8
L'esclave craint le tyran qui l'outrage ; 10
Mais des enfants l'amour est le partage. 10
Vous voulez que ce Dieu vous comble de bienfaits, 12
370 Et ne l'aimer jamais ? 6
Tout le Chœur
Ô divine, ô charmante loi ! 8
Ô justice ! Ô bonté suprême ! 8
Que de raisons, quelle douceur extrême 10
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi ! 12
Acte II
Scène première
Josabet, Salomith, Le Chœur.
Josabet
375 Mes filles, c'est assez ; suspendez vos cantiques. 12
Il est temps de nous joindre aux prières publiques. 12
Voici notre heure. Allons célébrer ce grand jour, 12
Et devant le Seigneur paroître à notre tour. 12
Scène II
Zacharie, Josabet, Salomith, Le Chœur.
Josabet
Mais que vois-je ? Mon fils, quel sujet vous ramène ? 12
380 Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d'haleine ? 12
Zacharie
Ô ma mère !
Josabet
Hé bien, quoi ?
Zacharie
Le temple est profané.
Josabet
Comment ?
Zacharie
Et du Seigneur l'autel abandonné.
Josabet
Je tremble. Hâtez-vous d'éclaircir votre mère. 12
Zacharie
Déjà, selon la loi, le grand prêtre mon père, 12
385 Après avoir au Dieu qui nourrit les humains 12
De la moisson nouvelle offert les premiers pains, 12
Lui présentoit encore entre ses mains sanglantes 12
Des victimes de paix les entrailles fumantes. 12
Debout à ses côtés le jeune Éliacin 12
390 Comme moi le servoit en long habit de lin ; 12
Et cependant du sang de la chair immolée 12
Les prêtres arrosoient l'autel et l'assemblée. 12
Un bruit confus s'élève, et du peuple surpris 12
Détourne tout à coup les yeux et les esprits. 12
395 Une femme… Peut-on la nommer sans blasphème ? 12
Une femme… C'étoit Athalie elle-même. 12
Josabet
Ciel !
Zacharie
Dans un des parvis aux hommes réservé
Cette femme superbe entre, le front levé, 12
Et se préparoit même à passer les limites 12
400 De l'enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites. 12
Le peuple s'épouvante et fuit de toutes parts. 12
Mon père… Ah ! quel courroux animoit ses regards ! 12
Moïse à Pharaon parut moins formidable : 12
« Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable, 12
405 D'où te bannit ton sexe et ton impiété. 12
Viens-tu du Dieu vivant braver la majesté ? » 12
La Reine alors, sur lui jetant un œil farouche, 12
Pour blasphémer sans doute ouvroit déjà la bouche. 12
J'ignore si de Dieu l'ange se dévoilant 12
410 Est venu lui montrer un glaive étincelant ; 12
Mais sa langue en sa bouche à l'instant s'est glacée, 12
Et toute son audace a paru terrassée. 12
Ses yeux, comme effrayés, n'osoient se détourner ; 12
Surtout Éliacin paroissoit l'étonner. 12
Josabet
415 Quoi donc ? Éliacin a paru devant elle ? 12
Zacharie
Nous regardions tous deux cette reine cruelle, 12
Et d'une égale horreur nos cœurs étoient frappés. 12
Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés. 12
On nous a fait sortir. J'ignore tout le reste, 12
420 Et venois vous conter ce désordre funeste. 12
Josabet
Ah ! de nos bras sans doute elle vient l'arracher ; 12
Et c'est lui qu'à l'autel sa fureur vient chercher. 12
Peut-être en ce moment l'objet de tant de larmes… 12
Souviens-toi de David, Dieu, qui vois mes alarmes. 12
Salomith
425 Quel est-il cet objet des pleurs que vous versez ? 12
Zacharie
Les jours d'Éliacin seroient-ils menacés ? 12
Salomith
Auroit-il de la reine attiré la colère ? 12
Zacharie
Que craint-on d'un enfant sans support et sans père ? 12
Josabet
Ah ! la voici. Sortons. Il la faut éviter. 12
Scène III
Athalie, Agar, Abner, Suite d'Athalie.
Agar
430 Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter ? 12
Ici tous les objets vous blessent, vous irritent. 12
Abandonnez ce temple aux prêtres qui l'habitent ; 12
Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais 12
À vos sens agités venez rendre la paix. 12
Athalie
435 Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma foiblesse. 12
Va, fais dire à Mathan qu'il vienne, qu'il se presse, 12
Heureuse si je puis trouver par son secours 12
Cette paix que je cherche et qui me fuit toujours. 12
(Elle s'assied.)
Scène IV
Athalie, Abner, Etc.
Abner
Madame, pardonnez si j'ose le défendre. 12
440 Le zèle de Joad n'a point dû vous surprendre. 12
Du Dieu que nous servons tel est l'ordre éternel. 12
Lui-même il nous traça son temple et son autel, 12
Aux seuls enfants d'Aaron commit ses sacrifices, 12
Aux lévites marqua leur place et leurs offices, 12
445 Et surtout défendit à leur postérité 12
Avec tout autre dieu toute société. 12
Hé quoi ? vous de nos rois et la femme et la mère, 12
Êtes-vous à ce point parmi nous étrangère ? 12
Ignorez-vous nos lois ? Et faut-il qu'aujourd'hui… 12
450 Voici votre Mathan, je vous laisse avec lui. 12
Athalie
Votre présence, Abner, est ici nécessaire. 12
Laissons là de Joad l'audace téméraire, 12
Et tout ce vain amas de superstitions 12
Qui ferment votre temple aux autres nations. 12
455 Un sujet plus pressant excite mes alarmes. 12
Je sais que dès l'enfance élevé dans les armes, 12
Abner a le cœur noble, et qu'il rend à la fois 12
Ce qu'il doit à son Dieu, ce qu'il doit à ses rois. 12
Demeurez.
Scène V
Mathan, Athalie, Abner, Etc.
Mathan
Grande Reine, est-ce ici votre place ?
460 Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ? 12
Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ? 12
De ce temple profane osez-vous approcher ? 12
Avez-vous dépouillé cette haine si vive… 12
Athalie
Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive. 12
465 Je ne veux point ici rappeler le passé, 12
Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé. 12
Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire. 12
Je ne prends point pour juge un peuple téméraire. 12
Quoi que son insolence ait osé publier, 12
470 Le ciel même a pris soin de me justifier. 12
Sur d'éclatants succès ma puissance établie 12
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie. 12
Par moi Jérusalem goûte un calme profond. 12
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond, 12
475 Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages, 12
Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages ; 12
Le Syrien me traite et de reine et de sœur. 12
Enfin de ma maison le perfide oppresseur, 12
Qui devoit jusqu'à moi pousser sa barbarie, 12
480 Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie. 12
De toutes parts pressé par un puissant voisin, 12
Que j'ai su soulever contre cet assassin, 12
Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse. 12
Je jouissois en paix du fruit de ma sagesse ; 12
485 Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours, 12
De mes prospérités interrompre le cours. 12
Un songe (me devrois-je inquiéter d'un songe ?) 12
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge. 12
Je l'évite partout, partout il me poursuit. 12
490 C'étoit pendant l'horreur d'une profonde nuit. 12
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée, 12
Comme au jour de sa mort pompeusement parée. 12
Ses malheurs n'avoient point abattu sa fierté ; 12
Même elle avoit encor cet éclat emprunté 12
495 Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, 12
Pour réparer des ans l'irréparable outrage. 12
« Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi. 12
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi. 12
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, 12
500 Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables, 12
Son ombre vers mon lit a paru se baisser ; 12
Et moi, je lui tendois les mains pour l'embrasser. 12
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange 12
D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange, 12
505 Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux 12
Que des chiens dévorants se disputoient entre eux. 12
Abner
Grand Dieu !
Athalie
Dans ce désordre à mes yeux se présente
Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante, 12
Tels qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus. 12
510 Sa vue a ranimé mes esprits abattus. 12
Mais lorsque revenant de mon trouble funeste, 12
J'admirois sa douceur, son air noble et modeste, 12
J'ai senti tout à coup un homicide acier, 12
Que le traître en mon sein a plongé tout entier. 12
515 De tant d'objets divers le bizarre assemblage 12
Peut-être du hasard vous paroît un ouvrage. 12
Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur, 12
Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur. 12
Mais de ce souvenir mon âme possédée 12
520 A deux fois en dormant revu la même idée : 12
Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer 12
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer. 12
Lasse enfin des horreurs dont j'étois poursuivie, 12
J'allois prier Baal de veiller sur ma vie, 12
525 Et chercher du repos au pied de ses autels. 12
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels ? 12
Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée, 12
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée : 12
J'ai cru que des présents calmeroient son courroux, 12
530 Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendroit plus doux. 12
Pontife de Baal, excusez ma foiblesse. 12
J'entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse. 12
Le grand prêtre vers moi s'avance avec fureur. 12
Pendant qu'il me parloit, ô surprise ! ô terreur ! 12
535 J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée, 12
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée. 12
Je l'ai vu : son même air, son même habit de lin, 12
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin. 12
C'est lui-même. Il marchoit à côté du grand prêtre ; 12
540 Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître. 12
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter, 12
Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter. 12
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ? 12
Mathan
Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable. 12
Athalie
545 Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu : 12
Quel est-il ? De quel sang ? Et de quelle tribu ? 12
Abner
Deux enfants à l'autel prêtoient leur ministère. 12
L'un est fils de Joad, Josabet est sa mère. 12
L'autre m'est inconnu.
Mathan
Pourquoi délibérer ?
550 De tous les deux, Madame, il se faut assurer. 12
Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures ; 12
Que je ne cherche point à venger mes injures, 12
Que la seule équité règne en tous mes avis ; 12
Mais lui-même après tout, fût-ce son propre fils, 12
555 Voudroit-il un moment laisser vivre un coupable ? 12
Abner
De quel crime un enfant peut-il être capable ? 12
Mathan
Le ciel nous le fait voir un poignard à la main : 12
Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain. 12
Que cherchez-vous de plus ?
Abner
Mais, sur la foi d'un songe,
560 Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se plonge ? 12
Vous ne savez encor de quel père il est né, 12
Quel il est.
Mathan
On le craint, tout est examiné.
À d'illustres parents s'il doit son origine, 12
La splendeur de son sort doit hâter sa ruine. 12
565 Dans le vulgaire obscur si le sort l'a placé, 12
Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit versé ? 12
Est-ce aux rois à garder cette lente justice ? 12
Leur sûreté souvent dépend d'un prompt supplice. 12
N'allons point les gêner d'un soin embarrassant. 12
570 Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent. 12
Abner
Hé quoi, Mathan ? D'un prêtre est-ce là le langage ? 12
Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du carnage, 12
Des vengeances des rois ministre rigoureux, 12
C'est moi qui prête ici ma voix au malheureux ; 12
575 Et vous, qui lui devez des entrailles de père, 12
Vous, ministre de paix dans les temps de colère, 12
Couvrant d'un zèle faux votre ressentiment, 12
Le sang à votre gré coule trop lentement ? 12
Vous m'avez commandé de vous parler sans feinte, 12
580 Madame : quel est donc ce grand sujet de crainte ? 12
Un songe, un foible enfant que votre œil prévenu 12
Peut-être sans raison croit avoir reconnu. 12
Athalie
Je le veux croire, Abner ; je puis m'être trompée. 12
Peut-être un songe vain m'a trop préoccupée. 12
585 Hé bien ! il faut revoir cet enfant de plus près ; 12
Il en faut à loisir examiner les traits. 12
Qu'on les fasse tous deux paroître en ma présence. 12
Abner
Je crains…
Athalie
Manqueroit-on pour moi de complaisance ?
De ce refus bizarre où seroient les raisons ? 12
590 Il pourroit me jeter en d'étranges soupçons. 12
Que Josabet, vous dis-je, ou Joad les amène. 12
Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine. 12
Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l'avouer, 12
Des bontés d'Athalie ont lieu de se louer. 12
595 Je sais sur ma conduite et contre ma puissance 12
Jusqu'où de leurs discours ils portent la licence. 12
Ils vivent cependant, et leur temple est debout. 12
Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout. 12
Que Joad mette un frein à son zèle sauvage, 12
600 Et ne m'irrite point par un second outrage. 12
Allez.
Scène VI
Athalie, Mathan, Etc.
Mathan
Enfin je puis parler en liberté :
Je puis dans tout son jour mettre la vérité. 12
Quelque monstre naissant dans ce temple s'élève, 12
Reine : n'attendez pas que le nuage crève. 12
605 Abner chez le grand prêtre a devancé le jour. 12
Pour le sang de ses rois vous savez son amour. 12
Et qui sait si Joad ne veut point en leur place 12
Substituer l'enfant dont le ciel vous menace, 12
Soit son fils, soit quelque autre…
Athalie
Oui, vous m'ouvrez les yeux.
610 Je commence à voir clair dans cet avis des cieux. 12
Mais je veux de mon doute être débarrassée. 12
Un enfant est peu propre à trahir sa pensée. 12
Souvent d'un grand dessein un mot nous fait juger. 12
Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l'interroger. 12
615 Vous cependant, allez ; et sans jeter d'alarmes, 12
À tous mes Tyriens faites prendre les armes. 12
Scène VII
Joas, Josabet, Athalie, Zacharie, Abner, Salomith, Deux lévites, Le Chœur, Etc.
Josabet
aux deux lévites.
Ô vous, sur ces enfants si chers, si précieux, 12
Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux. 12
Abner
à Josabet.
Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde. 12
Athalie
620 Ô ciel ! plus j'examine, et plus je le regarde, 12
C'est lui. D'horreur encor tous mes sens sont saisis. 12
Épouse de Joad, est-ce là votre fils ? 12
Josabet
Qui ? Lui, Madame ?
Athalie
Lui.
Josabet
Je ne suis point sa mère.
Voilà mon fils.
Athalie
Et vous, quel est donc votre père ?
Jeune enfant, répondez.
Josabet
625 Le ciel jusqu'aujourd'hui…
Athalie
Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ? 12
C'est à lui de parler.
Josabet
Dans un âge si tendre
Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ? 12
Athalie
Cet âge est innocent. Son ingénuité 12
630 N'altère point encor la simple vérité. 12
Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche. 12
Josabet
tout bas.
Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche. 12
Athalie
Comment vous nommez-vous ?
Joas
J'ai nom Éliacin.
Athalie
Votre père ?
Joas
Je suis, dit-on, un orphelin
635 Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance, 12
Et qui de mes parents n'eus jamais connoissance. 12
Athalie
Vous êtes sans parents ?
Joas
Ils m'ont abandonné.
Athalie
Comment ? Et depuis quand ?
Joas
Depuis que je suis né.
Athalie
Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ? 12
Joas
640 Ce temple est mon pays ; je n'en connois point d'autre. 12
Athalie
Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ? 12
Joas
Parmi des loups cruels prêts à me dévorer. 12
Athalie
Qui vous mit dans ce temple ?
Joas
Une femme inconnue,
Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue. 12
Athalie
645 Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ? 12
Joas
Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ? 12
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture, 12
Et sa bonté s'étend sur toute la nature. 12
Tous les jours je l'invoque ; et d'un soin paternel 12
650 Il me nourrit des dons offerts sur son autel. 12
Athalie
Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse ? 12
La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce, 12
Font insensiblement à mon inimitié 12
Succéder… Je serois sensible à la pitié ? 12
Abner
655 Madame, voilà donc cet ennemi terrible. 12
De vos songes menteurs l'imposture est visible, 12
À moins que la pitié qui semble vous troubler 12
Ne soit ce coup fatal qui vous faisoit trembler. 12
Athalie
à Joas et à Josabet.
Vous sortez ?
Josabet
Vous avez entendu sa fortune.
660 Sa présence à la fin pourroit être importune. 12
Athalie
Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ? 12
Joas
J'adore le Seigneur. On m'explique sa loi. 12
Dans son livre divin on m'apprend à la lire, 12
Et déjà de ma main je commence à l'écrire. 12
Athalie
Que vous dit cette loi ?
Joas
665 Que Dieu veut être aimé,
Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé, 12
Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide, 12
Qu'il résiste au superbe et punit l'homicide. 12
Athalie
J'entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu, 12
À quoi s'occupe-t-il ?
Joas
670 Il loue, il bénit Dieu.
Athalie
Dieu veut-il qu'à toute heure on prie, on le contemple ? 12
Joas
Tout profane exercice est banni de son temple. 12
Athalie
Quels sont donc vos plaisirs ?
Joas
Quelquefois à l'autel
Je présente au grand prêtre ou l'encens ou le sel. 12
675 J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ; 12
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies. 12
Athalie
Hé quoi ? vous n'avez point de passe-temps plus doux ? 12
Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous. 12
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire. 12
Joas
680 Moi, des bienfaits de Dieu je perdrois la mémoire ? 12
Athalie
Non, je ne vous veux pas contraindre à l'oublier. 12
Joas
Vous ne le priez point.
Athalie
Vous pourrez le prier.
Joas
Je verrois cependant en invoquer un autre ? 12
Athalie
J'ai mon Dieu que je sers ; vous servirez le vôtre. 12
Ce sont deux puissants Dieux.
Joas
685 Il faut craindre le mien :
Lui seul est Dieu, Madame, et le vôtre n'est rien. 12
Athalie
Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule. 12
Joas
Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule. 12
Athalie
Ces méchants, qui sont-ils ?
Josabet
Hé, Madame ! Excusez
Un enfant…
Athalie
à Josabet.
690 J'aime à voir comme vous l'instruisez.
Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire ; 12
Vous n'êtes point sans doute un enfant ordinaire. 12
Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier. 12
Laissez là cet habit, quittez ce vil métier. 12
695 Je veux vous faire part de toutes mes richesses ; 12
Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses. 12
À ma table, partout, à mes côtés assis, 12
Je prétends vous traiter comme mon propre fils. 12
Joas
Comme votre fils ?
Athalie
Oui… Vous vous taisez ?
Joas
Quel père
Je quitterois ! Et pour…
Athalie
Hé bien ?
Joas
700 Pour quelle mère !
Athalie
à Josabet.
Sa mémoire est fidèle ; et dans tout ce qu'il dit 12
De vous et de Joad je reconnois l'esprit. 12
Voilà comme infectant cette simple jeunesse, 12
Vous employez tous deux le calme où je vous laisse. 12
705 Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur, 12
Vous ne leur prononcez mon nom qu'avec horreur. 12
Josabet
Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire ? 12
Tout l'univers les sait ; vous-même en faites gloire. 12
Athalie
Oui, ma juste fureur, et j'en fais vanité, 12
710 A vengé mes parents sur ma postérité. 12
J'aurois vu massacrer et mon père et mon frère, 12
Du haut de son palais précipiter ma mère, 12
Et dans un même jour égorger à la fois, 12
Quel spectacle d'horreur ! quatre-vingts fils de rois. 12
715 Et pourquoi ? pour venger je ne sais quels prophètes, 12
Dont elle avoit puni les fureurs indiscrètes ; 12
Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié, 12
Esclave d'une lâche et frivole pitié, 12
Je n'aurois pas du moins à cette aveugle rage 12
720 Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage, 12
Et de votre David traité tous les neveux 12
Comme on traitoit d'Achab les restes malheureux ? 12
Où serois-je aujourd'hui, si domptant ma foiblesse, 12
Je n'eusse d'une mère étouffé la tendresse, 12
725 Si de mon propre sang ma main versant des flots 12
N'eût par ce coup hardi réprimé vos complots ? 12
Enfin de votre Dieu l'implacable vengeance 12
Entre nos deux maisons rompit toute alliance. 12
David m'est en horreur ; et les fils de ce roi, 12
730 Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi. 12
Josabet
Tout vous a réussi ? Que Dieu voie, et nous juge. 12
Athalie
Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge, 12
Que deviendra l'effet de ses prédictions ? 12
Qu'il vous donne ce roi promis aux nations, 12
735 Cet enfant de David, votre espoir, votre attente… 12
Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente : 12
J'ai voulu voir ; j'ai vu.
Abner
à Josabet.
Je vous l'avois promis :
Je vous rends le dépôt que vous m'avez commis. 12
Scène VIII
Joad, Josabet, Joas, Zacharie, Abner, Salomith, Lévites, Le Chœur.
Josabet
à Joad.
Avez-vous entendu cette superbe reine, 12
Seigneur ?
Joad
740 J'entendois tout et plaignois votre peine.
Ces lévites et moi, prêts à vous secourir, 12
Nous étions avec vous résolus de périr. 12
(À Joas, en l'embrassant.)
Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage 12
Vient de rendre à son nom ce noble témoignage. 12
745 Je reconnois, Abner, ce service important. 12
Souvenez-vous de l'heure où Joad vous attend. 12
Et nous, dont cette femme impie et meurtrière 12
A souillé les regards et troublé la prière, 12
Rentrons ; et qu'un sang pur, par mes mains épanché, 12
750 Lave jusques au marbre où ses pas ont touché. 12
Scène IX
Le Chœur.
Une des filles du Chœur
Quel astre à nos yeux vient de luire ? 8
Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux ? 12
Il brave le faste orgueilleux, 8
Et ne se laisse point séduire 8
755 À tous ses attraits périlleux. 8
Une autre
Pendant que du dieu d'Athalie 8
Chacun court encenser l'autel, 8
Un enfant courageux publie 8
Que Dieu lui seul est éternel, 8
760 Et parle comme un autre Élie 8
Devant cette autre Jézabel. 8
Une autre
Qui nous révélera ta naissance secrète, 12
Cher enfant ? Es-tu fils de quelque saint prophète ? 12
Une autre
Ainsi l'on vit l'aimable Samuel 10
765 Croître à l'ombre du tabernacle. 8
Il devint des Hébreux l'espérance et l'oracle. 12
Puisses-tu, comme lui, consoler Israël ! 12
Une autre
chante.
Ô bienheureux mille fois 7
L'enfant que le Seigneur aime, 7
770 Qui de bonne heure entend sa voix, 8
Et que ce Dieu daigne instruire lui-même ! 10
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux 12
Il est orné dès sa naissance ; 8
Et du méchant l'abord contagieux 10
775 N'altère point son innocence. 8
Tout le Chœur
Heureuse, heureuse l'enfance 7
Que le Seigneur instruit et prend sous sa défense ! 12
La même voix
seule.
Tel en un secret vallon, 7
Sur le bord d'une onde pure, 7
780 Croît à l'abri de l'aquilon, 8
Un jeune lis, l'amour de la nature. 10
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux 12
Il est orné dès sa naissance ; 8
Et du méchant l'abord contagieux 10
785 N'altère point son innocence. 8
Tout le Chœur
Heureux, heureux mille fois 7
L'enfant que le Seigneur rend docile à ses lois ! 12
Une voix
seule.
Mon Dieu, qu'une vertu naissante 8
Parmi tant de périls marche à pas incertains ! 12
790 Qu'une âme qui te cherche et veut être innocente 12
Trouve d'obstacle à ses desseins ! 8
Que d'ennemis lui font la guerre ! 8
Où se peuvent cacher tes saints ? 8
Les pécheurs couvrent la terre. 7
Une autre
795 Ô palais de David, et sa chère cité, 12
Mont fameux, que Dieu même a longtemps habité, 12
Comment as-tu du ciel attiré la colère ? 12
Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois 12
Une impie étrangère 6
800 Assise, hélas ! au trône de tes rois ? 10
Tout le Chœur
Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois 12
Une impie étrangère 6
Assise, hélas ! au trône de tes rois ? 10
La même voix
continue.
Au lieu des cantiques charmants 8
805 Où David t'exprimoit ses saints ravissements, 12
Et bénissoit son Dieu, son Seigneur et son père, 12
Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois 12
Louer le dieu de l'impie étrangère, 10
Et blasphémer le nom qu'ont adoré tes rois ? 12
Une voix
seule.
810 Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore 12
Verrons-nous contre toi les méchants s'élever ? 12
Jusque dans ton saint temple ils viennent te braver. 12
Ils traitent d'insensé le peuple qui t'adore. 12
Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore 12
815 Verrons-nous contre toi les méchants s'élever ? 12
Une autre
Que vous sert, disent-ils, cette vertu sauvage ? 12
De tant de plaisirs si doux 7
Pourquoi fuyez-vous l'usage ? 7
Votre Dieu ne fait rien pour vous. 8
Une autre
820 Rions, chantons, dit cette troupe impie ; 10
De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs, 10
Promenons nos desirs. 6
Sur l'avenir insensé qui se fie. 10
De nos ans passagers le nombre est incertain. 12
825 Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie ; 12
Qui sait si nous serons demain ? 8
Tout le Chœur
Qu'ils pleurent, ô mon Dieu, qu'ils frémissent de crainte, 12
Ces malheureux, qui de ta cité sainte 10
Ne verront point l'éternelle splendeur. 10
830 C'est à nous de chanter, nous à qui tu révèles 12
Tes clartés immortelles ; 6
C'est à nous de chanter tes dons et ta grandeur. 12
Une voix
seule.
De tous ces vains plaisirs où leur âme se plonge, 12
Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d'un songe 12
835 Dont on a reconnu l'erreur. 8
À leur réveil, ô réveil plein d'horreur ! 10
Pendant que le pauvre à ta table 8
Goûtera de ta paix la douceur ineffable, 12
Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable, 12
840 Que tu présenteras au jour de ta fureur 12
À toute la race coupable. 8
Tout le Chœur
Ô réveil plein d'horreur ! 6
Ô songe peu durable ! 6
Ô dangereuse erreur ! 6
Acte III
Scène première
Mathan, Nabal, Le Chœur.
Mathan
845 Jeunes filles, allez : qu'on dise à Josabet 12
Que Mathan veut ici lui parler en secret. 12
Une des filles du Chœur
Mathan ! Ô Dieu du ciel, puisses-tu le confondre ! 12
Nabal
Hé quoi ? tout se disperse, et fuit sans vous répondre ? 12
Mathan
Approchons.
Scène II
Zacharie, Mathan, Nabal.
Zacharie
Téméraire, où voulez-vous passer ?
850 Au delà de ce lieu gardez-vous d'avancer. 12
C'est des ministres saints la demeure sacrée ; 12
Les lois à tout profane en défendent l'entrée. 12
Qui cherchez-vous ? Mon père, en ce jour solennel, 12
De l'idolâtre impur fuit l'aspect criminel ; 12
855 Et devant le Seigneur maintenant prosternée, 12
Ma mère en ce devoir craint d'être détournée. 12
Mathan
Mon fils, nous attendrons : cessez de vous troubler. 12
C'est votre illustre mère à qui je veux parler. 12
Je viens ici chargé d'un ordre de la Reine. 12
Scène III
Mathan, Nabal.
Nabal
860 Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine. 12
Mais que veut Athalie en cette occasion ? 12
D'où naît dans ses conseils cette confusion ? 12
Par l'insolent Joad ce matin offensée, 12
Et d'un enfant fatal en songe menacée, 12
865 Elle alloit immoler Joad à son courroux, 12
Et dans ce temple enfin placer Baal et vous. 12
Vous m'en aviez déjà confié votre joie, 12
Et j'espérois ma part d'une si riche proie. 12
Qui fait changer ainsi ses vœux irrésolus ? 12
Mathan
870 Ami, depuis deux jours je ne la connois plus. 12
Ce n'est plus cette reine éclairée, intrépide, 12
Élevée au-dessus de son sexe timide, 12
Qui d'abord accabloit ses ennemis surpris, 12
Et d'un instant perdu connoissoit tout le prix. 12
875 La peur d'un vain remords trouble cette grande âme : 12
Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme. 12
J'avois tantôt rempli d'amertume et de fiel 12
Son cœur déjà saisi des menaces du ciel. 12
Elle-même, à mes soins confiant sa vengeance, 12
880 M'avoit dit d'assembler sa garde en diligence ; 12
Mais soit que cet enfant devant elle amené, 12
De ses parents, dit-on, rebut infortuné, 12
Eût d'un songe effrayant diminué l'alarme, 12
Soit qu'elle eût même en lui vu je ne sais quel charme, 12
885 J'ai trouvé son courroux chancelant, incertain, 12
Et déjà remettant sa vengeance à demain. 12
Tous ses projets sembloient l'un l'autre se détruire. 12
« Du sort de cet enfant je me suis fait instruire, 12
Ai-je dit. On commence à vanter ses aïeux ; 12
890 Joad de temps en temps le montre aux factieux, 12
Le fait attendre aux Juifs, comme un autre Moïse, 12
Et d'oracles menteurs s'appuie et s'autorise. » 12
Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front. 12
Jamais mensonge heureux n'eut un effet si prompt. 12
895 « Est-ce à moi de languir dans cette incertitude ? 12
Sortons, a-t-elle dit, sortons d'inquiétude. 12
Vous-même à Josabet prononcez cet arrêt : 12
Les feux vont s'allumer, et le fer est tout prêt ; 12
Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage, 12
900 Si je n'ai de leur foi cet enfant pour otage. » 12
Nabal
Hé bien ? pour un enfant qu'ils ne connoissent pas, 12
Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras, 12
Voudront-ils que leur temple enseveli sous l'herbe… 12
Mathan
Ah ! de tous les mortels connois le plus superbe. 12
905 Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré 12
Un enfant qu'à son Dieu Joad a consacré, 12
Tu lui verras subir la mort la plus terrible. 12
D'ailleurs pour cet enfant leur attache est visible. 12
Si j'ai bien de la Reine entendu le récit, 12
910 Joad sur sa naissance en sait plus qu'il ne dit. 12
Quel qu'il soit, je prévois qu'il leur sera funeste. 12
Ils le refuseront. Je prends sur moi le reste ; 12
Et j'espère qu'enfin de ce temple odieux 12
Et la flamme et le fer vont délivrer mes yeux. 12
Nabal
915 Qui peut vous inspirer une haine si forte ? 12
Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ? 12
Pour moi, vous le savez, descendu d'Ismaël, 12
Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d'Israël. 12
Mathan
Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole 12
920 Je me laisse aveugler pour une vaine idole, 12
Pour un fragile bois, que malgré mon secours 12
Les vers sur son autel consument tous les jours ? 12
Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore, 12
Peut-être que Mathan le serviroit encore, 12
925 Si l'amour des grandeurs, la soif de commander 12
Avec son joug étroit pouvoient s'accommoder. 12
Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle 12
De Joad et de moi la fameuse querelle, 12
Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir, 12
930 Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ? 12
Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carrière, 12
Et mon âme à la cour s'attacha toute entière. 12
J'approchai par degrés de l'oreille des rois, 12
Et bientôt en oracle on érigea ma voix. 12
935 J'étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices, 12
Je leur semai de fleurs le bord des précipices. 12
Près de leurs passions rien ne me fut sacré ; 12
De mesure et de poids je changeois à leur gré. 12
Autant que de Joad l'inflexible rudesse 12
940 De leur superbe oreille offensoit la mollesse, 12
Autant je les charmois par ma dextérité, 12
Dérobant à leurs yeux la triste vérité, 12
Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables, 12
Et prodigue surtout du sang des misérables. 12
945 Enfin au Dieu nouveau, qu'elle avoit introduit, 12
Par les mains d'Athalie un temple fut construit. 12
Jérusalem pleura de se voir profanée ; 12
Des enfants de Lévi la troupe consternée 12
En poussa vers le ciel des hurlements affreux. 12
950 Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux, 12
Déserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise, 12
Et par là de Baal méritai la prêtrise. 12
Par là je me rendis terrible à mon rival, 12
Je ceignis la tiare, et marchai son égal. 12
955 Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire, 12
Du Dieu que j'ai quitté l'importune mémoire 12
Jette encore en mon âme un reste de terreur ; 12
Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur. 12
Heureux si sur son temple achevant ma vengeance, 12
960 Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance, 12
Et parmi le débris, le ravage et les morts, 12
À force d'attentats perdre tous mes remords ! 12
Mais voici Josabet.
Scène IV
Josabet, Mathan, Nabal.
Mathan
Envoyé par la reine,
Pour rétablir le calme et dissiper la haine, 12
965 Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux, 12
Ne vous étonnez pas si je m'adresse à vous. 12
Un bruit, que j'ai pourtant soupçonné de mensonge, 12
Appuyant les avis qu'elle a reçus en songe, 12
Sur Joad, accusé de dangereux complots, 12
970 Alloit de sa colère attirer tous les flots. 12
Je ne veux point ici vous vanter mes services. 12
De Joad contre moi je sais les injustices ; 12
Mais il faut à l'offense opposer les bienfaits. 12
Enfin je viens chargé de paroles de paix. 12
975 Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage. 12
De votre obéissance elle ne veut qu'un gage : 12
C'est, pour l'en détourner j'ai fait ce que j'ai pu, 12
Cet enfant sans parents, qu'elle dit qu'elle a vu. 12
Josabet
Éliacin !
Mathan
J'en ai pour elle quelque honte.
980 D'un vain songe peut-être elle fait trop de compte. 12
Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis, 12
Si cet enfant sur l'heure en mes mains n'est remis. 12
La Reine impatiente attend votre réponse. 12
Josabet
Et voilà de sa part la paix qu'on nous annonce ! 12
Mathan
985 Pourriez-vous un moment douter de l'accepter ? 12
D'un peu de complaisance est-ce trop l'acheter ? 12
Josabet
J'admirois si Mathan, dépouillant l'artifice, 12
Avoit pu de son cœur surmonter l'injustice, 12
Et si de tant de maux le funeste inventeur 12
990 De quelque ombre de bien pouvoit être l'auteur. 12
Mathan
De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie 12
Arracher de vos bras votre fils Zacharie ? 12
Quel est cet autre enfant si cher à votre amour ? 12
Ce grand attachement me surprend à mon tour. 12
995 Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare ? 12
Est-ce un libérateur que le ciel vous prépare ? 12
Songez-y : vos refus pourroient me confirmer 12
Un bruit sourd que déjà l'on commence à semer. 12
Josabet
Quel bruit ?
Mathan
Que cet enfant vient d'illustre origine ;
1000 Qu'à quelque grand projet votre époux le destine. 12
Josabet
Et Mathan par ce bruit qui flatte sa fureur… 12
Mathan
Princesse, c'est à vous à me tirer d'erreur. 12
Je sais que du mensonge implacable ennemie, 12
Josabet livreroit même sa propre vie, 12
1005 S'il falloit que sa vie à sa sincérité 12
Coûtât le moindre mot contre la vérité. 12
Du sort de cet enfant on n'a donc nulle trace ? 12
Une profonde nuit enveloppe sa race ? 12
Et vous-même ignorez de quels parents issu, 12
1010 De quelles mains Joad en ses bras l'a reçu ? 12
Parlez ; je vous écoute, et suis prêt de vous croire. 12
Au Dieu que vous servez, Princesse, rendez gloire. 12
Josabet
Méchant, c'est bien à vous d'oser ainsi nommer 12
Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer. 12
1015 Sa vérité par vous peut-elle être attestée, 12
Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée 12
Où le mensonge règne et répand son poison ; 12
Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ? 12
Scène V
Joad, Josabet, Mathan, Nabal.
Joad
Où suis-je ? De Baal ne vois-je pas le prêtre ? 12
1020 Quoi ? fille de David, vous parlez à ce traître ? 12
Vous souffrez qu'il vous parle ? Et vous ne craignez pas 12
Que du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas 12
Il ne sorte à l'instant des feux qui vous embrasent, 12
Ou qu'en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ? 12
1025 Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu 12
Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu ? 12
Mathan
On reconnoît Joad à cette violence. 12
Toutefois il devroit montrer plus de prudence, 12
Respecter une reine, et ne pas outrager 12
1030 Celui que de son ordre elle a daigné charger. 12
Joad
Hé bien, que nous fait-elle annoncer de sinistre ? 12
Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre ? 12
Mathan
J'ai fait à Josabet savoir sa volonté. 12
Joad
Sors donc de devant moi, monstre d'impiété. 12
1035 De toutes tes horreurs, va, comble la mesure. 12
Dieu s'apprête à te joindre à la race parjure, 12
Abiron et Dathan, Doëg, Achitophel. 12
Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel, 12
Attendant que sur toi sa fureur se déploie, 12
1040 Déjà sont à ta porte, et demandent leur proie. 12
Mathan
(Il se trouble.)
Avant la fin du jour… on verra qui de nous… 12
Doit… Mais sortons, Nabal.
Nabal
Où vous égarez-vous ?
De vos sens étonnés quel désordre s'empare ? 12
Voilà votre chemin.
Scène VI
Joad, Josabet.
Josabet
L'orage se déclare.
1045 Athalie en fureur demande Éliacin. 12
Déjà de sa naissance et de votre dessein 12
On commence, Seigneur, à percer le mystère : 12
Peu s'en faut que Mathan ne m'ait nommé son père. 12
Joad
Au perfide Mathan qui l'auroit révélé ? 12
1050 Votre trouble à Mathan n'a-t-il point trop parlé ? 12
Josabet
J'ai fait ce que j'ai pu pour m'en rendre maîtresse. 12
Cependant, croyez-moi, Seigneur, le péril presse. 12
Réservons cet enfant pour un temps plus heureux. 12
Tandis que les méchants délibèrent entre eux, 12
1055 Avant qu'on l'environne, avant qu'on nous l'arrache, 12
Une seconde fois souffrez que je le cache. 12
Les portes, les chemins lui sont encore ouverts. 12
Faut-il le transporter aux plus affreux déserts ? 12
Je suis prête. Je sais une secrète issue 12
1060 Par où, sans qu'on le voie, et sans être aperçue, 12
De Cédron avec lui traversant le torrent, 12
J'irai dans le désert, où jadis en pleurant, 12
Et cherchant comme nous son salut dans la fuite, 12
David d'un fils rebelle évita la poursuite. 12
1065 Je craindrai moins pour lui les lions et les ours… 12
Mais pourquoi de Jéhu refuser le secours ? 12
Je vous ouvre peut-être un avis salutaire. 12
Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire. 12
On peut dans ses États le conduire aujourd'hui, 12
1070 Et le chemin est court qui mène jusqu'à lui. 12
Jéhu n'a point un cœur farouche, inexorable ; 12
De David à ses yeux le nom est favorable. 12
Hélas ! est-il un roi si dur et si cruel, 12
À moins qu'il n'eût pour mère une autre Jézabel, 12
1075 Qui d'un tel suppliant ne plaignît l'infortune ? 12
Sa cause à tous les rois n'est-elle pas commune ? 12
Joad
Quels timides conseils m'osez-vous suggérer ? 12
En l'appui de Jéhu pourriez-vous espérer ? 12
Josabet
Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance ? 12
1080 Ne l'offense-t-on point par trop de confiance ? 12
À ses desseins sacrés employant les humains, 12
N'a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains ? 12
Joad
Jéhu, qu'avoit choisi sa sagesse profonde, 12
Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde, 12
1085 D'un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits. 12
Jéhu laisse d'Achab l'affreuse fille en paix, 12
Suit des rois d'Israël les profanes exemples, 12
Du vil Dieu de l'Égypte a conservé les temples. 12
Jéhu, sur les hauts lieux enfin osant offrir 12
1090 Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir, 12
N'a pour servir sa cause et venger ses injures 12
Ni le cœur assez droit ni les mains assez pures. 12
Non, non : c'est à Dieu seul qu'il nous faut attacher. 12
Montrons Éliacin ; et loin de le cacher, 12
1095 Que du bandeau royal sa tête soit ornée. 12
Je veux même avancer l'heure déterminée, 12
Avant que de Mathan le complot soit formé. 12
Scène VII
Joad, Josabet, Azarias,suivi du Chœur et de plusieurs lévites.
Joad
Hé bien, Azarias, le temple est-il fermé ? 12
Azarias
J'en ai fait devant moi fermer toutes les portes. 12
Joad
1100 N'y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ? 12
Azarias
De ses parvis sacrés j'ai deux fois fait le tour. 12
Tout a fui, tous se sont séparés sans retour, 12
Misérable troupeau qu'a dispersé la crainte ; 12
Et Dieu n'est plus servi que dans la tribu sainte. 12
1105 Depuis qu'à Pharaon ce peuple est échappé, 12
Une égale terreur ne l'avoit point frappé. 12
Joad
Peuple lâche, en effet, et né pour l'esclavage, 12
Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage. 12
Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ? 12
Une des filles du Chœur
1110 Hé ! pourrions-nous, Seigneur, nous séparer de vous ? 12
Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères ? 12
Vous avez près de vous nos pères et nos frères. 12
Une autre
Hélas ! si pour venger l'opprobre d'Israël, 12
Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel, 12
1115 Des ennemis de Dieu percer la tête impie, 12
Nous lui pouvons du moins immoler notre vie. 12
Quand vos bras combattront pour son temple attaqué, 12
Par nos larmes du moins il peut être invoqué. 12
Joad
Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle, 12
1120 Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle ! 12
Mais si tu les soutiens, qui peut les ébranler ? 12
Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler. 12
Tu frappes et guéris ; tu perds et ressuscites. 12
Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites, 12
1125 Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois, 12
En tes serments jurés au plus saint de leurs rois, 12
En ce temple où tu fais ta demeure sacrée, 12
Et qui doit du soleil égaler la durée. 12
Mais d'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi ? 12
1130 Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi ? 12
C'est lui-même. Il m'échauffe. Il parle. Mes yeux s'ouvrent, 12
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent. 12
Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords, 12
Et de ses mouvements secondez les transports. 12
Le Chœur
chante au son de toute la symphonie des instruments.
1135 Que du Seigneur la voix se fasse entendre, 10
Et qu'à nos cœurs son oracle divin 10
Soit ce qu'à l'herbe tendre 6
Est, au printemps, la fraîcheur du matin. 10
Joad
Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l'oreille. 12
1140 Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille. 12
Pécheurs, disparoissez : le Seigneur se réveille. 12
(Ici recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.)
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ? 12
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé ? 12
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide, 12
1145 Des prophètes divins malheureuse homicide. 12
De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé. 12
Ton encens à ses yeux est un encens souillé. 12
Où menez-vous ces enfants et ces femmes ? 10
Le Seigneur a détruit la reine des cités. 12
1150 Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés. 12
Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités. 12
Temple, renverse-toi. Cèdres, jetez des flammes. 12
Jérusalem, objet de ma douleur, 10
Quelle main en un jour t'a ravi tous tes charmes ? 12
1155 Qui changera mes yeux en deux sources de larmes 12
Pour pleurer ton malheur ? 6
Azarias
Ô saint temple !
Josabet
Ô David !
Le Chœur
Dieu de Sion, rappelle,
Rappelle en sa faveur tes antiques bontés. 12
(La symphonie recommence encore, et Joad, un moment après, l'interrompt.)
Joad
Quelle Jérusalem nouvelle 8
1160 Sort du fond du désert brillante de clartés, 12
Et porte sur le front une marque immortelle ? 12
Peuples de la terre, chantez. 8
Jérusalem renaît plus charmante et plus belle. 12
D'où lui viennent de tous côtés 8
1165 Ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés ? 12
Lève, Jérusalem, lève ta tête altière. 12
Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés. 12
Les rois des nations, devant toi prosternés, 12
De tes pieds baisent la poussière ; 8
1170 Les peuples à l'envi marchent à ta lumière. 12
Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur 12
Sentira son âme embrasée ! 8
Cieux, répandez votre rosée, 8
Et que la terre enfante son Sauveur. 10
Josabet
1175 Hélas ! d'où nous viendra cette insigne faveur, 12
Si les rois de qui doit descendre ce sauveur… 12
Joad
Préparez, Josabet, le riche diadème 12
Que sur son front sacré David porta lui-même. 12
(Aux lévites.)
Et vous, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux 12
1180 Où se garde caché, loin des profanes yeux, 12
Ce formidable amas de lances et d'épées 12
Qui du sang philistin jadis furent trempées, 12
Et que David vainqueur, d'ans et d'honneurs chargé, 12
Fit consacrer au Dieu qui l'avoit protégé. 12
1185 Peut-on les employer pour un plus noble usage ? 12
Venez, je veux moi-même en faire le partage. 12
Scène VIII
Salomith, Le Chœur.
Salomith
Que de craintes, mes sœurs, que de troubles mortels ! 12
Dieu tout-puissant, sont-ce là les prémices, 10
Les parfums et les sacrifices 8
1190 Qu'on devoit en ce jour offrir sur tes autels ? 12
Une fille du Chœur
Quel spectacle à nos yeux timides ! 8
Qui l'eût cru, qu'on dût voir jamais 8
Les glaives meurtriers, les lances homicides 12
Briller dans la maison de paix ? 8
Une autre
1195 D'où vient que, pour son Dieu, pleine d'indifférence, 12
Jérusalem se tait en ce pressant danger ? 12
D'où vient, mes sœurs, que pour nous protéger 10
Le brave Abner au moins ne rompt pas le silence ? 12
Salomith
Hélas ! dans une cour où l'on n'a d'autres lois 12
1200 Que la force et la violence, 8
Où les honneurs et les emplois 8
Sont le prix d'une aveugle et basse obéissance, 12
Ma sœur, pour la triste innocence 8
Qui voudroit élever sa voix ? 8
Une autre
1205 Dans ce péril, dans ce désordre extrême, 10
Pour qui prépare-t-on le sacré diadème ? 12
Salomith
Le Seigneur a daigné parler. 8
Mais ce qu'à son prophète il vient de révéler, 12
Qui pourra nous le faire entendre ? 8
1210 S'arme-t-il pour nous défendre ? 7
S'arme-t-il pour nous accabler ? 8
Tout le Chœur
chante.
Ô promesse ! ô menace ! ô ténébreux mystère ! 12
Que de maux, que de biens sont prédits tour à tour ! 12
Comment peut-on avec tant de colère 10
1215 Accorder tant d'amour ? 6
Une voix
seule.
Sion ne sera plus. Une flamme cruelle 12
Détruira tous ses ornements. 8
Une autre voix
Dieu protége Sion. Elle a pour fondements 12
Sa parole éternelle. 6
La première
1220 Je vois tout son éclat disparoître à mes yeux. 12
La seconde
Je vois de toutes parts sa clarté répandue. 12
La première
Dans un gouffre profond Sion est descendue. 12
La seconde
Sion a son front dans les cieux. 8
La première
Quel triste abaissement !
La seconde
Quelle immortelle gloire !
La première
Que de cris de douleur !
La seconde
1225 Que de chants de victoire !
Une troisième
Cessons de nous troubler. Notre Dieu quelque jour 12
Dévoilera ce grand mystère. 8
Toutes trois
Révérons sa colère ; 6
Espérons en son amour. 7
Une autre
1230 D'un cœur qui t'aime, 4
Mon Dieu, qui peut troubler la paix ? 8
Il cherche en tout ta volonté suprême, 10
Et ne se cherche jamais. 7
Sur la terre, dans le ciel même, 8
1235 Est-il d'autre bonheur que la tranquille paix 12
D'un cœur qui t'aime ? 4
Acte IV
Scène première
Joas, Josabet, Zacharie, Salomith, Un lévite, Le Chœur.
Salomith
D'un pas majestueux, à côté de ma mère, 12
Le jeune Éliacin s'avance avec mon frère. 12
Dans ces voiles, mes sœurs, que portent-ils tous deux ? 12
1240 Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ? 12
Josabet
à Zacharie.
Mon fils, avec respect posez sur cette table 12
De notre sainte loi le livre redoutable. 12
Et vous aussi, posez, aimable Éliacin, 12
Cet auguste bandeau près du livre divin. 12
1245 Lévite, il faut placer, Joad ainsi l'ordonne, 12
Le glaive de David auprès de sa couronne. 12
Joas
Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ? 12
Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ? 12
Depuis que le Seigneur m'a reçu dans son temple, 12
1250 D'un semblable appareil je n'ai point vu d'exemple. 12
Josabet
Tous vos doutes, mon fils, bientôt s'éclairciront. 12
Joas
Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front ? 12
Ah ! Princesse, gardez d'en profaner la gloire. 12
Du roi qui l'a porté respectez la mémoire. 12
1255 Un malheureux enfant aux ours abandonné… 12
Josabet
lui essayant le diadème.
Laissez, mon fils : je fais ce qui m'est ordonné. 12
Joas
Mais j'entends les sanglots sortir de votre bouche ! 12
Princesse, vous pleurez ! Quelle pitié vous touche ? 12
Est-ce qu'en holocauste aujourd'hui présenté, 12
1260 Je dois, comme autrefois la fille de Jephté, 12
Du Seigneur par ma mort apaiser la colère ? 12
Hélas ! un fils n'a rien qui ne soit à son père. 12
Josabet
Voici qui vous dira les volontés des cieux. 12
Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux. 12
Scène II
Joad, Joas.
Joas
courant dans les bras du grand prêtre.
Mon père !
Joad
Hé bien, mon fils ?
Joas
1265 Qu'est-ce donc qu'on prépare ?
Joad
Il est juste, mon fils, que je vous le déclare. 12
Il faut que vous soyez instruit, même avant tous, 12
Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous. 12
Armez-vous d'un courage et d'une foi nouvelle. 12
1270 Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle 12
Qu'au fond de votre cœur mes soins ont cultivés, 12
Et de payer à Dieu ce que vous lui devez. 12
Sentez-vous cette noble et généreuse envie ? 12
Joas
Je me sens prêt, s'il veut, de lui donner ma vie. 12
Joad
1275 On vous a lu souvent l'histoire de nos rois. 12
Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois 12
Doit s'imposer un roi digne du diadème ? 12
Joas
Un roi sage, ainsi Dieu l'a prononcé lui-même, 12
Sur la richesse et l'or ne met point son appui, 12
1280 Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui 12
Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères, 12
Et d'injustes fardeaux n'accable point ses frères. 12
Joad
Mais sur l'un de ces rois s'il falloit vous régler, 12
À qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ? 12
Joas
1285 David, pour le Seigneur plein d'un amour fidèle, 12
Me paroît des grands rois le plus parfait modèle. 12
Joad
Ainsi dans leurs excès vous n'imiteriez pas 12
L'infidèle Joram, l'impie Okosias ? 12
Joas
Ô mon père !
Joad
Achevez, dites, que vous en semble ?
Joas
1290 Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble ! 12
Mon père, en quel état vous vois-je devant moi ? 12
Joad
se prosternant à ses pieds.
Je vous rends le respect que je dois à mon roi. 12
De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne. 12
Joas
Joas ? Moi ?
Joad
Vous saurez par quelle grâce insigne,
1295 D'une mère en fureur Dieu trompant le dessein, 12
Quand déjà son poignard étoit dans votre sein, 12
Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage. 12
Vous n'êtes pas encore échappé de sa rage. 12
Avec la même ardeur qu'elle voulut jadis 12
1300 Perdre en vous le dernier des enfants de son fils, 12
À vous faire périr sa cruauté s'attache, 12
Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache. 12
Mais sous vos étendards j'ai déjà su ranger 12
Un peuple obéissant et prompt à vous venger. 12
1305 Entrez, généreux chefs des familles sacrées, 12
Du ministère saint tour à tour honorées. 12
Scène III
Joad, Joas, Azarias, Ismaël et les trois autres chefs des lévites,
Joad
continue.
Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis. 12
Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis. 12
Azarias
Quoi ? c'est Éliacin ?
Ismaël
Quoi ? cet enfant aimable…
Joad
1310 Est des rois de Juda l'héritier véritable, 12
Dernier né des enfants du triste Okosias, 12
Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas. 12
De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée 12
Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée, 12
1315 Avec ses frères morts le crut enveloppé. 12
Du perfide couteau comme eux il fut frappé. 12
Mais Dieu du coup mortel sut détourner l'atteinte, 12
Conserva dans son cœur la chaleur presque éteinte, 12
Permit que des bourreaux trompant l'œil vigilant, 12
1320 Josabet dans son sein l'emportât tout sanglant, 12
Et n'ayant de son vol que moi seul pour complice, 12
Dans le temple cachât l'enfant et la nourrice. 12
Joas
Hélas ! de tant d'amour et de tant de bienfaits, 12
Mon père, quel moyen de m'acquitter jamais ? 12
Joad
1325 Gardez pour d'autres temps cette reconnoissance. 12
Voilà donc votre roi, votre unique espérance. 12
J'ai pris soin jusqu'ici de vous le conserver : 12
Ministres du Seigneur, c'est à vous d'achever. 12
Bientôt de Jézabel la fille meurtrière, 12
1330 Instruite que Joas voit encor la lumière, 12
Dans l'horreur du tombeau viendra le replonger. 12
Déjà, sans le connoître, elle veut l'égorger. 12
Prêtres saints, c'est à vous de prévenir sa rage. 12
Il faut finir des Juifs le honteux esclavage, 12
1335 Venger vos princes morts, relever votre loi, 12
Et faire aux deux tribus reconnoître leur roi. 12
L'entreprise, sans doute, est grande et périlleuse. 12
J'attaque sur son trône une reine orgueilleuse, 12
Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux 12
1340 De hardis étrangers, d'infidèles Hébreux. 12
Mais ma force est au Dieu dont l'intérêt me guide. 12
Songez qu'en cet enfant tout Israël réside. 12
Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler, 12
Déjà trompant ses soins, j'ai su vous rassembler. 12
1345 Elle nous croit ici sans armes, sans défense. 12
Couronnons, proclamons Joas en diligence. 12
De là, du nouveau prince intrépides soldats, 12
Marchons, en invoquant l'arbitre des combats ; 12
Et réveillant la foi dans les cœurs endormie, 12
1350 Jusque dans son palais cherchons notre ennemie. 12
Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil, 12
Nous voyant avancer dans ce saint appareil, 12
Ne s'empresseront pas à suivre notre exemple ? 12
Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple, 12
1355 Le successeur d'Aaron de ses prêtres suivi, 12
Conduisant au combat les enfants de Lévi, 12
Et dans ces mêmes mains des peuples révérées, 12
Les armes au Seigneur par David consacrées ? 12
Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur. 12
1360 Dans l'infidèle sang baignez-vous sans horreur ; 12
Frappez et Tyriens, et même Israélites. 12
Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites 12
Qui lorsqu'au Dieu du Nil le volage Israël 12
Rendit dans le désert un culte criminel, 12
1365 De leurs plus chers parents saintement homicides, 12
Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides, 12
Et par ce noble exploit vous acquirent l'honneur 12
D'être seuls employés aux autels du Seigneur ? 12
Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre. 12
1370 Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre, 12
À ce roi que le ciel vous redonne aujourd'hui, 12
De vivre, de combattre, et de mourir pour lui. 12
Azarias
Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères, 12
De rétablir Joas au trône de ses pères, 12
1375 De ne poser le fer entre nos mains remis, 12
Qu'après l'avoir vengé de tous ses ennemis. 12
Si quelque transgresseur enfreint cette promesse, 12
Qu'il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse : 12
Qu'avec lui ses enfants, de ton partage exclus, 12
1380 Soient au rang de ces morts que tu ne connois plus. 12
Joad
Et vous, à cette loi, votre règle éternelle, 12
Roi, ne jurez-vous pas d'être toujours fidèle ? 12
Joas
Pourrois-je à cette loi ne me pas conformer ? 12
Joad
Ô mon fils, de ce nom j'ose encor vous nommer, 12
1385 Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes 12
Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes. 12
Loin du trône nourri, de ce fatal honneur 12
Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur. 12
De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse, 12
1390 Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse. 12
Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois, 12
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ; 12
Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même ; 12
Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême ; 12
1395 Qu'aux larmes, au travail, le peuple est condamné, 12
Et d'un sceptre de fer veut être gouverné ; 12
Que s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime. 12
Ainsi de piége en piége, et d'abîme en abîme, 12
Corrompant de vos mœurs l'aimable pureté, 12
1400 Ils vous feront enfin haïr la vérité, 12
Vous peindront la vertu sous une affreuse image. 12
Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage. 12
Promettez sur ce livre, et devant ces témoins, 12
Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ; 12
1405 Que sévère aux méchants, et des bons le refuge, 12
Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge, 12
Vous souvenant, mon fils, que caché sous ce lin, 12
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin. 12
Joas
Je promets d'observer ce que la loi m'ordonne. 12
1410 Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne. 12
Joad
Venez : de l'huile sainte il faut vous consacrer. 12
Paroissez, Josabet : vous pouvez vous montrer. 12
Scène IV
Joas, Joad, Josabet, Zacharie, Azarias, Etc., Salomith, Le Chœur.
Josabet
embrassant Joas.
Ô Roi, fils de David !
Joas
Ô mon unique mère !
Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère. 12
Josabet
à Zacharie.
1415 Aux pieds de votre roi prosternez-vous, mon fils. 12
Joad
pendant qu'ils s'embrassent.
Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis ! 12
Josabet
à Joas.
Vous savez donc quel sang vous a donné la vie ? 12
Joas
Et je sais quelle main sans vous me l'eût ravie. 12
Josabet
De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer. 12
Joas
1420 Joas ne cessera jamais de vous aimer. 12
Le Chœur
Quoi ? c'est là…
Josabet
C'est Joas.
Joad
Écoutons ce lévite.
Scène V
Joas, Josabet, Joad, Etc., Un lévite.
Un lévite
J'ignore contre Dieu quel projet on médite. 12
Mais l'airain menaçant frémit de toutes parts ; 12
On voit luire des feux parmi des étendards ; 12
1425 Et sans doute Athalie assemble son armée. 12
Déjà même au secours toute voie est fermée ; 12
Déjà le sacré mont, où le temple est bâti, 12
D'insolents Tyriens est partout investi. 12
L'un d'eux, en blasphémant, vient de nous faire entendre 12
1430 Qu'Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre. 12
Josabet
à Joas.
Cher enfant, que le ciel en vain m'avoit rendu, 12
Hélas ! pour vous sauver, j'ai fait ce que j'ai pu. 12
Dieu ne se souvient plus de David votre père. 12
Joad
à Josabet.
Quoi ? vous ne craignez pas d'attirer sa colère 12
1435 Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour ? 12
Et quand Dieu, de vos bras l'arrachant sans retour, 12
Voudroit que de David la maison fût éteinte, 12
N'êtes-vous pas ici sur la montagne sainte 12
Où le père des Juifs sur son fils innocent 12
1440 Leva sans murmurer un bras obéissant, 12
Et mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse, 12
Laissant à Dieu le soin d'accomplir sa promesse, 12
Et lui sacrifiant, avec ce fils aimé, 12
Tout l'espoir de sa race, en lui seul renfermé ? 12
1445 Amis, partageons-nous. Qu'Ismaël en sa garde 12
Prenne tout le côté que l'orient regarde ; 12
Vous, le côté de l'ourse ; et vous, de l'occident ; 12
Vous, le midi. Qu'aucun, par un zèle imprudent, 12
Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit lévite, 12
1450 Ne sorte avant le temps, et ne se précipite ; 12
Et que chacun enfin, d'un même esprit poussé, 12
Garde en mourant le poste où je l'aurai placé. 12
L'ennemi nous regarde, en son aveugle rage, 12
Comme de vils troupeaux réservés au carnage, 12
1455 Et croit ne rencontrer que désordre et qu'effroi. 12
Qu'Azarias partout accompagne le Roi. 12
(À Joas.)
Venez, cher rejeton d'une vaillante race, 12
Remplir vos défenseurs d'une nouvelle audace ; 12
Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir, 12
1460 Et périssez du moins en roi, s'il faut périr. 12
(À un lévite.)
Suivez-le, Josabet. Vous, donnez-moi ces armes. 12
Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes. 12
Scène VI
Salomith, Le Chœur.
Tout le Chœur
chante.
Partez, enfants d'Aaron, partez. 8
Jamais plus illustre querelle 8
1465 De vos aïeux n'arma le zèle. 8
Partez, enfants d'Aaron, partez. 8
C'est votre roi, c'est Dieu pour qui vous combattez. 12
Une voix
seule.
Où sont les traits que tu lances, 7
Grand Dieu, dans ton juste courroux ? 8
1470 N'es-tu plus le Dieu jaloux ? 7
N'es-tu plus le Dieu des vengeances ? 8
Une autre
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ? 12
Dans l'horreur qui nous environne, 8
N'entends-tu que la voix de nos iniquités ? 12
1475 N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ? 8
Tout le Chœur
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ? 12
Une voix
seule.
C'est à toi que dans cette guerre 8
Les flèches des méchants prétendent s'adresser. 12
« Faisons, disent-ils, cesser 7
1480 Les fêtes de Dieu sur la terre. 8
De son joug importun délivrons les mortels. 12
Massacrons tous ses saints. Renversons ses autels. 12
Que de son nom, que de sa gloire 8
Il ne reste plus de mémoire ; 8
1485 Que ni lui ni son Christ ne règnent plus sur nous. » 12
Tout le Chœur
Où sont les traits que tu lances, 7
Grand Dieu, dans ton juste courroux ? 8
N'es-tu plus le Dieu jaloux ? 7
N'es-tu plus le Dieu des vengeances ? 8
Une voix
seule.
1490 Triste reste de nos rois, 7
Chère et dernière fleur d'une tige si belle, 12
Hélas ! sous le couteau d'une mère cruelle 12
Te verrons-nous tomber une seconde fois ? 12
Prince aimable, dis-nous si quelque ange au berceau 12
1495 Contre tes assassins prit soin de te défendre ; 12
Ou si dans la nuit du tombeau 8
La voix du Dieu vivant a ranimé ta cendre. 12
Une autre
D'un père et d'un aïeul contre toi révoltés, 12
Grand Dieu, les attentats lui sont-ils imputés ? 12
1500 Est-ce que sans retour ta pitié l'abandonne ? 12
Le Chœur
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ? 12
N'es-tu plus le Dieu qui pardonne ? 8
Une des filles du Chœur
sans chanter.
Chères sœurs, n'entendez-vous pas 8
Des cruels Tyriens la trompette qui sonne ? 12
Salomith
1505 J'entends même les cris des barbares soldats, 12
Et d'horreur j'en frissonne. 6
Courons, fuyons ; retirons-nous 8
À l'ombre salutaire 6
Du redoutable sanctuaire. 8
Acte V
Scène première
Zacharie, Salomith, Le Chœur.
Salomith
1510 Cher Zacharie, hé bien ? que nous apprenez-vous ? 12
Zacharie
Redoublez au Seigneur votre ardente prière. 12
Peut-être nous touchons à notre heure dernière. 12
Pour l'horrible combat, ma sœur, l'ordre est donné. 12
Salomith
Que fait Joas ?
Zacharie
Joas vient d'être couronné.
1515 Le grand prêtre a sur lui répandu l'huile sainte. 12
Ô ciel ! dans tous les yeux quelle joie étoit peinte 12
À l'aspect de ce roi racheté du tombeau ! 12
Ma sœur, on voit encor la marque du couteau. 12
On voit paroître aussi sa fidèle nourrice, 12
1520 Qui cachée en un coin de ce vaste édifice, 12
Gardoit ce cher dépôt, et n'avoit de ses soins 12
Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins. 12
Nos lévites pleuroient de joie et de tendresse, 12
Et mêloient leurs sanglots à leurs cris d'allégresse. 12
1525 Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil, 12
À l'un tendoit la main, flattoit l'autre de l'œil, 12
Juroit de se régler par leurs avis sincères, 12
Et les appeloit tous ses pères ou ses frères. 12
Salomith
Ce secret au dehors est-il aussi semé ? 12
Zacharie
1530 Ce secret dans le temple est encor renfermé. 12
Des enfants de Lévi la troupe partagée 12
Dans un profond silence aux portes s'est rangée. 12
Tous doivent à la fois précipiter leurs pas, 12
Et crier pour signal : « Vive le roi Joas ! » 12
1535 Mais mon père défend que le Roi se hasarde, 12
Et veut qu'Azarias demeure pour sa garde. 12
Cependant Athalie, un poignard à la main, 12
Rit des foibles remparts de nos portes d'airain. 12
Pour les rompre, elle attend les fatales machines, 12
1540 Et ne respire enfin que sang et que ruines. 12
Quelques prêtres, ma sœur, ont d'abord proposé 12
Qu'en un lieu souterrain, par nos pères creusé, 12
On renfermât du moins notre arche précieuse. 12
« Ô crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse ! 12
1545 L'arche, qui fit tomber tant de superbes tours, 12
Et força le Jourdain de rebrousser son cours, 12
Des dieux des nations tant de fois triomphante, 12
Fuiroit donc à l'aspect d'une femme insolente ? » 12
Ma mère, auprès du Roi, dans un trouble mortel, 12
1550 L'œil tantôt sur ce prince et tantôt vers l'autel, 12
Muette, et succombant sous le poids des alarmes, 12
Aux yeux les plus cruels arracheroit des larmes. 12
Le Roi de temps en temps la presse entre ses bras, 12
La flatte… Chères sœurs, suivez toutes mes pas ; 12
1555 Et s'il faut aujourd'hui que notre roi périsse, 12
Allons, qu'un même sort avec lui nous unisse. 12
Salomith
Quelle insolente main frappe à coups redoublés ? 12
Qui fait courir ainsi ces lévites troublés ? 12
Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ? 12
Le temple est-il forcé ?
Zacharie
1560 Dissipez vos alarmes :
Dieu nous envoie Abner.
Scène II
Abner, Joad, Josabet, Zacharie, Salomith, Ismaël, Deux lévites, Etc.
Joad
En croirai-je mes yeux,
Cher Abner ? Quel chemin a pu jusqu'en ces lieux 12
Vous conduire au travers d'un camp qui nous assiège ? 12
On disoit que d'Achab la fille sacrilége 12
1565 Avoit, pour assurer ses projets inhumains, 12
Chargé d'indignes fers vos généreuses mains. 12
Abner
Oui, Seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage. 12
Mais c'est le moindre prix que me gardoit sa rage. 12
Dans l'horreur d'un cachot par son ordre enfermé, 12
1570 J'attendois que, le temple en cendres consumé, 12
De tant de flots de sang non encore assouvie, 12
Elle vînt m'affranchir d'une importune vie, 12
Et retrancher des jours qu'auroit dû mille fois 12
Terminer la douleur de survivre à mes rois. 12
Joad
1575 Par quel miracle a-t-on obtenu votre grâce ? 12
Abner
Dieu dans ce cœur cruel sait seul ce qui se passe. 12
Elle m'a fait venir, et d'un air égaré : 12
« Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré, 12
Dit-elle. Un feu vengeur va le réduire en cendre, 12
1580 Et ton Dieu contre moi ne le sauroit défendre. 12
Ses prêtres toutefois, mais il faut se hâter, 12
À deux conditions peuvent se racheter : 12
Qu'avec Éliacin on mette en ma puissance 12
Un trésor dont je sais qu'ils ont la connoissance, 12
1585 Par votre roi David autrefois amassé, 12
Sous le sceau du secret au grand prêtre laissé. 12
Va, dis-leur qu'à ce prix je leur permets de vivre. » 12
Joad
Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu'on doit suivre ? 12
Abner
Et tout l'or de David, s'il est vrai qu'en effet 12
1590 Vous gardiez de David quelque trésor secret, 12
Et tout ce que des mains de cette reine avare 12
Vous avez pu sauver et de riche et de rare, 12
Donnez-le. Voulez-vous que d'impurs assassins 12
Viennent briser l'autel, brûler les chérubins, 12
1595 Et portant sur notre arche une main téméraire, 12
De votre propre sang souiller le sanctuaire ? 12
Joad
Mais siéroit-il, Abner, à des cœurs généreux 12
De livrer au supplice un enfant malheureux, 12
Un enfant que Dieu même à ma garde confie, 12
1600 Et de nous racheter aux dépens de sa vie ? 12
Abner
Hélas ! Dieu voit mon cœur. Plût à ce Dieu puissant 12
Qu'Athalie oubliât un enfant innocent, 12
Et que du sang d'Abner sa cruauté contente 12
Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente ! 12
1605 Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins ? 12
Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins ? 12
Dieu vous ordonne-t-il de tenter l'impossible ? 12
Pour obéir aux lois d'un tyran inflexible, 12
Moïse, par sa mère au Nil abandonné, 12
1610 Se vit presque en naissant à périr condamné ; 12
Mais Dieu le conservant contre toute espérance, 12
Fit par le tyran même élever son enfance. 12
Qui sait ce qu'il réserve à votre Éliacin, 12
Et si lui préparant un semblable destin, 12
1615 Il n'a point de pitié déjà rendu capable 12
De nos malheureux rois l'homicide implacable ? 12
Du moins, et Josabet, comme moi, l'a pu voir, 12
Tantôt à son aspect je l'ai vu s'émouvoir ; 12
J'ai vu de son courroux tomber la violence. 12
1620 Princesse, en ce péril vous gardez le silence ? 12
Hé quoi ? pour un enfant qui vous est étranger 12
Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger 12
Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore 12
Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu'on l'adore ? 12
1625 Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux 12
Ce jeune enfant étoit un reste précieux ? 12
Josabet
tout bas à Joad.
Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse : 12
Que ne lui parlez-vous ?
Joad
Il n'est pas temps, Princesse.
Abner
Le temps est cher, Seigneur, plus que vous ne pensez. 12
1630 Tandis qu'à me répondre ici vous balancez, 12
Mathan près d'Athalie étincelant de rage, 12
Demande le signal et presse le carnage. 12
Faut-il que je me jette à vos sacrés genoux ? 12
Au nom du lieu si saint qui n'est ouvert qu'à vous, 12
1635 Lieu terrible où de Dieu la majesté repose, 12
Quelque dure que soit la loi qu'on vous impose, 12
De ce coup imprévu songeons à nous parer. 12
Donnez-moi seulement le temps de respirer. 12
Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures 12
1640 Pour assurer le temple et venger ses injures. 12
Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours 12
Pour vous persuader sont un foible secours : 12
Votre austère vertu n'en peut être frappée. 12
Hé bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée ; 12
1645 Et qu'aux portes du temple, où l'ennemi m'attend, 12
Abner puisse du moins mourir en combattant. 12
Joad
Je me rends. Vous m'ouvrez un avis que j'embrasse. 12
De tant de maux, Abner, détournons la menace. 12
Il est vrai, de David un trésor est resté. 12
1650 La garde en fut commise à ma fidélité. 12
C'étoit des tristes Juifs l'espérance dernière, 12
Que mes soins vigilants cachoient à la lumière. 12
Mais puisqu'à votre reine il faut le découvrir, 12
Je vais la contenter, nos portes vont s'ouvrir. 12
1655 De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagnée ; 12
Mais de nos saints autels qu'elle tienne éloignée 12
D'un ramas d'étrangers l'indiscrète fureur. 12
Du pillage du temple épargnez-moi l'horreur. 12
Des prêtres, des enfants lui feroient-ils quelque ombre ? 12
1660 De sa suite avec vous qu'elle règle le nombre. 12
Et quant à cet enfant si craint, si redouté, 12
De votre cœur, Abner, je connois l'équité. 12
Je vous veux devant elle expliquer sa naissance : 12
Vous verrez s'il le faut remettre en sa puissance, 12
1665 Et je vous ferai juge entre Athalie et lui. 12
Abner
Ah ! je le prends déjà, Seigneur, sous mon appui. 12
Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m'envoie. 12
Scène III
Joad, Josabet, Ismaël, Zacharie, Etc.
Joad
Grand Dieu, voici ton heure, on t'amène ta proie. 12
Ismaël, écoutez.
(Il lui parle à l'oreille.)
Josabet
Puissant maître des cieux,
1670 Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux, 12
Lorsque lui dérobant tout le fruit de son crime, 12
Tu cachas dans mon sein cette tendre victime. 12
Joad
Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps : 12
Suivez de point en point ces ordres importants. 12
1675 Surtout qu'à son entrée et que sur son passage 12
Tout d'un calme profond lui présente l'image. 12
Vous, enfants, préparez un trône pour Joas. 12
Qu'il s'avance suivi de nos sacrés soldats. 12
Faites venir aussi sa fidèle nourrice, 12
1680 Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse. 12
(À un lévite.)
Vous, dès que cette reine, ivre d'un fol orgueil, 12
De la porte du temple aura passé le seuil, 12
Qu'elle ne pourra plus retourner en arrière, 12
Prenez soin qu'à l'instant la trompette guerrière 12
1685 Dans le camp ennemi jette un subit effroi. 12
Appelez tout le peuple au secours de son roi, 12
Et faites retentir jusques à son oreille 12
De Joas conservé l'étonnante merveille. 12
Il vient.
Scène IV
Joas, Joad, Josabet, Troupes de prêtres et de lévites Etc.
Joad
continue.
Lévites saints, prêtres de notre Dieu,
1690 Partout, sans vous montrer, environnez ce lieu ; 12
Et laissant à mes soins gouverner votre zèle, 12
Pour paroître attendez que ma voix vous appelle. 12
(Ils se cachent tous.)
Roi, je crois qu'à vos vœux cet espoir est permis, 12
Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis. 12
1695 Celle dont la fureur poursuivit votre enfance 12
Vers ces lieux à grands pas pour vous perdre s'avance. 12
Mais ne la craignez point. Songez qu'autour de vous 12
L'ange exterminateur est debout avec nous. 12
Montez sur votre trône, et… Mais la porte s'ouvre : 12
1700 Permettez un moment que ce voile vous couvre. 12
(Il tire un rideau.)
Vous changez de couleur, Princesse ?
Josabet
Ah ! sans pâlir,
Puis-je voir d'assassins le temple se remplir ? 12
Quoi ? ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte… 12
Joad
Je vois que du saint temple on referme la porte. 12
Tout est en sûreté.
Scène V
Athalie, Joas,caché derrière le rideau ; Joad, Josabet, Abner, Suite d'Athalie.
Athalie
à Joad.
1705 Te voilà, séducteur,
De ligues, de complots pernicieux auteur, 12
Qui dans le trouble seul as mis tes espérances, 12
Éternel ennemi des suprêmes puissances. 12
En l'appui de ton Dieu tu t'étois reposé. 12
1710 De ton espoir frivole es-tu désabusé ? 12
Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie. 12
Je devrois sur l'autel, où ta main sacrifie, 12
Te… Mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter. 12
Ce que tu m'as promis, songe à l'exécuter. 12
1715 Cet enfant, ce trésor, qu'il faut qu'on me remette, 12
Où sont-ils ?
Joad
Sur-le-champ tu seras satisfaite :
Je te les vais montrer l'un et l'autre à la fois. 12
(Le rideau se tire.)
Paroissez, cher enfant, digne sang de nos rois. 12
Connois-tu l'héritier du plus saint des monarques, 12
1720 Reine ? De ton poignard connois du moins ces marques. 12
Voilà ton roi, ton fils, le fils d'Okosias. 12
Peuples, et vous, Abner, reconnoissez Joas. 12
Abner
Ciel !
Athalie
à Joad.
Perfide !
Joad
Vois-tu cette Juive fidèle,
Dont tu sais bien qu'alors il suçoit la mamelle ? 12
1725 Il fut par Josabet à ta rage enlevé. 12
Ce temple le reçut, et Dieu l'a conservé. 12
Des trésors de David voilà ce qui me reste. 12
Athalie
Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste. 12
D'un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi. 12
Joad
1730 Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi. 12
(Ici le fond du théâtre s'ouvre. On voit le dedans du temple ; et les lévites armés sortent de tous côtés sur la scène.)
Athalie
Où suis-je ? Ô trahison ! ô reine infortunée ! 12
D'armes et d'ennemis je suis environnée. 12
Joad
Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper, 12
Et Dieu de toutes parts a su t'envelopper. 12
1735 Ce Dieu que tu bravois, en nos mains t'a livrée. 12
Rends-lui compte du sang dont tu t'es enivrée. 12
Athalie
Quoi ? la peur a glacé mes indignes soldats ? 12
Lâche Abner, dans quel piége as-tu conduit mes pas ! 12
Abner
Reine, Dieu m'est témoin…
Athalie
Laisse là ton Dieu, traître,
Et venge-moi.
Abner
se jetant aux pieds de Joas.
1740 Sur qui ? Sur Joas ! sur mon maître !
Athalie
Lui Joas ? lui ton roi ? Songez, méchants, songez 12
Que mes armes encor vous tiennent assiégés. 12
J'entends à haute voix tout mon camp qui m'appelle. 12
On vient à mon secours. Tremblez, troupe rebelle. 12
Scène VI
Ismaël, Joas, Joad, Athalie, Etc.
Ismaël
à Joad.
1745 Seigneur, le temple est libre et n'a plus d'ennemis. 12
L'étranger est en fuite, et le Juif est soumis. 12
Comme le vent dans l'air dissipe la fumée, 12
La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée. 12
Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis, 12
1750 D'Okosias au peuple ont annoncé le fils, 12
Ont conté son enfance au glaive dérobée, 12
Et la fille d'Achab dans le piége tombée. 12
Partout en même temps la trompette a sonné, 12
Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné 12
1755 Ont répandu le trouble et la terreur subite 12
Dont Gédéon frappa le fier Madianite. 12
Les Tyriens, jetant armes et boucliers, 12
Ont, par divers chemins, disparu les premiers. 12
Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite ; 12
1760 Mais de Dieu sur Joas admirant la conduite, 12
Le reste à haute voix s'est pour lui déclaré. 12
Enfin d'un même esprit tout le peuple inspiré, 12
Femmes, vieillards, enfants, s'embrassant avec joie, 12
Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie. 12
1765 Tous chantent de David le fils ressuscité. 12
Baal est en horreur dans la sainte cité. 12
De son temple profane on a brisé les portes. 12
Mathan est égorgé.
Athalie
Dieu des Juifs, tu l'emportes !
Oui, c'est Joas, je cherche en vain à me tromper. 12
1770 Je reconnois l'endroit où je le fis frapper ; 12
Je vois d'Okosias et le port et le geste : 12
Tout me retrace enfin un sang que je déteste. 12
David, David triomphe ; Achab seul est détruit. 12
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit. 12
1775 C'est toi qui me flattant d'une vengeance aisée, 12
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée, 12
Tantôt pour un enfant excitant mes remords, 12
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors, 12
Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage. 12
1780 Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ; 12
Et que pour signaler son empire nouveau, 12
On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau. 12
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère : 12
Que dis-je, souhaiter ? je me flatte, j'espère 12
1785 Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi, 12
Fidèle au sang d'Achab, qu'il a reçu de moi, 12
Conforme à son aïeul, à son père semblable, 12
On verra de David l'héritier détestable 12
Abolir tes honneurs, profaner ton autel, 12
1790 Et venger Athalie, Achab et Jézabel. 12
Joad
Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée 12
Et que la sainteté n'en soit point profanée. 12
Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris, 12
De leur sang par sa mort faire cesser les cris. 12
1795 Si quelque audacieux embrasse sa querelle, 12
Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle. 12
Scène VII
Joas, Joad, Josabet, Abner, Etc.
Joas
Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction, 12
Détournez loin de moi sa malédiction, 12
Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie. 12
1800 Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie. 12
Joad
aux lévites.
Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi. 12
Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi. 12
Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnoissance, 12
De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance, 12
1805 Et saintement confus de nos égarements, 12
Nous rengager à lui par de nouveaux serments. 12
Abner, auprès du Roi reprenez votre place. 12
Hé bien ? de cette impie a-t-on puni l'audace ? 12
Scène VIII
Un lévite, Joas, Joad, Etc.
Un lévite
Le fer a de sa vie expié les horreurs. 12
1810 Jérusalem, longtemps en proie à ses fureurs, 12
De son joug odieux à la fin soulagée, 12
Avec joie en son sang la regarde plongée. 12
Joad
Par cette fin terrible, et due à ses forfaits, 12
Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais 12
1815 Que les rois dans le ciel ont un juge sévère, 12
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père. 12
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