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12 longueur métrique
6-6 mètre
RAC1/RAC1
Jean RACINE
1664
La Thébaïde ou les Frères ennemis
TRAGÉDIE
ACTEURS
Étéocle roi de Thèbes.
Polynice frère d'Étéocle.
Jocaste mère de ces deux princes et d'Antigone.
Antigone sœur d'Étéocle et de Polynice.
Créon oncle des princes et de la princesse.
Hémon fils de Créon, amant d'Antigone.
Olympe confidente de Jocaste.
Attale confident de Créon.
Un soldat de l'armée de Polynice
GARDES.
La scène est à Thèbes, dans une salle du palais royal.
Acte premier
Scène première
Jocaste, Olympe.
Jocaste
Ils sont sortis, Olympe ?Ah mortelles douleurs ! 6+6 a
Qu'un moment de reposme va cter de pleurs ! 6+6 a
Mes yeux depuis six moisétoient ouverts aux larmes, 6+6 a
Et le sommeil les fermeen de telles alarmes ? 6+6 a
5 Puisse plutôt la mortles fermer pour jamais, 6+6 a
Et m'empêcher de voirle plus noir des forfaits ! 6+6 a
Mais en sont-ils aux mains ?
Olympe
Du haut de la muraille 6+6 a
Je les ai vus déjàtous rangés en bataille ; 6+6 a
J'ai vu déjà le ferbriller de toutes parts ; 6+6 a
10 Et pour vous avertirj'ai quitté les remparts. 6+6 a
J'ai vu, le fer en main,Étéocle lui-même ; 6+6 a
Il marche des premiers,et d'une ardeur extrême 6+6 a
Il montre aux plus hardisà braver le danger. 6+6 a
Jocaste
N'en doutons plus, Olympe,ils se vont égorger. 6+6 a
15 Que l'on coure avertiret hâter la princesse ; 6+6 a
Je l'attends. Juste ciel,soutenez ma foiblesse ! 6+6 a
Il faut courir, Olympe,après ces inhumains ; 6+6 a
Il les faut séparer,ou mourir par leurs mains. 6+6 a
Nous voici donc, hélas !à ce jour détestable 6+6 a
20 Dont la seule frayeurme rendoit misérable ! 6+6 a
Ni prières ni pleursne m'ont de rien servi, 6+6 a
Et le courroux du sortvouloit être assouvi. 6+6 a
Ô toi, Soleil, ô toiqui rends le jour au monde, 6+6 a
Que ne l'as-tu laissédans une nuit profonde ! 6+6 a
25 À de si noirs forfaitsprêtes-tu tes rayons ? 6+6 a
Et peux-tu sans horreurvoir ce que nous voyons ? 6+6 a
Mais ces monstres, hélas !ne t'épouvantent guères : 6+6 a
La race de Laïusles a rendus vulgaires ; 6+6 a
Tu peux voir sans frayeurles crimes de mes fils, 6+6 a
30 Après ceux que le pèreet la mère ont commis. 6+6 a
Tu ne t'étonnes passi mes fils sont perfides, 6+6 a
S'ils sont tous deux méchants,et s'ils sont parricides : 6+6 a
Tu sais qu'ils sont sortisd'un sang incestueux, 6+6 a
Et tu t'étonneroiss'ils étoient vertueux. 6+6 a
Scène II
Jocaste, Antigone, Olympe.
Jocaste
35 Ma fille, avez-vous sul'excès de nos misères ? 6+6 a
Antigone
Oui, Madame : on m'a ditla fureur de mes frères. 6+6 a
Jocaste
Allons, chère Antigone,et courons de ce pas 6+6 a
Arrêter, s'il se peut,leur parricide bras. 6+6 a
Allons leur faire voirce qu'ils ont de plus tendre ; 6+6 a
40 Voyons si contre nousils pourront se défendre, 6+6 a
Ou s'ils oseront bien,dans leur noire fureur, 6+6 a
Répandre notre sangpour attaquer le leur. 6+6 a
Antigone
Madame, c'en est fait,voici le Roi lui-même. 6+6 a
Scène III
Jocaste, Antigone, Étéocle Olympe.
Jocaste
Olympe, soutiens-moi ;ma douleur est extrême. 6+6 a
Étéocle
Madame, qu'avez-vous ?et quel trouble
Jocaste
45 Ah ! mon fils, 6+6 a
Quelles traces de sangvois-je sur vos habits ? 6+6 a
Est-ce du sang d'un frère ?ou n'est-ce point du vôtre ? 6+6 a
Étéocle
Non, Madame, ce n'estni de l'un ni de l'autre. 6+6 a
Dans son camp jusqu'iciPolynice arrêté, 6+6 a
50 Pour combattre à mes yeuxne s'est point présenté. 6+6 a
D'Argiens seulementune troupe hardie 6+6 a
M'a voulu de nos mursdisputer la sortie : 6+6 a
J'ai fait mordre la poudreà ces audacieux ; 6+6 a
Et leur sang est celuiqui part à vos yeux. 6+6 a
Jocaste
55 Mais que prétendiez-vous ?et quelle ardeur soudaine 6+6 a
Vous a fait tout à coupdescendre dans la plaine ? 6+6 a
Étéocle
Madame, il étoit tempsque j'en usasse ainsi, 6+6 a
Et je perdois ma gloireà demeurer ici. 6+6 a
Le peuple, à qui la faimse faisoit déjà craindre, 6+6 a
60 De mon peu de vigueurcommençoit à se plaindre, 6+6 a
Me reprochant déjàqu'il m'avoit couronné, 6+6 a
Et que j'occupois malle rang qu'il m'a donné. 6+6 a
Il le faut satisfaire ;et quoi qu'il en arrive, 6+6 a
Thèbes dès aujourd'huine sera plus captive. 6+6 a
65 Je veux, en n'y laissantaucun de mes soldats, 6+6 a
Qu'elle soit seulementjuge de nos combats. 6+6 a
J'ai des forces assezpour tenir la campagne, 6+6 a
Et si quelque bonheurnos armes accompagne, 6+6 a
L'insolent Polyniceet ses fiers alliés 6+6 a
70 Laisseront Thèbes libre,ou mourront à mes pieds. 6+6 a
Jocaste
Vous pourriez d'un tel sang,ô ciel ! souiller vos armes ? 6+6 a
La couronne pour vousa-t-elle tant de charmes ? 6+6 a
Si par un parricideil la falloit gagner, 6+6 a
Ah ! mon fils, à ce prixvoudriez-vous régner ? 6+6 a
75 Mais il ne tient qu'à vous,si l'honneur vous anime, 6+6 a
De nous donner la paixsans le secours d'un crime, 6+6 a
Et de votre courrouxtriomphant aujourd'hui, 6+6 a
Contenter votre frère,et régner avec lui. 6+6 a
Étéocle
Appelez-vous régnerpartager ma couronne, 6+6 a
80 Et céder lâchementce que mon droit me donne ? 6+6 a
Jocaste
Vous le savez, mon fils,la justice et le sang 6+6 a
Lui donnent, comme à vous,sa part à ce haut rang. 6+6 a
Œdipe, en achevantsa triste destinée, 6+6 a
Ordonna que chacunrégneroit son année ; 6+6 a
85 Et n'ayant qu'un Étatà mettre sous vos lois, 6+6 a
Voulut que tour à tourvous fussiez tous deux rois. 6+6 a
À ces conditionsvous daignâtes souscrire. 6+6 a
Le sort vous appelale premier à l'empire, 6+6 a
Vous montâtes au trône ;il n'en fut point jaloux : 6+6 a
90 Et vous ne voulez pasqu'il y monte après vous ? 6+6 a
Étéocle
Non, Madame, à l'empireil ne doit plus prétendre ; 6+6 a
Thèbes à cet arrêtn'a point voulu se rendre ; 6+6 a
Et lorsque sur le trôneil s'est voulu placer, 6+6 a
C'est elle, et non pas moi,qui l'en a su chasser. 6+6 a
95 Thèbes doit-elle moinsredouter sa puissance, 6+6 a
Après avoir six moissenti sa violence ? 6+6 a
Voudroit-elle obéirà ce prince inhumain, 6+6 a
Qui vient d'armer contre elleet le fer et la faim ? 6+6 a
Prendroit-elle pour roil'esclave de Mycène, 6+6 a
100 Qui pour tous les Thébainsn'a plus que de la haine, 6+6 a
Qui s'est au roi d'Argosindignement soumis, 6+6 a
Et que l'hymen attacheà nos fiers ennemis ? 6+6 a
Lorsque le roi d'Argosl'a choisi pour son gendre, 6+6 a
Il espéroit par luide voir Thèbes en cendre ; 6+6 a
105 L'amour eut peu de partà cet hymen honteux, 6+6 a
Et la seule fureuren alluma les feux. 6+6 a
Thèbes m'a couronnépour éviter ses chnes ; 6+6 a
Elle s'attend par moide voir finir ses peines : 6+6 a
Il la faut accusersi je manque de foi ; 6+6 a
110 Et je suis son captif,je ne suis pas son roi. 6+6 a
Jocaste
Dites, dites plutôt,cœur ingrat et farouche, 6+6 a
Qu'auprès du diadèmeil n'est rien qui vous touche. 6+6 a
Mais je me trompe encor :ce rang ne vous plt pas, 6+6 a
Et le crime tout seula pour vous des appas. 6+6 a
115 Hé bien ! puisqu'à ce pointvous en êtes avide, 6+6 a
Je vous offre à commettreun double parricide : 6+6 a
Versez le sang d'un frère ;et si c'est peu du sien, 6+6 a
Je vous invite encoreà répandre le mien. 6+6 a
Vous n'aurez plus alorsd'ennemis à soumettre, 6+6 a
120 D'obstacle à surmonter,ni de crime à commettre ; 6+6 a
Et n'ayant plus au trôneun fâcheux concurrent, 6+6 a
De tous les criminelsvous serez le plus grand. 6+6 a
Étéocle
Hé bien, Madame, hé bien,il faut vous satisfaire : 6+6 a
Il faut sortir du trôneet couronner mon frère ; 6+6 a
125 Il faut, pour secondervotre injuste projet, 6+6 a
De son roi que j'étoisdevenir son sujet ; 6+6 a
Et pour vous éleverau comble de la joie, 6+6 a
Il faut à sa fureurque je me livre en proie ; 6+6 a
Il faut par mon trépas…
Jocaste
Ah ciel ! quelle rigueur ! 6+6 a
130 Que vous pénétrez maldans le fond de mon cœur ! 6+6 a
Je ne demande pasque vous quittiez l'empire : 6+6 a
Régnez toujours, mon fils,c'est ce que je desire. 6+6 a
Mais si tant de malheursvous touchent de pitié, 6+6 a
Si pour moi votre cœurgarde quelque amitié, 6+6 a
135 Et si vous prenez soinde votre gloire même, 6+6 a
Associez un frèreà cet honneur suprême. 6+6 a
Ce n'est qu'un vain éclatqu'il recevra de vous ; 6+6 a
Votre règne en seraplus puissant et plus doux. 6+6 a
Les peuples, admirantcette vertu sublime, 6+6 a
140 Voudront toujours pour princeun roi si magnanime ; 6+6 a
Et cet illustre effort,loin d'affoiblir vos droits, 6+6 a
Vous rendra le plus justeet le plus grand des rois. 6+6 a
Ou s'il faut que mes vœuxvous trouvent inflexible, 6+6 a
Si la paix à ce prixvous part impossible, 6+6 a
145 Et si le diadèmea pour vous tant d'attraits, 6+6 a
Au moins consolez-moide quelque heure de paix. 6+6 a
Accordez cette grâceaux larmes d'une mère. 6+6 a
Et cependant, mon fils,j'irai voir votre frère ; 6+6 a
La pitié dans son âmeaura peut-être lieu, 6+6 a
150 Ou du moins pour jamaisj'irai lui dire adieu. 6+6 a
Dès ce même momentpermettez que je sorte : 6+6 a
J'irai jusqu'à sa tente,et j'irai sans escorte ; 6+6 a
Par mes justes soupirsj'espère l'émouvoir. 6+6 a
Étéocle
Madame, sans sortir,vous le pouvez revoir ; 6+6 a
155 Et si cette entrevuea pour vous tant de charmes, 6+6 a
Il ne tiendra qu'à luide suspendre nos armes. 6+6 a
Vous pouvez dès cette heureaccomplir vos souhaits, 6+6 a
Et le faire venirjusque dans ce palais. 6+6 a
J'irai plus loin encore ;et pour faire conntre 6+6 a
160 Qu'il a tort en effetde me nommer un trtre, 6+6 a
Et que je ne suis pasun tyran odieux, 6+6 a
Que l'on fasse parleret le peuple et les Dieux. 6+6 a
Si le peuple y consent,je lui cède ma place ; 6+6 a
Mais qu'il se rende enfin,si le peuple le chasse. 6+6 a
165 Je ne force personne ;et j'engage ma foi 6+6 a
De laisser aux Thébainsà se choisir un roi. 6+6 a
Scène IV
Jocaste, Étéocle, Antigone, Créon, Olympe.
Créon
Seigneur, votre sortiea mis tout en alarmes : 6+6 a
Thèbes, qui croit vous perdre,est déjà toute en larmes : 6+6 a
L'épouvante et l'horreurrègnent de toutes parts, 6+6 a
170 Et le peuple effrayétremble sur ses remparts. 6+6 a
Étéocle
Cette vaine frayeursera bientôt calmée. 6+6 a
Madame, je m'en vaisretrouver mon armée ; 6+6 a
Cependant vous pouvezaccomplir vos souhaits, 6+6 a
Faire entrer Polynice,et lui parler de paix. 6+6 a
175 Créon, la Reine icicommande en mon absence ; 6+6 a
Disposez tout le mondeà son obéissance ; 6+6 a
Laissez, pour recevoiret pour donner ses lois, 6+6 a
Votre fils Ménecée,et j'en ai fait le choix. 6+6 a
Comme il a de l'honneurautant que de courage, 6+6 a
180 Ce choix aux ennemisôtera tout ombrage, 6+6 a
Et sa vertu suffitpour les rendre assurés. 6+6 a
Commandez-lui, Madame.
à Créon.
Et vous, vous me suivrez. 6+6 a
Créon
Quoi ? Seigneur…
Étéocle
Oui, Créon,la chose est résolue. 6+6 a
Créon
Et vous quittez ainsila puissance absolue ? 6+6 a
Étéocle
185 Que je la quitte ou non,ne vous tourmentez pas : 6+6 a
Faites ce que j'ordonne,et venez sur mes pas. 6+6 a
Scène V
Jocaste, Antigone, Créon, Olympe.
Créon
Qu'avez-vous fait, Madame ?et par quelle conduite 6+6 a
Forcez-vous un vainqueurà prendre ainsi la fuite ? 6+6 a
Ce conseil va tout perdre.
Jocaste
Il va tout conserver ; 6+6 a
190 Et par ce seul conseilThèbes se peut sauver. 6+6 a
Créon
Eh quoi, Madame, eh quoi ?dans l'état nous sommes, 6+6 a
Lorsqu'avec un renfortde plus de six mille hommes, 6+6 a
La fortune promettoute chose aux Thébains, 6+6 a
Le Roi se laisse ôterla victoire des mains ? 6+6 a
Jocaste
195 La victoire, Créon,n'est pas toujours si belle : 6+6 a
La honte et les remordsvont souvent après elle. 6+6 a
Quand deux frères armésvont s'égorger entre eux, 6+6 a
Ne les pas séparer,c'est les perdre tous deux. 6+6 a
Peut-on faire au vainqueurune injure plus noire, 6+6 a
200 Que lui laisser gagnerune telle victoire ? 6+6 a
Créon
Leur courroux est trop grand…
Jocaste
Il peut être adouci. 6+6 a
Créon
Tous deux veulent régner.
Jocaste
Ils régneront aussi. 6+6 a
Créon
On ne partage pointla grandeur souveraine ; 6+6 a
Et ce n'est pas un bienqu'on quitte et qu'on reprenne. 6+6 a
Jocaste
205 L'intérêt de l'Étatleur servira de loi. 6+6 a
Créon
L'intérêt de l'Étatest de n'avoir qu'un roi, 6+6 a
Qui d'un ordre constantgouvernant ses provinces, 6+6 a
Accoutume à ses loiset le peuple et les princes. 6+6 a
Ce règne interrompude deux rois différents, 6+6 a
210 En lui donnant deux rois,lui donne deux tyrans. 6+6 a
Par un ordre souventl'un à l'autre contraire 6+6 a
Un frère détruiroitce qu'auroit fait un frère ; 6+6 a
Vous les verriez toujoursformer quelque attentat, 6+6 a
Et changer tous les ansla face de l'État. 6+6 a
215 Ce terme limité,que l'on veut leur prescrire, 6+6 a
Accrt leur violenceen bornant leur empire. 6+6 a
Tous deux feront gémirles peuples tour à tour : 6+6 a
Pareils à ces torrentsqui ne durent qu'un jour, 6+6 a
Plus leur cours est borné,plus ils font de ravage, 6+6 a
220 Et d'horribles dégâtssignalent leur passage. 6+6 a
Jocaste
On les verroit plutôtpar de nobles projets 6+6 a
Se disputer tous deuxl'amour de leurs sujets. 6+6 a
Mais avouez, Créon,que toute votre peine 6+6 a
C'est de voir que la paixrend votre attente vaine ; 6+6 a
225 Qu'elle assure à mes filsle trône vous tendez, 6+6 a
Et va rompre le piége vous les attendez. 6+6 a
Comme, après leur trépas,le droit de la naissance 6+6 a
Fait tomber en vos mainsla suprême puissance, 6+6 a
Le sang qui vous unitaux deux princes mes fils 6+6 a
230 Vous fait trouver en euxvos plus grands ennemis ; 6+6 a
Et votre ambition,qui tend à leur fortune, 6+6 a
Vous donne pour tous deuxune haine commune. 6+6 a
Vous inspirez au Roivos conseils dangereux, 6+6 a
Et vous en servez unpour les perdre tous deux. 6+6 a
Créon
235 Je ne me repais pointde pareilles chimères. 6+6 a
Mes respects pour le Roisont ardents et sincères ; 6+6 a
Et mon ambitionest de le maintenir 6+6 a
Au trône vous croyezque je veux parvenir. 6+6 a
Le soin de sa grandeurest le seul qui m'anime ; 6+6 a
240 Je hais ses ennemis,et c'est là tout mon crime : 6+6 a
Je ne m'en cache point.Mais à ce que je voi, 6+6 a
Chacun n'est pas icicriminel comme moi. 6+6 a
Jocaste
Je suis mère, Créon ;et si j'aime son frère, 6+6 a
La personne du Roine m'en est pas moins chère. 6+6 a
245 De lâches courtisanspeuvent bien le haïr ; 6+6 a
Mais une mère enfinne peut pas se trahir. 6+6 a
Antigone
Vos intérêts icisont conformes aux nôtres : 6+6 a
Les ennemis du Roine sont pas tous les vôtres ; 6+6 a
Créon, vous êtes père,et dans ces ennemis 6+6 a
250 Peut-être songez-vousque vous avez un fils. 6+6 a
On sait de quelle ardeurHémon sert Polynice. 6+6 a
Créon
Oui, je le sais, Madame,et je lui fais justice : 6+6 a
Je le dois, en effet,distinguer du commun, 6+6 a
Mais c'est pour le haïrencor plus que pas un ; 6+6 a
255 Et je souhaiterois,dans ma juste colère, 6+6 a
Que chacun le haïtcomme le hait son père. 6+6 a
Antigone
Après tout ce qu'a faitla valeur de son bras, 6+6 a
Tout le monde en ce pointne vous ressemble pas. 6+6 a
Créon
Je le vois bien, Madame,et c'est ce qui m'afflige ; 6+6 a
260 Mais je sais bien à quoisa révolte m'oblige ; 6+6 a
Et tous ces beaux exploitsqui le font admirer, 6+6 a
C'est ce qui me le faitjustement abhorrer. 6+6 a
La honte suit toujoursle parti des rebelles ; 6+6 a
Leurs grandes actionssont les plus criminelles : 6+6 a
265 Ils signalent leur crimeen signalant leur bras, 6+6 a
Et la gloire n'est point les rois ne sont pas. 6+6 a
Antigone
Écoutez un peu mieuxla voix de la nature. 6+6 a
Créon
Plus l'offenseur m'est cher,plus je ressens l'injure. 6+6 a
Antigone
Mais un père à ce pointdoit-il être emporté ? 6+6 a
Vous avez trop de haine.
Créon
270 Et vous, trop de bonté. 6+6 a
C'est trop parler, Madame,en faveur d'un rebelle. 6+6 a
Antigone
L'innocence vaut bienque l'on parle pour elle. 6+6 a
Créon
Je sais ce qui le rendinnocent à vos yeux. 6+6 a
Antigone
Et je sais quel sujetvous le rend odieux. 6+6 a
Créon
275 L'amour a d'autres yeuxque le commun des hommes. 6+6 a
Jocaste
Vous abusez, Créon,de l'état nous sommes ; 6+6 a
Tout vous semble permis ;mais craignez mon courroux : 6+6 a
Vos libertés enfinretomberoient sur vous. 6+6 a
Antigone
L'intérêt du publicagit peu sur son âme, 6+6 a
280 Et l'amour du paysnous cache une autre flamme. 6+6 a
Je la sais ; mais, Créon,j'en abhorre le cours, 6+6 a
Et vous ferez bien mieuxde la cacher toujours. 6+6 a
Créon
Je le ferai, Madame ;et je veux par avance 6+6 a
Vous épargner encorjusques à ma présence. 6+6 a
285 Aussi bien mes respectsredoublent vos mépris ; 6+6 a
Et je vais faire placeà ce bienheureux fils. 6+6 a
Le Roi m'appelle ailleurs,il faut que j'obéisse. 6+6 a
Adieu : faites venirHémon et Polynice. 6+6 a
Jocaste
N'en doute pas, méchant,ils vont venir tous deux ; 6+6 a
290 Tous deux ils préviendronttes desseins malheureux. 6+6 a
Scène VI
Jocaste, Antigone, Olympe.
Antigone
Le perfide ! À quel pointson insolence monte ! 6+6 a
Jocaste
Ses superbes discourstourneront à sa honte. 6+6 a
Bientôt, si nos desirssont exaucés des cieux, 6+6 a
La paix nous vengerade cet ambitieux. 6+6 a
295 Mais il faut se hâter,chaque heure nous est chère : 6+6 a
Appelons promptementHémon et votre frère ; 6+6 a
Je suis pour ce desseinprête à leur accorder 6+6 a
Toutes les sûretésqu'ils pourront demander. 6+6 a
Et toi, si mes malheursont lassé ta justice, 6+6 a
300 Ciel, dispose à la paixle cœur de Polynice, 6+6 a
Seconde mes soupirs,donne force à mes pleurs, 6+6 a
Et comme il faut enfinfais parler mes douleurs. 6+6 a
Antigone
demeurant un peu après sa mère.
Et si tu prends pitiéd'une flamme innocente, 6+6 a
Ô ciel, en ramenantHémon à son amante, 6+6 a
305 Ramène-le fidèle ;et permets en ce jour 6+6 a
Qu'en retrouvant l'amantje retrouve l'amour ! 6+6 a
Acte II
Scène première
Antigone, Hémon.
Hémon
Quoi ? vous me refusezvotre aimable présence 6+6 a
Après un an entierde supplice et d'absence ? 6+6 a
Ne m'avez-vous, Madame,appelé près de vous, 6+6 a
310 Que pour m'ôter sitôtun bien qui m'est si doux ? 6+6 a
Antigone
Et voulez-vous sitôtque j'abandonne un frère ? 6+6 a
Ne dois-je pas au templeaccompagner ma mère ? 6+6 a
Et dois-je préférer,au gré de vos souhaits, 6+6 a
Le soin de votre amourà celui de la paix ? 6+6 a
Hémon
315 Madame, à mon bonheurc'est chercher trop d'obstacles : 6+6 a
Ils iront bien sans nousconsulter les oracles. 6+6 a
Permettez que mon cœur,en voyant vos beaux yeux, 6+6 a
De l'état de son sortinterroge ses dieux. 6+6 a
Puis-je leur demander,sans être téméraire, 6+6 a
320 S'ils ont toujours pour moileur douceur ordinaire ? 6+6 a
Souffrent-ils sans courrouxmon ardente amitié ? 6+6 a
Et du mal qu'ils ont faitont-ils quelque pitié ? 6+6 a
Durant le triste coursd'une absence cruelle, 6+6 a
Avez-vous souhaitéque je fusse fidèle ? 6+6 a
325 Songiez-vous que la mortmenaçoit loin de vous 6+6 a
Un amant qui ne doitmourir qu'à vos genoux ? 6+6 a
Ah ! d'un si bel objetquand une âme est blessée, 6+6 a
Quand un cœur jusqu'à vousélève sa pensée, 6+6 a
Qu'il est doux d'adorertant de divins appas ! 6+6 a
330 Mais aussi que l'on souffreen ne les voyant pas ! 6+6 a
Un moment loin de vousme duroit une année ; 6+6 a
J'aurois fini cent foisma triste destinée, 6+6 a
Si je n'eusse songéjusques à mon retour 6+6 a
Que mon éloignementvous prouvoit mon amour, 6+6 a
335 Et que le souvenirde mon obéissance 6+6 a
Pourroit en ma faveurparler en mon absence, 6+6 a
Et que pensant à moivous penseriez aussi 6+6 a
Qu'il faut aimer beaucouppour obéir ainsi. 6+6 a
Antigone
Oui, je l'avois bien cru,qu'une âme si fidèle 6+6 a
340 Trouveroit dans l'absenceune peine cruelle ; 6+6 a
Et si mes sentimentsse doivent découvrir, 6+6 a
Je souhaitois, Hémon,qu'elle vous fît souffrir, 6+6 a
Et qu'étant loin de moi,quelque ombre d'amertume 6+6 a
Vous fît trouver les joursplus longs que de coutume. 6+6 a
345 Mais ne vous plaignez pas :mon cœur chargé d'ennui 6+6 a
Ne vous souhaitoit rienqu'il n'éprouvât en lui. 6+6 a
Surtout depuis le tempsque dure cette guerre, 6+6 a
Et que de gens armésvous couvrez cette terre, 6+6 a
Ô Dieux ! à quels tourmentsmon cœur s'est vu soumis, 6+6 a
350 Voyant des deux côtésses plus tendres amis ! 6+6 a
Mille objets de douleurdéchiroient mes entrailles ; 6+6 a
J'en voyois et dehorset dedans nos murailles ; 6+6 a
Chaque assaut à mon cœurlivroit mille combats ; 6+6 a
Et mille fois le jourje souffrois le trépas. 6+6 a
Hémon
355 Mais enfin qu'ai-je fait,en ce malheur extrême, 6+6 a
Que ne m'ait ordonnéma princesse elle-même ? 6+6 a
J'ai suivi Polynice ;et vous l'avez voulu : 6+6 a
Vous me l'avez prescritpar un ordre absolu. 6+6 a
Je lui vouai dès lorsune amitié sincère ; 6+6 a
360 Je quittai mon pays,j'abandonnai mon père ; 6+6 a
Sur moi par ce départj'attirai son courroux ; 6+6 a
Et pour tout dire enfin,je m'éloignai de vous. 6+6 a
Antigone
Je m'en souviens, Hémon,et je vous fais justice : 6+6 a
C'est moi que vous serviezen servant Polynice ; 6+6 a
365 Il m'étoit cher alorscomme il est aujourd'hui, 6+6 a
Et je prenois pour moice qu'on faisoit pour lui. 6+6 a
Nous nous aimions tous deuxdès la plus tendre enfance, 6+6 a
Et j'avois sur son cœurune entière puissance ; 6+6 a
Je trouvois à lui plaireune extrême douceur, 6+6 a
370 Et les chagrins du frèreétoient ceux de la sœur. 6+6 a
Ah ! si j'avois encorsur lui le même empire, 6+6 a
Il aimeroit la paix,pour qui mon cœur soupire. 6+6 a
Notre commun malheuren seroit adouci : 6+6 a
Je le verrois, Hémon ;vous me verriez aussi. 6+6 a
Hémon
375 De cette affreuse guerreil abhorre l'image : 6+6 a
Je l'ai vu soupirerde douleur et de rage, 6+6 a
Lorsque, pour remonterau trône paternel, 6+6 a
On le foa de prendreun chemin si cruel. 6+6 a
Espérons que le ciel,touché de nos misères, 6+6 a
380 Achèvera bientôtde réunir les frères. 6+6 a
Puisse-t-il rétablirl'amitié dans leur cœur, 6+6 a
Et conserver l'amourdans celui de la sœur ! 6+6 a
Antigone
Hélas ! ne doutez pointque ce dernier ouvrage 6+6 a
Ne lui soit plus aiséque de calmer leur rage. 6+6 a
385 Je les connois tous deux,et je répondrois bien 6+6 a
Que leur cœur, cher Hémon,est plus dur que le mien. 6+6 a
Mais les Dieux quelquefoisfont de plus grands miracles. 6+6 a
Scène II
Antigone, Hémon, Olympe.
Antigone
Hé bien ! apprendrons-nousce qu'ont dit les oracles ? 6+6 a
Que faut-il faire ?
Olympe
Hélas !
Antigone
Quoi ? qu'en a-t-on appris ? 6+6 a
Est-ce la guerre, Olympe ?
Olympe
390 Ah ! c'est encore pis ! 6+6 a
Hémon
Quel est donc ce grand malque leur courroux annonce ? 6+6 a
Olympe
Prince, pour en juger,écoutez leur réponse : 6+6 a
 « Thébains, pour n'avoir plus de guerres, 8 a
 Il faut, par un ordre fatal, 8 b
395  Que le dernier du sang royal 8 b
 Par son trépasensanglante vos terres. » 4+6 a
Antigone
Ô Dieux, que vous a faitce sang infortuné, 6+6 a
Et pourquoi tout entierl'avez-vous condamné ? 6+6 a
N'êtes-vous pas contentsde la mort de mon père ? 6+6 a
400 Tout notre sang doit-ilsentir votre colère ? 6+6 a
Hémon
Madame, cet arrêtne vous regarde pas ; 6+6 a
Votre vertu vous metà couvert du trépas : 6+6 a
Les Dieux savent trop bienconntre l'innocence 6+6 a
Antigone
Et ce n'est pas pour moique je crains leur vengeance. 6+6 a
405 Mon innocence, Hémon,seroit un foible appui ; 6+6 a
Fille d'Œdipe, il fautque je meure pour lui. 6+6 a
Je l'attends, cette mort,et je l'attends sans plainte, 6+6 a
Et s'il faut avouerle sujet de ma crainte, 6+6 a
C'est pour vous que je crains :oui, cher Hémon, pour vous. 6+6 a
410 De ce sang malheureuxvous sortez comme nous ; 6+6 a
Et je ne vois que tropque le courroux céleste 6+6 a
Vous rendra, comme à nous,cet honneur bien funeste, 6+6 a
Et fera regretteraux princes des Thébains 6+6 a
De n'être pas sortisdu dernier des humains. 6+6 a
Hémon
415 Peut-on se repentird'un si grand avantage ? 6+6 a
Un si noble trépasflatte trop mon courage ; 6+6 a
Et du sang de ses roisil est beau d'être issu, 6+6 a
Dût-on rendre ce sangsitôt qu'on l'a reçu. 6+6 a
Antigone
Eh quoi ! si parmi nouson a fait quelque offense, 6+6 a
420 Le ciel doit-il sur vousen prendre la vengeance ? 6+6 a
Et n'est-ce pas assezdu père et des enfants, 6+6 a
Sans qu'il aille plus loinchercher des innocents ? 6+6 a
C'est à nous à payerpour les crimes des nôtres : 6+6 a
Punissez-nous, grands Dieux ;mais épargnez les autres. 6+6 a
425 Mon père, cher Hémon,vous va perdre aujourd'hui ; 6+6 a
Et je vous perds peut-êtreencore plus que lui. 6+6 a
Le ciel punit sur vouset sur votre famille 6+6 a
Et les crimes du pèreet l'amour de la fille ; 6+6 a
Et ce funeste amourvous nuit encore plus 6+6 a
430 Que les crimes d'Œdipeet le sang de Laïus. 6+6 a
Hémon
Quoi ? mon amour, Madame ?Et qu'a-t-il de funeste ? 6+6 a
Est-ce un crime qu'aimerune beauté céleste ? 6+6 a
Et puisque sans colèreil est reçu de vous, 6+6 a
En quoi peut-il du cielmériter le courroux ? 6+6 a
435 Vous seule en mes soupirsêtes intéressée : 6+6 a
C'est à vous à jugers'ils vous ont offensée. 6+6 a
Tels que seront pour euxvos arrêts tout-puissants, 6+6 a
Ils seront criminelsou seront innocents. 6+6 a
Que le ciel à son gréde ma perte dispose, 6+6 a
440 J'en chérirai toujourset l'une et l'autre cause, 6+6 a
Glorieux de mourirpour le sang de mes rois, 6+6 a
Et plus heureux encorde mourir sous vos lois. 6+6 a
Aussi bien que ferois-jeen ce commun naufrage ? 6+6 a
Pourrois-je me résoudreà vivre davantage ? 6+6 a
445 En vain les Dieux voudroientdifférer mon trépas, 6+6 a
Mon désespoir feroitce qu'ils ne feroient pas. 6+6 a
Mais peut-être, après tout,notre frayeur est vaine ; 6+6 a
Attendons… Mais voiciPolynice et la Reine. 6+6 a
Scène III
Jocaste, Polynice, Antigone, Hémon.
Polynice
Madame, au nom des Dieux,cessez de m'arrêter : 6+6 a
450 Je vois bien que la paixne peut s'exécuter. 6+6 a
J'espérois que du ciella justice infinie 6+6 a
Voudroit se déclarercontre la tyrannie, 6+6 a
Et que lassé de voirrépandre tant de sang, 6+6 a
Il rendroit à chacunson légitime rang. 6+6 a
455 Mais puisque ouvertementil tient pour l'injustice, 6+6 a
Et que des criminelsil se rend le complice, 6+6 a
Dois-je encore espérerqu'un peuple révolté, 6+6 a
Quand le ciel est injuste,écoute l'équité ? 6+6 a
Dois-je prendre pour jugeune troupe insolente, 6+6 a
460 D'un fier usurpateurministre violente, 6+6 a
Qui sert mon ennemipar un lâche intérêt, 6+6 a
Et qu'il anime encor,tout éloigné qu'il est ? 6+6 a
La raison n'agit pointsur une populace : 6+6 a
De ce peuple déjàj'ai ressenti l'audace ; 6+6 a
465 Et loin de me reprendreaprès m'avoir chassé, 6+6 a
Il croit voir un tyrandans un prince offensé. 6+6 a
Comme sur lui l'honneurn'eut jamais de puissance, 6+6 a
Il croit que tout le mondeaspire à la vengeance. 6+6 a
De ses inimitiésrien n'arrête le cours : 6+6 a
470 Quand il hait une fois,il veut haïr toujours. 6+6 a
Jocaste
Mais s'il est vrai, mon fils,que ce peuple vous craigne, 6+6 a
Et que tous les Thébainsredoutent votre règne, 6+6 a
Pourquoi par tant de sangcherchez-vous à régner 6+6 a
Sur ce peuple endurcique rien ne peut gagner ? 6+6 a
Polynice
475 Est-ce au peuple, Madame,à se choisir un mtre ? 6+6 a
Sitôt qu'il hait un roi,doit-on cesser de l'être ? 6+6 a
Sa haine ou son amour,sont-ce les premiers droits 6+6 a
Qui font monter au trôneou descendre les rois ? 6+6 a
Que le peuple à son grénous craigne ou nous chérisse, 6+6 a
480 Le sang nous met au trône,et non pas son caprice : 6+6 a
Ce que le sang lui donne,il le doit accepter ; 6+6 a
Et s'il n'aime son prince,il le doit respecter. 6+6 a
Jocaste
Vous serez un tyranhaï de vos provinces. 6+6 a
Polynice
Ce nom ne convient pasaux légitimes princes ; 6+6 a
485 De ce titre odieuxmes droits me sont garants : 6+6 a
La haine des sujetsne fait pas les tyrans. 6+6 a
Appelez de ce nomÉtéocle lui-même. 6+6 a
Jocaste
Il est aimé de tous.
Polynice
C'est un tyran qu'on aime, 6+6 a
Qui par cent lâchetéstâche à se maintenir 6+6 a
490 Au rang par la forceil a su parvenir ; 6+6 a
Et son orgueil le rend,par un effet contraire, 6+6 a
Esclave de son peuple,et tyran de son frère. 6+6 a
Pour commander tout seulil veut bien obéir, 6+6 a
Et se fait mépriserpour me faire haïr. 6+6 a
495 Ce n'est pas sans sujetqu'on me préfère un trtre : 6+6 a
Le peuple aime un esclave,et craint d'avoir un mtre ; 6+6 a
Mais je croirois trahirla majesté des rois, 6+6 a
Si je faisois le peuplearbitre de mes droits. 6+6 a
Jocaste
Ainsi donc la discordea pour vous tant de charmes ? 6+6 a
500 Vous lassez-vous déjàd'avoir posé les armes ? 6+6 a
Ne cesserons-nous point,après tant de malheurs, 6+6 a
Vous, de verser du sang,moi, de verser des pleurs ? 6+6 a
N'accorderez-vous rienaux larmes d'une mère ? 6+6 a
Ma fille, s'il se peut,retenez votre frère : 6+6 a
505 Le cruel pour vous seuleavoit de l'amitié. 6+6 a
Antigone
Ah ! si pour vous son âmeest sourde à la pitié, 6+6 a
Que pourrois-je espérerd'une amitié passée, 6+6 a
Qu'un long éloignementn'a que trop effacée ? 6+6 a
À peine en sa mémoireai-je encor quelque rang ; 6+6 a
510 Il n'aime, il ne se pltqu'à répandre du sang. 6+6 a
Ne cherchez plus en luice prince magnanime, 6+6 a
Ce prince qui montroittant d'horreur pour le crime, 6+6 a
Dont l'âme généreuseavoit tant de douceur, 6+6 a
Qui respectoit sa mèreet chérissoit sa sœur. 6+6 a
515 La nature pour luin'est plus qu'une chimère : 6+6 a
Il méconnt sa sœur,il méprise sa mère ; 6+6 a
Et l'ingrat, en l'état son orgueil l'a mis, 6+6 a
Nous croit des étrangers,ou bien des ennemis. 6+6 a
Polynice
N'imputez point ce crimeà mon âme affligée : 6+6 a
520 Dites plutôt, ma sœur,que vous êtes changée ; 6+6 a
Dites que de mon rangl'injuste usurpateur 6+6 a
M'a su ravir encorl'amitié de ma sœur. 6+6 a
Je vous connois toujours,et suis toujours le même. 6+6 a
Antigone
Est-ce m'aimer, cruel,autant que je vous aime, 6+6 a
525 Que d'être inexorableà mes tristes soupirs, 6+6 a
Et m'exposer encoreà tant de déplaisirs ? 6+6 a
Polynice
Mais vous-même, ma sœur,est-ce aimer votre frère 6+6 a
Que de lui faire icicette injuste prière, 6+6 a
Et me vouloir ravirle sceptre de la main ? 6+6 a
530 Dieux ! qu'est-ce qu'Étéoclea de plus inhumain ? 6+6 a
C'est trop favoriserun tyran qui m'outrage. 6+6 a
Antigone
Non, non, vos intérêtsme touchent davantage. 6+6 a
Ne croyez pas mes pleursperfides à ce point : 6+6 a
Avec vos ennemisils ne conspirent point. 6+6 a
535 Cette paix que je veuxme seroit un supplice, 6+6 a
S'il en devoit cterle sceptre à Polynice ; 6+6 a
Et l'unique faveur,mon frère, je prétends, 6+6 a
C'est qu'il me soit permisde vous voir plus longtemps. 6+6 a
Seulement quelques jourssouffrez que l'on vous voie ; 6+6 a
540 Et donnez-nous le tempsde chercher quelque voie 6+6 a
Qui puisse vous remettreau rang de vos aïeux, 6+6 a
Sans que vous répandiezun sang si précieux. 6+6 a
Pouvez-vous refusercette grâce légère 6+6 a
Aux larmes d'une sœur,aux soupirs d'une mère ? 6+6 a
Jocaste
545 Mais quelle crainte encorvous peut inquiéter ? 6+6 a
Pourquoi si promptementvoulez-vous nous quitter ? 6+6 a
Quoi ? ce jour tout entiern'est-il pas de la trêve ? 6+6 a
Dès qu'elle a commencéfaut-il qu'elle s'achève ? 6+6 a
Vous voyez qu'Étéoclea mis les armes bas ; 6+6 a
550 Il veut que je vous voie,et vous ne voulez pas. 6+6 a
Antigone
Oui, mon frère, il n'est pascomme vous inflexible : 6+6 a
Aux larmes de sa mèreil a paru sensible ; 6+6 a
Nos pleurs ont désarmésa colère aujourd'hui. 6+6 a
Vous l'appelez cruel,vous l'êtes plus que lui. 6+6 a
Hémon
555 Seigneur, rien ne vous presse,et vous pouvez sans peine 6+6 a
Laisser agir encorla princesse et la Reine : 6+6 a
Accordez tout ce jourà leur pressant désir ; 6+6 a
Voyons si leur desseinne pourra réussir. 6+6 a
Ne donnez pas la joieau prince votre frère 6+6 a
560 De dire que sans vousla paix se pouvoit faire. 6+6 a
Vous aurez satisfaitune mère, une sœur, 6+6 a
Et vous aurez surtoutsatisfait votre honneur. 6+6 a
Mais que veut ce soldat ?Son âme est toute émue ! 6+6 a
Scène IV
Jocaste, Polynice, Antigone, Hémon, Un soldat.
Un soldat
Seigneur, on est aux mains,et la trêve est rompue. 6+6 a
565 Créon et les Thébains,par l'ordre de leur roi, 6+6 a
Attaquent votre armée,et violent leur foi. 6+6 a
Le brave Hippomédons'efforce, en votre absence, 6+6 a
De soutenir leur chocde toute sa puissance. 6+6 a
Par son ordre, Seigneur,je vous viens avertir. 6+6 a
Polynice
570 Ah ! les trtres ! Allons,Hémon, il faut sortir. 6+6 a
à la reine.
Madame, vous voyezcomme il tient sa parole ; 6+6 a
Mais il veut le combat,il m'attaque, et j'y vole. 6+6 a
Jocaste
Polynice ! Mon fils…Mais il ne m'entend plus : 6+6 a
Aussi bien que mes pleursmes cris sont superflus. 6+6 a
575 Chère Antigone, allez,courez à ce barbare : 6+6 a
Du moins, allez prierHémon qu'il les sépare. 6+6 a
La force m'abandonne,et je n'y puis courir ; 6+6 a
Tout ce que je puis faire,hélas ! c'est de mourir. 6+6 a
Acte III
Scène première
Jocaste, Olympe.
Jocaste
Olympe, va-t'en voirce funeste spectacle : 6+6 a
580 Va voir si leur fureurn'a point trouvé d'obstacle, 6+6 a
Si rien n'a pu toucherl'un ou l'autre parti. 6+6 a
On dit qu'à ce desseinMénecée est sorti. 6+6 a
Olympe
Je ne sais quel desseinanimoit son courage : 6+6 a
Une héroïque ardeurbrilloit sur son visage ; 6+6 a
585 Mais vous devez, Madame,espérer jusqu'au bout. 6+6 a
Jocaste
Va tout voir, chère Olympe,et me viens dire tout : 6+6 a
Éclaircis promptementma triste inquiétude. 6+6 a
Olympe
Mais vous dois-je laisseren cette solitude ? 6+6 a
Jocaste
Va : je veux être seuleen l'état je suis, 6+6 a
590 Si toutefois on peutl'être avec tant d'ennuis ! 6+6 a
Scène II
Jocaste.
Jocaste
seule.
Dureront-ils toujours,ces ennuis si funestes ? 6+6 a
N'épuiseront-ils pointles vengeances célestes ? 6+6 a
Me feront-ils souffrirtant de cruels trépas, 6+6 a
Sans jamais au tombeauprécipiter mes pas ? 6+6 a
595 Ô ciel, que tes rigueursseroient peu redoutables, 6+6 a
Si la foudre d'abordaccabloit les coupables ! 6+6 a
Et que tes châtimentsparoissent infinis, 6+6 a
Quand tu laisses la vieà ceux que tu punis ! 6+6 a
Tu ne l'ignores pas,depuis le jour infâme 6+6 a
600 de mon propre filsje me trouvai la femme, 6+6 a
Le moindre des tourmentsque mon cœur a soufferts 6+6 a
Égale tous les mauxque l'on souffre aux enfers. 6+6 a
Et toutefois, ô Dieux,un crime involontaire 6+6 a
Devoit-il attirertoute votre colère ? 6+6 a
605 Le connoissois-je, hélas !ce fils infortuné ? 6+6 a
Vous-mêmes dans mes brasvous l'avez amené. 6+6 a
C'est vous dont la rigueurm'ouvrit ce précipice. 6+6 a
Voilà de ces grands Dieuxla suprême justice ! 6+6 a
Jusques au bord du crimeils conduisent nos pas ; 6+6 a
610 Ils nous le font commettre,et ne l'excusent pas ! 6+6 a
Prennent-ils donc plaisirà faire des coupables, 6+6 a
Afin d'en faire aprèsd'illustres misérables ? 6+6 a
Et ne peuvent-ils point,quand ils sont en courroux, 6+6 a
Chercher des criminelsà qui le crime est doux ? 6+6 a
Scène III
Jocaste, Antigone.
Jocaste
615 Hé bien ! en est-ce fait ?L'un ou l'autre perfide 6+6 a
Vient-il d'exécuterson noble parricide ? 6+6 a
Parlez, parlez, ma fille.
Antigone
Ah ! Madame, en effet 6+6 a
L'oracle est accompli,le ciel est satisfait. 6+6 a
Jocaste
Quoi ? mes deux fils sont morts ?
Antigone
Un autre sang, Madame, 6+6 a
620 Rend la paix à l'État,et le calme à votre âme : 6+6 a
Un sang digne des roisdont il est découlé, 6+6 a
Un héros pour l'États'est lui-même immolé. 6+6 a
Je courois pour fléchirHémon et Polynice ; 6+6 a
Ils étoient déjà loinavant que je sortisse : 6+6 a
625 Ils ne m'entendoient plus,et mes cris douloureux 6+6 a
Vainement par leur nomles rappeloient tous deux. 6+6 a
Ils ont tous deux volévers le champ de bataille ; 6+6 a
Et moi, je suis montéeau haut de la muraille, 6+6 a
D' le peuple étonnéregardoit, comme moi, 6+6 a
630 L'approche d'un combatqui le glaçoit d'effroi. 6+6 a
À cet instant fatal,le dernier de nos princes, 6+6 a
L'honneur de notre sang,l'espoir de nos provinces, 6+6 a
Ménecée, en un mot,digne frère d'Hémon, 6+6 a
Et trop indigne aussid'être fils de Créon, 6+6 a
635 De l'amour du paysmontrant son âme atteinte, 6+6 a
Au milieu des deux campss'est avancé sans crainte ; 6+6 a
Et se faisant ouïrdes Grecs et des Thébains : 6+6 a
« Arrêtez, a-t-il dit,arrêtez, inhumains ! » 6+6 a
Ces mots impérieuxn'ont point trouvé d'obstacle : 6+6 a
640 Les soldats, étonnésde ce nouveau spectacle, 6+6 a
De leur noire fureuront suspendu le cours ; 6+6 a
Et ce prince aussitôtpoursuivant son discours : 6+6 a
« Apprenez, a-t-il dit,l'arrêt des destinées, 6+6 a
Par qui vous allez voirvos misères bornées. 6+6 a
645 Je suis le dernier sangde vos rois descendu, 6+6 a
Qui par l'ordre des Dieuxdoit être répandu. 6+6 a
Recevez donc ce sangque ma main va répandre, 6+6 a
Et recevez la paix vous n'osiez prétendre. » 6+6 a
Il se tait, et se frappeen achevant ces mots ; 6+6 a
650 Et les Thébains, voyantexpirer ce héros, 6+6 a
Comme si leur salutdevenoit leur supplice, 6+6 a
Regardent en tremblantce noble sacrifice. 6+6 a
J'ai vu le triste Hémonabandonner son rang, 6+6 a
Pour venir embrasserce frère tout en sang. 6+6 a
655 Créon, à son exemple,a jeté bas les armes, 6+6 a
Et vers ce fils mourantest venu tout en larmes ; 6+6 a
Et l'un et l'autre camp,les voyant retirés, 6+6 a
Ont quitté le combat,et se sont séparés. 6+6 a
Et moi, le cœur tremblant,et l'âme toute émue, 6+6 a
660 D'un si funeste objetj'ai détourné la vue, 6+6 a
De ce prince admirantl'héroïque fureur. 6+6 a
Jocaste
Comme vous je l'admire,et j'en frémis d'horreur. 6+6 a
Est-il possible, ô Dieux,qu'après ce grand miracle 6+6 a
Le repos des Thébainstrouve encor quelque obstacle ? 6+6 a
665 Cet illustre trépasne peut-il vous calmer, 6+6 a
Puisque même mes filss'en laissent désarmer ? 6+6 a
La refuserez-vous,cette noble victime ? 6+6 a
Si la vertu vous toucheautant que fait le crime, 6+6 a
Si vous donnez les prixcomme vous punissez, 6+6 a
670 Quels crimes par ce sangne seront effacés ? 6+6 a
Antigone
Oui, oui, cette vertusera récompensée : 6+6 a
Les Dieux sont trop payésdu sang de Ménecée ; 6+6 a
Et le sang d'un héros,auprès des Immortels, 6+6 a
Vaut seul plus que celuide mille criminels. 6+6 a
Jocaste
675 Connoissez mieux du ciella vengeance fatale : 6+6 a
Toujours à ma douleuril met quelque intervalle ; 6+6 a
Mais, hélas ! quand sa mainsemble me secourir, 6+6 a
C'est alors qu'il s'apprêteà me faire périr. 6+6 a
Il a mis cette nuitquelque fin à mes larmes, 6+6 a
680 Afin qu'à mon réveilje visse tout en armes. 6+6 a
S'il me flatte aussitôtde quelque espoir de paix, 6+6 a
Un oracle cruelme l'ôte pour jamais. 6+6 a
Il m'amène mon fils ;il veut que je le voie ; 6+6 a
Mais, hélas ! combien cherme vend-il cette joie ! 6+6 a
685 Ce fils est insensibleet ne m'écoute pas ; 6+6 a
Et soudain il me l'ôte,et l'engage aux combats. 6+6 a
Ainsi, toujours cruel,et toujours en colère, 6+6 a
Il feint de s'apaiser,et devient plus sévère : 6+6 a
Il n'interrompt ses coupsque pour les redoubler, 6+6 a
690 Et retire son braspour me mieux accabler. 6+6 a
Antigone
Madame, espérons toutde ce dernier miracle. 6+6 a
Jocaste
La haine de mes filsest un trop grand obstacle. 6+6 a
Polynice endurcin'écoute que ses droits ; 6+6 a
Du peuple et de Créonl'autre écoute la voix, 6+6 a
695 Oui, du lâche Créon.Cette âme intéressée 6+6 a
Nous ravit tout le fruitdu sang de Ménecée ; 6+6 a
En vain pour nous sauverce grand prince se perd : 6+6 a
Le père nous nuit plusque le fils ne nous sert. 6+6 a
De deux jeunes héroscet infidèle père 6+6 a
Antigone
700 Ah ! le voici, Madame,avec le Roi mon frère. 6+6 a
Scène IV
Jocaste, Hétéocle, Antigone, Créon.
Jocaste
Mon fils, c'est donc ainsique l'on garde sa foi ? 6+6 a
Étéocle
Madame, ce combatn'est point venu de moi, 6+6 a
Mais de quelques soldats,tant d'Argos que des nôtres, 6+6 a
Qui s'étant querellésles uns avec les autres, 6+6 a
705 Ont insensiblementtout le corps ébranlé, 6+6 a
Et fait un grand combatd'un simple démêlé. 6+6 a
La bataille sans doutealloit être cruelle, 6+6 a
Et son événementvidoit notre querelle, 6+6 a
Quand du fils de Créonl'héroïque trépas 6+6 a
710 De tous les combattantsa retenu le bras. 6+6 a
Ce prince, le dernierde la race royale, 6+6 a
S'est appliqué des Dieuxla réponse fatale ; 6+6 a
Et lui-même à la mortil s'est précipité, 6+6 a
De l'amour du paysnoblement transporté. 6+6 a
Jocaste
715 Ah ! si le seul amourqu'il eut pour sa patrie 6+6 a
Le rendit insensibleaux douceurs de la vie, 6+6 a
Mon fils, ce même amourne peut-il seulement 6+6 a
De votre ambitionvaincre l'emportement ? 6+6 a
Un exemple si beauvous invite à le suivre. 6+6 a
720 Il ne faudra cesserde régner ni de vivre : 6+6 a
Vous pouvez, en cédantun peu de votre rang, 6+6 a
Faire plus qu'il n'a faiten versant tout son sang. 6+6 a
Il ne faut que cesserde haïr votre frère : 6+6 a
Vous ferez beaucoup plusque sa mort n'a su faire. 6+6 a
725 Ô Dieux ! aimer un frère,est-ce un plus grand effort 6+6 a
Que de haïr la vieet courir à la mort ? 6+6 a
Et doit-il être enfinplus facile en un autre 6+6 a
De répandre son sangqu'en vous d'aimer le vôtre ? 6+6 a
Étéocle
Son illustre vertume charme comme vous, 6+6 a
730 Et d'un si beau trépasje suis même jaloux ; 6+6 a
Et toutefois, Madame,il faut que je vous die 6+6 a
Qu'un trône est plus pénibleà quitter que la vie : 6+6 a
La gloire bien souventnous porte à la haïr ; 6+6 a
Mais peu de souverainsfont gloire d'obéir. 6+6 a
735 Les Dieux vouloient son sang ;et ce prince sans crime 6+6 a
Ne pouvoit à l'Étatrefuser sa victime ; 6+6 a
Mais ce même pays,qui demandoit son sang, 6+6 a
Demande que je règne,et m'attache à mon rang. 6+6 a
Jusqu'à ce qu'il m'en ôte,il faut que j'y demeure : 6+6 a
740 Il n'a qu'à prononcer,j'obéirai sur l'heure ; 6+6 a
Et Thèbes me verra,pour apaiser son sort, 6+6 a
Et descendre du trône,et courir à la mort. 6+6 a
Créon
Ah ! Ménecée est mort,le ciel n'en veut point d'autre : 6+6 a
Laissez couler son sangsans y mêler le vôtre ; 6+6 a
745 Et puisqu'il l'a versépour nous donner la paix, 6+6 a
Accordez-la, Seigneur,à nos justes souhaits. 6+6 a
Étéocle
Eh quoi ? même Créonpour la paix se déclare ? 6+6 a
Créon
Pour avoir trop aimécette guerre barbare, 6+6 a
Vous voyez les malheurs le ciel m'a plongé : 6+6 a
Mon fils est mort, Seigneur.
Étéocle
750 Il faut qu'il soit vengé. 6+6 a
Créon
Sur qui me vengerois-jeen ce malheur extrême ? 6+6 a
Étéocle
Vos ennemis, Créon,sont ceux de Thèbes même ; 6+6 a
Vengez-la, vengez-vous.
Créon
Ah ! dans ses ennemis 6+6 a
Je trouve votre frère,et je trouve mon fils ! 6+6 a
755 Dois-je verser mon sang,ou répandre le vôtre ? 6+6 a
Et dois-je perdre un fils,pour en venger un autre ? 6+6 a
Seigneur, mon sang m'est cher,le vôtre m'est sacré : 6+6 a
Serai-je sacrilége,ou bien dénaturé ? 6+6 a
Souillerai-je ma maind'un sang que je révère ? 6+6 a
760 Serai-je parricide,afin d'être bon père ? 6+6 a
Un si cruel secoursne me peut soulager, 6+6 a
Et ce seroit me perdreau lieu de me venger. 6+6 a
Tout le soulagement ma douleur aspire, 6+6 a
C'est qu'au moins mes malheursservent à votre empire. 6+6 a
765 Je me consoleraisi ce fils que je plains 6+6 a
Assure par sa mortle repos des Thébains. 6+6 a
Le ciel promet la paixau sang de Ménecée ; 6+6 a
Achevez-la, Seigneur :mon fils l'a commencée ; 6+6 a
Accordez-lui ce prixqu'il en a prétendu ; 6+6 a
770 Et que son sang en vainne soit pas répandu. 6+6 a
Jocaste
Non, puisqu'à nos malheursvous devenez sensible, 6+6 a
Au sang de Ménecéeil n'est rien d'impossible. 6+6 a
Que Thèbes se rassureaprès ce grand effort : 6+6 a
Puisqu'il change votre âme,il changera son sort. 6+6 a
775 La paix dès ce momentn'est plus désespérée : 6+6 a
Puisque Créon la veut,je la tiens assurée. 6+6 a
Bientôt ces cœurs de ferse verront adoucis : 6+6 a
Le vainqueur de Créonpeut bien vaincre mes fils. 6+6 a
à Étéocle.
Qu'un si grand changementvous désarme et vous touche ; 6+6 a
780 Quittez, mon fils, quittezcette haine farouche ; 6+6 a
Soulagez une mère,et consolez Créon : 6+6 a
Rendez-moi Polynice,et lui rendez Hémon. 6+6 a
Étéocle
Mais enfin c'est vouloirque je m'impose un mtre : 6+6 a
Vous ne l'ignorez pas,Polynice veut l'être : 6+6 a
785 Il demande surtoutle pouvoir souverain, 6+6 a
Et ne veut revenirque le sceptre à la main. 6+6 a
Scène V
Jocaste, Hétéocle, Antigone, Créon, Attale.
Attale
Polynice, Seigneur,demande une entrevue : 6+6 a
C'est ce que d'un hérautnous apprend la venue. 6+6 a
Il vous offre, Seigneur,ou de venir ici, 6+6 a
Ou d'attendre en son camp.
Créon
790 Peut-être qu'adouci 6+6 a
Il songe à terminerune guerre si lente, 6+6 a
Et son ambitionn'est plus si violente. 6+6 a
Par ce dernier combatil apprend aujourd'hui 6+6 a
Que vous êtes au moinsaussi puissant que lui. 6+6 a
795 Les Grecs mêmes sont lasde servir sa colère ; 6+6 a
Et j'ai su depuis peuque le Roi son beau-père, 6+6 a
Préférant à la guerreun solide repos, 6+6 a
Se réserve Mycène,et le fait roi d'Argos. 6+6 a
Tout courageux qu'il est,sans doute il ne souhaite 6+6 a
800 Que de faire en effetune honnête retraite. 6+6 a
Puisqu'il s'offre à vous voir,croyez qu'il veut la paix. 6+6 a
Ce jour la doit conclure,ou la rompre à jamais. 6+6 a
Tâchez dans ce desseinde l'affermir vous-même ; 6+6 a
Et lui promettez tout,hormis le diadème. 6+6 a
Étéocle
805 Hormis le diadème,il ne demande rien. 6+6 a
Jocaste
Mais voyez-le du moins.
Créon
Oui, puisqu'il le veut bien : 6+6 a
Vous ferez plus tout seulque nous ne saurions faire ; 6+6 a
Et le sang reprendrason empire ordinaire. 6+6 a
Étéocle
Allons donc le chercher.
Jocaste
Mon fils, au nom des Dieux, 6+6 a
810 Attendez-le plutôt,voyez-le dans ces lieux. 6+6 a
Étéocle
Hé bien, Madame, hé bien !qu'il vienne, et qu'on lui donne 6+6 a
Toutes les sûretésqu'il faut pour sa personne. 6+6 a
Allons.
Antigone
Ah ! si ce jourrend la paix aux Thébains, 6+6 a
Elle sera, Créon,l'ouvrage de vos mains. 6+6 a
Scène VI
Créon, Attale.
Créon
815 L'intérêt des Thébainsn'est pas ce qui vous touche, 6+6 a
Dédaigneuse princesse ;et cette âme farouche, 6+6 a
Qui semble me flatteraprès tant de mépris, 6+6 a
Songe moins à la paixqu'au retour de mon fils. 6+6 a
Mais nous verrons bientôtsi la fière Antigone 6+6 a
820 Aussi bien que mon cœurdédaignera le trône ; 6+6 a
Nous verrons, quand les Dieuxm'auront fait votre roi, 6+6 a
Si ce fils bienheureuxl'emportera sur moi. 6+6 a
Attale
Et qui n'admireroitun changement si rare ? 6+6 a
Créon même, Créonpour la paix se déclare ! 6+6 a
Créon
825 Tu crois donc que la paixest l'objet de mes soins ? 6+6 a
Attale
Oui, je le crois, Seigneur,quand j'y pensois le moins ; 6+6 a
Et voyant qu'en effetce beau soin vous anime, 6+6 a
J'admire à tous momentscet effort magnanime 6+6 a
Qui vous fait mettre enfinvotre haine au tombeau. 6+6 a
830 Ménecée, en mourant,n'a rien fait de plus beau ; 6+6 a
Et qui peut immolersa haine à sa patrie 6+6 a
Lui pourroit bien aussisacrifier sa vie. 6+6 a
Créon
Ah ! sans doute, qui peutd'un généreux effort 6+6 a
Aimer son ennemipeut bien aimer la mort. 6+6 a
835 Quoi ? je négligeroisle soin de ma vengeance, 6+6 a
Et de mon ennemije prendrois la défense ? 6+6 a
De la mort de mon filsPolynice est l'auteur, 6+6 a
Et moi je deviendroisson lâche protecteur ? 6+6 a
Quand je renonceroisà cette haine extrême, 6+6 a
840 Pourrois-je bien cesserd'aimer le diadème ? 6+6 a
Non, non : tu me verrasd'une constante ardeur 6+6 a
Haïr mes ennemis,et chérir ma grandeur. 6+6 a
Le trône fit toujoursmes ardeurs les plus chères : 6+6 a
Je rougis d'obéïr régnèrent mes pères ; 6+6 a
845 Je brûle de me voirau rang de mes aïeux, 6+6 a
Et je l'envisageaidès que j'ouvris les yeux. 6+6 a
Surtout depuis deux ansce noble soin m'inspire ; 6+6 a
Je ne fais point de pasqui ne tende à l'empire. 6+6 a
Des princes mes neveuxj'entretiens la fureur, 6+6 a
850 Et mon ambitionautorise la leur. 6+6 a
D'Étéocle d'abordj'appuyai l'injustice ; 6+6 a
Je lui fis refuserle trône à Polynice. 6+6 a
Tu sais que je pensoisdès lors à m'y placer ; 6+6 a
Et je l'y mis, Attale,afin de l'en chasser. 6+6 a
Attale
855 Mais, Seigneur, si la guerreeut pour vous tant de charmes, 6+6 a
D' vient que de leurs mainsvous arrachez les armes ? 6+6 a
Et puisque leur discordeest l'objet de vos vœux, 6+6 a
Pourquoi par vos conseilsvont-ils se voir tous deux ? 6+6 a
Créon
Plus qu'à mes ennemisla guerre m'est mortelle, 6+6 a
860 Et le courroux du cielme la rend trop cruelle. 6+6 a
Il s'arme contre moide mon propre dessein ; 6+6 a
Il se sert de mon braspour me percer le sein. 6+6 a
La guerre s'allumoitlorsque pour mon supplice 6+6 a
Hémon m'abandonnapour servir Polynice : 6+6 a
865 Les deux frères par moidevinrent ennemis ; 6+6 a
Et je devins, Attale,ennemi de mon fils. 6+6 a
Enfin, ce même jour,je fais rompre la trêve, 6+6 a
J'excite le soldat,tout le camp se soulève, 6+6 a
On se bat ; et voilàqu'un fils désespéré 6+6 a
870 Meurt, et rompt un combatque j'ai tant préparé. 6+6 a
Mais il me reste un fils ;et je sens que je l'aime, 6+6 a
Tout rebelle qu'il est,et tout mon rival même. 6+6 a
Sans le perdre, je veuxperdre mes ennemis : 6+6 a
Il m'en cteroit trops'il m'en ctoit deux fils. 6+6 a
875 Des deux princes d'ailleursla haine est trop puissante : 6+6 a
Ne crois pas qu'à la paixjamais elle consente. 6+6 a
Moi-même je sauraisi bien l'envenimer, 6+6 a
Qu'ils périront tous deuxplutôt que de s'aimer. 6+6 a
Les autres ennemisn'ont que de courtes haines ; 6+6 a
880 Mais quand de la natureon a brisé les chnes, 6+6 a
Cher Attale, il n'est rienqui puisse réunir 6+6 a
Ceux que des nœuds si fortsn'ont pas su retenir. 6+6 a
L'on hait avec excèslorsque l'on hait un frère. 6+6 a
Mais leur éloignementralentit leur colère : 6+6 a
885 Quelque haine qu'on aitcontre un fier ennemi, 6+6 a
Quand il est loin de nouson la perd à demi. 6+6 a
Ne t'étonne donc plussi je veux qu'ils se voient : 6+6 a
Je veux qu'en se voyantleurs fureurs se déploient, 6+6 a
Que rappelant leur haine,au lieu de la chasser, 6+6 a
890 Ils s'étouffent, Attale,en voulant s'embrasser. 6+6 a
Attale
Vous n'avez plus, Seigneur,à craindre que vous-même : 6+6 a
On porte ses remordsavec le diadème. 6+6 a
Créon
Quand on est sur le trône,on a bien d'autres soins ; 6+6 a
Et les remords sont ceuxqui nous pèsent le moins. 6+6 a
895 Du plaisir de régnerune âme possédée 6+6 a
De tout le temps passédétourne son idée ; 6+6 a
Et de tout autre objetun esprit éloigné 6+6 a
Croit n'avoir point vécutant qu'il n'a point régné. 6+6 a
Mais allons. Le remordsn'est pas ce qui me touche, 6+6 a
900 Et je n'ai plus un cœurque le crime effarouche : 6+6 a
Tous les premiers forfaitsctent quelques efforts ; 6+6 a
Mais, Attale, on commetles seconds sans remords. 6+6 a
Acte IV
Scène première
Étéocle, Créon.
Étéocle
Oui, Créon, c'est iciqu'il doit bientôt se rendre ; 6+6 a
Et tous deux en ce lieunous le pouvons attendre. 6+6 a
905 Nous verrons ce qu'il veut ;mais je répondrois bien 6+6 a
Que par cette entrevueon n'avancera rien. 6+6 a
Je connois Polyniceet son humeur altière ; 6+6 a
Je sais bien que sa haineest encor toute entière ; 6+6 a
Je ne crois pas qu'on puisseen arrêter le cours ; 6+6 a
910 Et pour moi, je sens bienque je le hais toujours. 6+6 a
Créon
Mais s'il vous cède enfinla grandeur souveraine, 6+6 a
Vous devez, ce me semble,apaiser votre haine. 6+6 a
Étéocle
Je ne sais si mon cœurs'apaisera jamais : 6+6 a
Ce n'est pas son orgueil,c'est lui seul que je hais. 6+6 a
915 Nous avons l'un et l'autreune haine obstinée : 6+6 a
Elle n'est pas, Créon,l'ouvrage d'une année ; 6+6 a
Elle est née avec nous ;et sa noire fureur 6+6 a
Aussitôt que la vieentra dans notre cœur. 6+6 a
Nous étions ennemisdès la plus tendre enfance ; 6+6 a
920 Que dis-je ? nous l'étionsavant notre naissance. 6+6 a
Triste et fatal effetd'un sang incestueux ! 6+6 a
Pendant qu'un même seinnous renfermoit tous deux, 6+6 a
Dans les flancs de ma mèreune guerre intestine 6+6 a
De nos divisionslui marqua l'origine. 6+6 a
925 Elles ont, tu le sais,paru dans le berceau, 6+6 a
Et nous suivront peut-êtreencor dans le tombeau. 6+6 a
On diroit que le ciel,par un arrêt funeste, 6+6 a
Voulut de nos parentspunir ainsi l'inceste ; 6+6 a
Et que dans notre sangil voulut mettre au jour 6+6 a
930 Tout ce qu'ont de plus noiret la haine et l'amour. 6+6 a
Et maintenant, Créon,que j'attends sa venue, 6+6 a
Ne crois pas que pour luima haine diminue : 6+6 a
Plus il approche, et plusil me semble odieux ; 6+6 a
Et sans doute il faudraqu'elle éclate à ses yeux. 6+6 a
935 J'aurois même regretqu'il me quittât l'empire : 6+6 a
Il faut, il faut qu'il fuie,et non qu'il se retire. 6+6 a
Je ne veux point, Créon,le haïr à moitié ; 6+6 a
Et je crains son courrouxmoins que son amitié. 6+6 a
Je veux, pour donner coursà mon ardente haine, 6+6 a
940 Que sa fureur au moinsautorise la mienne ; 6+6 a
Et puisqu'enfin mon cœurne sauroit se trahir, 6+6 a
Je veux qu'il me détesteafin de le haïr. 6+6 a
Tu verras que sa rageest encore la même, 6+6 a
Et que toujours son cœuraspire au diadème ; 6+6 a
945 Qu'il m'abhorre toujours,et veut toujours régner ; 6+6 a
Et qu'on peut bien le vaincre,et non pas le gagner. 6+6 a
Créon
Domptez-le donc, Seigneur,s'il demeure inflexible. 6+6 a
Quelque fier qu'il puisse être,il n'est pas invincible ; 6+6 a
Et puisque la raisonne peut rien sur son cœur, 6+6 a
950 Éprouvez ce que peutun bras toujours vainqueur. 6+6 a
Oui, quoique dans la paixje trouvasse des charmes, 6+6 a
Je serai le premierà reprendre les armes ; 6+6 a
Et si je demandoisqu'on en rompît le cours, 6+6 a
Je demande encor plusque vous régniez toujours. 6+6 a
955 Que la guerre s'enflammeet jamais ne finisse, 6+6 a
S'il faut avec la paixrecevoir Polynice. 6+6 a
Qu'on ne nous vienne plusvanter un bien si doux ; 6+6 a
La guerre et ses horreursnous plaisent avec vous. 6+6 a
Tout le peuple thébainvous parle par ma bouche ; 6+6 a
960 Ne le soumettez pasà ce prince farouche : 6+6 a
Si la paix se peut faire,il la veut comme moi ; 6+6 a
Surtout, si vous l'aimez,conservez-lui son roi. 6+6 a
Cependant écoutezle prince votre frère, 6+6 a
Et s'il se peut, Seigneur,cachez votre colère ; 6+6 a
Feignez… Mais quelqu'un vient.
Scène II
Étéocle, Créon, Attale.
Étéocle
965 Sont-ils bien près d'ici ? 6+6 a
Vont-ils venir, Attale ?
Attale
Oui, Seigneur, les voici. 6+6 a
Ils ont trouvé d'abordla princesse et la Reine, 6+6 a
Et bientôt ils serontdans la chambre prochaine. 6+6 a
Étéocle
Qu'ils entrent. Cette approcheexcite mon courroux. 6+6 a
970 Qu'on hait un ennemiquand il est près de nous ! 6+6 a
Créon
Ah, le voici ! Fortune,achève mon ouvrage, 6+6 a
Et livre-les tous deuxaux transports de leur rage ! 6+6 a
Scène III
Jocaste, Étéocle, Polynice, Antigone, Hémon, Créon.
Jocaste
Me voici donc tantôtau comble de mes vœux, 6+6 a
Puisque déjà le cielvous rassemble tous deux. 6+6 a
975 Vous revoyez un frère,après deux ans d'absence, 6+6 a
Dans ce même palais vous prîtes naissance ; 6+6 a
Et moi, par un bonheur je n'osois penser, 6+6 a
L'un et l'autre à la foisje vous puis embrasser. 6+6 a
Commencez donc, mes fils,cette union si chère ; 6+6 a
980 Et que chacun de vousreconnoisse son frère. 6+6 a
Tous deux dans votre frèreenvisagez vos traits ; 6+6 a
Mais pour en mieux juger,voyez-les de plus près. 6+6 a
Surtout que le sang parleet fasse son office. 6+6 a
Approchez, Étéocle ;avancez, Polynice 6+6 a
985 Hé quoi ? loin d'approcher,vous reculez tous deux ? 6+6 a
D' vient ce sombre accueilet ces regards fâcheux ? 6+6 a
N'est-ce point que chacund'une âme irrésolue, 6+6 a
Pour saluer son frère,attend qu'il le salue ; 6+6 a
Et qu'affectant l'honneurde céder le dernier, 6+6 a
990 L'un ni l'autre ne veuts'embrasser le premier ? 6+6 a
Étrange ambitionqui n'aspire qu'au crime, 6+6 a
le plus furieuxpasse pour magnanime ! 6+6 a
Le vainqueur doit rougiren ce combat honteux ; 6+6 a
Et les premiers vaincussont les plus généreux. 6+6 a
995 Voyons donc qui des deuxaura plus de courage, 6+6 a
Qui voudra le premiertriompher de sa rage. 6+6 a
Quoi ? vous n'en faites rien ?C'est à vous d'avancer ; 6+6 a
Et venant de si loin,vous devez commencer : 6+6 a
Commencez, Polynice,embrassez votre frère ; 6+6 a
Et montrez
Étéocle
1000 Hé, Madame !à quoi bon ce mystère ? 6+6 a
Tous ces embrassementsne sont guère à propos : 6+6 a
Qu'il parle, qu'il s'explique,et nous laisse en repos. 6+6 a
Polynice
Quoi ? faut-il davantageexpliquer mes pensées ? 6+6 a
On les peut découvrirpar les choses passées : 6+6 a
1005 La guerre, les combats,tant de sang répandu, 6+6 a
Tout cela dit assezque le trône m'est dû. 6+6 a
Étéocle
Et ces mêmes combats,et cette même guerre, 6+6 a
Ce sang qui tant de foisa fait rougir la terre, 6+6 a
Tout cela dit assezque le trône est à moi ; 6+6 a
1010 Et tant que je respire,il ne peut être à toi. 6+6 a
Polynice
Tu sais qu'injustementtu remplis cette place. 6+6 a
Étéocle
L'injustice me plt,pourvu que je t'en chasse. 6+6 a
Polynice
Si tu n'en veux sortir,tu pourras en tomber. 6+6 a
Étéocle
Si je tombe, avec moitu pourras succomber. 6+6 a
Jocaste
1015 Ô Dieux ! que je me voiscruellement déçue ! 6+6 a
N'avois-je tant pressécette fatale vue, 6+6 a
Que pour les désunirencor plus que jamais ? 6+6 a
Ah ! mes fils, est-ce làcomme on parle de paix ? 6+6 a
Quittez, au nom des Dieux,ces tragiques pensées. 6+6 a
1020 Ne renouvelez pointvos discordes passées : 6+6 a
Vous n'êtes pas icidans un champ inhumain. 6+6 a
Est-ce moi qui vous metsles armes à la main ? 6+6 a
Considérez ces lieux vous prîtes naissance : 6+6 a
Leur aspect sur vos cœursn'a-t-il point de puissance ? 6+6 a
1025 C'est ici que tous deuxvous reçûtes le jour ; 6+6 a
Tout ne vous parle icique de paix et d'amour : 6+6 a
Ces princes, votre sœur,tout condamne vos haines ; 6+6 a
Enfin moi, qui pour vouspris toujours tant de peines, 6+6 a
Qui pour vous réunirimmolerois… Hélas ! 6+6 a
1030 Ils détournent la tête,et ne m'écoutent pas ! 6+6 a
Tous deux, pour s'attendrir,ils ont l'âme trop dure : 6+6 a
Ils ne connoissent plusla voix de la nature. 6+6 a
à Polynice.
Et vous, que je croyoisplus doux et plus soumis… 6+6 a
Polynice
Je ne veux rien de luique ce qu'il m'a promis : 6+6 a
1035 Il ne sauroit régnersans se rendre parjure. 6+6 a
Jocaste
Une extrême justiceest souvent une injure. 6+6 a
Le trône vous est dû,je n'en saurois douter ; 6+6 a
Mais vous le renversezen voulant y monter. 6+6 a
Ne vous lassez-vous pointde cette affreuse guerre ? 6+6 a
1040 Voulez-vous sans pitiédésoler cette terre, 6+6 a
Détruire cet empireafin de le gagner ? 6+6 a
Est-ce donc sur des mortsque vous voulez régner ? 6+6 a
Thèbes avec raisoncraint le règne d'un prince 6+6 a
Qui de fleuves de sanginonde sa province. 6+6 a
1045 Voudroit-elle obéirà votre injuste loi ? 6+6 a
Vous êtes son tyranavant qu'être son roi. 6+6 a
Dieux ! si devenant grandsouvent on devient pire, 6+6 a
Si la vertu se perdquand on gagne l'empire, 6+6 a
Lorsque vous régnerez,que serez-vous, hélas ! 6+6 a
1050 Si vous êtes cruelquand vous ne régnez pas ? 6+6 a
Polynice
Ah ! si je suis cruel,on me force de l'être ; 6+6 a
Et de mes actionsje ne suis pas le mtre. 6+6 a
J'ai honte des horreurs je me vois contraint ; 6+6 a
Et c'est injustementque le peuple me craint. 6+6 a
1055 Mais il faut en effetsoulager ma patrie ; 6+6 a
De ses gémissementsmon âme est attendrie. 6+6 a
Trop de sang innocentse verse tous les jours : 6+6 a
Il faut de ses malheursque j'arrête le cours ; 6+6 a
Et sans faire gémirni Thèbes ni la Grèce, 6+6 a
1060 À l'auteur de mes mauxil faut que je m'adresse : 6+6 a
Il suffit aujourd'huide son sang ou du mien. 6+6 a
Jocaste
Du sang de votre frère ?
Polynice
Oui, Madame, du sien. 6+6 a
Il faut finir ainsicette guerre inhumaine. 6+6 a
Oui, cruel, et c'est làle dessein qui m'amène. 6+6 a
1065 Moi-même à ce combatj'ai voulu t'appeler ; 6+6 a
À tout autre qu'à toije craignois d'en parler ; 6+6 a
Tout autre auroit voulucondamner ma pensée, 6+6 a
Et personne en ces lieuxne te l't annoncée. 6+6 a
Je te l'annonce donc.C'est à toi de prouver 6+6 a
1070 Si ce que tu ravistu le sais conserver. 6+6 a
Montre-toi digne enfind'une si belle proie. 6+6 a
Étéocle
J'accepte ton dessein,et l'accepte avec joie. 6+6 a
Créon sait là-dessusquel étoit mon desir : 6+6 a
J'eusse accepté le trôneavec moins de plaisir. 6+6 a
1075 Je te crois maintenantdigne du diadème, 6+6 a
Et te le vais porterau bout de ce fer même. 6+6 a
Jocaste
Hâtez-vous donc, cruels,de me percer le sein ; 6+6 a
Et commencez par moivotre horrible dessein. 6+6 a
Ne considérez pointque je suis votre mère, 6+6 a
1080 Considérez en moicelle de votre frère. 6+6 a
Si de votre ennemivous recherchez le sang, 6+6 a
Recherchez-en la sourceen ce malheureux flanc. 6+6 a
Je suis de tous les deuxla commune ennemie, 6+6 a
Puisque votre ennemireçut de moi la vie : 6+6 a
1085 Cet ennemi sans moine verroit pas le jour. 6+6 a
S'il meurt, ne faut-il pasque je meure à mon tour ? 6+6 a
N'en doutez point, sa mortme doit être commune : 6+6 a
Il faut en donner deux,ou n'en donner pas une ; 6+6 a
Et sans être ni douxni cruel à demi, 6+6 a
1090 Il faut me perdre, ou biensauver votre ennemi. 6+6 a
Si la vertu vous plt,si l'honneur vous anime, 6+6 a
Barbares, rougissezde commettre un tel crime ; 6+6 a
Ou si le crime enfinvous plt tant à chacun, 6+6 a
Barbares, rougissezde n'en commettre qu'un. 6+6 a
1095 Aussi bien, ce n'est pointque l'amour vous retienne, 6+6 a
Si vous sauvez ma vieen poursuivant la sienne. 6+6 a
Vous vous garderiez bien,cruels, de m'épargner, 6+6 a
Si je vous empêchoisun moment de régner. 6+6 a
Polynice, est-ce ainsique l'on traite une mère ? 6+6 a
Polynice
J'épargne mon pays.
Jocaste
1100 Et vous tuez un frère. 6+6 a
Polynice
Je punis un méchant.
Jocaste
Et sa mort aujourd'hui 6+6 a
Vous rendra plus coupableet plus méchant que lui. 6+6 a
Polynice
Faut-il que de ma mainje couronne ce trtre, 6+6 a
Et que de cour en courj'aille chercher un mtre ; 6+6 a
1105 Qu'errant et vagabond,je quitte mes États, 6+6 a
Pour observer des loisqu'il ne respecte pas ? 6+6 a
De ses propres forfaitsserai-je la victime ? 6+6 a
Le diadème est-ille partage du crime ? 6+6 a
Quel droit ou quel devoirn'a-t-il point violé ? 6+6 a
1110 Et cependant il règne,et je suis exilé ! 6+6 a
Jocaste
Mais si le roi d'Argosvous cède une couronne 6+6 a
Polynice
Dois-je chercher ailleursce que le sang me donne ? 6+6 a
Et m'alliant chez luin'aurai-je rien porté, 6+6 a
Et tiendrai-je mon rangde sa seule bonté ? 6+6 a
1115 D'un trône qui m'est dûfaut-il que l'on me chasse, 6+6 a
Et d'un prince étrangerque je brigue la place ? 6+6 a
Non, non : sans m'abaisserà lui faire la cour, 6+6 a
Je veux devoir le sceptreà qui je dois le jour. 6+6 a
Jocaste
Qu'on le tienne, mon fils,d'un beau-père ou d'un père, 6+6 a
1120 La main de tous les deuxvous sera toujours chère. 6+6 a
Polynice
Non, non, la différenceest trop grande pour moi : 6+6 a
L'un me feroit esclave,et l'autre me fait roi. 6+6 a
Quoi ? ma grandeur seroitl'ouvrage d'une femme ? 6+6 a
D'un éclat si honteuxje rougirois dans l'âme. 6+6 a
1125 Le trône, sans l'amour,me seroit donc fermé ? 6+6 a
Je ne régnerois pas,si l'on ne m't aimé ? 6+6 a
Je veux m'ouvrir le trône,ou jamais n'y partre ; 6+6 a
Et quand j'y monterai,j'y veux monter en mtre, 6+6 a
Que le peuple à moi seulsoit forcé d'obéir, 6+6 a
1130 Et qu'il me soit permisde m'en faire haïr. 6+6 a
Enfin de ma grandeurje veux être l'arbitre, 6+6 a
N'être point roi, Madame,ou l'être à juste titre ; 6+6 a
Que le sang me couronne ;ou, s'il ne suffit pas, 6+6 a
Je veux à son secoursn'appeler que mon bras. 6+6 a
Jocaste
1135 Faites plus, tenez toutde votre grand courage : 6+6 a
Que votre bras tout seulfasse votre partage ; 6+6 a
Et dédaignant les pasdes autres souverains, 6+6 a
Soyez, mon fils, soyezl'ouvrage de vos mains. 6+6 a
Par d'illustres exploitscouronnez-vous vous-même : 6+6 a
1140 Qu'un superbe lauriersoit votre diadème ; 6+6 a
Régnez et triomphez,et joignez à la fois 6+6 a
La gloire des hérosà la pourpre des rois. 6+6 a
Quoi ? votre ambitionseroit-elle bornée 6+6 a
À régner tour à tourl'espace d'une année ? 6+6 a
1145 Cherchez à ce grand cœur,que rien ne peut dompter, 6+6 a
Quelque trône vous seulayez droit de monter. 6+6 a
Mille sceptres nouveauxs'offrent à votre épée, 6+6 a
Sans que d'un sang si chernous la voyions trempée. 6+6 a
Vos triomphes pour moin'auront rien que de doux, 6+6 a
1150 Et votre frère mêmeira vaincre avec vous. 6+6 a
Polynice
Vous voulez que mon cœur,flatté de ces chimères, 6+6 a
Laisse un usurpateurau trône de mes pères ? 6+6 a
Jocaste
Si vous lui souhaitezen effet tant de mal, 6+6 a
Élevez-le vous-mêmeà ce trône fatal. 6+6 a
1155 Ce trône fut toujoursun dangereux abîme : 6+6 a
La foudre l'environneaussi bien que le crime. 6+6 a
Votre père et les roisqui vous ont devancés, 6+6 a
Sitôt qu'ils y montoient,s'en sont vus renversés. 6+6 a
Polynice
Quand je devrois au cielrencontrer le tonnerre, 6+6 a
1160 J'y monterois plutôtque de ramper à terre. 6+6 a
Mon cœur, jaloux du sortde ces grands malheureux, 6+6 a
Veut s'élever, Madame,et tomber avec eux. 6+6 a
Étéocle
Je saurai t'épargnerune chute si vaine. 6+6 a
Polynice
Ah ! ta chute, crois-moi,précédera la mienne ! 6+6 a
Jocaste
Mon fils, son règne plt.
Polynice
1165 Mais il m'est odieux. 6+6 a
Jocaste
Il a pour lui le peuple.
Polynice
Et j'ai pour moi les Dieux. 6+6 a
Étéocle
Les Dieux de ce haut rangte vouloient interdire, 6+6 a
Puisqu'ils m'ont élevéle premier à l'empire : 6+6 a
Ils ne savoient que trop,lorsqu'ils firent ce choix, 6+6 a
1170 Qu'on veut régner toujoursquand on règne une fois. 6+6 a
Jamais dessus le trôneon ne vit plus d'un mtre ; 6+6 a
Il n'en peut tenir deux,quelque grand qu'il puisse être : 6+6 a
L'un des deux tôt ou tardse verroit renversé, 6+6 a
Et d'un autre soi-mêmeon y seroit pressé. 6+6 a
1175 Jugez donc, par l'horreurque ce méchant me donne, 6+6 a
Si je puis avec luipartager la couronne. 6+6 a
Polynice
Et moi je ne veux plus,tant tu m'es odieux, 6+6 a
Partager avec toila lumière des cieux. 6+6 a
Jocaste
Allez donc, j'y consens,allez perdre la vie. 6+6 a
1180 À ce cruel combattous deux je vous convie. 6+6 a
Puisque tous mes effortsne sauroient vous changer, 6+6 a
Que tardez-vous ? allezvous perdre et me venger. 6+6 a
Surpassez, s'il se peut,les crimes de vos pères ; 6+6 a
Montrez en vous tuantcomme vous êtes frères : 6+6 a
1185 Le plus grand des forfaitsvous a donné le jour ; 6+6 a
Il faut qu'un crime égalvous l'arrache à son tour. 6+6 a
Je ne condamne plusla fureur qui vous presse ; 6+6 a
Je n'ai plus pour mon sangni pitié ni tendresse. 6+6 a
Votre exemple m'apprendà ne le plus chérir ; 6+6 a
1190 Et moi je vais, cruels,vous apprendre à mourir. 6+6 a
Antigone
MadameÔ ciel ! que vois-je ?Hélas ! rien ne les touche ! 6+6 a
Hémon
Rien ne peut ébranlerleur constance farouche. 6+6 a
Antigone
Princes…
Étéocle
Pour ce combatchoisissons quelque lieu. 6+6 a
Polynice
Courons. Adieu, ma sœur.
Étéocle
Adieu, Princesse, adieu. 6+6 a
Antigone
1195 Mes frères, arrêtez.Gardes, qu'on les retienne ; 6+6 a
Joignez, unissez tousvos douleurs à la mienne. 6+6 a
C'est leur être cruelsque de les respecter. 6+6 a
Hémon
Madame, il n'est plus rienqui les puisse arrêter. 6+6 a
Antigone
Ah ! généreux Hémon,c'est vous seul que j'implore. 6+6 a
1200 Si la vertu vous plt,si vous m'aimez encore, 6+6 a
Et qu'on puisse arrêterleurs parricides mains, 6+6 a
Hélas ! pour me sauver,sauvez ces inhumains. 6+6 a
Acte V
Scène première
Antigone.
Antigone
seule.
À quoi te résous-tu,princesse infortunée ? 6+6 a
 Ta mère vientde mourir dans tes bras : 4+6 b
1205  Ne saurois-tu suivre ses pas, 8 b
Et finir en mourantta triste destinée ? 6+6 a
À de nouveaux malheurste veux-tu réserver ? 6+6 a
Tes frères sont aux mains,rien ne les peut sauver 6+6 a
 De leurs cruelles armes. 6 a
1210 Leur exemple t'animeà te percer le flanc ; 6+6 b
 Et toi seule verses des larmes, 8 a
 Tous les autres versent du sang. 8 b
Quelle est de mes malheursl'extrémité mortelle ? 6+6 a
  ma douleurdoit-elle recourir ? 4+6 b
1215  Dois-je vivre ? dois-je mourir ? 8 b
Un amant me retient,une mère m'appelle : 6+6 a
Dans la nuit du tombeauje la vois qui m'attend. 6+6 a
Ce que veut la raison,l'amour me le défend 6+6 a
 Et m'en ôte l'envie. 6 a
1220 Que je vois de sujetsd'abandonner le jour ! 6+6 b
 Mais, hélas ! qu'on tient à la vie, 8 a
 Quand on tient si fort à l'amour ! 8 b
Oui, tu retiens, Amour,mon âme fugitive ; 6+6 a
 Je reconnoisla voix de mon vainqueur : 4+6 b
1225  L'espérance est morte en mon cœur, 8 b
Et cependant tu vis,et tu veux que je vive. 6+6 a
Tu dis que mon amantme suivroit au tombeau, 6+6 a
Que je dois de mes joursconserver le flambeau 6+6 a
 Pour sauver ce que j'aime. 6 a
1230 Hémon, vois le pouvoirque l'amour a sur moi : 6+6 b
 Je ne vivrois pas pour moi-même, 8 a
 Et je veux bien vivre pour toi. 8 b
Si jamais tu doutasde ma flamme fidèle 6+6 a
Mais voici du combatla funeste nouvelle. 6+6 a
Scène II
Antigone, Olympe.
Antigone
1235 Hé bien ! ma chère Olympe,as-tu vu ce forfait ? 6+6 a
Olympe
J'y suis courue en vain :c'en étoit déjà fait. 6+6 a
Du haut de nos rempartsj'ai vu descendre en larmes 6+6 a
Le peuple qui couroitet qui crioit aux armes ; 6+6 a
Et pour vous dire enfind' venoit sa terreur, 6+6 a
1240 Le Roi n'est plus, Madame,et son frère est vainqueur. 6+6 a
On parle aussi d'Hémon :l'on dit que son courage 6+6 a
S'est efforcé longtempsde suspendre leur rage, 6+6 a
Mais que tous ses effortsont été superflus : 6+6 a
C'est ce que j'ai comprisde mille bruits confus. 6+6 a
Antigone
1245 Ah ! je n'en doute pas,Hémon est magnanime : 6+6 a
Son grand cœur eut toujourstrop d'horreur pour le crime. 6+6 a
Je l'avois conjuréd'empêcher ce forfait ; 6+6 a
Et s'il l'avoit pu faire,Olympe, il l'auroit fait. 6+6 a
Mais, hélas ! leur fureurne pouvoit se contraindre : 6+6 a
1250 Dans des ruisseaux de sangelle vouloit s'éteindre. 6+6 a
Princes dénaturés,vous voilà satisfaits : 6+6 a
La mort seule entre vouspouvoit mettre la paix. 6+6 a
Le trône pour vous deuxavoit trop peu de place ; 6+6 a
Il falloit entre vousmettre un plus grand espace, 6+6 a
1255 Et que le ciel vous mît,pour finir vos discords, 6+6 a
L'un parmi les vivants,l'autre parmi les morts. 6+6 a
Infortunés tous deux,dignes qu'on vous déplore ! 6+6 a
Moins malheureux pourtantque je ne suis encore, 6+6 a
Puisque, de tous les mauxqui sont tombés sur vous, 6+6 a
1260 Vous n'en sentez aucun,et que je les sens tous ! 6+6 a
Olympe
Mais pour vous ce malheurest un moindre supplice 6+6 a
Que si la mort vous tenlevé Polynice. 6+6 a
Ce prince étoit l'objetqui faisoit tous vos soins ; 6+6 a
Les intérêts du Roivous touchoient beaucoup moins. 6+6 a
Antigone
1265 Il est vrai, je l'aimoisd'une amitié sincère : 6+6 a
Je l'aimois beaucoup plusque je n'aimois son frère ; 6+6 a
Et ce qui lui donnoittant de part dans mes vœux, 6+6 a
Il étoit vertueux,Olympe, et malheureux. 6+6 a
Mais, hélas ! ce n'est plusce cœur si magnanime, 6+6 a
1270 Et c'est un criminelqu'a couronné son crime. 6+6 a
Son frère plus que luicommence à me toucher : 6+6 a
Devenant malheureux,il m'est devenu cher. 6+6 a
Olympe
Créon vient.
Antigone
Il est triste,et j'en connois la cause : 6+6 a
Au courroux du vainqueurla mort du Roi l'expose. 6+6 a
1275 C'est de tous nos malheursl'auteur pernicieux. 6+6 a
Scène III
Antigone, Créon, Attale, Olympe.
Créon
Madame, qu'ai-je apprisen entrant dans ces lieux ? 6+6 a
Est-il vrai que la Reine
Antigone
Oui, Créon, elle est morte. 6+6 a
Créon
Ô Dieux ! puis-je savoirde quelle étrange sorte 6+6 a
Ses jours infortunésont éteint leur flambeau ? 6+6 a
Olympe
1280 Elle-même, Seigneur,s'est ouvert le tombeau ; 6+6 a
Et s'étant d'un poignarden un moment saisie, 6+6 a
Elle en a terminéses malheurs et sa vie. 6+6 a
Antigone
Elle a su prévenirla perte de son fils. 6+6 a
Créon
Ah ! Madame, il est vraique les Dieux ennemis… 6+6 a
Antigone
1285 N'imputez qu'à vous seulla mort du Roi mon frère, 6+6 a
Et n'en accusez pointla céleste colère. 6+6 a
À ce combat fatalvous seul l'avez conduit : 6+6 a
Il a cru vos conseils ;sa mort en est le fruit. 6+6 a
Ainsi de leurs flatteursles rois sont les victimes ; 6+6 a
1290 Vous avancez leur perte,en approuvant leurs crimes ; 6+6 a
De la chute des roisvous êtes les auteurs ; 6+6 a
Mais les rois en tombantentrnent leurs flatteurs. 6+6 a
Vous le voyez, Créon,sa disgrâce mortelle 6+6 a
Vous est funeste autantqu'elle nous est cruelle : 6+6 a
1295 Le ciel, en le perdant,s'en est vengé sur vous, 6+6 a
Et vous avez peut-êtreà pleurer comme nous. 6+6 a
Créon
Madame, je l'avoue ;et les destins contraires 6+6 a
Me font pleurer deux fils,si vous pleurez deux frères. 6+6 a
Antigone
Mes frères et vos fils !Dieux ! que veut ce discours ? 6+6 a
1300 Quelqu'autre qu'Étéoclea-t-il fini ses jours ? 6+6 a
Créon
Mais ne savez-vous pascette sanglante histoire ? 6+6 a
Antigone
J'ai su que Polynicea gagné la victoire, 6+6 a
Et qu'Hémon a voulules séparer en vain. 6+6 a
Créon
Madame, ce combatest bien plus inhumain. 6+6 a
1305 Vous ignorez encormes pertes et les vôtres ; 6+6 a
Mais, hélas ! apprenezles unes et les autres. 6+6 a
Antigone
Rigoureuse Fortune,achève ton courroux. 6+6 a
Ah ! sans doute, voicile dernier de tes coups. 6+6 a
Créon
Vous avez vu, Madame,avec quelle furie 6+6 a
1310 Les deux princes sortoientpour s'arracher la vie ; 6+6 a
Que d'une ardeur égaleils fuyoient de ces lieux, 6+6 a
Et que jamais leurs cœursne s'accordèrent mieux. 6+6 a
La soif de se baignerdans le sang de leur frère 6+6 a
Faisoit ce que jamaisle sang n'avoit su faire : 6+6 a
1315 Par l'excès de leur haineils sembloient réunis ; 6+6 a
Et prêts à s'égorger,ils paroissoient amis. 6+6 a
Ils ont choisi d'abordpour leur champ de bataille 6+6 a
Un lieu près des deux camps,au pied de la muraille. 6+6 a
C'est là que reprenantleur première fureur, 6+6 a
1320 Ils commencent enfince combat plein d'horreur. 6+6 a
D'un geste menaçant,d'un œil brûlant de rage, 6+6 a
Dans le sein l'un de l'autreils cherchent un passage ; 6+6 a
Et la seule fureurprécipitant leurs bras, 6+6 a
Tous deux semblent courirau-devant du trépas. 6+6 a
1325 Mon fils, qui de douleuren soupiroit dans l'âme, 6+6 a
Et qui se souvenoitde vos ordres, Madame, 6+6 a
Se jette au milieu d'eux,et méprise pour vous 6+6 a
Leurs ordres absolusqui nous arrêtoient tous. 6+6 a
Il leur retient le bras,les repousse, les prie, 6+6 a
1330 Et pour les séparers'expose à leur furie ; 6+6 a
Mais il s'efforce en vaind'en arrêter le cours ; 6+6 a
Et ces deux furieuxse rapprochent toujours. 6+6 a
Il tient ferme pourtant,et ne perd point courage ; 6+6 a
De mille coups mortelsil détourne l'orage, 6+6 a
1335 Jusqu'à ce que du Roile fer trop rigoureux, 6+6 a
Soit qu'il cherchât son frère,ou ce fils malheureux, 6+6 a
Le renverse à ses piedsprêt à rendre la vie. 6+6 a
Antigone
Et la douleur encorne me l'a pas ravie ! 6+6 a
Créon
J'y cours, je le relève,et le prends dans mes bras ; 6+6 a
1340 Et me reconnoissant :« Je meurs, dit-il tout bas, 6+6 a
Trop heureux d'expirerpour ma belle princesse. 6+6 a
En vain à mon secoursvotre amitié s'empresse : 6+6 a
C'est à ces furieuxque vous devez courir. 6+6 a
Séparez-les, mon père,et me laissez mourir. » 6+6 a
1345 Il expire à ces mots.Ce barbare spectacle 6+6 a
À leur noire fureurn'apporte point d'obstacle ; 6+6 a
Seulement Polyniceen part affligé : 6+6 a
« Attends, Hémon, dit-il,tu vas être vengé. » 6+6 a
En effet sa douleurrenouvelle sa rage, 6+6 a
1350 Et bientôt le combattourne à son avantage. 6+6 a
Le Roi, frappé d'un coupqui lui perce le flanc, 6+6 a
Lui cède la victoire,et tombe dans son sang. 6+6 a
Les deux camps aussitôts'abandonnent en proie, 6+6 a
Le nôtre à la douleur,et les Grecs à la joie ; 6+6 a
1355 Et le peuple, alarmédu trépas de son roi, 6+6 a
Sur le haut de ses tourstémoigne son effroi. 6+6 a
Polynice, tout fierdu succès de son crime, 6+6 a
Regarde avec plaisirexpirer sa victime ; 6+6 a
Dans le sang de son frèreil semble se baigner : 6+6 a
1360 « Et tu meurs, lui dit-il,et moi je vais régner. 6+6 a
Regarde dans mes mainsl'empire et la victoire ; 6+6 a
Va rougir aux enfersde l'excès de ma gloire ; 6+6 a
Et pour mourir encoreavec plus de regret, 6+6 a
Trtre, songe en mourantque tu meurs mon sujet. » 6+6 a
1365 En achevant ces mots,d'une démarche fière 6+6 a
Il s'approche du Roicouché sur la poussière, 6+6 a
Et pour le désarmeril avance le bras. 6+6 a
Le Roi, qui semble mort,observe tous ses pas : 6+6 a
Il le voit, il l'attend,et son âme irritée 6+6 a
1370 Pour quelque grand desseinsemble s'être arrêtée. 6+6 a
L'ardeur de se vengerflatte encor ses desirs, 6+6 a
Et retarde le coursde ses derniers soupirs. 6+6 a
Prêt à rendre la vie,il en cache le reste, 6+6 a
Et sa mort au vainqueurest un piége funeste ; 6+6 a
1375 Et dans l'instant fatalque ce frère inhumain 6+6 a
Lui veut ôter le ferqu'il tenoit à la main, 6+6 a
Il lui perce le cœur ;et son âme ravie, 6+6 a
En achevant ce coup,abandonne la vie. 6+6 a
Polynice frappépousse un cri dans les airs, 6+6 a
1380 Et son âme en courrouxs'enfuit dans les enfers. 6+6 a
Tout mort qu'il est, Madame,il garde sa colère ; 6+6 a
Et l'on diroit qu'encoreil menace son frère. 6+6 a
Son visage, la morta répandu ses traits, 6+6 a
Demeure plus terribleet plus fier que jamais. 6+6 a
Antigone
1385 Fatale ambition,aveuglement funeste ! 6+6 a
D'un oracle cruelsuite trop manifeste ! 6+6 a
De tout le sang royalil ne reste que nous ; 6+6 a
Et plût aux Dieux, Créon,qu'il ne restât que vous, 6+6 a
Et que mon désespoir,prévenant leur colère, 6+6 a
1390 t suivi de plus prèsle trépas de ma mère ! 6+6 a
Créon
Il est vrai que des Dieuxle courroux embrasé 6+6 a
Pour nous faire périrsemble s'être épuisé ; 6+6 a
Car enfin sa rigueur,vous le voyez, Madame, 6+6 a
Ne m'accable pas moinsqu'elle afflige votre âme. 6+6 a
En m'arrachant mes fils…
Antigone
1395 Ah ! vous régnez, Créon ; 6+6 a
Et le trône aisémentvous console d'Hémon. 6+6 a
Mais laissez-moi, de grâce,un peu de solitude, 6+6 a
Et ne contraignez pointma triste inquiétude. 6+6 a
Aussi bien mes chagrinspasseroient jusqu'à vous ; 6+6 a
1400 Vous trouverez ailleursdes entretiens plus doux. 6+6 a
Le trône vous attend,le peuple vous appelle ; 6+6 a
Gtez tout le plaisird'une grandeur nouvelle. 6+6 a
Adieu : nous ne faisonstous deux que nous gêner. 6+6 a
Je veux pleurer, Créon,et vous voulez régner. 6+6 a
Créon
arrêtant Antigone.
1405 Ah ! Madame, régnez,et montez sur le trône : 6+6 a
Ce haut rang n'appartientqu'à l'illustre Antigone. 6+6 a
Antigone
Il me tarde déjàque vous ne l'occupiez : 6+6 a
La couronne est à vous.
Créon
Je la mets à vos piés. 6+6 a
Antigone
Je la refuseroisde la main des Dieux même ; 6+6 a
1410 Et vous osez, Créon,m'offrir le diadème ! 6+6 a
Créon
Je sais que ce haut rangn'a rien de glorieux 6+6 a
Qui ne cède à l'honneurde l'offrir à vos yeux. 6+6 a
D'un si noble destinje me connois indigne ; 6+6 a
Mais si l'on peut prétendreà cette gloire insigne, 6+6 a
1415 Si par d'illustres faitson la peut mériter, 6+6 a
Que faut-il faire enfin,Madame ?
Antigone
M'imiter. 6+6 a
Créon
Que ne ferois-je pointpour une telle grâce ! 6+6 a
Ordonnez seulementce qu'il faut que je fasse : 6+6 a
Je suis prêt…
Antigone
en s'en allant.
Nous verrons.
Créon
la suivant.
J'attends vos lois ici. 6+6 a
Antigone
en s'en allant.
Attendez.
Scène IV
Créon, Attale.
Attale
1420 Son courrouxseroit-il adouci ? 6+6 a
Croyez-vous la fléchir ?
Créon
Oui, oui, mon cher Attale : 6+6 a
Il n'est point de fortuneà mon bonheur égale, 6+6 a
Et tu vas voir en moi,dans ce jour fortuné, 6+6 a
L'ambitieux au trône,et l'amant couronné. 6+6 a
1425 Je demandois au ciella princesse et le trône : 6+6 a
Il me donne le sceptreet m'accorde Antigone. 6+6 a
Pour couronner ma têteet ma flamme en ce jour, 6+6 a
Il arme en ma faveuret la haine et l'amour ; 6+6 a
Il allume pour moideux passions contraires ; 6+6 a
1430 Il attendrit la sœur,il endurcit les frères ; 6+6 a
Il aigrit leur courroux,il fléchit sa rigueur, 6+6 a
Et m'ouvre en même tempset leur trône et son cœur. 6+6 a
Attale
Il est vrai, vous aveztoute chose prospère, 6+6 a
Et vous seriez heureuxsi vous n'étiez point père. 6+6 a
1435 L'ambition, l'amourn'ont rien à desirer ; 6+6 a
Mais, Seigneur, la naturea beaucoup à pleurer. 6+6 a
En perdant vos deux fils…
Créon
Oui, leur perte m'afflige, 6+6 a
Je sais ce que de moile rang de père exige ; 6+6 a
Je l'étois ; mais surtoutj'étois né pour régner ; 6+6 a
1440 Et je perds beaucoup moinsque je ne crois gagner. 6+6 a
Le nom de père, Attale,est un titre vulgaire : 6+6 a
C'est un don que le cielne nous refuse guère. 6+6 a
Un bonheur si communn'a pour moi rien de doux : 6+6 a
Ce n'est pas un bonheur,s'il ne fait des jaloux. 6+6 a
1445 Mais le trône est un biendont le ciel est avare ; 6+6 a
Du reste des mortelsce haut rang nous sépare ; 6+6 a
Bien peu sont honorésd'un don si précieux : 6+6 a
La terre a moins de roisque le ciel n'a de dieux. 6+6 a
D'ailleurs tu sais qu'Hémonadoroit la princesse, 6+6 a
1450 Et qu'elle eut pour ce princeune extrême tendresse. 6+6 a
S'il vivoit, son amourau mien seroit fatal : 6+6 a
En me privant d'un fils,le ciel m'ôte un rival. 6+6 a
Ne me parle donc plusque de sujets de joie, 6+6 a
Souffre qu'à mes transportsje m'abandonne en proie ; 6+6 a
1455 Et sans me rappelerdes ombres des enfers, 6+6 a
Dis-moi ce que je gagne,et non ce que je perds. 6+6 a
Parle-moi de régner,parle-moi d'Antigone ; 6+6 a
J'aurai bientôt son cœur,et j'ai déjà le trône. 6+6 a
Tout ce qui s'est passén'est qu'un songe pour moi : 6+6 a
1460 J'étois père et sujet,je suis amant et roi. 6+6 a
La princesse et le trôneont pour moi tant de charmes, 6+6 a
Que… Mais Olympe vient.
Attale
Dieux ! elle est toute en larmes. 6+6 a
Scène V
Créon, Olympe, Attale.
Olympe
Qu'attendez-vous, Seigneur ?la princesse n'est plus. 6+6 a
Créon
Elle n'est plus, Olympe ?
Olympe
Ah ! regrets superflus ! 6+6 a
1465 Elle n'a fait qu'entrerdans la chambre prochaine, 6+6 a
Et du même poignarddont est morte la Reine, 6+6 a
Sans que je pusse voirson funeste dessein, 6+6 a
Cette fière princessea percé son beau sein. 6+6 a
Elle s'en est, Seigneur,mortellement frappée, 6+6 a
1470 Et dans son sang, hélas !elle est soudain tombée. 6+6 a
Jugez à cet objetce que j'ai dû sentir. 6+6 a
Mais sa belle âme enfin,toute prête à sortir : 6+6 a
« Cher Hémon, c'est à toique je me sacrifie, » 6+6 a
Dit-elle ; et ce momenta terminé sa vie. 6+6 a
1475 J'ai senti son beau corpstout froid entre mes bras, 6+6 a
Et j'ai cru que mon âmealloit suivre ses pas : 6+6 a
Heureuse mille foissi ma douleur mortelle 6+6 a
Dans la nuit du tombeaum't plongée avec elle ! 6+6 a
Elle s'en va.
Scène VI
Créon, Attale.
Créon
Ainsi donc vous fuyezun amant odieux, 6+6 a
1480 Et vous-même, cruelle,éteignez vos beaux yeux ! 6+6 a
Vous fermez pour jamaisces beaux yeux que j'adore ; 6+6 a
Et pour ne me point voir,vous les fermez encore ! 6+6 a
Quoique Hémon vous fût cher,vous courez au trépas 6+6 a
Bien plus pour m'éviterque pour suivre ses pas. 6+6 a
1485 Mais dussiez-vous encorm'être aussi rigoureuse, 6+6 a
Ma présence aux enfersvous fût-elle odieuse, 6+6 a
Dût après le trépasvivre votre courroux, 6+6 a
Inhumaine, je vaisy descendre après vous. 6+6 a
Vous y verrez toujoursl'objet de votre haine ; 6+6 a
1490 Et toujours mes soupirsvous rediront ma peine 6+6 a
Ou pour vous adoucirou pour vous tourmenter, 6+6 a
Et vous ne pourrez plusmourir pour m'éviter. 6+6 a
Mourons donc…
Attale et des Gardes.
Ah ! Seigneur,quelle cruelle envie ! 6+6 a
Créon
Ah ! c'est m'assassinerque me sauver la vie. 6+6 a
1495 Amour, rage, transports,venez à mon secours ; 6+6 a
Venez, et terminezmes détestables jours ; 6+6 a
De ces cruels amistrompez tous les obstacles. 6+6 a
Toi, justifie, ô ciel,la foi de tes oracles : 6+6 a
Je suis le dernier sangdu malheureux Laïus ; 6+6 a
1500 Perdez-moi, Dieux cruels,ou vous serez déçus. 6+6 a
Reprenez, reprenezcet empire funeste : 6+6 a
Vous m'ôtez Antigone,ôtez-moi tout le reste. 6+6 a
Le trône et vos présentsexcitent mon courroux ; 6+6 a
Un coup de foudre est toutce que je veux de vous. 6+6 a
1505 Ne le refusez pasà mes vœux, à mes crimes ; 6+6 a
Ajoutez mon suppliceà tant d'autres victimes. 6+6 a
Mais en vain je vous presse,et mes propres forfaits 6+6 a
Me font déjà sentirtous les maux que j'ai faits. 6+6 a
Polynice, Étéocle,Iocaste, Antigone, 6+6 a
1510 Mes fils, que j'ai perduspour m'élever au trône, 6+6 a
Tant d'autres malheureuxdont j'ai causé les maux, 6+6 a
Font déjà dans mon cœurl'office des bourreaux. 6+6 a
Arrêtez… Mon trépasva venger votre perte ; 6+6 a
La foudre va tomber,la terre est entr'ouverte ; 6+6 a
1515 Je ressens à la foismille tourments divers, 6+6 a
Et je m'en vais chercherdu repos aux enfers. 6+6 a
Il tombe entre les mains des Gardes.
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