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QUI_1/QUI34
Pierre QUILLARD
La lyre héroïque et dolente
1897
LA GLOIRE DU VERBE
LES MYTHES
CELLE QU'ON FOULE
A Georges Duflot.
C'était parmi la nuit muette, la clameur 6+6 a
De la Terre, clameur lamentable et farouche 6+6 b
De géante en travail qui se tord sur sa couche, 6+6 b
Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt. 6+6 a
5 La formidable voix hurlait : cris d'épouvante, 6+6 a
Gémissements plaintifs des automnes, sanglots 6+6 b
Rauques de la forêt hivernale et des flots, 6+6 b
Rire amer et confus de la foule vivante, 6+6 a
Frémissement de l'herbe et murmure des nids, 6+6 a
10 Hymne démesu du torrent et du gouffre, 6+6 b
Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre 6+6 b
S'unissait et montait vers les cieux infinis. 6+6 a
Or voici l'anathème effréné que la Terre 6+6 a
Jetait à travers l'ombre aux fils des nations : 6+6 b
15 «Que le troupeau vengeur des exécrations 6+6 b
Suive à la trace l'homme ennemi du mystère. 6+6 a
Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil 6+6 a
Devant la majesté féconde de l'ancêtre 6+6 b
D'où jaillit la semence et la source de l'Être 6+6 b
20 Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil. 6+6 a
Partout, toujours, dans les déserts hantés d'hyènes, 6−6 a
Dans les plaines de neige où, par soudains élans, 6+6 b
Bondissent des troupeaux de rennes et d'élans, 6+6 b
Près du pôle et dans les cryptes égyptiennes, 6−6 a
25 Les hommes adoraient la Terre, qui porta 6+6 a
Dans son sein maternel, des millions d'années, 6+6 b
Le germe à peine éclos de vos races damnées 6+6 b
Et priaient à genoux Kybèle, Isis, Airtha. 6+6 a
Alors au bruit des sistres d'or et des crotales, 4+4+4 a
30 Sereine, à travers les chemins et les cités, 6−6 b
De temple en temple, au pas de mes lions domptés, 6+6 b
J'allais les seins voilés de pourpre orientale. 6+6 a
Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait 6+6 a
Au passage de la déesse vénérable 6−6 b
35 Et, telles qu'au printemps les grappes de l'érable, 6+6 b
Me versaient des parfums où le feu se mêlait. 6+6 a
Les austères guerriers des campagnes romaines 6+6 a
Chantaient pieusement la nourrice Rhéa 6+6 b
Qui mit en eux la sève antique et les créa 6+6 b
40 Pour l'asservissement des nations humaines ; 6+6 a
Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs, 6+6 a
Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mâles 6+6 b
Érigeaient mes autels en face des cieux pâles 6+6 b
Dans les forêts tempêtueuses, sur les rocs. 4+4+4 a
45 Quand la procession de mes prêtresses blanches 6+6 a
Précédait au printemps par les sentiers herbeux 6+6 b
Mon attelage lent et trné par des bœufs 6+6 b
Vers les villages et les toits couverts de branches, 6+6 a
Les hommes tatoués de fauve vermillon 6+6 a
50 Se courbaient et baisaient ma trace, et les ées 6+6 b
Rouges encor du sang et des têtes coues 6+6 b
Saluaient d'un éclair la Mère du Sillon. 6+6 a
O temps ancien de la Germanie et de Rome, 6−6 a
O temple universel des plaines et des blés 6+6 b
55 Où mon mystique époux des siècles écoulés, 6+6 b
Le laboureur était un prêtre auguste à l'homme : 6+6 a
Le culte véné sombre aux flots de l'oubli : 6+6 a
Nul printemps, nul été, ne luit et ne ramène 6+6 b
Les incantations de la prière humaine 6+6 b
60 Vers les autels de mon sanctuaire aboli : 6−6 a
O races chaque jour plus impures et viles, 6+6 a
Qui ne connaissez plus mes mystères, troupeaux 6+6 b
Plus barbares que vos pères vêtus de peaux, 6−6 b
Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes, 6+6 a
65 Vous qui fouillez avec mépris mes flancs gercés 6+6 a
Par les maternités innombrables ; ô foule 6+6 b
Immonde dont le pas sacrilège me foule ; 6+6 b
Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercés 6+6 a
Au chant de mes forêts de bouleaux et de chênes, 6+6 a
70 Dans des lits d'herbe fraîche et des langes de fleurs, 6+6 b
Voici venir enfin la horde des malheurs 6+6 b
Fatidiques et des calamités prochaines. 6−6 a
Dans un bref avenir une aube jaillira, 6+6 a
Ensanglantant les noirs espaces des nuées 6+6 b
75 Et par-dessus le bruit féroce des huées 6+6 b
Le clairon des combats ultimes sonnera ; 6+6 a
Sous l'œil indifférent des sphères fraternelles, 6+6 a
L'horrible mer de vos haines, sinistrement 6−6 b
Débordera sur vous et l'épouvantement 6+6 b
80 Élargira le vol funèbre de ses ailes ; 6+6 a
Et les hommes saisis d'un délire fatal, 6+6 a
Déchnés se rueront aux suprêmes tueries ; 6+6 b
De l'équateur torride aux blanches Sibéries, 6+6 b
Ma face saignera comme un immense étal. 6+6 a
85 O fureur indicible et sans répit ! batailles 6+6 a
Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans, 6+6 b
Comme le cri des flots qui heurtent les brisants, 6+6 b
J'entends déjà clamer les corps sous les entailles. 6+6 a
Un souffle meurtrier et pestilentiel 6+6 a
90 S'exhale de la mort et des chairs refroidies 6+6 b
Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies 6+6 b
De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel, 6+6 a
De vastes lacs de sang où, rigides et vertes, 6+6 a
Vont des flottes de morts convulsifs par milliers, 6+6 b
95 Où s'acharnent sans peur, repus et familiers, 6+6 b
Les vautours réjouis des cervelles ouvertes. 6+6 a
La fièvre fait claquer les dents des survivants, 6+6 a
Témoins terrifiés des heures vengeresses, 6+6 b
Qui dans l'affolement des suprêmes détresses 6+6 b
100 Voudraient perpétuer leur race en des enfants ; 6+6 a
Mais ces accouplements de spectres épuisés 6+6 a
Ne repeupleront pas les villes et les plaines. 6+6 b
Mêlez-vous, unissez les corps et les haleines ! 6+6 b
Les siècles ont tari la source des baisers. 6+6 a
105 Les temps sont écoulés, les heures sont venues 6+6 a
Et nul glas solennel et lent ne tintera 6+6 b
Lorsque le vent indifférent emportera 4+4+4 b
Le dernier râlement de l'homme vers les nues. 6+6 a
Sa mort n'éveillera ni gté ni regret 6+6 a
110 Dans le monde impassible et dans l'âme des choses 6+6 b
Qui ne s'occupent pas en leurs métamorphoses 6+6 b
De ce qui naît, grandit, s'efface et disparaît. 6+6 a
Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule, 6+6 a
Seule de toutes les étoiles, je saurai 6−6 b
115 Que mon lait a nourri jadis l'être exécré, 6+6 b
Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aïeule ! 6+6 a
Comme avant l'homme impie et ses rébellions, 6+6 a
Libre de sa présence et de sa marche impure, 6+6 b
Je pourrai dénouer au vent ma chevelure 6+6 b
120 De profondes forêts où rôdent les lions ; 6+6 a
Et quand l'aube luira dans la fraîche roe 6+6 a
Je plongerai mon corps que ses pas ont flétri. 6+6 b
—Et ma force renaît, ma beauté refleurit, 6+6 b
Et ma chair a des tons d'églantine roe. 6+6 a
125 O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs, 6+6 a
Hautaine majesté des palmes triomphales 6+6 b
Que faisait onduler le souffle des rafales 6+6 b
Sur la virgini première de mes flancs, 6+6 a
Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse 6+6 a
130 Pour l'hymen radieux et rouge du soleil ; 6+6 b
Tissez et déployez votre manteau vermeil 6+6 b
Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse ! 6+6 a
Montez dans le limpide éther, ô chants d'oiseaux : 6+6 a
Voici l'amour et les caresses nuptiales ; 6−6 b
135 J'entends hennir au loin les cavales royales 6+6 b
Et des nuages fins neigent de leurs naseaux. 6+6 a
Le Dieu descend du char céleste et sur ma bouche 6+6 a
Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers 6+6 b
S'infiltrent lentement dans mes flancs embrasés, 6+6 b
140 Jusqu'à l'heure où le jour resplendissant se couche 6+6 a
Et remonte vers le palais mystérieux, 6−6 a
Cependant que la main pacifique des ombres 6+6 b
Étale dans le ciel obscur ses voiles sombres 6+6 b
Et clôt divinement mes lèvres et mes yeux.» 6+6 a
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