Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
PRU_4/PRU109
corpus Pamela Puntel
René-François SULLY PRUDHOMME
POÉSIES PUBLIÉES DANS LA REVUE DES DEUX MONDES
1870-1871
Revue des Deux Mondes
Tome Quatre-vingt-dixième, 1870
La Mare d’Auteuil
Jeunes et vieux, ô vous, | vengeurs de toutes sortes, 6+6 a
Qui, bravant la mitraille, | en avant des remparts, 6+6 b
Tombez, sous un ciel froid, | dans les plaines épars, 6+6 b
Frères, pardonnez-moi, | si, voyant à nos portes, 6+6 a
5 Là même où vous aussi | les voyiez autrefois, 6+6 c
Tous ces arbres couchés | parmi leurs feuilles mortes, 6+6 a
J’ose m’attendrir sur les bois. 8 c
Ces bois nous étaient chers | par leur site et leur âge, 6+6 a
Par l’ancêtre inconnu | qui les avait plantés, 6+6 b
10 Surtout par la douceur | des rêves enchantés 6+6 b
Qu’ils éveillaient dans l’âme | en versant leur ombrage, 6+6 a
Par leurs sentiers étroits, | leur sauvage gazon, 6+6 c
Et la fraîche percée | où comme un clair mirage 6+6 a
Reculait leur vague horizon. 8 c
15 Là dormait une mare | antique et naturelle, 6+6 a
Où, vers le piège lent | des brusques, hameçons, 6+6 b
Montaient et se croisaient | des lueurs de poissons, 6+6 b
Où mille insectes fins | venaient mirer leur aile ; 6+6 a
Eau si calme qu’à peine | une feuille y glissait, 6+6 c
20 Si sensible pourtant | que le bout d’une ombrelle 6+6 a
D’un bord à l’autre la plissait. 8 c
Trois chênes lui prêtaient | leur abri vénérable. 6+6 a
Hors de la terre, autour | de leurs énormes flancs, 6+6 b
Leur racine saillante | improvisait des bancs, 6+6 b
25 Et vers l’heure où, l’été, | le poids du ciel accable, 6+6 a
Leurs branches sur les yeux | ivres d’un vert sommeil 6+6 c
Épandaient un feuillage | au jour seul pénétrable, 6+6 a
Comme une tente en plein soleil. 8 c
Leurs hôtes coutumiers, | les enfants et les femmes ; 6+6 a
30 Les rêveurs, les oiseaux, | y coulaient l’heure en paix 6+6 b
Sous la protection | de ces rameaux épais, 6+6 b
Qui, pleins d’une odeur saine, | et par leurs longues trames 6+6 a
Formant comme un grand luth | toujours prêt à vibrer, 6+6 c
Rendaient l’air plus sonore | au pur essor des gammes 6+6 a
35 Et plus suave à respirer. 8 c
On lisait d’anciens noms | de seigneur ou de pâtre 6+6 a
Dans l’écorce gravés, | et que dans ses retours 6+6 b
La sève agrandissait, | mais effaçait toujours ; 6+6 b
Dans le tronc, restauré | tout le long par du plâtre, 6+6 a
40 Ouvert et creux au bas, | s’était accumulé 6+6 c
Un poussier noir, pareil | à la cendre de l’âtre : 6+6 a
Où des souvenirs ont brûlé. 8 c
Ces lieux étaient profonds : | nous ne pouvons pas croire 6+6 a
Que les chemins errants | qui se perdaient si loin, 6+6 b
45 Les gros chênes et l’eau, | tenaient tous dans ce coin. 6+6 b
Quel prestige éloignait | leur limite illusoire ? 6+6 a
Et qui se rappelait, | en y flânant jadis, 6+6 c
Que des hauts bastions | l’austère promontoire 6+6 a
Bornait si près ce paradis ? 8 c
50 Jeunes et vieux, ô vous, | braves de toutes sortes, 6+6 a
Au cri de la patrie | en foule rassemblés, 6+6 b
Que la mitraille abat | comme le vent les blés, 6+6 b
Pardonnez, si, ployant | sous mes haines trop fortes, 6+6 a
Je songe par faiblesse | une dernière fois 6+6 c
55 A ces arbres couchés | parmi leurs feuilles mortes, 6+6 a
Si j’ose encore aimer les bois. 8 c
Les voilà donc à bas, | ces géants séculaires, 6+6 a
Les bras épars, tordus | dans l’immobilité, 6+6 b
Le faîte horizontal, | ras et décapité ; 6+6 b
60 Sur leur entaille, on compte | aux couches annulaires 6+6 a
L’ample succession | de leurs ans révolus 6+6 c
Et le temps qu’ont dormi | dans l’horreur des suaires 6+6 a
Ceux dont les noms ne vivront plus. 8 c
Ah ! peut-être, s’ils n’ont | ni blessure qui saigne, 6+6 a
65 Ces arbres, ni douleur | qu’attestent de longs cris, 6+6 b
Peut-être ont-ils souffert, | outragés et meurtris, 6+6 b
Un tourment presque humain, | digne aussi qu’on le plaigne ; 6+6 a
Leur ruine, barrière | aux chevaux des vainqueurs, 6+6 c
Inspire une pitié | que la raison dédaigne, 6+6 a
70 Mais qui n’offense point les cœurs ! 8 c
Peut-être cherchent-ils | entre eux pourquoi l’automne 6+6 a
Qui suspendait la vie | afin de l’apaiser, 6+6 b
Posant partout son deuil | comme un discret baiser, 6+6 b
Farouche cette fois, | frappe, ravage, tonne, 6+6 a
75 Et ne ressemble plus | à l’automne de Dieu ; 6+6 c
Ou bien comprennent-ils | à l’emploi qu’on leur donne 6+6 a
Qu’un bel arbre n’est plus qu’un pieu ! 8 c
Ils s’arment comme nous, | fils de la même terre ; 6+6 a
Leur sève et notre sang | auront tous deux coulé 6+6 b
80 Pour cet illustre sol | impudemment foulé ! 6+6 b
Tandis que sous nos murs | l’aigle à la froide serre 6+6 a
Amène ses pillards | par les sentiers des loups, 6+6 c
Et que les autres bois | font avec eux la guerre, 6+6 a
Ceux-là du moins la font pour nous. 8 c
85 Comme une vaste armée | arrêtée en silence 6+6 a
Écoute-au loin rouler | un galop d’escadrons, 6+6 b
Des arbres abattus | les innombrables troncs 6+6 b
Attendent, menaçants, | taillés en fer de lance ; 6+6 a
Les souches des plus gros | siègent comme un sénat 6+6 c
90 Qui, dans un grand péril, | se recueille, et balance 6+6 a
Les chances du dernier combat. 8 c
Seuls, ces débris guerriers | des beaux chênes demeurent ; 6+6 a
L’eau qui baignait leur pied | n’est plus qu’un bourbier noir. 6+6 b
On ne reviendra plus | à leur ombre s’asseoir : 6+6 b
95 Les couples sont brisés, | tous ceux qui s’aiment pleurent ; 6+6 a
Leurs gardiens d’autrefois | se sont faits leurs bourreaux ; 6+6 c
Plus de nids, plus d’amours ! | Qu’ils tombent donc et meurent 6+6 a
Comme, les hommes, en héros ! 8 c
Jeunes et vieux, ô vous, | martyrs de toutes sortes, 6+6 a
100 Qui, par une mitraille | invisible assaillis, 6+6 b
Tombez en maudissant | l’épaisseur des taillis, 6+6 b
Frères, pardonnez-moi, | si, voyant à nos portes, 6+6 a
Comme un renfort venu | de nos aïeux gaulois, 6+6 c
Ces vieux chênes couchés | parmi leurs feuilles mortes, 6+6 a
105 Je trouve un adieu pour les bois ! 8 c
mètre profils métriques : 8, 6+6
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