Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
PRU_2/PRU76
René-François SULLY PRUDHOMME
Les Solitudes
1867
LE PEUPLE S'AMUSE
Le poète naïf, | qui pense avant d'écrire, 6+6 a
S'étonne, en ce temps-ci, | des choses qui font rire. 6+6 a
Au théâtre parfois | il se tourne, et, voyant 6+6 b
La gaîté des badauds | qui va se déployant, 6+6 b
5 Pour un plat calembour, | des loges au parterre, 6+6 a
Il se sent tout à coup | tellement solitaire 6+6 a
Parmi ces gros rieurs | au ventre épanoui, 6+6 b
Que, le front lourd et l'œil | tristement ébloui, 6+6 b
Il s'esquive, s'il peut, | sans attendre la toile. 6+6 a
10 Enfin libre il respire, | et, d'étoile en étoile, 6+6 a
Dans l'azur sombre et vaste | il laisse errer ses yeux. 6+6 b
Ah ! Quand on sort de là, | comme la nuit plaît mieux ! 6+6 b
Qu'il fait bon regarder | la Seine lente et noire 6+6 a
En silence rouler | sous les vieux ponts sa moire, 6+6 a
15 Et les reflets tremblants | des feux traîner sur l'eau 6+6 b
Comme les pleurs d'argent | sur le drap d'un tombeau ! 6+6 b
Ce deuil fait oublier | ces rires qu'on abhorre. 6+6 a
Hélas ! Où donc la joie | est-elle saine encore ? 6+6 a
Quel vice a donc en nous | gâté le sang gaulois ? 6+6 b
20 Quand rirons-nous le rire | honnête d'autrefois ? 6+6 b
Ce ne sont aujourd'hui | qu'absurdes bacchanales ; 6+6 a
Farces au masque impur | sur des planches banales ; 6+6 a
Vil patois qui se fraye | impudemment accès 6+6 b
Parmi le peuple illustre | et cher des mots français ; 6+6 b
25 Couplets dont les refrains | changent la bouche en gueule ; 6+6 a
Romans hideux, miroir | de l'abjection seule, 6+6 a
Commérage où le fiel | assaisonne des riens : 6+6 b
Feuilletons à voleurs, | drames à galériens, 6+6 b
Funestes aux cœurs droits | qui battent sous les blouses ; 6+6 a
30 Vaudevilles qui font, | corrupteurs des épouses, 6+6 a
Un ridicule impie | à l'affront des maris ; 6+6 b
Spectacles où la chair | des femmes, mise à prix, 6+6 b
Comme aux crocs de l'étal | exhibée en guirlande, 6+6 a
Allèche savamment | la luxure gourmande ; 6+6 a
35 Parades à décors | dont les fables sans art 6+6 b
N'esquivent le sifflet | qu'en soûlant le regard ; 6+6 b
Coups d'archets polissons | sur la lyre d'Homère, 6+6 a
Et tous les jeux maudits | d'un amour éphémère 6+6 a
Qui va se dégradant | du caprice au métier : 6+6 b
40 Voilà ce qui ravit | un peuple tout entier ! 6+6 b
O bêtise, éternel | veau d'or des multitudes, 6+6 a
Toi dont le culte aisé | les plie aux servitudes 6+6 a
Et complice du joug | les y soumet sans bruit, 6+6 b
Monstre cher à la force | et par la ruse instruit 6+6 b
45 À bafouer la libre | et sévère pensée, 6+6 a
Règne ! Mais à ton tour, | brute, qu'à la risée, 6+6 a
Au comique mépris | tu serves de jouet ! 6+6 b
Que sur toi le bon sens | fasse claquer son fouet, 6+6 b
Qu'il se lève, implacable | à son tour, et qu'il rie, 6+6 a
50 Et qu'il raille à son tour | l'inepte raillerie, 6+6 a
Et qu'il fasse au soleil | luire en leur nudité 6+6 b
Ta grotesque laideur | et ta stupidité ! 6+6 b
Molière, dresse-toi ! | Debout, Aristophane ! 6+6 a
Allons ! Faites entendre | au vulgaire profane 6+6 a
55 L'hymne de l'idéal | au fond du rire amer, 6+6 b
Du grand rire où, pareil | au cliquetis du fer, 6+6 b
Sonne le choc rapide | et franc des pensers justes, 6+6 a
Du beau rire qui sied | aux poitrines robustes, 6+6 a
Vengeur de la sagesse, | héroïque moqueur, 6+6 b
60 Où vibre la jeunesse | immortelle du cœur ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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