Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA69
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
MIDI SONNE AU CLOCHER DE LA TOUR SARRASINE
«Ne recherche pas la cause de la turbulence :
c'est l'affaire de la mystérieuse nature…»
.
Midi sonne au clocher | de la tour sarrasine. 6+6 a
Un calme épanoui | pèse sur les collines ; 6+6 a
Les palmes des jardins | font insensiblement 6+6 a
Un geste de furtif | et doux assentiment. 6+6 a
5 Le vent a rejeté | ses claires arbalètes 6+6 a
Sur la montagne, | entre la neige | et les violettes ! 4+4+4 a
Les rumeurs des hameaux | ont le charme brouillé 6+6 a
D'une vague, glissant | sur de blancs escaliers… 6+6 a
— O calme fixité, | que ceint un clair rivage, 6+6 a
10 L'Amour rayonne au centre | indéfini des âges !- 6+6 a
Un noir cyprès, creusé | par la foudre et le vent, 6+6 a
Ondulant dans l'air tiède, | officiant, rêvant, 6+6 a
Semble, par sa débile | et céleste prière, 6+6 a
Un prophète expirant, | entr'ouvert de lumière ! 6+6 a
15 — Aérienne idylle, | envolement d'airain, 6+6 a
La cloche au chant naïf | du couvent franciscain 6+6 a
Répond au tendre appel | de la cloche des Carmes. 6+6 a
L'olivier, argenté | comme un torrent de larmes, 6+6 a
Imite, en se courbant | sous les placides cieux, 6+6 a
20 L'humble adoration | des cœurs minutieux… 6+6 a
— Quel vœu déposerai-je | en vos mains éternelles, 6+6 a
Sainte antiquité grecque, | ô Moires maternelles ? 6+6 a
Déjà bien des printemps | se sont ouverts pour moi. 6+6 a
Au pilier résineux | de chacun de leurs mois 6+6 a
25 J'ai souffert ce martyre | enivrant et terrible, 6+6 a
Près de qui le bonheur | n'est qu'un ennui paisible… 6+6 a
Je ne verrai plus rien | que je n'aie déjà vu. 6+6 a
Je meurs à la fontaine | où mon désir a bu : 6+6 a
Les battements du cœur | et les beaux paysages, 6+6 a
30 L'ouragan et l'éclair | baisés sur un visage, 6+6 a
L'oubli de tout, l'espoir | invincible, et plus haut 6+6 a
L'extase d'être un dieu | qui marche sur les flots ; 6+6 a
La gloire d'écouter, | seule, dans la nature 6+6 a
L'universelle Voix, | dont la céleste enflure 6+6 a
35 Proclame dans l'azur, | dans les blés, dans les bois, 6+6 a
«Âme, je te choisis | et je me donne à toi,» 6+6 a
Tout cela qui frissonne | et qui me fit divine, 6+6 a
Je ne le goûterai | que comme un front s'incline 6+6 a
Sur le miroir, voilé | par l'ombre qui descend, 6+6 a
40 Où déjà s'est penché | son rire adolescent… 6+6 a
— Mais la fougueuse vie | en mon cœur se déchaîne : 6+6 a
O son des Angelus | dans les faubourgs de Gênes, 6+6 a
Tandis qu'au bord des quais, | où règne un lourd climat, 6+6 a
Les vaisseaux entassés, | les cordages, les mâts, 6+6 a
45 Semblent, dans le ciel pâle | où la chaleur s'énerve, 6+6 a
De noirs fuseaux, tissant | la robe de Minerve ! 6+6 a
Vieille fontaine arabe, | au jet d'eau mince et long, 6+6 a
Exilée en Sicile, | en de secrets vallons. 6+6 a
Soirs du lac de Némi, | soirs des villas romaines, 6+6 a
50 Où la noble cascade | en déroulant sa traîne 6+6 a
Sur un funèbre marbre, | imite la pudeur 6+6 a
De la Mélancolie, | errante dans ses pleurs, 6+6 a
Et qu'un faune poursuit | sur la rapide pente… 6+6 a
— Muet accablement | d'un square d'Agrigente : 6+6 a
55 Jardin tout excédé | de ses fleurs, où j'étais 6+6 a
La Mémoire en éveil | d'un monde qui se tait. 6+6 a
Dans ce dormant Dimanche | amolli et tenace, 6+6 a
Mêlée à l'étendue, | éparse dans l'espace, 6+6 a
Étrangère à mon cœur, | à mes pesants tourments, 6+6 a
60 Je n'étais plus qu'un vaste | et pur pressentiment 6+6 a
De tous les avenirs, | dont les heures fécondes 6+6 a
S'accompliront sans nous | jusqu'à la fin des mondes… 6+6 a
— Chaud silence ; et l'élan | que donne la torpeur ! 6+6 a
L'air luit ; le sifflement | d'un bateau à vapeur 6+6 a
65 Jette son rauque appel | à la rive marchande. 6+6 a
Une glu argentée | entr'ouvre les amandes ; 6+6 a
De lourds pigeons, heurtés | aux arceaux d'un couvent, 6+6 a
Font un bruit éclatant | de satin et de vent, 6+6 a
Comme un large éventail | dans les nuits sévillanes… 6+6 a
70 Sur l'aride sentier, | un pâtre sur un âne 6+6 a
Chantonne, avec l'habile | et perfide langueur 6+6 a
D'une main qui se glisse | et qui cherche le cœur… 6+6 a
— Par ce cristal des jours, | par ces splendeurs païennes, 6+6 a
Seigneur, préservez-nous | de la paix quotidienne 6+6 a
75 Qui stagne sans désir, | comme de glauques eaux ! 6+6 a
Nous avons faim d'un chant | et d'un bonheur nouveau ! 6+6 a
Je sais que l'âpre joie | en blessures abonde, 6+6 a
Je ne demande pas | le repos en ce monde ; 6+6 a
Vous m'appelez, je vais ; | votre but est secret ; 6+6 a
80 Vous m'égarez toujours | dans la sombre forêt ; 6+6 a
Mais quand vous m'assignez | quelque nouvel orage, 6+6 a
Merci pour le danger, | merci pour le courage ! 6+6 a
A travers les rameaux | serrés, je vois soudain 6+6 a
La mer, comme un voyage | exaltant et serein ! 6+6 a
85 Je sais ce que l'on souffre, | et si je suis vivante, 6+6 a
C'est qu'au fond de la morne | ou poignante épouvante, 6+6 a
Lorsque parfois ma force | extrême se lassait, 6+6 a
Un ange, au cœur cerclé | de fer, me remplaçait… 6+6 a
— Et pourtant, je ne veux | pas amoindrir ma chance 6+6 a
90 D'être le lingot d'or | qui brise la balance ; 6+6 a
D'être, parmi les cœurs | défaillants, incertains, 6+6 a
L'esprit multiplié | qui répond au Destin ! 6+6 a
Je n'ai pas peur des jours, | du feu, du soir qui tombe ; 6+6 a
Dans le désert, je suis | nourrie par les colombes. 6+6 a
95 Je sais bien qu'il faudra | connaître en vous un jour 6+6 a
La fin de tout effort, | l'oubli de tout amour, 6+6 a
Nature ! dont la paix | guette notre agonie. 6+6 a
Mais avant cet instant | de faiblesse infinie, 6+6 a
Traversant les plateaux, | les torrents hauts ou secs, 6+6 b
100 Chantant comme faisaient | les marins d'Ionie 6+6 a
Dans l'odeur du corail, | du sel et du varech, 6+6 b
J'irai jusqu'aux confins | de ces rochers des Grecs, 6+6 b
Où les flots démontés | des colonnes d'Hercule 6+6 a
Engloutissaient les nefs, | au vent du crépuscule !… 6+6 a
mètre profil métrique : 6=6
logo du CRISCO logo de l'université