Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA60
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
MUSIQUE POUR LES JARDINS DE LOMBARDIE
Les îles ont surgi | des bleuâtres embruns… 6+6 a
O terrasses ! balcons | rouillés par les parfums ! 6+6 a
Paysages figés | dans de languides poses ; 6+6 a
Plis satinés des flots | contre les lauriers-roses ; 6+6 a
5 Nostalgiques palmiers, | ardents comme un sanglot, 6+6 a
Où des volubilis | d'un velours indigo 6+6 a
Suspendent mollement | leurs fragiles haleines !… 6+6 a
Un papillon, volant | sur les fleurs africaines, 6+6 a
Faiblit, tombe, écrasé | par le poids des odeurs. 6+6 a
10 Hélas ! on ne peut pas | s'élever ! La langueur 6+6 a
Coule comme un serpent | de ce feuillage étrange, 6+6 a
Le thé, les camphriers | se mêlent aux oranges. 6+6 a
Forêts d'Océanie | où la sève, le bois 6+6 a
Ont des frissons secrets | et de plaintives voix… 6+6 a
15 O vert étouffement, | enroulement, luxure, 6+6 a
Crépitement de mort, | ardente moisissure 6+6 a
Des arbres exilés, | qu'usent en cet îlot 6+6 a
La caresse des vents | et les baisers de l'eau… 6+6 a
— Et Pallanza, là-bas, | sur qui le soleil flambe, 6+6 a
20 Semble un corps demi-nu, | languissant, vaporeux, 6+6 b
Qui montre ses flancs d'or, | mais dont les douces jambes 6+6 a
Se voilent des soupirs | du lac voluptueux… 6+6 b
— O tristesse, plus tard, | dans les nuits parfumées, 6+6 a
Quand les chauds souvenirs | ont la moiteur du sang, 6+6 b
25 De revoir en son cœur, | les paupières fermées, 6+6 a
Et tandis que la mort | déjà sur nous descend, 6+6 b
Les suaves matins | des îles Borromées !… 6+6 a
* * *
Je goûte vos parfums | que les vents chauds inclinent, 6+6 a
Profonds magnolias, | lauriers des Carolines… 6+6 a
30 — Les rames, sur les flots | palpitants comme un cœur, 6+6 a
Imitent les sanglots | langoureux du bonheur. 6+6 a
O promesse de joie, | ô torpeur juvénile ! 6+6 a
Une cloche se berce | au rose campanile 6+6 a
Qui, délicat et fier, | semble un cyprès vermeil ; 6+6 a
35 Partout la volupté, | la mélodie errante… 6+6 b
— O matin de Stresa, | turquoise respirante, 6+6 b
Sublime agilité | du cœur vers le soleil ! 6+6 a
* * *
O soirs italiens, | terrasses parfumées, 6+6 a
Jardins de mosaïque | où traînent des paons blancs, 6+6 b
40 Colombes au col noir, | toujours toutes pâmées, 6+6 a
Espaliers de citrons | qu'oppresse un vent trop lent, 6+6 b
Iles qui sur Vénus | semblent s'être fermées, 6+6 a
Où l'air est affligeant | comme un mortel soupir, 6+6 b
Ah ! pourquoi donnez-vous, | douceurs inanimées, 6+6 a
45 Le sens de l'éternel | au corps qui doit mourir ! 6+6 b
* * *
Ah ! dans les bleus étés, | quand les vagues entre elles 6+6 a
Ont le charmant frisson | du cou des tourterelles, 6+6 a
Quand l'Isola Bella, | comme une verte tour, 6+6 a
Semble Vénus nouant | des myrtes à l'Amour, 6+6 a
50 Quand le rêve, entraîné | au bercement de l'onde, 6+6 a
Semble glisser, couler | vers le plaisir du monde, 6+6 a
Quand le soir étendu | sur ces miroirs gisants 6+6 a
Est une joue ardente | où s'exalte le sang, 6+6 a
J'ai cherché en quel lieu | le désir se repose… 6+6 a
55 — Douces îles, pâmant | sur des miroirs d'eau rose, 6+6 a
Vous déchirez le cœur | que l'extase engourdit. 6+6 a
Pourquoi suis-je enfermée | en un tel paradis ! 6+6 a
* * *
Ah ! que lassée enfin | de toute jouissance, 6+6 a
Dans ces jardins meurtris, | dans ces tombeaux d'essence, 6+6 a
60 Je m'endorme, momie | aux membres épuisés ! 6+6 a
Que cet embaumement | soit un dernier baiser, 6+6 a
Tandis que, sous les noirs | bambous qui vous abritent, 6+6 a
Sous les cèdres, pesants | comme un ciel sombre et bas, 6+6 b
Blancs oiseaux de sérail | que le parfum abat, 6+6 b
65 Vous gémirez d'amour, | colombes d'Aphrodite ! 6+6 a
* * *
Des parfums assoupis | aux rebords des terrasses, 6+6 a
L'azur en feu, des fleurs | que la chaleur harasse, 6+6 a
Sur quel rocher d'amour | tant d'ardeur me lia !… 6+6 a
— Colombes sommeillant | dans les camélias, 6+6 a
70 Dans les verts camphriers | et les saules de Chine, 6+6 a
Laissez dormir mes mains | sur vos douces échines. 6+6 a
Consolez ma langueur, | vous êtes, ce matin, 6+6 a
Le rose Saint-Esprit | des tableaux florentins. 6+6 a
— Tourterelles en deuil, | si faibles, si lassées, 6+6 a
75 Fruits palpitants et chauds | des branches épicées, 6+6 a
Hélas ! cet anneau noir | qui cercle votre cou 6+6 a
Semble enfermer aussi | mon âpre destinée, 6+6 b
Et vos gémissements | m'annoncent tout à coup 6+6 a
Les enivrants malheurs | pour lesquels je suis née… 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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