Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA13
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
LE CHANT DU PRINTEMPS
«O Moires infinies, déesses aériennes, dispensatrices
universelles, nécessairement infligées aux mortels !»
(Hymnes Orphiques.)
Le silence et les bruits, | soudain, dans l'air humide 6+6 a
Ont ce soir un accent | plus vaste et plus ardent ; 6+6 b
Sur le vent aminci | Février fuit, rapide, 6+6 a
Quelqu'un revient, je sens | qu'il vient, c'est le Printemps ! 6+6 b
5 Hôte mystérieux, | il est là sous la terre, 6+6 a
Il est près du branchage | éploré des forêts, 6+6 b
Il monte, il s'est risqué, | il ne peut pas se taire, 6+6 a
Et son premier frisson | répand tous ses secrets ! 6+6 b
Il passe, mais personne | encore sur la route 6+6 a
10 Ne peut le soupçonner, | je regarde, j'écoute : 6+6 a
— Oui, je t'ai reconnu, | sublime Dépouillé ! 6+6 a
Sordide vagabond | sans fleurs et sans feuillage, 6+6 b
Qui rampes, et répands | sur les chemins mouillés 6+6 a
Cette clarté pensive | et ces poignants présages ! 6+6 b
15 Oui, je t'ai reconnu, | ton souffle est devant toi 6+6 a
Comme un tiède horizon | où flotteront les graines ; 6+6 b
Le silence attentif | et fourmillant des bois 6+6 a
S'emplit furtivement | de ta languide haleine. 6+6 b
Oui, je t'ai reconnu | à ce trouble du cœur 6+6 a
20 Qui arrête ma vie | et la rend palpitante, 6+6 b
Je suis la chasseresse | ayant surpris l'odeur 6+6 a
De la jeune antilope | étourdie et courante ! 6+6 b
— Ah ! qui me tromperait, | Printemps terrible et doux, 6+6 a
Sur ton subtil arome | et sur ta ressemblance, 6+6 b
25 Je sais ton nom secret | que les lis et les loups 6+6 a
Proclameront la nuit | dans le puissant silence ! 6+6 b
Je sais ton nom profond, | chuchoté, recouvert, 6+6 a
Mystérieux, sournois, | débordant, formidable, 6+6 b
Qui fait tressaillir l'eau, | les écorces, les airs, 6+6 a
30 Et germer jusqu'aux cieux | la cendre impérissable ! 6+6 b
C'est toi l'Éros des Grecs, | au rire frémissant, 6+6 a
Le jeune homme à qui Pan, | sonore et frénétique, 6+6 b
Enseigne un chant par qui | le flot phosphorescent 6+6 a
Répond au long appel | des astres pathétiques ! 6+6 b
35 C'est toi le renouveau, | toi par qui l'aujourd'hui 6+6 a
Est différent d'hier | comme le jour de l'ombre ; 6+6 b
Toi qui, d'un autre bord | où ton royaume luit, 6+6 a
Fais retentir vers nous | des fanfares sans nombre. 6+6 b
Un ordre plus formel | que la soif, que la faim, 6+6 a
40 Commande par ta voix | rapide, active, urgente, 6+6 b
Et du fond des taillis | et des gouffres marins 6+6 a
Monte le chaud soupir | des bêtes émergeantes ! 6+6 b
— Je te suivrai, Printemps, | malgré les maux constants, 6+6 a
Je te suivrai, j'irai | sans défense et sans armes 6+6 b
45 Vers ce vague bonheur | qui brille au fond du temps 6+6 a
Comme un fixe regard | irrité par les larmes ! 6+6 b
Je te suivrai, malgré | le souvenir des morts, 6+6 a
Malgré tous les vivants | engloutis dans mon âme, 6+6 b
Malgré mon cœur qui n'est | qu'un gémissant effort, 6+6 a
50 Malgré mon fier esprit | qui résiste et me blâme. 6+6 b
— Mais quoi ! ce n'est donc pas | le neuf et frais bonheur 6+6 a
Qui ce soir me tentait | par son doux sortilège ? 6+6 b
Ces espoirs, ces souhaits, | ces regrets, ces langueurs, 6+6 a
Hélas ! c'est le passé, | beau comme un long arpège ; 6+6 b
55 Hélas ! c'est le passé, | ce courage ingénu, 6+6 a
Ce sublime désir | de mourir et de vivre 6+6 b
Que ma jeunesse avait | quand je vous ai connu, 6+6 a
Vous, qui fûtes la page | insigne dans le livre ! 6+6 b
Hélas ! c'est le passé, | ce parfum dans le vent, 6+6 a
60 Cet émoi dans les airs, | ces grelots des voitures, 6+6 b
Cet orgueilleux besoin | d'être encor plus vivant, 6+6 a
Et de recommencer, | puisqu'hélas ! rien ne dure ! 6+6 b
Ainsi je me croyais | mêlée au renouveau, 6+6 a
Je ne suis que l'ardente | et grave prisonnière 6+6 b
65 Qui sur ses poignets las | sent le poids des anneaux, 6+6 a
Qui pleure sur la route | et regarde en arrière ! 6+6 b
Hélas ! c'est le passé | que je cherche toujours, 6+6 a
C'est vers lui que j'allais ! | Comme s'il est possible 6+6 b
De retrouver le sacre | unique de l'amour, 6+6 a
70 Et d'aborder encore | à cette île sensible 6+6 b
Qui, désormais, n'a plus | de barques alentour, 6+6 a
Et luit sur l'onde comme | un roc inaccessible 6+6 c
Où des archers courants | nous ont choisis pour cible… 6+6 c
mètre profil métrique : 6+6
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