Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
NOA_1/NOA103
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
III
LES ÉLÉVATIONS
L'ESPACE NOCTURNE
«Zeus lui-même considérait la nuit
avec une crainte respectueuse.»
Qui pourrait déchiffrer | la nuit silencieuse ? 6+6 a
Les Nombres sont en elle | éclatants et secrets, 6+6 b
Comme un jour plus subtil, | sa blanchâtre veilleuse 6+6 a
Dispense la clarté | jusqu'aux sombres forêts… 6+6 b
5 Sa douceur monotone | et sa couleur unique 6+6 a
Font une lueur vaste, | absolue et sans bords. 6+6 b
Comme un haut monument | éternel et mystique, 6+6 a
Elle semble arrêtée | entre l'air et la mort. 6+6 b
— Que j'aime votre exacte, | uniforme lumière, 6+6 a
10 Sans saillie et sans heurts, | sans flèche et sans élan, 6+6 b
Où les noirs peupliers, | recueillis, indolents, 6+6 b
Semblent, dans l'éther blanc, | de visibles prières ! 6+6 a
— Nuit paisible, pareille | aux rochers des torrents 6+6 a
Vous laissez émaner | des parfums froids et tristes, 6+6 b
15 Et dans votre caveau, | pâle et grave, persiste 6+6 b
L'âme des premiers temps, | et les esprits errants. 6+6 a
Est-ce un lointain rappel | des heures primitives 6+6 a
Où l'inquiet désir | se défiait du jour, 6+6 b
Qui fait que nous aimons | votre lampe plaintive, 6+6 a
20 Et qu'on se croit la nuit | plus proche de l'amour ? 6+6 b
— Vous êtes aujourd'hui | songeuse et solennelle, 6+6 a
Nuit tombale où se meut | l'odeur d'un oranger ; 6+6 b
Je veux tracer mon nom | sur votre blanche stèle, 6+6 a
Et méditer en vous | avec un cœur figé. 6+6 b
25 Mais, hélas ! je ne peux | diminuer ma plainte, 6+6 a
Je suis votre jet d'eau | murmurant, exalté, 6+6 b
Mon cœur jaillit en vous, | épars et sans contrainte, 6+6 a
Vaste comme un parfum | propagé par l'été ! 6+6 b
Pourquoi donc, douce nuit | aux humains étrangère, 6+6 a
30 M'avez-vous attirée | au seuil de vos secrets ? 6+6 b
Votre muette paix, | massive et mensongère, 6+6 a
N'entr'ouvre pas pour moi | ses brumeuses forêts. 6+6 b
Qu'y a-t-il de commun, | ô grande Sulamite 6+6 a
Noire et belle, et toujours | buveuse de l'amour, 6+6 b
35 Entre votre splendeur | étroite et sans limite, 6+6 a
Et nous, que le temps presse | et quitte chaque jour ? 6+6 b
Pourquoi nous tentez-vous, | dormeuse de l'espace, 6+6 a
Par votre calme main | apaisant notre sort ? 6+6 b
Jamais l'homme ne peut | rester sur vos terrasses 6+6 a
40 Bien longtemps, à l'abri | du rêve et de l'effort, 6+6 b
Puisque vivre c'est être | alarmé, plein d'angoisse, 6+6 a
Menacé dans l'esprit, | menacé dans le corps, 6+6 b
Luttant comme un soldat | sans arme et sans cuirasse, 6+6 a
Puisqu'on naviguera | sans atteindre le port, 6+6 b
45 Puisque après les transports | il faut d'autres transports, 6+6 c
Puisque jamais le cœur | ne rompt ni ne se lasse, 6+6 a
Et que, si l'on était | paisible, on serait mort… 6+6 c
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université