Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
NER_3/NER30
Gérard de NERVAL
ÉLÉGIES NATIONALES ET SATIRES POLITIQUES
1826
SATIRES
Le Cuisinier d’un Grand Homme
Satire Dramatique
PERSONNAGES
M. Dentscourt aîné Cuisinier
Son Frère cadet
Un gros Monsieur
Le Sous-chef de cuisine
Troupe de Cuisiniers et de Fournisseurs
Le théâtre représente une grande cuisine ; au-dessus de la porte est inscrit BUREAUX CULINAIRES, PREMIÈRE DIVISION. La scène est remplie de cuisiniers, marmitons, etc. M. Dentscourt est assis, le noble bonnet de coton en tête ; deux fourneaux brûlent auprès de lui en guise de cassolettes. Les fournisseurs, chargés de vivres, défilent devant lui. — Magnifique exposition dans le genre de celle du premier acte de Léonidas.
SCÈNE PREMIÈRE
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE CADET
LE SOUS-CHEF, CUISINIERS,
FOURNISSEURS, MARMITONS, ETC.
LE SOUS-CHEF
Puisque l’astre éclatantqui nous donne le jour 6+6 a
D’un repas solennelannonce le retour, 6+6 a
Chef, nous venons en toiprésenter notre hommage 6+6 b
Au ministre puissantdont ta gloire est l’image. 6+6 b
M. DENTSCOURT
5 Cuisiniers, fournisseurs,je suis content de vous : 6+6 a
Nos affaires vont bien,en dépit des jaloux ; 6+6 a
Et d’excellens dîners,remèdes efficaces, 6+6 b
De nos derniers échecsont effacé les traces ; 6+6 b
Quelques mauvais espritsont en vain prétendu 6+6 a
10 Que nous dévorons tout,que l’État est perdu, 6+6 a
Que notre pot au feucuit aux dépens des autres, 6+6 b
Et bientôt cuira seul ;qu’hormis nous et les nôtres, 6+6 b
Tous les Français rentiers,perdant leurs capitaux, 6+6 a
Iront, vides de sang,garnir les hôpitaux : 6+6 a
15 Quelle horreur !… Cependant,qu’ont les Français à craindre ? 6+6 b
De mauvais procédésils n’ont point à se plaindre : 6+6 b
De tous leurs envoyésnous nous sommes chargés ; 6+6 a
Ne sont-ils pas nourris,et quelquefois logés ? 6+6 a
Et n’avons-nous pas même,en mainte circonstance, 6+6 b
20 Offert de les blanchir,s’ils ne l’étaient d’avance ? 6+6 b
Qui, comme nous encor,avec un tel succès, 6+6 a
À su faire fleurirle commerce français ? 6+6 a
Ces vins que la provinceen nos celliers envoie, 6+6 b
Ces produits de Strasbourg,de Bayonne et de Troie, 6+6 b
25 De toute autre cuisineorgueilleux ornemens, 6+6 a
Ne sont de nos valetsque les vils alimens. 6+6 a
Des mets plus délicatsà nos palais conviennent ; 6+6 b
Du Périgord jalouxles fruits nous appartiennent. 6+6 b
Ces fruits, que le gourmetsait priser aujourd’hui, 6+6 a
30 L’étranger voudrait bienles emporter chez lui : 6+6 a
Mais il ne l’aura point,cette plante chérie, 6+6 b
Ce précieux produitdu sol de la patrie ! 6+6 b
Français ! gardons nos droits,frustrons-en nos voisins ; 6+6 a
C’est assez qu’on leur donneet nos blés et nos vins : 6+6 a
35 Non, ces mets délicats,que nous offre la terre, 6+6 b
N’iront point engraisserles porcs de l’Angleterre : 6+6 b
Les nôtres désormaisen auront le régal ; 6+6 a
Montrons que nous avonsl’esprit national ! 6+6 a
Ces bienfaits éclatans,qu’à peine on apprécie, 6+6 b
40 Contre notre puissanceont éveillé l’envie ; 6+6 b
De nos bruyans amisl’héroïque valeur, 6+6 a
Devant tant d’ennemis,sent glacer son ardeur : 6+6 a
Monseigneur au leverm’a fait, avec prudence, 6+6 b
Dans son appartementadmettre en sa présence ; 6+6 b
45 Et mtrisant à peineun trop juste courroux : 6+6 a
« Il est temps, m’a-t-il dit,de frapper les grands coups 6+6 a
» De plus puissans, effortssont enfin nécessaires ; 6+6 b
» Assemble, ce matin,mes bureaux culinaires : 6+6 b
» Je veux, désappointantmes nombreux ennemis, 6+6 a
50 » D’un splendide repasréveiller mes amis. 6+6 a
» Tu sais, ainsi que moi,que ces messieurs du centre 6+6 b
» Sont des gens de tout cœur,mais ont le cœur au ventre 6+6 b
» Trop long-temps, par un metsà grands frais acheté, 6+6 a
» Nous avons cru flatterleur sensualité : 6+6 a
55 » Leurs palais sont usés ;leur gt blasé sommeille, 6+6 b
» Il nous faut inventerun mets qui le réveille. 6+6 b
» Il m’est venu, Dentscourt,un singulier projet : 6+6 a
» Je ne redoute pointd’en gonfler mon budget ; 6+6 a
» Je m’appauvrirais peupar de telles vétilles : 6+6 b
60 » Le mets qu’il faut offrir,c’est… — Eh quoi ? — Des lentilles ! 6+6 b
— « Des lentilles ! grand Dieu !repris-je, tout surpris. 6+6 a
» — Oui, Dentscourt ; tous dirontque le mets est exquis ; 6+6 a
» Mais les montrer à nuserait une imprudence : 6+6 b
» Il faut adroitementen sauver l’apparence. 6+6 b
65 — « Je comprends, monseigneur,ai-je alors répondu : 6+6 a
» Je vais me signaler,et tout n’est pas perdu ; 6+6 a
» On verra si mon artbrave les destinées, 6+6 b
» Ou si,dans les fourneaux,j’ai perdu trente années ! » 6+6 b
Cuisiniers, fournisseurs,l’honneur en est à nous : 6+6 a
70 Votre zèle m’annonceun triomphe bien doux. 6+6 a
Trop long-temps dans nos mursa régné l’anarchie, 6+6 b
Ces temps-là reviendraient ;sauvons la monarchie ! 6+6 b
Et que notre bourgeois,grandi par nos succès, 6+6 a
Soit le restaurateurdu royaume français. 6+6 a
75 De nos amis, qu’arrêteune indigne épouvante, 6+6 b
Gorgeons la conscienceaffamée et béante ; 6+6 b
Et comme au triple chienqui garde les damnés, 6+6 a
Jetons-lui les gâteauxau sommeil destinés. 6+6 a
(Ils sortent.)
SCÈNE II
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE CADET.
LE CADET
Mon frère, embrassez-moi ;pour mon cœur quelle fête 6+6 b
De vous revoir ici,quand si longtemps…
M. DENTSCOURT
80 Arrête ! 6+6 b
Chapeau bas, mon cadet,devant ton frère né ! 6+6 a
Tu vois de quels honneursje marche environné. 6+6 a
LE CADET
Il est vrai : quel éclat !quelle magnificence ! 6+6 b
Jusqu’ d’un cuisinierpeut aller la puissance ! 6+6 b
85 Mon frère, est-ce bien vousque je vis autrefois, 6+6 a
Maigre subordonnéd’un cuisinier bourgeois, 6+6 a
Récurer les chaudronset laver les assiettes ?… 6+6 b
Les temps sont bien changés !
M. DENTSCOURT
Ignorant que vous êtes ! 6+6 b
Dans l’état jadisle sort m’avait jeté, 6+6 a
90 Un cuistre comme vousserait toujours resté ; 6+6 a
Moi, j’en ai su bientôtlaver l’ignominie, 6+6 b
Il n’est point d’état vilpour l’homme de génie ; 6+6 b
Afin de s’élever,il faut ramper, dit-on : 6+6 a
On devient cuisinier,mais on nt marmiton. 6+6 a
95 Long-temps je végétaidans cette classe obscure, 6+6 b
, comme en un creuset,me jeta la nature ; 6+6 b
Mais un feu, plus ardentque celui des fourneaux, 6+6 a
Vint épurer en moides sentimens nouveaux : 6+6 a
Nous étions dans un temps de nobles cuisines 6+6 b
100 Effrayèrent les yeuxde leurs vastes ruines. 6+6 b
Voyant de possesseurstant de tables changer, 6+6 a
Le peuple qui jnaitcrut avoir à manger : 6+6 a
Mais les nouvelles dentsn’étaient pas moins actives : 6+6 b
Ces grandes tables-làsont pour peu de convives ; 6+6 b
105 Ce sont de gros gaillards,ayant bon appétit, 6+6 a
L’un tient la ple à frire,et puis le peuple cuit. 6+6 a
Alors on nous disaitque les hommes sont frères, 6+6 b
Que les distinctionsne sont qu’imaginaires, 6+6 b
Et que, si le destinl’environne d’éclat, 6+6 a
110 L’homme le doit à soi,mais non à son état. 6+6 a
Et je me dis : « Il fautque je sois quelque chose ; 6+6 b
» Et de peur qu’à ma gloireun obstacle s’oppose, 6+6 b
» Je transporte en un lieuplus propre à mon emploi, 6+6 a
» Les dieux de mon foyer,mon art sublime et moi. 6+6 a
115 » Je pars de la Gascogne,et… » Mais ma vie entière 6+6 b
Serait à te compterune trop longue affaire : 6+6 b
Qu’il me suffise doncde te dire qu’enfin, 6+6 a
Quelquefois malheureux,mais bravant le destin, 6+6 a
Et sans être jamaisdu parti qu’on opprime, 6+6 b
120 Je changeai de ragtsainsi que de régime. 6+6 b
Mais après la journée certain grand brouillon, 6+6 a
Pour l’avoir trop chauffé,but un mauvais bouillon, 6+6 a
Un noble personnage j’étais fort à l’aise, 6+6 b
Se sentant prêt à cuire,et les pieds sur la braise, 6+6 b
125 Sans rien dire à ses gens,s’enfuit à l’étranger, 6+6 a
Me laissant lourd de graisse,et d’argent fort léger. 6+6 a
Alors, je m’accostaid’un homme à maigre trogne, 6+6 b
Tout récemment encorarrivé de Gascogne, 6+6 b
Audacieux, fluet,médiocre et rampant, 6+6 a
130 Toujours grand ennemidu premier occupant, 6+6 a
Très-vide de vertu,mais gonflé d’espérance, 6+6 b
Qui sur sa route avaitlaissé sa conscience, 6+6 b
Comme un poids incommodeà qui fait son chemin. 6+6 a
Le poids n’était pas lourd,il est vrai ; mais enfin, 6+6 a
135 À ravoir son paquetcomme il pouvait prétendre, 6+6 b
Bientôt, grâce à mes soins,il en eut à revendre. 6+6 b
Je ne te dirai pasnos immenses succès, 6+6 a
Si de notre destinnous sommes satisfaits, 6+6 a
Si nous savons flatterles appétits des hommes : 6+6 b
140 Lève les yeux, cadet,et vois ce que nous sommes ! 6+6 b
Jusqu’au fte élevé,par mes nobles travaux, 6+6 a
Monseigneur a domptéses plus fameux rivaux. 6+6 a
L’un d’eux, plus rodomont,voulait faire le crâne ; 6+6 b
Mais nous avons prouvéque ce n’était qu’un âne : 6+6 b
145 Et, comme il refusaitd’aller à sa façon, 6+6 a
Monseigneur l’a chassécomme un petit gaon. 6+6 a
Puis, étouffant enfind’audacieux murmures, 6+6 b
Nous avons en tous lieuxsemé nos créatures : 6+6 b
Comme nos spectateursne battaient pas des mains, 6+6 a
150 Nous avons au parterreenvoyé des Romains. 6+6 a
En vain quelques railleursattaquaient notre empire, 6+6 b
Nous les avons, sous main,muselés sans rien dire. 6+6 b
Rien ne peut maintenantborner notre crédit ; 6+6 a
Sur le ventre fondé,nourri par l’appétit, 6+6 a
155 L’appétit, roi du monde,et d’autant plus terrible 6+6 b
Qu’il cache au fond des cœurssa puissance invisible. 6+6 b
LE CADET
Je conviens qu’un tel sortpeut avoir des appas ; 6+6 a
Mais un abîme s’ouvre,et bâille sous vos pas : 6+6 a
La France trop long-tempsa tremblé sous un homme ; 6+6 b
Son pouvoir abattu
M. DENTSCOURT
160 Mais il faudra voir comme. 6+6 b
LE CADET
Eh bien, nous le verrons ;il n’est pas très-aimé ; 6+6 a
Le peuple, contre luidès long-temps animé, 6+6 a
Portant au pied du trôneune plainte importune 6+6 b
M. DENTSCOURT
Et comptes-tu pour rienCésar et sa fortune ? 6+6 b
165 Me comptes-tu pour rienmoi-même ? et nos amis, 6+6 a
À nos moindres désirsne sont-ils pas soumis ? 6+6 a
LE CADET
Ne vous y fiez pas,si le sort vous traverse. 6+6 b
Amis du pot-au-feu,tous fuiront, s’il renverse. 6+6 b
Tremblez qu’un grand échecn’abaisse votre ton, 6+6 a
170 Car… plus d’un grand ministreest mort à Montfaucon. 6+6 a
M. DENTSCOURT
Il faut faire une fin ;et pour nous quelle gloire, 6+6 b
Quand la postéritélira dans notre histoire : 6+6 b
« Ces deux héros sont morts ;la France les pleura ; 6+6 a
» L’un fut grand diplomate,et l’autre… » !
LE CADET
Et cætera. 6+6 a
175 L’histoire sur son compteen aurait trop à dire : 6+6 b
Pensons-le seulement,gardons-nous de l’écrire. 6+6 b
M. DENTSCOURT
Qu’entendez-vous par là ?Pas tant de libertés, 6+6 a
Cadet : on n’aime pointtoutes les vérités ; 6+6 a
Vous avouerez pourtantque sa digne excellence 6+6 b
180 Sait fort bien travaillerun royaume en finance : 6+6 b
On se plaint qu’en ses mains,sans s’en apercevoir, 6+6 a
Le monarque trompélaisse trop de pouvoir : 6+6 a
Mais on sait que jadissur un autre rivage, 6+6 b
De l’art d’administreril fit l’apprentissage ; 6+6 b
Ainsi
LE CADET
185 Je sais fort bienque ton mtre autrefois 6+6 a
Fit la traite des Noirs,ou leur donna des lois : 6+6 a
Belle preuve !
M. DENTSCOURT
Oh ! très-belle :il est homme de tête ; 6+6 b
Pourtant en ce momentce sont les blancs qu’il traite : 6+6 b
Et l’on peut demanderà tous nos invités 6+6 a
190 Si je ne suis qu’un cuistre,et s’ils sont bien traités. 6+6 a
LE CADET
Mais le peuple l’est mal ;et bientôt sa misère 6+6 b
Demandera du painaux gens du ministère ; 6+6 b
Ou dans son désespoir,pour recouvrer son bien, 6+6 a
Il fera voir les dents…
M. DENTSCOURT
Nous ne redoutons rien. 6+6 a
195 Par nos soins rétabli,Montrouge nous protège ; 6+6 b
Montrouge protégépar le sacré collège ; 6+6 b
Montrouge triomphant,et qui, malgré vos cris, 6+6 a
Envahit pied à piedle pavé de Paris ; 6+6 a
Ce grand ordre, qu’à peineon a senti rentre, 6+6 b
200 Dans nos murs étonnéss’élève et rentre en mtre ; 6+6 b
Et bientôt ses enfans,armés de nouveaux fers, 6+6 a
Vont dévorer Paris,la France et l’univers ! 6+6 a
Ignobile vulgus,tremblez !
LE CADET
Tremblez vous-même ! 6+6 b
On a long-temps souffertvotre insolence extrême ; 6+6 b
205 Mais on vous montrerade la bonne façon, 6+6 a
Qu’une majoritén’a pas toujours raison ; 6+6 a
Et le peuple à vos gensfera bientôt conntre 6+6 b
Que celui qui les paieà droit d’être leur mtre. 6+6 b
M. DENTSCOURT
Ceci ne peut se faireau temps nous voila ; 6+6 a
210 Si vous voulez crier,les gendarmes sont là ! 6+6 a
Des mouchards décorés,ou portant des soutanes, 6+6 b
Empoignent, dans leur vol,les paroles profanes. 6+6 b
Nous irons droit au butque nous nous proposons : 6+6 a
D’ailleurs, nous vous donnonsles meilleures raisons ; 6+6 a
215 Dans notre coffre-fort,si nous serrons vos pièces, 6+6 b
C’est pour vous enseignerle mépris des richesses ; 6+6 b
Car le bon temps revient,les bons pères aussi, 6+6 a
Gare à vos esprits forts !ils sentent le roussi. 6+6 a
À tout pela d’ailleursl’esprit public se prête : 6+6 b
220 La canaille, il est vrai,comme dit la Gazette, 6+6 b
Fait quelquefois du bruit,et veut montrer les dents : 6+6 a
Mais, nous avons pour noustous les honnêtes gens. 6+6 a
Une dame a marchépieds nus ; une seconde 6+6 b
À voulu l’imiterHein ? voilà du grand monde ! 6+6 b
225 Nous avons vu passerun illustre baron, 6+6 a
De la nef d’une égliseen celle de Caron ; 6+6 a
Et, dans chaque soirée,il est de bienséance 6+6 b
D’entendre, avant le bal,sermon et conférence . 6+6 b
Écrivez maintenant,messieurs les beaux-esprits : 6+6 a
230 Il est certain endroit,dans un coin de Paris, 6+6 a
, par arrêt de cour,quand ils ont beau ramage, 6+6 b
Nous savons faire entrerles oiseaux dans la cage. 6+6 b
LE CADET
Ne vous en vantez point :la cour n’est pas pour vous ; 6+6 a
L’équité la conduit,et non votre courroux ; 6+6 a
235 Déjà, plus d’une fois,sa justice prudente 6+6 b
À détruit les projetsque l’artifice enfante ; 6+6 b
Le Tartufe puissantcompta sur son appui, 6+6 a
Mais les efforts du viceont tourné contre lui : 6+6 a
Et nous avons vu tousque, bravant vos caprices, 6+6 b
240 La cour rend des arrêts,mais non pas des services ! 6+6 b
M. DENTSCOURT
Je n’ai rien à répondreà cette raison-là, 6+6 a
Mais nous… ;
SCÈNE III
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE, LE SOUS-CHEF
LE SOUS-CHEF
Monsieur le chef,nos invités sont là ! 6+6 a
M. DENTSCOURT
Déjà ? La cinquième heureà peine au château sonne ; 6+6 b
À cette heure jamaisnous n’attendons personne 6+6 b
LE SOUS-CHEF
245 C’est vrai, monsieur le chef ;mais nos nobles amis 6+6 a
Attendaient ce repas,depuis long-temps promis ; 6+6 a
Et même tel d’entr’euxque l’appétit réveille, 6+6 b
Pour y mieux faire honneur,n’avait rien pris la veille : 6+6 b
Vous jugez qu’Un discourssur l’impôt des cotons 6+6 a
250 N’avait nul intérêtpour des gens si profonds ; 6+6 a
Non plus qu’un autre encorsur les toiles écrues. 6+6 b
Ensuite un monnayeura parlé de sangsues ; 6+6 b
— Lesquelles ? a-t-on dit.— Là-dessus, grands éclats ! 6+6 a
Tous ont dit : La clôture !à demain les débats ! 6+6 a
255 Ces débats cependantpromettaient des merveilles ; 6+6 b
Mais un ventre affamé,dit-on, n’a point d’oreilles ; 6+6 b
Tous ont fui jusqu’ici.
M. DENTSCOURT
Eh bien, tout est prévu ; 6+6 a
On ne nous prendra pas,du moins, au dépourvu 6+6 a
Les lentilles ?…
LE SOUS-CHEF
C’est prêt :on a mis en purée 6+6 b
260 Celles que ce matinvous aviez préparées. 6+6 b
M. DENTSCOURT
On n’attend plus personne ?Ils sont tous arrivés ? 6+6 a
Le potage est sur table ?
LE SOUS-CHEF
Oui, tout est prêt.
M. DENTSCOURT, à la cantonnade
Servez ! 6+6 a
(Le sous-chef sort.)
SCÈNE IV
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE.
M. DENTSCOURT
Mon triomphe s’apprête,et ma gloire s’achève : 6+6 b
On verra si nos plansne sont point un vain rêve ; 6+6 b
265 Le projet cependantétait audacieux ; 6+6 a
Le sort en a trahide moins ambitieux ; 6+6 a
La roche Tarpéienne
LE CADET
Est près du Capitole. 6+6 b
M. DENTSCOURT
Mais, si l’on tombe aussic’est du ciel !
LE CADET
Ça console. 6+6 b
M. DENTSCOURT
Ah bah ! ne craignons rien,nous sommes dans le port ! 6+6 a
(Il rêve un moment.) !
270 Écoute, mon cadet ;je veux te faire un sort ; 6+6 a
Car, quoique parvenu,je suis encor bon frère ; 6+6 b
Je te reçois icicomme surnuméraire. 6+6 b
LE CADET
cela conduit-il ?
M. DENTSCOURT
A de bons résultats : 6+6 a
C’est comme qui diraitcadet dans les soldats. 6+6 a
LE CADET
Il n’en existe plus.
M. DENTSCOURT
275 Nous en verrons encore. 6+6 b
Les nés n’étaient plus :Monseigneur les restaure. 6+6 b
Ah ! messieurs les cadets,tremblez, vous n’aurez rien ! 6+6 a
Mais plutôt, soyez gais,car c’est pour votre bien ; 6+6 a
Le monde a, voyez-vous,un attrait bien perfide ; 6+6 b
280 Mais la religionvous prend sous son égide. 6+6 b
Vous avez faim ? L’égliseengraisse ses enfans. 6+6 a
Vous n’avez point d’asile ?Allez dans les couvens ; 6+6 a
C’est là que vous pourrezmener vie agréable, 6+6 b
Prier le ciel pour nousqui nous donnons au diable 6+6 b
LE CADET
285 Comment, mon frère né ?voici bien du nouveau ! 6+6 a
M. DENTSCOURT
Oui, pourquoi t’étonnerd’un projet aussi beau ? 6+6 a
Il prendra : tu verrassi ma nouvelle est fausse ; 6+6 b
Monseigneur l’a fait cuire,et j’en ai fait la sauce ; 6+6 b
Le dîner, qu’aux ventrusnous offrons aujourd’hui 6+6 a
290 À notre noble causeassure leur appui : 6+6 a
Oh ! nous avons comprisles besoins de l’époque ? 6+6 b
LE CADET
On rira, c’est absurde.
M. DENTSCOURT
Ah ! parbleu ! qu’on s’en moque 6+6 b
Que nous importe, à nous ?Les rieurs pleureront : 6+6 a
Comme a dit Mazarin :Ils chantent, ils pairont ! 6+6 a
SCÈNE V
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE, LE SOUS-CHEF.
M. DENTSCOURT
Ciel ! qu’as-tu donc, sous-chef ?quel trouble !
LE SOUS-CHEF
295 O destinée !… 6+6 b
O trop malencontreuseet fatale journée ! 6+6 b
M. DENTSCOURT
Assieds-toi, conte-nous…
LE SOUS-CHEF, d’un ton tragique
Infandum !…sed… quanquam … 6+6 a
Meminisse horret…luctu… — Incipiam ! 6+6 a
La soupe n’était plus…et les bouches bourrées 6+6 b
300 Avaient, sans dire un mot,envahi les entrées ; 6+6 b
Tout-à-coup, Monseigneurse lève avec éclat, 6+6 a
Et, d’un bras intrépideIl découvre le plat ; 6+6 a
On sert — Qu’est-ce ? — On l’ignore,et chacun d’un air louche, 6+6 b
Porte, en la flairant bien,la cuiller à la bouche. 6+6 b
305 Des lentilles ! — Grand Dieu !— Tout ce monde à ce mot 6+6 a
Frémit. « Nous offre t-onla fortune du pot ? 6+6 a
M Se sont-ils écriés.Quelle horrible imposture ! 6+6 b
» Nous ont-ils invitéspour nous faire une injure ? »— 6+6 b
Monseigneur est confus ;ses illustres amis 6+6 a
310 Regardent l’assembléeavec des yeux surpris ; 6+6 a
L’un oppose à ce bruit,que chaque instant redouble, 6+6 b
Un air indifférentqu’a démenti son trouble ; 6+6 b
Un marin, l’œil fixésur les deux précédens, 6+6 a
Reste, la bouche ouverte,et la cuiller aux dents ; 6+6 a
315 Pendant qu’un autre encor,sentant la conséquence, 6+6 b
S’appuyait sur son Turc,et fumait d’importance ; 6+6 b
Enfin, c’est un tumulte !on se lève en jurant… 6+6 a
Presque tous sont partis…Monsieur l’Indifférent 6+6 a
Fait pour les retenirun effort inutile ; 6+6 b
320 Et lui-même, en pleurant,suit la foule indocile. 6+6 b
L’après-dînée en vainpromettait à la fois 6+6 a
Lecture édifianteet le prince iroquois ; 6+6 a
Tout s’enfuit… Resté seul,Monseigneur est perplexe, 6+6 b
Et veut…
SCÈNE VI
LES PRÉCÉDENTS, UN GROS MONSIEUR.
LE MONSIEUR
Eh ! cuisiniers,suis-je un homme qu’on vexe ! 6+6 b
325 Croit-on qu’un orateur,qu’on place entre deux feux, 6+6 a
Quand il a bien parlé,n’ait pas le ventre creux ? 6+6 a
Lorsque j’ai mal dîné,ma voix en est aigrie ; 6+6 b
Comme mon estomac,ma conscience crie : 6+6 b
Qui pourra l’apaiser ?Est-ce pour de tels mets, 6+6 a
330 Que j’ai de tout Parisbravé les quolibets ; 6+6 a
Que, séduit par l’espoird’un repas aussi mince, 6+6 b
J’ai trompé tous les vœuxque formait ma province ! 6+6 b
Et sur tant de sujetspour calmer mon effroi, 6+6 a
Corbleu ! monsieur le chef,des lentilles à moi ! 6+6 a
335 On ne m’aurait pas faitune pareille injure 6+6 b
Bans les obscurs dînersd’une sous-préfecture. 6+6 b
Quand, nourrissant l’espoird’un dîner bien complet, 6+6 a
J’avais, avant d’entrer,desserré mon gilet, 6+6 a
À de pareils affrontsaurais-je dû m’attendre ? 6+6 b
(A M. Dentscourt, qui veut sortir.)
340 Restez, monsieur le chef,restez ! Il faut m’entendre ! 6+6 b
Quoique mauvais chrétien,par l’odeur excité, 6+6 a
J’avais dit hautementmon bénédicité ! — 6+6 a
Et ces dîners encor,qu’aidé de ses complices, 6+6 b
Monseigneur, l’autre jour,rogna de deux services !… 6+6 b
345 N’est-ce pas conspirercontre notre estomac ? 6+6 a
Nous avons trop long-tempssupporté ce micmac : 6+6 a
De sorte que, pour prixd’un généreux courage, 6+6 b
Nous nous voyons réduitsà trois, pour tout potage. 6+6 b
Les choses désormaisn’en iront point ainsi : 6+6 a
350 Et, pour n’y plus rentrer,je m’arrache d’ici. 6+6 a
Il est en cor des gensnon séduits par le ventre, 6+6 b
Peu nombreux, il est vrai,mais placés loin du centre 6+6 b
Je m’en vais, dans un coin,prendre place avec eux, 6+6 a
On y dîne un peu moins,mais on y parle mieux ! 6+6 a
(Il sort.)
SCÈNE VII ET DERNIÈRE
M. DENTSCOURT, SON FRÈRE, LE SOUS-CHEF.
LE CADET
355 Eh bien ! tout est flambé ;qu’en dites-vous, mon frère ? 6+6 b
M. DENTSCOURT
Quel déchet !
LE SOUS-CHEF
Monseigneurest en grande colère ; 6+6 b
De son mauvais succèsc’est à vous qu’il se prend. 6+6 a
M. DENTSCOURT
Et voilà ce que c’estque de servirun grand ! 6+6 a
Qu’une vaste entrepriseéchoue ou réussisse, 6+6 b
360 Nous en avons les coups,ou lui le bénéfice. 6+6 b
LE SOUS-CHEF
Redoutez les effetsde son premier courroux, 6+6 a
Il sera moins terribleen pesant sur nous tous. 6+6 a
M. DENTSCOURT
Oui, vous le domptereztoujours par la famine. 6+6 b
LE SOUS-CHEF
Très-bien ! mais s’il allaitsupprimer la cuisine ? 6+6 b
M. DENTSCOURT
Non, non.
LE SOUS-CHEF
365 Je l’apeois… fuir ? vous cacher ? 6+6 a
M. DENTSCOURT, d’un ton tragique.
Dans les bureaux… Crois-tuqu’il m’y vienne chercher ? 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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