Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MUR_1/MUR8
Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
LE REQUIEM D'AMOUR
Alors que je voulaischoisir une mtresse, 6+6 a
Et qu'un jour le hasardfit rencontrer nos pas, 6+6 b
J'ai mis entre tes mainsmon cœur et ma jeunesse 6+6 a
Et je t'ai dit : fais-entout ce que tu voudras. 6+6 b
5 Hélas ! Ta volontéfut cruelle, ma chère : 6+6 a
Dans tes mains ma jeunesseest restée en lambeaux, 6+6 b
Mon cœur s'est en éclatsbrisé comme du verre, 6+6 a
 Et ma chambre est le cimetière 8 c
  sont enterrés les morceaux 8 b
10  De ce qui t'aima tant naguère. 8 c
Entre nous maintenant,èn-i, ni, — c'est fini, 6+6 a
Je ne suis plus qu'un spectreet tu n'es qu'un fantôme, 6+6 b
Et sur notre amour mortet bien enseveli 6+6 a
Nous allons, si tu veux,chanter le dernier psaume. 6+6 b
15 Pourtant ne prenons pointun air écrit trop haut, 6+6 a
Nous pourrions tous les deuxn'avoir pas la voix sûre ; 6+6 b
Choisissons un mineurgrave et sans fioriture ; 6+6 b
Moi je ferai la basseet toi le soprano. 6+6 a
mi, ré, mi, do, ré, la.— pas cet air, ma petite ! 6+6 a
20 S'il entendait cet airque tu chantais jadis, 6+6 b
Mon cœur, tout mort qu'il est,tressaillirait bien vite 6+6 a
Et ressusciteraità ce de profundis. 6+6 b
do, mi, fa, sol, mi, do.— celui-ci me rappelle 6+6 a
Une valse à deux tempsqui me fit bien du mal : 6+6 b
25 Le fifre au rire aiguraillait le violoncelle 6+6 a
Qui pleurait sous l'archetses notes de cristal. 6+6 b
sol, do, do, si, si, la.— point cet air, je t'en prie, 6+6 a
Nous l'avons, l'an dernier,ensemble répété 6+6 b
Avec des allemandsqui chantaient leur patrie 6+6 a
30 Dans les bois de Meudon,par une nuit d'été. 6+6 b
Eh bien ! Ne chantons pas,restons-en là, ma chère ; 6+6 a
Et pour n'y plus penser,pour n'y plus revenir, 6+6 b
Sur nos amours défunts,sans haine et sans colère 6+6 a
Jetons en souriantun dernier souvenir. 6+6 b
35 Nous étions bien heureuxdans la petite chambre 6+6 a
Quand ruisselait la pluieet que soufflait le vent ; 6+6 b
Assis dans le fauteuil,près de l'âtre, en décembre 6+6 a
Aux lueurs de tes yeuxj'ai rêvé bien souvent. 6+6 b
La houille pétillait ;en chauffant sur les cendres, 6+6 a
40 La bouilloire chantaitson refrain régulier 6+6 b
Et faisait un orchestreau bal des salamandres 6+6 a
 Qui voltigeaient dans le foyer. 8 b
Feuilletant un roman,paresseuse et frileuse, 6+6 a
Tandis que tu fermaistes yeux ensommeillés, 6+6 b
45 Moi je rajeunissaisma jeunesse amoureuse, 6+6 a
Mes lèvres sur tes mainset mon cœur à tes pieds. 6+6 b
Aussi, quand on entrait,la porte ouverte à peine, 6+6 a
On sentait le parfumd'amour et de gté 6+6 b
Dont notre chambre étaitdu matin au soir pleine, 6+6 a
50 Car le bonheur aimaitnotre hospitalité. 6+6 b
Puis l'hiver s'en alla ;par la fenêtre ouverte 6+6 a
Le printemps un matinvient nous donner l'éveil, 6+6 b
Et ce jour-là tous deuxdans la campagne verte 6+6 a
Nous allâmes courirau-devant du soleil. 6+6 b
55 C'était le vendredide la sainte semaine, 6+6 a
Et, contre l'ordinaire,il faisait un beau temps : 6+6 b
Du val à la collineet du bois à la plaine, 6+6 a
D'un pied leste et joyeux,nous courûmes longtemps. 6+6 b
Fatigués cependantpar ce pèlerinage, 6+6 a
60 Dans un lieu qui formaitun divan naturel, 6+6 b
Et d' l'on pouvait voirau loin le paysage, 6+6 a
Nous nous sommes assisen regardant le ciel. 6+6 b
Les mains pressant les mains,épaule contre épaule, 6+6 a
Et, sans savoir pourquoi,l'un et l'autre oppressés, 6+6 b
65 Notre bouche s'ouvritsans dire une parole, 6+6 a
 Et nous nous sommes embrassés. 8 b
Près de nous l'hyacintheavec la violette 6+6 a
Mariaient leur parfumqui montait dans l'air pur ; 6+6 b
Et nous vîmes tous deux,en relevant la tête, 6+6 a
70 Dieu qui nous souriaità son balcon d'azur. 6+6 b
« Aimez-vous, disait-il ;c'est pour rendre plus douce 6+6 a
« La route vous marchezque j'ai fait sous vos pas 6+6 b
« Dérouler en tapisle velours de la mousse. 6+6 a
« Embrassez-vous encor,— je ne regarde pas. 6+6 b
75 « Aimez-vous, aimez-vous :dans le vent qui murmure, 6+6 a
« Dans les limpides eaux,dans les bois reverdis, 6+6 b
« Dans l'astre, dans la fleur,dans la chanson des nids, 6+6 b
« C'est pour vous que j'ai faitrentre ma nature. 6+6 a
« Aimez-vous, aimez-vous ;et de mon soleil d'or, 6+6 a
80 « De mon printemps nouveauqui réjouit la terre, 6+6 b
« Si vous êtes contents,au lieu d'une prière 6+6 b
« Pour me remercier,embrassez-vous encor. » 6+6 a
Un mois après ce jour,quand fleurirent les roses 6+6 a
Dans le petit jardinque nous avions planté, 6+6 b
85 Quand je t'aimais le mieux,sans m'en dire les causes, 6+6 a
Brusquement ton amourde moi s'est écarté. 6+6 b
s'en est-il allé ?Partout un peu, je pense ; 6+6 a
Car, faisant triompherl'une et l'autre couleur, 6+6 b
Ton amour inconstantflotte sans préférence 6+6 a
90 Du brun valet de piqueau blond valet de cœur. 6+6 b
Te voilà maintenantheureuse : ton caprice 6+6 a
Règne sur une courde galants jouvenceaux, 6+6 b
Et tu ne peux marchersans qu'à tes pieds fleurisse 6+6 a
Un parterre émailléd'odorants madrigaux. 6+6 b
95 Dans les jardins de balquand tu fais ton entrée, 6+6 a
Autour de toi se formeun cercle langoureux ; 6+6 b
Et le frémissementde ta robe moirée 6+6 a
Pâme en chœur laudatifta meute d'amoureux. 6+6 b
Élégamment chausséd'une souple bottine 6+6 a
100 Qui serait trop étroiteau pied de Cendrillon, 6+6 b
Ton pied est si petitqu'à peine on le devine 6+6 a
Quand la valse t'emporteen son gai tourbillon. 6+6 b
Dans les bains onctueuxd'une huile de paresse 6+6 a
Tes mains, brunes jadis,ont retrouvé depuis 6+6 b
105 La pâleur de l'ivoireou du lis que caresse 6+6 a
Le rayon argentédont s'éclairent les nuits. 6+6 b
Autour de ton bras blancune perle choisie 6+6 a
Constelle un braceletciselé par Froment, 6+6 b
Et sur tes reins cambrésun grand châle d'Asie 6+6 a
110 En cascade de plisondule artistement. 6+6 b
Tes cheveux crespelésselon la mode antique, 6+6 a
Blondissant comme l'oren reflets lumineux, 6+6 b
Des violents parfumsd'une flore exotique 6+6 a
Enivrent le zéphyrqui voltige autour d'eux. 6+6 b
115 La dentelle de Flandreet le point d'Angleterre, 6+6 a
La guipure gothiqueà la mate blancheur, 6+6 b
Chef-d'œuvre arachnéend'un âge séculaire, 6+6 a
De ta riche toiletteachèvent la splendeur. 6+6 b
Pour moi, je t'aimais mieuxdans tes robes de toile 6+6 a
120 Printanière, indienneou modeste organdi, 6+6 b
Atours frais et coquets,simple chapeau sans voile, 6+6 a
Brodequins gris ou noirs,et col blanc tout uni. 6+6 b
Car ce luxe nouveauqui te rend si jolie 6+6 a
Ne me rappelle pasmes amours disparus, 6+6 b
125 Et tu n'es que plus morteet mieux ensevelie 6+6 a
Dans ce linceul de soie ton cœur ne bat plus. 6+6 b
Lorsque je composaice morceau funéraire 6+6 a
Qui n'est qu'un long regretde mon bonheur passé, 6+6 b
J'étais vêtu de noircomme un parfait notaire, 6+6 a
130 Moins les besicles d'oret le jabot plissé. 6+6 b
Un crêpe enveloppaitle manche de ma plume, 6+6 a
Et des filets de deuilencadraient le papier 6+6 b
Sur lequel j'écrivaisces strophes j'exhume 6+6 a
Le dernier souvenirde mon amour dernier. 6+6 b
135 Arrivé cependantà la fin d'un poëme 6+6 a
je jette mon cœurdans le fond d'un grand trou, 6+6 b
Gté de croque-mortqui s'enterre lui-même, 6+6 a
Voilà que je me metsà rire comme un fou. 6+6 b
Mais cette gté-làn'est qu'une raillerie : 6+6 a
140 Ma plume en écrivanta tremblé dans ma main, 6+6 b
Et quand je souriais,comme une chaude pluie, 6+6 a
Mes larmes effaçaientles mots sur le vélin. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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