Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MUR_1/MUR36
Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
ULTIMA SPES MORTUORUM
I
Demain, pour annoncer | la fête mortuaire, 6+6 a
Les cloches sonneront ; 6 b
Et ceux qui sont couchés | dans les plis du suaire 6+6 a
Alors s'éveilleront. 6 b
5 S'animant pour un jour, | leurs invisibles ombres, 6+6 a
En sortant des tombeaux, 6 b
Voltigeront parmi | les sycomores sombres 6+6 a
Aux funèbres rameaux. 6 b
Et toutes, frissonnant | sous des bises glacées, 6+6 a
10 Sous un ciel sombre et noir, 6 b
Elles diront encor, | d'espérance bercées : 6+6 a
« Nous allons les revoir ! 6 b
« Ceux dont le cœur aimant | sans doute encor nous pleure, 6+6 a
Nos amis d'autrefois, 6 b
15 Pèlerins en grand deuil | vont venir tout à l'heure 6+6 a
Prier sur notre croix. 6 b
« Ils nous apporteront, | cœurs pieux et fidèles 6+6 a
Où parle un souvenir, 6 b
« Les fleurs que nous aimons, | ces pauvres immortelles, 6+6 a
20 Qu'on voit si tôt mourir ! » 6 b
II
Pourquoi de vos linceuls | secouer la poussière ? 6+6 a
Pourquoi venir trembler | sous notre ciel brumeux ? 6+6 b
Quel bruit interrompit | dans votre lit de pierre 6+6 a
Le sommeil éternel | qui pesait sur vos yeux ? 6+6 b
25 Quel appel vint troubler | les songes que vous faites 6+6 a
Dans l'asile funèbre | où nous dormirons tous ? 6+6 b
Et, pour vous éveiller | comme au temps des prophètes, 6+6 a
Quel nouveau christ a dit : | « Lazares, levez-vous ? » 6+6 b
Ombres de tous les morts, | invisibles fantômes, 6+6 a
30 De la terre d'exil | pourquoi franchir le seuil ? 6+6 b
Qu'espérez-vous encor | de ce monde où nous sommes, 6+6 a
Puisque vous espérez, | même dans un cercueil ? 6+6 b
Ce qu'ils viennent chercher, | tout le temps de leur vie 6+6 a
Ils l'ont à chaque pas | heurté dans le chemin : 6+6 b
35 C'est la déception | par une autre suivie 6+6 a
Pour faire avec l'espoir | un éternel hymen. 6+6 b
Ce qu'ils viennent tenter, | c'est la dernière épreuve ; 6+6 a
Jusqu'au fond du tombeau | ce qu'ils emporteront, 6+6 b
Tristement convaincus, | c'est la dernière preuve 6+6 a
40 Que jamais à l'oubli | les morts ne survivront. 6+6 b
III
Quand du de profundis | la lugubre harmonie 6+6 a
Vous conduisait ici, 6 b
Avec l'homme de Dieu, | sur la fosse bénie, 6+6 a
Alors priaient aussi 6 b
45 Vos parents, vos amis, | vos sœurs et vos amantes, 6+6 a
Tous ceux qu'au dernier jour 6 b
Vous aviez en pleurant | sur vos lèvres mourantes 6+6 a
Embrassés tour à tour. 6 b
Et tous ils vous disaient, | à cette heure suprême 6+6 a
50 De solennel adieu, 6 b
Où votre âme attendait | le parfum du saint chrême 6+6 a
Pour s'envoler à Dieu, 6 b
Tous ils vous répétaient, | des larmes aux paupières, 6+6 a
Que, de l'oubli vainqueurs, 6 b
55 Vos noms seraient toujours | présents dans leurs prières 6+6 a
Et présents dans leurs cœurs. 6 b
Eh bien, donc, aujourd'hui, | sortant de vos abîmes, 6+6 a
Venez jusqu'à ce soir 6 b
Vainement les attendre, | — éternelles victimes 6+6 a
60 D'un éternel espoir. 6 b
Partout les âmes inquiètes 8 a
Voltigent dans les sombres ifs, 8 b
Et semblent écouter, muettes, 8 a
Les murmures des vents plaintifs 8 b
65 Dans les solitaires allées, 8 c
Toutes ces ombres désolées, 8 c
N'entendant aucun pas humain, 8 d
Amis, amants, époux et mères 8 e
Étouffent leurs larmes amères 8 e
70 En disant : « ils viendront demain. » 8 d
IV
Seigneur ! Vous savez bien | qu'il ne viendra personne. 6+6 a
Et que ces malheureux | vont revenir en vain, 6+6 b
Épier un regret, | attendre une couronne 6+6 a
Qu'on n'apportera pas | aujourd'hui — ni demain. 6+6 b
75 Seigneur ! Vous savez bien | que c'est une ironie ! 6+6 a
Que ce qui disparaît | est bien vite oublié, 6+6 b
Et que l'œil qui pleurait | devant une agonie 6+6 a
Avec un coin du crêpe | est bientôt essuyé. 6+6 b
Seigneur ! Vous savez bien | qu'aujourd'hui sur la terre 6+6 a
80 L'égoïsme et l'oubli | se sont fait large part, 6+6 b
Et que, s'il est des cœurs | épargnés par l'ulcère, 6+6 a
L'ulcère saura bien | y pénétrer plus tard. 6+6 b
Seigneur ! Vous savez bien | qu'ici la race humaine 6+6 a
Est si lasse de suivre | et de poursuivre en vain 6+6 b
85 Le fantôme d'espoir | qui toujours la promène, 6+6 a
Qu'arrivée à la tombe, | elle s'écrie : « enfin ! 6+6 b
« Je vais me reposer | dans l'ombre et le silence. 6+6 a
Que m'importe un ciel bleu ! | Que m'importe un ciel noir ! 6+6 b
Ici l'on dort en paix | sans craindre la souffrance : 6+6 a
90 Rien n'y peut pénétrer, | — rien, pas même l'espoir. » 6+6 b
Dans son dernier repos, | pour troubler cette cendre, 6+6 a
Le fantôme railleur | pourtant pénètre encor ; 6+6 b
Pour la faire souffrir, | près d'elle il vient descendre : 6+6 a
Chassé par les vivants, | il va tromper la mort. 6+6 b
95 Pourquoi donc fîtes-vous | l'espérance immortelle, 6+6 a
Seigneur, puisque sans cesse | elle doit nous mentir ? 6+6 b
Et pourquoi faire ainsi | la douleur éternelle, 6+6 a
Si vous voulez que l'homme | ait le temps de bénir ? 6+6 b
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6
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