Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MUR_1/MUR35
Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
LETTRE à UN MORT
À LA MÉMOIRE DE MON AMI J D…
STATUAIRE
Depuis ce jour d'hiver | où, par un ciel en deuil, 6+6 a
On creusa devant nous, | pour coucher ton cercueil, 6+6 a
Un lit froid dans la terre humide, 8 b
Ton frère, me sachant | sans pain et sans foyer, 6+6 c
5 M'a dit : « j'ai l'un et l'autre ; | » et je suis héritier, 6+6 c
Pauvre ami, de ta place vide. 8 b
Dans cet isolement | où tu nous a laissés, 6+6 a
Nous vivons tous les deux, | nous vivons, et tu sais, 6+6 a
Toi qui vécus, de quelle vie ; 8 b
10 Et, lorsque nous pensons | à toi qui dors là-bas, 6+6 c
Nous avons dit souvent : | « faut-il le plaindre, hélas ! 6+6 c
Faut-il le regret ou l'envie ? » 8 b
Mais alors il nous semble | entendre auprès de nous 6+6 a
Une voix qui nous dit : | « si le premier de vous 6+6 a
15 J'ai quitté mon œuvre ébauchée, 8 b
Mon grand archange blanc, | au sourire divin, 6+6 c
C'est que la mort m'a pris | le ciseau dans la main ; 6+6 c
Mais je ne l'avais pas cherchée. 8 b
« Luttez, souffrez, pleurez, | — mais vivez tous les deux 6+6 a
20 Je souffre plus que vous | dans mes repos affreux. 6+6 a
Hélas ! C'est moi qui vous envie : 8 b
Car vous pouvez encor, | sans feu, sans toit, sans pain, 6+6 c
Formuler votre rêve, | et d'un pas souverain 6+6 c
Laisser la trace dans la vie. 8 b
25 « Luttez encor, luttez. | — puis vous pourrez après 6+6 a
Venir dormir ici | sous l'if ou le cyprès. 6+6 a
On dira : « c'est là qu'est leur tombe. » 8 b
Moi, je suis tout entier | descendu dans la mort. 6+6 c
Au cœur de mes amis | mon souvenir s'endort : 6+6 c
30 Après la terre, — l'oubli tombe. » 8 b
Et cette voix qui parle | est la tienne ! Et pourtant, 6+6 a
Nous que la même voix | jadis émouvait tant, 6+6 a
Nous qui sentions à ta parole 8 b
Couler dans notre sang | l'enthousiasme fiévreux 6+6 c
35 Où l'on se bat les mains, | où l'on se dit : « je veux 6+6 c
Mon laurier d'or au Capitole ! » 8 b
Parce que c'est ta voix, | nous écoutons encor ; 6+6 a
Mais rien ne s'émeut plus | en nous, car tout est mort. 6+6 a
Depuis longtemps nous sommes calmes ; 8 b
40 Nous n'avons plus d'orgueil | et plus d'ambition, 6+6 c
Et nous ne rêvons plus | cette acclamation 6+6 c
Qui poursuit le vainqueur des palmes. 8 b
Nous avons cru pouvoir, | — nous l'avons cru souvent, 6+6 a
Formuler notre rêve, | et le rendre vivant 6+6 a
45 Par la palette ou par la lyre ; 8 b
Mais le souffle manquait, | et personne n'a pu 6+6 c
Deviner quel était | le poëme inconnu 6+6 c
Que nous ne savions pas traduire. 8 b
Puisque nous ne pouvons | rien créer, à quoi bon 6+6 a
50 Continuer notre œuvre, | et faire à notre nom 6+6 a
Ouvrir la bouche de l'insulte ? 8 b
Nous nous sommes trompés, | nous le voyons trop tard. 6+6 c
Qu'importe ! — il faut laisser | les instruments de l'art 6+6 c
Aux hommes choisis pour son culte. 8 b
55 Maintenant nous suivrons | les vulgaires chemins, 6+6 a
Nous ferons au hasard | œuvre de nos deux mains 6+6 a
Pour vivre encor et pour attendre 8 b
L'heure où l'on creusera | près du tien notre lit, 6+6 c
Et, comme sur ton nom, | sur nos deux noms l'oubli 6+6 c
60 Le lendemain pourra descendre. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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