Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MOL6/MOL6
MOLIÈRE
(Jean-Baptiste de Poquelin)
1660
SGANARELLE
ou
LE COCU IMAGINAIRE
Comédie
ACTEURS
GORGIBUS bourgeois de Paris
CÉLIE sa fille
LÉLIE amant de Célie
GROS-RENÉ valet de Lélie
SGANARELLE bourgeois de Paris et cocu imaginaire
SA FEMME
VILLEBREQUIN père de Valère
LA SUIVANTE
UN PARENT
SCÈNE PREMIÈRE
CÉLIE, sortant toute éplorée, et son père la suivant
Ah ! N'espérez jamais | que mon cœur y consente. 6+6 a
GORGIBUS
Que marmottez-vous là, | petite impertinente ? 6+6 a
Vous prétendez choquer | ce que j'ai résolu ? 6+6 a
Je n'aurai pas sur vous | un pouvoir absolu ? 6+6 a
5 Et par sottes raisons | votre jeune cervelle 6+6 a
Voudrait régler ici | la raison paternelle ? 6+6 a
Qui de nous deux à l'autre | a droit de faire loi ? 6+6 a
À votre avis, qui mieux, | ou de vous ou de moi, 6+6 a
Ô sotte, peut juger | ce qui vous est utile ? 6+6 a
10 Par la corbleu ! Gardez | d'échauffer trop ma bile : 6+6 a
Vous pourriez éprouver, | sans beaucoup de longueur, 6+6 a
Si mon bras sait encor | montrer quelque vigueur. 6+6 a
Votre plus court sera, | madame la mutine, 6+6 a
D'accepter sans façons | l'époux qu'on vous destine. 6+6 a
15 J'ignore, dites-vous, | de quelle humeur il est, 6+6 a
Et dois auparavant | consulter s'il vous plaît. 6+6 a
Informé du grand bien | qui lui tombe en partage, 6+6 a
Dois-je prendre le soin | d'en savoir davantage ? 6+6 a
Et cet époux, ayant | vingt mille bons ducats, 6+6 a
20 Pour être aimé de vous, | doit-il manquer d'appas ? 6+6 a
Allez, tel qu'il puisse être, | avecque cette somme 6+6 a
Je vous suis caution | qu'il est très honnête homme. 6+6 a
CÉLIE
Hélas !
GORGIBUS
Eh bien, Hélas ! | que veut dire ceci ? 6+6 a
Voyez le bel hélas ! | Qu'elle nous donne ici ! 6+6 a
25 Hé ! Que si la colère | une fois me transporte, 6+6 a
Je vous ferai chanter | hélas ! De belle sorte ! 6+6 a
Voilà, voilà le fruit | de ces empressements 6+6 a
Qu'on vous voit nuit et jour | à lire vos romans : 6+6 a
De quolibets d'amour | votre tête est remplie, 6+6 a
30 Et vous parlez de Dieu | bien moins que de Clélie. 6+6 a
Jetez-moi dans le feu | tous ces méchants écrits, 6+6 a
Qui gâtent tous les jours | tant de jeunes esprits. 6+6 a
Lisez-moi comme il faut, | au lieu de ces sornettes, 6+6 a
Les quatrains de Pybrac, | et les doctes tablettes 6+6 a
35 Du conseiller Matthieu, | ouvrage de valeur, 6+6 a
Et plein de beaux dictons | à réciter par cœur. 6+6 a
La guide des pécheurs | est encore un bon livre : 6+6 a
C'est là qu'en peu de temps | on apprend à bien vivre ; 6+6 a
Et si vous n'aviez lu | que ces moralités, 6+6 a
40 Vous sauriez un peu mieux | suivre mes volontés. 6+6 a
CÉLIE
Quoi ? Vous prétendez donc, | mon père, que j'oublie 6+6 a
La constante amitié | que je dois à Lélie ? 6+6 a
J'aurais tort si, sans vous, | je disposais de moi ; 6+6 a
Mais vous-même à ses vœux | engageâtes ma foi. 6+6 a
GORGIBUS
45 Lui fût-elle engagée | encore davantage, 6+6 a
Un autre est survenu | dont le bien l'en dégage. 6+6 a
Lélie est fort bien fait ; | mais apprends qu'il n'est rien 6+6 a
Qui ne doive céder | au soin d'avoir du bien ; 6+6 a
Que l'or donne aux plus laids | certain charme pour plaire, 6+6 a
50 Et que sans lui le reste | est une triste affaire. 6+6 a
Valère, je crois bien, | n'est pas de toi chéri ; 6+6 a
Mais, s'il ne l'est amant, | il le sera mari. 6+6 a
Plus que l'on ne le croit | ce nom d'époux engage, 6+6 a
Et l'amour est souvent | un fruit du mariage. 6+6 a
55 Mais suis-je pas bien fat | de vouloir raisonner 6+6 a
Où de droit absolu | j'ai pouvoir d'ordonner ? 6+6 a
Trêve donc, je vous prie, | à vos impertinences ; 6+6 a
Que je n'entende plus | vos sottes doléances. 6+6 a
Ce gendre doit venir | vous visiter ce soir : 6+6 a
60 Manquez un peu, manquez | à le bien recevoir ! 6+6 a
Si je ne vous lui vois | faire fort bon visage, 6+6 a
Je vous … Je ne veux pas | en dire davantage. 6+6 a
SCÈNE II
LA SUIVANTE
Quoi ? Refuser, madame, | avec cette rigueur, 6+6 a
Ce que tant d'autres gens | voudraient de tout leur cœur ! 6+6 a
65 À des offres d'hymen | répondre par des larmes, 6+6 a
Et tarder tant à dire | un oui si plein de charmes ! 6+6 a
Hélas ! Que ne veut-on | aussi me marier ? 6+6 a
Ce ne serait pas moi | qui se ferait prier ; 6+6 a
Et loin qu'un pareil oui | me donnât de la peine, 6+6 a
70 Croyez que j'en dirais | bien vite une douzaine. 6+6 a
Le précepteur qui fait | répéter la leçon 6+6 a
À votre jeune frère | a fort bonne raison 6+6 a
Lorsque, nous discourant | des choses de la terre, 6+6 a
Il dit que la femelle | est ainsi que le lierre, 6+6 a
75 Qui croît beau tant qu'à l'arbre | il se tient bien serré, 6+6 a
Et ne profite point | s'il en est séparé. 6+6 a
Il n'est rien de plus vrai, | ma très chère maîtresse, 6+6 a
Et je l'éprouve en moi, | chétive pécheresse. 6+6 a
Le bon Dieu fasse paix | à mon pauvre Martin ! 6+6 a
80 Mais j'avais, lui vivant, | le teint d'un chérubin, 6+6 a
L'embonpoint merveilleux, | l'œil gai, l'âme contente ; 6+6 a
Et je suis maintenant | ma commère dolente. 6+6 a
Pendant cet heureux temps, | passé comme un éclair, 6+6 a
Je me couchais sans feu | dans le fort de l'hiver ; 6+6 a
85 Sécher même les draps | me semblait ridicule : 6+6 a
Et je tremble à présent | dedans la canicule. 6+6 a
Enfin il n'est rien tel, | madame, croyez-moi, 6+6 a
Que d'avoir un mari | la nuit auprès de soi ; 6+6 a
Ne fût-ce que pour l'heur | d'avoir qui vous salue 6+6 a
90 D'un Dieu vous soit en aide ! | alors qu'on éternue. 6+6 a
CÉLIE
Peux-tu me conseiller | de commettre un forfait, 6+6 a
D'abandonner Lélie, | et prendre ce mal-fait ? 6+6 a
LA SUIVANTE
Votre Lélie aussi | n'est, ma foi, qu'une bête, 6+6 a
Puisque si hors de temps | son voyage l'arrête ; 6+6 a
95 Et la grande longueur | de son éloignement 6+6 a
Me le fait soupçonner | de quelque changement. 6+6 a
CÉLIE, lui montrant le portrait de Lélie
Ah ! Ne m'accable point | par ce triste présage. 6+6 a
Vois attentivement | les traits de ce visage : 6+6 a
Ils jurent à mon cœur | d'éternelles ardeurs ; 6+6 a
100 Je veux croire, après tout, | qu'ils ne sont pas menteurs, 6+6 a
Et comme c'est celui | que l'art y représente, 6+6 a
Il conserve à mes feux | une amitié constante. 6+6 a
LA SUIVANTE
Il est vrai que ces traits | marquent un digne amant, 6+6 a
Et que vous avez lieu | de l'aimer tendrement. 6+6 a
CÉLIE
Et cependant il faut … | Ah ! Soutiens-moi.
Laissant tomber le portrait de Lélie.
LA SUIVANTE
105 Madame, 6+6 a
D'où vous pourrait venir … | ? Ah ! Bons dieux ! Elle pâme. 6+6 a
Hé vite, holà quelqu'un ! |
SCÈNE III
SGANARELLE
Qu'est-ce donc ? Me voilà. 6+6 a
LA SUIVANTE
Ma maîtresse se meurt. |
SGANARELLE
Quoi ? Ce n'est que cela ? 6+6 a
Je croyais tout perdu, | de crier de la sorte. 6+6 a
110 Mais approchons pourtant. | Madame, êtes-vous morte ? 6+6 a
Hays ! Elle ne dit mot. |
LA SUIVANTE
Je vais faire venir 6+6 a
Quelqu'un pour l'emporter : | veuillez la soutenir. 6+6 a
SCÈNE IV
SGANARELLE, en lui passant la main sur le sein
Elle est froide partout | et je ne sais qu'en dire. 6+6 a
Approchons-nous pour voir | si sa bouche respire. 6+6 a
115 Ma foi, je ne sais pas, | mais j'y trouve encor, moi, 6+6 a
Quelque signe de vie. |
LA FEMME, regardant par la fenêtre
Ah ! Qu'est-ce que je vois ? 6+6 a
Mon mari dans ses bras … |! Mais je m'en vais descendre : 6+6 a
Il me trahit sans doute, | et je veux le surprendre. 6+6 a
SGANARELLE
Il faut se dépêcher | de l'aller secourir. 6+6 a
120 Certes, elle aurait tort | de se laisser mourir : 6+6 a
Aller en l'autre monde | est très grande sottise, 6+6 a
Tant que dans celui-ci | l'on peut être de mise. 6+6 a
Il l'emporte avec un homme que la suivante amène.
SCÈNE V
La FEMME de Sganarelle, seule
Il s'est subitement | éloigné de ces lieux, 6+6 a
Et sa fuite a trompé | mon désir curieux ; 6+6 a
125 Mais de sa trahison | je ne fais plus de doute, 6+6 a
Et le peu que j'ai vu | me la découvre toute. 6+6 a
Je ne m'étonne plus | de l'étrange froideur 6+6 a
Dont je le vois répondre | à ma pudique ardeur : 6+6 a
Il réserve, l'ingrat, | ses caresses à d'autres, 6+6 a
130 Et nourrit leurs plaisirs | par le jeûne des nôtres. 6+6 a
Voilà de nos maris | le procédé commun : 6+6 a
Ce qui leur est permis | leur devient importun. 6+6 a
Dans les commencements | ce sont toutes merveilles ; 6+6 a
Ils témoignent pour nous | des ardeurs non pareilles ; 6+6 a
135 Mais les traîtres bientôt | se lassent de nos feux, 6+6 a
Et portent autre part | ce qu'ils doivent chez eux. 6+6 a
Ah ! Que j'ai de dépit | que la loi n'autorise 6+6 a
À changer de mari | comme on fait de chemise ! 6+6 a
Cela serait commode ; | et j'en sais telle ici 6+6 a
140 Qui comme moi, ma foi, | le voudrait bien aussi. 6+6 a
En ramassant le portrait que Célie avait laissé tomber.
Mais quel est ce bijou | que le sort me présente ? 6+6 a
L'émail en est fort beau, | la gravure charmante. 6+6 a
Ouvrons.
SCÈNE VI
SGANARELLE
On la croyait | morte, et ce n'était rien. 6+6 a
Il n'en faut plus qu'autant : | elle se porte bien. 6+6 a
Mais j'aperçois ma femme. |
SA FEMME
145 Ô ciel ! C'est mignature, 6+6 a
Et voilà d'un bel homme | une vive peinture. 6+6 a
SGANARELLE, à part, et regardant sur l'épaule de sa femme
Que considère-t-elle | avec attention ? 6+6 a
Ce portrait, mon honneur, | ne nous dit rien de bon. 6+6 a
D'un fort vilain soupçon | je me sens l'âme émue. 6+6 a
SA FEMME, sans l'apercevoir, continue
150 Jamais rien de plus beau | ne s'offrit à ma vue ; 6+6 a
Le travail plus que l'or | s'en doit encor priser. 6+6 a
Hon ! Que cela sent bon ! |
SGANARELLE, à part
Quoi ? Peste ! Le baiser ! 6+6 a
Ah ! J'en tiens.
SA FEMME poursuit
Avouons | qu'on doit être ravie 6+6 a
Quand d'un homme ainsi fait | on se peut voir servie, 6+6 a
155 Et que s'il en contait | avec attention, 6+6 a
Le penchant serait grand | à la tentation. 6+6 a
Ah ! Que n'ai-je un mari | d'une aussi bonne mine, 6+6 a
Au lieu de mon pelé, | de mon rustre … !
SGANARELLE, lui arrachant le portrait
Ah ! Mâtine ! 6+6 a
Nous vous y surprenons | en faute contre nous, 6+6 a
160 Et diffamant l'honneur | de votre cher époux. 6+6 a
Donc, à votre calcul, | ô ma trop digne femme, 6+6 a
Monsieur, tout bien compté, | ne vaut pas bien madame ? 6+6 a
Et, de par Belzébut, | qui vous puisse emporter ! 6+6 a
Quel plus rare parti | pourriez-vous souhaiter ? 6+6 a
165 Peut-on trouver en moi | quelque chose à redire ? 6+6 a
Cette taille, ce port | que tout le monde admire, 6+6 a
Ce visage si propre | à donner de l'amour, 6+6 a
Pour qui mille beautés | soupirent nuit et jour ; 6+6 a
Bref, en tout et partout, | ma personne charmante 6+6 a
170 N'est donc pas un morceau | dont vous soyez contente ? 6+6 a
Et pour rassasier | votre appétit gourmand, 6+6 a
Il faut à son mari | le ragoût d'un galant ? 6+6 a
SA FEMME
J'entends à demi-mot | où va la raillerie. 6+6 a
Tu crois par ce moyen … |
SGANARELLE
À d'autres, je vous prie ! 6+6 a
175 La chose est avérée, | et je tiens dans mes mains 6+6 a
Un bon certificat | du mal dont je me plains. 6+6 a
SA FEMME
Mon courroux n'a déjà | que trop de violence, 6+6 a
Sans le charger encor | d'une nouvelle offense. 6+6 a
Écoute, ne crois pas | retenir mon bijou, 6+6 a
Et songe un peu …
SGANARELLE
180 Je songe | à te rompre le cou. 6+6 a
Que ne puis-je, aussi bien | que je tiens la copie, 6+6 a
Tenir l'original ! |
SA FEMME
Pourquoi ?
SGANARELLE
Pour rien, mamie : 6+6 a
Doux objet de mes vœux, | j'ai grand tort de crier, 6+6 a
Et mon front de vos dons | vous doit remercier. 6+6 a
Regardant le portrait de Lélie.
185 Le voilà, le beau-fils, | le mignon de couchette, 6+6 a
Le malheureux tison | de ta flamme secrète, 6+6 a
Le drôle avec lequel … | !
SA FEMME
Avec lequel … ? Poursuis. 6+6 a
SGANARELLE
Avec lequel, te dis-je, | … Et j'en crève d'ennuis. 6+6 a
SA FEMME
Que me veut donc par là | conter ce maître ivrogne ? 6+6 a
SGANARELLE
190 Tu ne m'entends que trop, | madame la carogne. 6+6 a
Sganarelle est un nom | qu'on ne me dira plus, 6+6 a
Et l'on va m'appeler | seigneur Corneillius. 6+6 a
J'en suis pour mon honneur ; | mais à toi qui me l'ôtes, 6+6 a
Je t'en ferai du moins | pour un bras ou deux côtes. 6+6 a
SA FEMME
195 Et tu m'oses tenir | de semblables discours ? 6+6 a
SGANARELLE
Et tu m'oses jouer | de ces diables de tours ? 6+6 a
SA FEMME
Et quels diables de tours ? | Parle donc sans rien feindre. 6+6 a
SGANARELLE
Ah ! Cela ne vaut pas | la peine de se plaindre ! 6+6 a
D'un panache de cerf | sur le front me pourvoir, 6+6 a
200 Hélas ! Voilà vraiment | un beau venez-y-voir ! 6+6 a
SA FEMME
Donc, après m'avoir fait | la plus sensible offense 6+6 a
Qui puisse d'une femme | exciter la vengeance, 6+6 a
Tu prends d'un feint courroux | le vain amusement 6+6 a
Pour prévenir l'effet | de mon ressentiment ? 6+6 a
205 D'un pareil procédé | l'insolence est nouvelle : 6+6 a
Celui qui fait l'offense | est celui qui querelle. 6+6 a
SGANARELLE
Eh ! La bonne effrontée ! | À voir ce fier maintien, 6+6 a
Ne la croirait-on pas | une femme de bien ? 6+6 a
SA FEMME
Va, poursuis ton chemin, | cajole tes maîtresses, 6+6 a
210 Adresse-leur tes vœux, | et fais-leur des caresses ; 6+6 a
Mais rends-moi mon portrait | sans te jouer de moi. 6+6 a
Elle lui arrache le portrait et s'enfuit.
SGANARELLE, courant après elle
Oui, tu crois m'échapper : | je l'aurai malgré toi. 6+6 a
SCÈNE VII
GROS-RENÉ
Enfin, nous y voici. | Mais, monsieur, si je l'ose, 6+6 a
Je voudrais vous prier | de me dire une chose. 6+6 a
LÉLIE
Hé bien ! Parle.
GROS-RENÉ
215 Avez-vous | le diable dans le corps 6+6 a
Pour ne pas succomber | à de pareils efforts ? 6+6 a
Depuis huit jours entiers, | avec vos longues traites, 6+6 a
Nous sommes à piquer | de chiennes de mazettes, 6+6 a
De qui le train maudit | nous a tant secoués, 6+6 a
220 Que je m'en sens pour moi | tous les membres roués ; 6+6 a
Sans préjudice encor | d'un accident bien pire, 6+6 a
Qui m'afflige un endroit | que je ne veux pas dire : 6+6 a
Cependant, arrivé, | vous sortez bien et beau, 6+6 a
Sans prendre de repos, | ni manger un morceau. 6+6 a
LÉLIE
225 Ce grand empressement | n'est point digne de blâme : 6+6 a
De l'hymen de Célie | on alarme mon âme ; 6+6 a
Tu sais que je l'adore ; | et je veux être instruit, 6+6 a
Avant tout autre soin, | de ce funeste bruit. 6+6 a
GROS-RENÉ
Oui ; mais un bon repas | vous serait nécessaire, 6+6 a
230 Pour s'aller éclaircir, | monsieur, de cette affaire ; 6+6 a
Et votre cœur, sans doute, | en deviendrait plus fort 6+6 a
Pour pouvoir résister | aux attaques du sort. 6+6 a
J'en juge par moi-même ; | et la moindre disgrâce, 6+6 a
Lorsque je suis à jeun, | me saisit, me terrasse ; 6+6 a
235 Mais quand j'ai bien mangé, | mon âme est ferme à tout, 6+6 a
Et les plus grands revers | n'en viendraient pas à bout. 6+6 a
Croyez-moi, bourrez-vous, | et sans réserve aucune, 6+6 a
Contre les coups que peut | vous porter la fortune ; 6+6 a
Et, pour fermer chez vous | l'entrée à la douleur, 6+6 a
240 De vingt verres de vin | entourez votre cœur. 6+6 a
LÉLIE
Je ne saurais manger. |
GROS-RENÉ, à part ce demi-vers
Si fait bien moi, je meure. 6+6 a
Votre dîner pourtant | serait prêt tout à l'heure. 6+6 a
LÉLIE
Tais-toi, je te l'ordonne. |
GROS-RENÉ
Ah ! Quel ordre inhumain ! 6+6 a
LÉLIE
J'ai de l'inquiétude, | et non pas de la faim. 6+6 a
GROS-RENÉ
245 Et moi, j'ai de la faim, | et de l'inquiétude 6+6 a
De voir qu'un sot amour | fait toute votre étude. 6+6 a
LÉLIE
Laisse-moi m'informer | de l'objet de mes vœux, 6+6 a
Et, sans m'importuner, | va manger si tu veux. 6+6 a
GROS-RENÉ
Je ne réplique point | à ce qu'un maître ordonne. 6+6 a
SCÈNE VIII
LÉLIE, seul
250 Non, non, à trop de peur | mon âme s'abandonne : 6+6 a
Le père m'a promis, | et la fille a fait voir 6+6 a
Des preuves d'un amour | qui soutient mon espoir. 6+6 a
SCÈNE IX
SGANARELLE
Nous l'avons, et je puis | voir à l'aise la trogne 6+6 a
Du malheureux pendard | qui cause ma vergogne. 6+6 a
Il ne m'est point connu. |
LÉLIE, à part
255 Dieu ! Qu'aperçois-je ici ? 6+6 a
Et si c'est mon portrait, | que dois-je croire aussi ? 6+6 a
SGANARELLE, continue
Ah ! Pauvre Sganarelle ! | à quelle destinée 6+6 a
Ta réputation | est-elle condamnée ! 6+6 a
Apercevant Lélie qui le regarde, il se retourne d'un autre côté.
Faut …
LÉLIE, à part
Ce gage ne peut, | sans alarmer ma foi, 6+6 a
260 Être sorti des mains | qui le tenaient de moi. 6+6 a
SGANARELLE
Faut-il que désormais | à deux doigts l'on te montre, 6+6 a
Qu'on te mette en chansons, | et qu'en toute rencontre 6+6 a
On te rejette au nez | le scandaleux affront 6+6 a
Qu'une femme mal née | imprime sur ton front ? 6+6 a
LÉLIE, à part
Me trompé-je ?
SGANARELLE
265 Ah ! Truande, | as-tu bien le courage 6+6 a
De m'avoir fait cocu | dans la fleur de mon âge ? 6+6 a
Et femme d'un mari | qui peut passer pour beau, 6+6 a
Faut-il qu'un marmouset, | un maudit étourneau … ? 6+6 a
LÉLIE, à part, et regardant encore son portrait
Je ne m'abuse point : | c'est mon portrait lui-même. 6+6 a
SGANARELLE lui retourne le dos
Cet homme est curieux. |
LÉLIE, à part
270 Ma surprise est extrême. 6+6 a
SGANARELLE
À qui donc en a-t-il ? |
LÉLIE, à part
Je le veux accoster. 6+6 a
Haut.
Puis-je … ? Hé ! De grâce, un mot. |
SGANARELLE le fuit encore
Que me veut-il conter ? 6+6 a
LÉLIE
Puis-je obtenir de vous | de savoir l'aventure 6+6 a
Qui fait dedans vos mains | trouver cette peinture ? 6+6 a
SGANARELLE, à part, et examinant le portrait qu'il tient et Lélie
275 D'où lui vient ce désir ? | Mais je m'avise ici … 6+6 a
Ah ! Ma foi, me voilà | de son trouble éclairci ! 6+6 a
Sa surprise à présent | n'étonne plus mon âme : 6+6 a
C'est mon homme, ou plutôt | c'est celui de ma femme. 6+6 a
LÉLIE
Retirez-moi de peine, | et dites d'où vous vient … 6+6 a
SGANARELLE
280 Nous savons, Dieu merci, | le souci qui vous tient. 6+6 a
Ce portrait qui vous fâche | est votre ressemblance ; 6+6 a
Il était en des mains | de votre connaissance ; 6+6 a
Et ce n'est pas un fait | qui soit secret pour nous 6+6 a
Que les douces ardeurs | de la dame et de vous. 6+6 a
285 Je ne sais pas si j'ai, | dans sa galanterie, 6+6 a
L'honneur d'être connu | de votre seigneurie ; 6+6 a
Mais faites-moi celui | de cesser désormais 6+6 a
Un amour qu'un mari | peut trouver fort mauvais ; 6+6 a
Et songez que les nœuds | du sacré mariage … 6+6 a
LÉLIE
290 Quoi ? Celle, dites-vous, | dont vous tenez ce gage … ? 6+6 a
SGANARELLE
Est ma femme, et je suis | son mari.
LÉLIE
Son mari ? 6+6 a
SGANARELLE
Oui, son mari, vous dis-je, | et mari très marri ; 6+6 a
Vous en savez la cause, | et je m'en vais l'apprendre 6+6 a
Sur l'heure à ses parents. |
SCÈNE X
LÉLIE, seul
Ah ! Que viens-je d'entendre ! 6+6 a
295 L'on me l'avait bien dit, | et que c'était de tous 6+6 a
L'homme le plus mal fait | qu'elle avait pour époux. 6+6 a
Ah ! Quand mille serments | de ta bouche infidèle 6+6 a
Ne m'auraient pas promis | une flamme éternelle, 6+6 a
Le seul mépris d'un choix | si bas et si honteux 6+6 a
300 Devait bien soutenir | l'intérêt de mes feux, 6+6 a
Ingrate, et quelque bien … | Mais ce sensible outrage, 6+6 a
Se mêlant aux travaux | d'un assez long voyage, 6+6 a
Me donne tout à coup | un choc si violent, 6+6 a
Que mon cœur devient faible, | et mon corps chancelant. 6+6 a
SCÈNE XI
LA FEMME de SGANARELLE, se tournant vers Lélie
305 Malgré moi mon perfide … | Hélas ! Quel mal vous presse ? 6+6 a
Je vous vois prêt, monsieur, | à tomber en faiblesse. 6+6 a
LÉLIE
C'est un mal qui m'a pris | assez subitement. 6+6 a
LA FEMME de SGANARELLE
Je crains ici pour vous | l'évanouissement : 6+6 a
Entrez dans cette salle, | en attendant qu'il passe. 6+6 a
LÉLIE
310 Pour un moment ou deux | j'accepte cette grâce. 6+6 a
SCÈNE XII
LE PARENT
D'un mari sur ce point | j'approuve le souci ; 6+6 a
Mais c'est prendre la chèvre | un peu bien vite aussi ; 6+6 a
Et tout ce que de vous | je viens d'ouïr contre elle 6+6 a
Ne conclut point, parent, | qu'elle soit criminelle. 6+6 a
315 C'est un point délicat ; | et de pareils forfaits, 6+6 a
Sans les bien avérer, | ne s'imputent jamais. 6+6 a
SGANARELLE
C'est-à-dire qu'il faut | toucher au doigt la chose. 6+6 a
LE PARENT
Le trop de promptitude | à l'erreur nous expose. 6+6 a
Qui sait comme en ses mains | ce portrait est venu, 6+6 a
320 Et si l'homme, après tout, | lui peut être connu ? 6+6 a
Informez-vous-en donc ; | et si c'est ce qu'on pense, 6+6 a
Nous serons les premiers | à punir son offense. 6+6 a
SCÈNE XIII
SGANARELLE, seul
On ne peut pas mieux dire. | En effet, il est bon 6+6 a
D'aller tout doucement. | Peut-être, sans raison, 6+6 a
325 Me suis-je en tête mis | ces visions cornues, 6+6 a
Et les sueurs au front | m'en sont trop tôt venues. 6+6 a
Par ce portrait enfin | dont je suis alarmé 6+6 a
Mon déshonneur n'est pas | tout à fait confirmé. 6+6 a
Tâchons donc par nos soins … |
SCÈNE XIV
SGANARELLE, poursuit
Ah ! Que vois-je ? Je meure, 6+6 a
330 Il n'est plus question | de portrait à cette heure : 6+6 a
Voici, ma foi, la chose | en propre original. 6+6 a
LA FEMME de SGANARELLE à Lélie
C'est par trop vous hâter, | monsieur ; et votre mal, 6+6 a
Si vous sortez sitôt, | pourra bien vous reprendre. 6+6 a
LÉLIE
Non, non, je vous rends grâce, | autant qu'on puisse rendre, 6+6 a
335 De l'obligeant secours | que vous m'avez prêté. 6+6 a
SGANARELLE, à part
La masque encore après | lui fait civilité ! 6+6 a
SCÈNE XV
SGANARELLE, à part
Il m'aperçoit. Voyons | ce qu'il me pourra dire. 6+6 a
LÉLIE, à part
Ah ! Mon âme s'émeut, | et cet objet m'inspire … 6+6 a
Mais je dois condamner | cet injuste transport, 6+6 a
340 Et n'imputer mes maux | qu'aux rigueurs de mon sort. 6+6 a
Envions seulement | le bonheur de sa flamme. 6+6 a
Passant auprès de lui et le regardant.
Oh ! Trop heureux d'avoir | une si belle femme ! 6+6 a
SCÈNE XVI
SGANARELLE, sans voir Célie
Ce n'est point s'expliquer | en termes ambigus. 6+6 a
Cet étrange propos | me rend aussi confus 6+6 a
345 Que s'il m'était venu | des cornes à la tête. 6+6 a
Il se tourne du côté que Lélie s'en vient d'en aller.
Allez, ce procédé | n'est point du tout honnête. 6+6 a
CÉLIE, à part
Quoi ? Lélie a paru | tout à l'heure à mes yeux. 6+6 a
Qui pourrait me cacher | son retour en ces lieux ? 6+6 a
SGANARELLE poursuit
« Oh ! Trop heureux d'avoir | une si belle femme ! » 6+6 a
350 Malheureux bien plutôt | de l'avoir, cette infâme, 6+6 a
Dont le coupable feu, | trop bien vérifié, 6+6 a
Sans respect ni demi | nous a cocufié ! 6+6 a
Célie approche peu à peu de lui, attend que son transport soit fini pour lui parler.
Mais je le laisse aller | après un tel indice, 6+6 a
Et demeure les bras | croisés comme un jocrisse ? 6+6 a
355 Ah ! Je devais du moins | lui jeter son chapeau, 6+6 a
Lui ruer quelque pierre, | ou crotter son manteau, 6+6 a
Et sur lui hautement, | pour contenter ma rage, 6+6 a
Faire au larron d'honneur | crier le voisinage. 6+6 a
CÉLIE
Celui qui maintenant | devers vous est venu, 6+6 a
360 Et qui vous a parlé, | d'où vous est-il connu ? 6+6 a
SGANARELLE
Hélas ! Ce n'est pas moi | qui le connaît, madame ; 6+6 a
C'est ma femme.
CÉLIE
Quel trouble | agite ainsi votre âme ? 6+6 a
SGANARELLE
Ne me condamnez point | d'un deuil hors de saison, 6+6 a
Et laissez-moi pousser | des soupirs à foison. 6+6 a
CÉLIE
365 D'où vous peuvent venir | ces douleurs non communes ? 6+6 a
SGANARELLE
Si je suis affligé, | ce n'est pas pour des prunes ; 6+6 a
Et je le donnerais | à bien d'autres qu'à moi 6+6 a
De se voir sans chagrin | au point où je me vois. 6+6 a
Des maris malheureux | vous voyez le modèle : 6+6 a
370 On dérobe l'honneur | au pauvre Sganarelle ; 6+6 a
Mais c'est peu que l'honneur | dans mon affliction, 6+6 a
L'on me dérobe encor | la réputation. 6+6 a
CÉLIE
Comment ?
SGANARELLE
Ce damoiseau, | parlant par révérence, 6+6 a
Me fait cocu, madame, | avec toute licence ; 6+6 a
375 Et j'ai su par mes yeux | avérer aujourd'hui 6+6 a
Le commerce secret | de ma femme et de lui. 6+6 a
CÉLIE
Celui qui maintenant … |
SGANARELLE
Oui, oui, me déshonore : 6+6 a
Il adore ma femme, | et ma femme l'adore. 6+6 a
CÉLIE
Ah ! J'avais bien jugé | que ce secret retour 6+6 a
380 Ne pouvait me couvrir | que quelque lâche tour ; 6+6 a
Et j'ai tremblé d'abord, | en le voyant paraître, 6+6 a
Par un pressentiment | de ce qui devait être. 6+6 a
SGANARELLE
Vous prenez ma défense | avec trop de bonté. 6+6 a
Tout le monde n'a pas | la même charité ; 6+6 a
385 Et plusieurs qui tantôt | ont appris mon martyre, 6+6 a
Bien loin d'y prendre part, | n'en ont rien fait que rire. 6+6 a
CÉLIE
Est-il rien de plus noir | que ta lâche action, 6+6 a
Et peut-on lui trouver | une punition ? 6+6 a
Dois-tu ne te pas croire | indigne de la vie, 6+6 a
390 Après t'être souillé | de cette perfidie ? 6+6 a
Ô ciel ! Est-il possible ? |
SGANARELLE
Il est trop vrai pour moi. 6+6 a
CÉLIE
Ah ! Traître ! Scélérat ! | âme double et sans foi ! 6+6 a
SGANARELLE
La bonne âme !
CÉLIE
Non, non, | l'enfer n'a point de gêne 6+6 a
Qui ne soit pour ton crime | une trop douce peine. 6+6 a
SGANARELLE
Que voilà bien parler ! |
CÉLIE
395 Avoir ainsi traité 6+6 a
Et la même innocence | et la même bonté ! 6+6 a
SGANARELLE
Il soupire haut
Hay !
CÉLIE
Un cœur qui jamais | n'a fait la moindre chose 6+6 a
A mérité l'affront | où ton mépris l'expose ! 6+6 a
SGANARELLE
Il est vrai.
CÉLIE
Qui bien loin … | Mais c'est trop, et ce cœur 6+6 a
400 Ne saurait y songer | sans mourir de douleur. 6+6 a
SGANARELLE
Ne vous fâchez pas tant, | ma très chère madame : 6+6 a
Mon mal vous touche trop, | et vous me percez l'âme. 6+6 a
CÉLIE
Mais ne t'abuse pas | jusqu'à te figurer 6+6 a
Qu'à des plaintes sans fruit | j'en veuille demeurer : 6+6 a
405 Mon cœur, pour se venger, | sait ce qu'il te faut faire, 6+6 a
Et j'y cours de ce pas ; | rien ne m'en peut distraire. 6+6 a
SCÈNE XVII
SGANARELLE, seul
Que le ciel la préserve | à jamais de danger ! 6+6 a
Voyez quelle bonté | de vouloir me venger ! 6+6 a
En effet, son courroux, | qu'excite ma disgrâce, 6+6 a
410 M'enseigne hautement | ce qu'il faut que je fasse ; 6+6 a
Et l'on ne doit jamais | souffrir sans dire mot 6+6 a
De semblables affronts, | à moins qu'être un vrai sot. 6+6 a
Courons donc le chercher, | ce pendard qui m'affronte ; 6+6 a
Montrons notre courage | à venger notre honte. 6+6 a
415 Vous apprendrez, maroufle, | à rire à nos dépens, 6+6 a
Et sans aucun respect | faire cocus les gens ! 6+6 a
Il se retourne ayant fait trois ou quatre pas.
Doucement, s'il vous plaît ! | Cet homme a bien la mine 6+6 a
D'avoir le sang bouillant | et l'âme un peu mutine ; 6+6 a
Il pourrait bien, mettant | affront dessus affront, 6+6 a
420 Charger de bois mon dos | comme il a fait mon front. 6+6 a
Je hais de tout mon cœur | les esprits colériques, 6+6 a
Et porte grand amour | aux hommes pacifiques ; 6+6 a
Je ne suis point battant, | de peur d'être battu, 6+6 a
Et l'humeur débonnaire | est ma grande vertu. 6+6 a
425 Mais mon honneur me dit | que d'une telle offense 6+6 a
Il faut absolument | que je prenne vengeance. 6+6 a
Ma foi, laissons-le dire | autant qu'il lui plaira : 6+6 a
Au diantre qui pourtant | rien du tout en fera ! 6+6 a
Quand j'aurai fait le brave, | et qu'un fer, pour ma peine, 6+6 a
430 M'aura d'un vilain coup | transpercé la bedaine, 6+6 a
Que par la ville ira | le bruit de mon trépas, 6+6 a
Dites-moi, mon honneur, | en serez-vous plus gras ? 6+6 a
La bière est un séjour | par trop mélancolique, 6+6 a
Et trop malsain pour ceux | qui craignent la colique ; 6+6 a
435 Et quant à moi, je trouve, | ayant tout compassé, 6+6 a
Qu'il vaut mieux être encor | cocu que trépassé : 6+6 a
Quel mal cela fait-il ? | La jambe en devient-elle 6+6 a
Plus tortue, après tout, | et la taille moins belle ? 6+6 a
Peste soit qui premier | trouva l'invention 6+6 a
440 De s'affliger l'esprit | de cette vision, 6+6 a
Et d'attacher l'honneur | de l'homme le plus sage 6+6 a
Aux choses que peut faire | une femme volage ! 6+6 a
Puisqu'on tient à bon droit | tout crime personnel, 6+6 a
Que fait là notre honneur | pour être criminel ? 6+6 a
445 Des actions d'autrui | l'on nous donne le blâme. 6+6 a
Si nos femmes sans nous | ont un commerce infâme, 6+6 a
Il faut que tout le mal | tombe sur notre dos ! 6+6 a
Elles font la sottise, | et nous sommes les sots ! 6+6 a
C'est un vilain abus, | et les gens de police 6+6 a
450 Nous devraient bien régler | une telle injustice. 6+6 a
N'avons-nous pas assez | des autres accidents 6+6 a
Qui nous viennent happer | en dépit de nos dents ? 6+6 a
Les querelles, procès, | faim, soif et maladie, 6+6 a
Troublent-ils pas assez | le repos de la vie, 6+6 a
455 Sans s'aller, de surcroît, | aviser sottement 6+6 a
De se faire un chagrin | qui n'a nul fondement ? 6+6 a
Moquons-nous de cela, | méprisons les alarmes, 6+6 a
Et mettons sous nos pieds | les soupirs et les larmes. 6+6 a
Si ma femme a failli, | qu'elle pleure bien fort ; 6+6 a
460 Mais pourquoi moi pleurer, | puisque je n'ai point tort ? 6+6 a
En tout cas, ce qui peut | m'ôter ma fâcherie, 6+6 a
C'est que je ne suis pas | seul de ma confrérie : 6+6 a
Voir cajoler sa femme | et n'en témoigner rien 6+6 a
Se pratique aujourd'hui | par force gens de bien. 6+6 a
465 N'allons donc point chercher | à faire une querelle 6+6 a
Pour un affront qui n'est | que pure bagatelle. 6+6 a
L'on m'appellera sot | de ne me venger pas ; 6+6 a
Mais je le serais fort | de courir au trépas. 6+6 a
Mettant la main sur son estomac.
Je me sens là pourtant | remuer une bile 6+6 a
470 Qui veut me conseiller | quelque action virile ; 6+6 a
Oui, le courroux me prend ; | c'est trop être poltron : 6+6 a
Je veux résolument | me venger du larron. 6+6 a
Déjà pour commencer, | dans l'ardeur qui m'enflamme, 6+6 a
Je vais dire partout | qu'il couche avec ma femme. 6+6 a
SCÈNE XVIII
CÉLIE
475 Oui, je veux bien subir | une si juste loi : 6+6 a
Mon père, disposez | de mes vœux et de moi ; 6+6 a
Faites, quand vous voudrez, | signer cet hyménée ; 6+6 a
À suivre mon devoir | je suis déterminée ; 6+6 a
Je prétends gourmander | mes propres sentiments, 6+6 a
480 Et me soumettre en tout | à vos commandements. 6+6 a
GORGIBUS
Ah ! Voilà qui me plaît, | de parler de la sorte. 6+6 a
Parbleu ! Si grande joie | à l'heure me transporte, 6+6 a
Que mes jambes sur l'heure | en cabrioleroient, 6+6 a
Si nous n'étions point vus | de gens qui s'en riroient. 6+6 a
485 Approche-toi de moi, | viens çà que je t'embrasse : 6+6 a
Une telle action | n'a pas mauvaise grâce ; 6+6 a
Un père, quand il veut, | peut sa fille baiser, 6+6 a
Sans que l'on ait sujet | de s'en scandaliser. 6+6 a
Va, le contentement | de te voir si bien née 6+6 a
490 Me fera rajeunir | de dix fois une année. 6+6 a
SCÈNE XIX
LA SUIVANTE
Ce changement m'étonne. |
CÉLIE
Et lorsque tu sauras 6+6 a
Par quel motif j'agis, | tu m'en estimeras. 6+6 a
LA SUIVANTE
Cela pourrait bien être. |
CÉLIE
Apprends donc que Lélie 6+6 a
A pu blesser mon cœur | par une perfidie ; 6+6 a
Qu'il était en ces lieux | sans …
LA SUIVANTE
495 Mais il vient à nous. 6+6 a
SCÈNE XX
LÉLIE
Avant que pour jamais | je m'éloigne de vous, 6+6 a
Je veux vous reprocher | au moins en cette place … 6+6 a
CÉLIE
Quoi ? Me parler encor ? | Avez-vous cette audace ? 6+6 a
LÉLIE
Il est vrai qu'elle est grande ; | et votre choix est tel, 6+6 a
500 Qu'à vous rien reprocher | je serais criminel. 6+6 a
Vivez, vivez contente, | et bravez ma mémoire, 6+6 a
Avec le digne époux | qui vous comble de gloire. 6+6 a
CÉLIE
Oui, traître ! J'y veux vivre ; | et mon plus grand désir, 6+6 a
Ce serait que ton cœur | en eût du déplaisir. 6+6 a
LÉLIE
505 Qui rend donc contre moi | ce courroux légitime ? 6+6 a
CÉLIE
Quoi ? Tu fais le surpris | et demandes ton crime ? 6+6 a
SCÈNE XXI
SGANARELLE entre armé
Guerre, guerre mortelle | à ce larron d'honneur 6+6 a
Qui sans miséricorde | a souillé notre honneur ! 6+6 a
CÉLIE, à Lélie
Tourne, tourne les yeux | sans me faire répondre. 6+6 a
LÉLIE
Ah ! Je vois …
CÉLIE
510 Cet objet | suffit pour te confondre. 6+6 a
LÉLIE
Mais pour vous obliger | bien plutôt à rougir. 6+6 a
SGANARELLE
Ma colère à présent | est en état d'agir ; 6+6 a
Dessus ses grands chevaux | est monté mon courage ; 6+6 a
Et si je le rencontre, | on verra du carnage. 6+6 a
515 Oui, j'ai juré sa mort ; | rien ne peut l'empêcher : 6+6 a
Où je le trouverai, | je le veux dépêcher. 6+6 a
Au beau milieu du cœur | il faut que je lui donne … 6+6 a
LÉLIE
À qui donc en veut-on ? |
SGANARELLE
Je n'en veux à personne. 6+6 a
LÉLIE
Pourquoi ces armes-là ? |
SGANARELLE
C'est un habillement 6+6 a
À part.
520 Que j'ai pris pour la pluie. | Ah ! Quel contentement 6+6 a
J'aurais à le tuer ! | Prenons-en le courage. 6+6 a
LÉLIE
Hay ?
SGANARELLE, se donnant des coups de poings sur l'estomac
et des soufflets pour s'exciter
Je ne parle pas. |
À part.
Ah ! Poltron dont j'enrage ! 6+6 a
Lâche ! Vrai cœur de poule ! |
CÉLIE
Il t'en doit dire assez, 6+6 a
Cet objet dont tes yeux | nous paraissent blessés. 6+6 a
LÉLIE
525 Oui, je connais par là | que vous êtes coupable 6+6 a
De l'infidélité | la plus inexcusable 6+6 a
Qui jamais d'un amant | puisse outrager la foi. 6+6 a
SGANARELLE, à part
Que n'ai-je un peu de cœur ! |
CÉLIE
Ah ! Cesse devant moi, 6+6 a
Traître, de ce discours | l'insolence cruelle ! 6+6 a
SGANARELLE
530 Sganarelle, tu vois | qu'elle prend ta querelle : 6+6 a
Courage, mon enfant, | sois un peu vigoureux ; 6+6 a
Là, hardi ! Tâche à faire | un effort généreux, 6+6 a
En le tuant tandis | qu'il tourne le derrière. 6+6 a
LÉLIE, faisant deux ou trois pas sans dessein,
fait retourner Sganarelle qui s'approchait pour le tuer
Puisqu'un pareil discours | émeut votre colère, 6+6 a
535 Je dois de votre cœur | me montrer satisfait, 6+6 a
Et l'applaudir ici | du beau choix qu'il a fait. 6+6 a
CÉLIE
Oui, oui, mon choix est tel | qu'on n'y peut rien reprendre. 6+6 a
LÉLIE
Allez, vous faites bien | de le vouloir défendre. 6+6 a
SGANARELLE
Sans doute elle fait bien | de défendre mes droits. 6+6 a
540 Cette action, monsieur, | n'est point selon les lois : 6+6 a
J'ai raison de m'en plaindre ; | et si je n'étais sage, 6+6 a
On verrait arriver | un étrange carnage. 6+6 a
LÉLIE
D'où vous naît cette plainte, | et quel chagrin brutal … ? 6+6 a
SGANARELLE
Suffit. Vous savez bien | où le bois me fait mal ; 6+6 a
545 Mais votre conscience | et le soin de votre âme 6+6 a
Vous devraient mettre aux yeux | que ma femme est ma femme, 6+6 a
Et vouloir à ma barbe | en faire votre bien 6+6 a
Que ce n'est pas du tout | agir en bon chrétien. 6+6 a
LÉLIE
Un semblable soupçon | est bas et ridicule. 6+6 a
550 Allez, dessus ce point | n'ayez aucun scrupule : 6+6 a
Je sais qu'elle est à vous ; | et, bien loin de brûler … 6+6 a
CÉLIE
Ah ! Qu'ici tu sais bien, | traître, dissimuler ! 6+6 a
LÉLIE
Quoi ? Me soupçonnez-vous | d'avoir une pensée 6+6 a
De qui son âme ait lieu | de se croire offensée ? 6+6 a
555 De cette lâcheté | voulez-vous me noircir ? 6+6 a
CÉLIE
Parle, parle à lui-même, | il pourra t'éclaircir. 6+6 a
SGANARELLE
Vous me défendez mieux | que je ne saurais faire, 6+6 a
Et du biais qu'il faut | vous prenez cette affaire. 6+6 a
SCÈNE XXII
LA FEMME de Sganarelle, à Célie
Je ne suis point d'humeur | à vouloir contre vous 6+6 a
560 Faire éclater, madame, | un esprit trop jaloux ; 6+6 a
Mais je ne suis point dupe, | et vois ce qui se passe. 6+6 a
Il est de certains feux | de fort mauvaise grâce ; 6+6 a
Et votre âme devrait | prendre un meilleur emploi 6+6 a
Que de séduire un cœur | qui doit n'être qu'à moi. 6+6 a
CÉLIE
565 La déclaration | est assez ingénue. 6+6 a
SGANARELLE, à sa femme
L'on ne demandait pas, | carogne, ta venue : 6+6 a
Tu la viens quereller | lorsqu'elle me défend, 6+6 a
Et tu trembles de peur | qu'on t'ôte ton galant. 6+6 a
CÉLIE
Allez, ne croyez pas | que l'on en ait envie. 6+6 a
Se tournant vers Lélie.
570 Tu vois si c'est mensonge ; | et j'en suis fort ravie. 6+6 a
LÉLIE
Que me veut-on conter ? |
LA SUIVANTE
Ma foi, je ne sais pas 6+6 a
Quand on verra finir | ce galimatias ; 6+6 a
Déjà depuis longtemps | je tâche à le comprendre, 6+6 a
Et si plus je l'écoute, | et moins je puis l'entendre : 6+6 a
575 Je vois bien à la fin | que je m'en dois mêler. 6+6 a
Allant se mettre entre Lélie et sa maîtresse.
Répondez-moi par ordre, | et me laissez parler. 6+6 a
À Lélie.
Vous, qu'est-ce qu'à son cœur | peut reprocher le vôtre ? 6+6 a
LÉLIE
Que l'infidèle a pu | me quitter pour un autre ; 6+6 a
Que lorsque, sur le bruit | de son hymen fatal, 6+6 a
580 J'accours tout transporté | d'un amour sans égal, 6+6 a
Dont l'ardeur résistait | à se croire oubliée, 6+6 a
Mon abord en ces lieux | la trouve mariée. 6+6 a
LA SUIVANTE
Mariée ! à qui donc ? |
LÉLIE, montrant Sganarelle
À lui.
LA SUIVANTE
Comment, à lui ? 6+6 a
LÉLIE
Oui-da.
LA SUIVANTE
Qui vous l'a dit ? |
LÉLIE
C'est lui-même, aujourd'hui. 6+6 a
LA SUIVANTE, à Sganarelle
Est-il vrai ?
SGANARELLE
585 Moi ? J'ai dit | que c'était à ma femme 6+6 a
Que j'étais marié. |
LÉLIE
Dans un grand trouble d'âme 6+6 a
Tantôt de mon portrait | je vous ai vu saisi. 6+6 a
SGANARELLE
Il est vrai : le voilà. |
LÉLIE
Vous m'avez dit aussi 6+6 a
Que celle aux mains de qui | vous aviez pris ce gage 6+6 a
590 Était liée à vous | des nœuds du mariage. 6+6 a
SGANARELLE
Montrant sa femme.
Sans doute. Et je l'avais | de ses mains arraché, 6+6 a
Et n'eusse pas sans lui | découvert son péché. 6+6 a
La Femme de Sganarelle
Que me viens-tu conter | par ta plainte importune ? 6+6 a
Je l'avais sous mes pieds | rencontré par fortune ; 6+6 a
595 Et même, quand, après | ton injuste courroux, 6+6 a
Montrant Lélie.
J'ai fait, dans sa faiblesse, | entrer monsieur chez nous, 6+6 a
Je n'ai pas reconnu | les traits de sa peinture. 6+6 a
CÉLIE
C'est moi qui du portrait | ai causé l'aventure ; 6+6 a
Et je l'ai laissé choir | en cette pâmoison 6+6 a
À Sganarelle.
600 Qui m'a fait par vos soins | remettre à la maison. 6+6 a
LA SUIVANTE
Vous voyez que sans moi | vous y seriez encore, 6+6 a
Et vous aviez besoin | de mon peu d'ellébore. 6+6 a
SGANARELLE
Prendrons-nous tout ceci | pour de l'argent comptant ? 6+6 a
Mon front l'a, sur mon âme, | eu bien chaude pourtant ! 6+6 a
SA FEMME
605 Ma crainte toutefois | n'est pas trop dissipée ; 6+6 a
Et doux que soit le mal, | je crains d'être trompée. 6+6 a
SGANARELLE
Hé ! Mutuellement | croyons-nous gens de bien : 6+6 a
Je risque plus du mien | que tu ne fais du tien ; 6+6 a
Accepte sans façon | le marché qu'on propose. 6+6 a
SA FEMME
610 Soit. Mais gare le bois | si j'apprends quelque chose ! 6+6 a
CÉLIE, à Lélie, après avoir parlé bas ensemble
Ah ! Dieux ! S'il est ainsi, | qu'est-ce donc que j'ai fait ? 6+6 a
Je dois de mon courroux | appréhender l'effet : 6+6 a
Oui, vous croyant sans foi, | j'ai pris, pour ma vengeance, 6+6 a
Le malheureux secours | de mon obéissance ; 6+6 a
615 Et depuis un moment | mon cœur vient d'accepter 6+6 a
Un hymen que toujours | j'eus lieu de rebuter ; 6+6 a
J'ai promis à mon père ; | et ce qui me désole … 6+6 a
Mais je le vois venir. |
LÉLIE
Il me tiendra parole. 6+6 a
SCÈNE XXIII
LÉLIE
Monsieur, vous me voyez | en ces lieux de retour 6+6 a
620 Brûlant des mêmes feux, | et mon ardente amour 6+6 a
Verra, comme je crois, | la promesse accomplie 6+6 a
Qui me donna l'espoir | de l'hymen de Célie. 6+6 a
GORGIBUS
Monsieur, que je revois | en ces lieux de retour 6+6 a
Brûlant des mêmes feux, | et dont l'ardente amour 6+6 a
625 Verra, que vous croyez, | la promesse accomplie 6+6 a
Qui vous donna l'espoir | de l'hymen de Célie, 6+6 a
Très humble serviteur | à votre seigneurie. 6+6 a
LÉLIE
Quoi ? Monsieur, est-ce ainsi | qu'on trahit mon espoir ? 6+6 a
GORGIBUS
Oui, monsieur, c'est ainsi | que je fais mon devoir : 6+6 a
Ma fille en suit les lois. |
CÉLIE
630 Mon devoir m'intéresse, 6+6 a
Mon père, à dégager | vers lui votre promesse. 6+6 a
GORGIBUS
Est-ce répondre en fille | à mes commandements ? 6+6 a
Tu te démens bien tôt | de tes bons sentiments ! 6+6 a
Pour Valère tantôt … | Mais j'aperçois son père : 6+6 a
635 Il vient assurément | pour conclure l'affaire. 6+6 a
SCÈNE DERNIÈRE
GORGIBUS
Qui vous amène ici, | seigneur Villebrequin ? 6+6 a
VILLEBREQUIN
Un secret important, | que j'ai su ce matin, 6+6 a
Qui rompt absolument | ma parole donnée. 6+6 a
Mon fils, dont votre fille | acceptait l'hyménée, 6+6 a
640 Sous des liens cachés | trompant les yeux de tous, 6+6 a
Vit, depuis quatre mois, | avec Lise en époux ; 6+6 a
Et comme des parents | le bien et la naissance 6+6 a
M'ôtent tout le pouvoir | d'en casser l'alliance, 6+6 a
Je vous viens …
GORGIBUS
Brisons là. | Si, sans votre congé, 6+6 a
645 Valère votre fils | ailleurs s'est engagé, 6+6 a
Je ne vous puis celer | que ma fille Célie 6+6 a
Dès longtemps par moi-même | est promise à Lélie ; 6+6 a
Et que, riche en vertus, | son retour aujourd'hui 6+6 a
M'empêche d'agréer | un autre époux que lui. 6+6 a
VILLEBREQUIN
Un tel choix me plaît fort. |
LÉLIE
650 Et cette juste envie 6+6 a
D'un bonheur éternel | va couronner ma vie. 6+6 a
GORGIBUS
Allons choisir le jour | pour se donner la foi. 6+6 a
SGANARELLE
A-t-on mieux cru jamais | être cocu que moi ? 6+6 a
Vous voyez qu'en ce fait | la plus forte apparence 6+6 a
655 Peut jeter dans l'esprit | une fausse créance. 6+6 a
De cet exemple-ci | ressouvenez-vous bien ; 6+6 a
Et, quand vous verriez tout, | ne croyez jamais rien. 6+6 a
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