Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
MOL4/MOL4
MOLIÈRE
(Jean-Baptiste de Poquelin)
1662
L'ÉCOLE DES FEMMES
Comédie
ACTEURS
ARNOLPHE ou Monsieur de la Souche
AGNÈS fille d'Enrique
HORACE amant d'Agnès, fils d'Oronte
CHRYSALDE ami d'Arnolphe
ENRIQUE beau-frère de Chrysalde et père d'Agnès
ORONTE père d'Horace et ami d'Arnolphe
ALAIN paysan, valet d'Arnolphe
GEORGETTE paysanne, servante d'Arnolphe
LE NOTAIRE
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE
CHRYSALDE
Vous venez, dites-vous,pour lui donner la main ? 6+6 a
ARNOLPHE
Oui, je veux terminerla chose dans demain. 6+6 a
CHRYSALDE
Nous sommes ici seuls ;et l'on peut, ce me semble, 6+6 a
Sans craindre d'être ouïs,y discourir ensemble : 6+6 a
5 Voulez-vous qu'en amije vous ouvre mon cœur ? 6+6 a
Votre dessein pour vousme fait trembler de peur ; 6+6 a
Et de quelque façonque vous tourniez l'affaire, 6+6 a
Prendre femme est à vousun coup bien téméraire. 6+6 a
ARNOLPHE
Il est vrai, notre ami.Peut-être que chez vous 6+6 a
10 Vous trouvez des sujetsde craindre pour chez nous ; 6+6 a
Et votre front, je crois,veut que du mariage 6+6 a
Les cornes soient partoutl'infaillible apanage. 6+6 a
CHRYSALDE
Ce sont coups du hasard,dont on n'est point garant, 6+6 a
Et bien sot, ce me semble,est le soin qu'on en prend. 6+6 a
15 Mais quand je crains pour vous,c'est cette raillerie 6+6 a
Dont cent pauvres marisont souffert la furie ; 6+6 a
Car enfin vous savezqu'il n'est grands ni petits 6+6 a
Que de votre critiqueon ait vus garantis ; 6+6 a
Car vos plus grands plaisirssont, partout vous êtes, 6+6 a
20 De faire cent éclatsdes intrigues secrètes… 6+6 a
ARNOLPHE
Fort bien : est-il au mondeune autre ville aussi 6+6 a
l'on ait des marissi patients qu'ici ? 6+6 a
Est-ce qu'on n'en voit pas,de toutes les espèces, 6+6 a
Qui sont accommodéschez eux de toutes pièces ? 6+6 a
25 L'un amasse du bien,dont sa femme fait part 6+6 a
À ceux qui prennent soinde le faire cornard ; 6+6 a
L'autre un peu plus heureux,mais non pas moins infâme, 6+6 a
Voit faire tous les joursdes présents à sa femme, 6+6 a
Et d'aucun soin jalouxn'a l'esprit combattu, 6+6 a
30 Parce qu'elle lui ditque c'est pour sa vertu. 6+6 a
L'un fait beaucoup de bruitqui ne lui sert de guères ; 6+6 a
L'autre en toute douceurlaisse aller les affaires, 6+6 a
Et voyant arriverchez lui le damoiseau, 6+6 a
Prend fort honnêtementses gants et son manteau. 6+6 a
35 L'une de son galant,en adroite femelle, 6+6 a
Fait fausse confidenceà son époux fidèle, 6+6 a
Qui dort en sûretésur un pareil appas, 6+6 a
Et le plaint, ce galant,des soins qu'il ne perd pas ; 6+6 a
L'autre, pour se purgerde sa magnificence, 6+6 a
40 Dit qu'elle gagne au jeul'argent qu'elle dépense ; 6+6 a
Et le mari benêt,sans songer à quel jeu, 6+6 a
Sur les gains qu'elle faitrend des grâces à Dieu. 6+6 a
Enfin, ce sont partoutdes sujets de satire ; 6+6 a
Et comme spectateurne puis-je pas en rire ? 6+6 a
Puis-je pas de nos sots…?
CHRYSALDE
45 Oui ; mais qui rit d'autrui 6+6 a
Doit craindre qu'en revancheon rie aussi de lui. 6+6 a
J'entends parler le monde ;et des gens se délassent 6+6 a
À venir débiterles choses qui se passent ; 6+6 a
Mais, quoi que l'on divulgueaux endroits je suis, 6+6 a
50 Jamais on ne m'a vutriompher de ces bruits. 6+6 a
J'y suis assez modeste ;et, bien qu'aux occurrences 6+6 a
Je puisse condamnercertaines tolérances, 6+6 a
Que mon dessein ne soitde souffrir nullement 6+6 a
Ce que d'aucuns marissouffrent paisiblement, 6+6 a
55 Pourtant je n'ai jamaisaffecté de le dire ; 6+6 a
Car enfin il faut craindreun revers de satire, 6+6 a
Et l'on ne doit jamaisjurer sur de tels cas 6+6 a
De ce qu'on pourra faire,ou bien ne faire pas. 6+6 a
Ainsi, quand à mon front,par un sort qui tout mène, 6+6 a
60 Il serait arrivéquelque disgrâce humaine, 6+6 a
Après mon procédé,je suis presque certain 6+6 a
Qu'on se contenterade s'en rire sous main ; 6+6 a
Et peut-être qu'encorj'aurai cet avantage, 6+6 a
Que quelques bonnes gensdiront que c'est dommage. 6+6 a
65 Mais de vous, cher compère,il en est autrement : 6+6 a
Je vous le dis encor,vous risquez diablement. 6+6 a
Comme sur les marisaccusés de souffrance 6+6 a
De tout temps votre languea daubé d'importance, 6+6 a
Qu'on vous a vu contre euxun diable déchné, 6+6 a
70 Vous devez marcher droitpour n'être point berné ; 6+6 a
Et s'il faut que sur vouson ait la moindre prise, 6+6 a
Gare qu'aux carrefourson ne vous tympanise, 6+6 a
Et…
ARNOLPHE
Mon Dieu, notre ami,ne vous tourmentez point : 6+6 a
Bien huppé qui pourram'attraper sur ce point. 6+6 a
75 Je sais les tours ruséset les subtiles trames 6+6 a
Dont pour nous en plantersavent user les femmes, 6+6 a
Et comme on est dupépar leurs dextérités. 6+6 a
Contre cet accidentj'ai pris mes sûretés ; 6+6 a
Et celle que j'épousea toute l'innocence 6+6 a
80 Qui peut sauver mon frontde maligne influence. 6+6 a
CHRYSALDE
Et que prétendez-vousqu'une sotte, en un mot… 6+6 a
ARNOLPHE
Épouser une sotteest pour n'être point sot. 6+6 a
Je crois, en bon chrétien,votre moitié fort sage ; 6+6 a
Mais une femme habileest un mauvais présage ; 6+6 a
85 Et je sais ce qu'il cteà de certaines gens 6+6 a
Pour avoir pris les leursavec trop de talents. 6+6 a
Moi, j'irais me chargerd'une spirituelle 6+6 a
Qui ne parlerait rienque cercle et que ruelle, 6+6 a
Qui de prose et de versferait de doux écrits, 6+6 a
90 Et que visiteraientmarquis et beaux esprits, 6+6 a
Tandis que, sous le nomdu mari de madame, 6+6 a
Je serais comme un saintque pas un ne réclame ? 6+6 a
Non, non, je ne veux pointd'un esprit qui soit haut ; 6+6 a
Et femme qui composeen sait plus qu'il ne faut. 6+6 a
95 Je prétends que la mienne,en clartés peu sublime, 6+6 a
Même ne sache pasce que c'est qu'une rime ; 6+6 a
Et s'il faut qu'avec elleon joue au corbillon 6+6 a
Et qu'on vienne à lui direà son tour : « Qu'y met-on ? » 6+6 a
Je veux qu'elle réponde :« Une tarte à la crème » ; 6+6 a
100 En un mot, qu'elle soitd'une ignorance extrême ; 6+6 a
Et c'est assez pour elle,à vous en bien parler, 6+6 a
De savoir prier Dieu,m'aimer, coudre et filer. 6+6 a
CHRYSALDE
Une femme stupideest donc votre marotte ? 6+6 a
ARNOLPHE
Tant, que j'aimerais mieuxune laide bien sotte 6+6 a
105 Qu'une femme fort belleavec beaucoup d'esprit. 6+6 a
CHRYSALDE
L'esprit et la beauté
ARNOLPHE
L'honnêteté suffit. 6+6 a
CHRYSALDE
Mais comment voulez-vous,après tout, qu'une bête 6+6 a
Puisse jamais savoirce que c'est qu'être honnête ? 6+6 a
Outre qu'il est assezennuyeux, que je crois, 6+6 a
110 D'avoir toute sa vieune bête avec soi, 6+6 a
Pensez-vous le bien prendre,et que sur votre idée 6+6 a
La sûreté d'un frontpuisse être bien fondée ? 6+6 a
Une femme d'espritpeut trahir son devoir ; 6+6 a
Mais il faut pour le moinsqu'elle ose le vouloir ; 6+6 a
115 Et la stupide au sienpeut manquer d'ordinaire, 6+6 a
Sans en avoir l'envieet sans penser le faire. 6+6 a
ARNOLPHE
À ce bel argument,à ce discours profond, 6+6 a
Ce que Pantagruelà Panurge répond : 6+6 a
Pressez-moi de me joindreà femme autre que sotte, 6+6 a
120 Prêchez, patrocinezjusqu'à la pentecôte ; 6+6 a
Vous serez ébahi,quand vous serez au bout, 6+6 a
Que vous ne m'aurez rienpersuadé du tout. 6+6 a
CHRYSALDE
Je ne vous dis plus mot.
ARNOLPHE
Chacun a sa méthode. 6+6 a
En femme, comme en tout,je veux suivre ma mode. 6+6 a
125 Je me vois riche assezpour pouvoir, que je crois, 6+6 a
Choisir une moitiéqui tienne tout de moi, 6+6 a
Et de qui la soumiseet pleine dépendance 6+6 a
N'ait à me reprocheraucun bien ni naissance. 6+6 a
Un air doux et posé,parmi d'autres enfants, 6+6 a
130 M'inspira de l'amourpour elle dès quatre ans ; 6+6 a
Sa mère se trouvantde pauvreté pressée, 6+6 a
De la lui demanderil me vint la pensée ; 6+6 a
Et la bonne paysanne,apprenant mon désir, 6+6 a
À s'ôter cette chargeeut beaucoup de plaisir. 6+6 a
135 Dans un petit couvent,loin de toute pratique, 6+6 a
Je la fis éleverselon ma politique, 6+6 a
C'est-à-dire ordonnantquels soins on emplrait 6+6 a
Pour la rendre idioteautant qu'il se pourrait. 6+6 b
Dieu merci, le succèsa suivi mon attente ; 6+6 c
140 Et grande, je l'ai vueà tel point innocente, 6+6 c
Que j'ai béni le cield'avoir trouvé mon fait, 6+6 b
Pour me faire une femmeau gré de mon souhait. 6+6 a
Je l'ai donc retirée ;et comme ma demeure 6+6 a
À cent sortes de mondeest ouverte à toute heure, 6+6 a
145 Je l'ai mise à l'écart,comme il faut tout prévoir, 6+6 a
Dans cette autre maison nul ne me vient voir ; 6+6 a
Et pour ne point gâtersa bonté naturelle, 6+6 a
Je n'y tiens que des genstout aussi simples qu'elle. 6+6 b
Vous me direz : pourquoicette narration ? 6+6 c
150 C'est pour vous rendre instruitde ma précaution. 6+6 c
Le résultat de toutest qu'en ami fidèle 6+6 b
Ce soir je vous inviteà souper avec elle ; 6+6 a
Je veux que vous puissiezun peu l'examiner, 6+6 a
Et voir si de mon choixon me doit condamner. 6+6 a
CHRYSALDE
J'y consens.
ARNOLPHE
155 Vous pourrez,dans cette conférence, 6+6 a
Juger de sa personneet de son innocence. 6+6 a
CHRYSALDE
Pour cet article-là,ce que vous m'avez dit 6+6 a
Ne peut…
ARNOLPHE
La véritépasse encor mon récit. 6+6 a
Dans ses simplicitésà tous coups je l'admire, 6+6 a
160 Et parfois elle en ditdont je pâme de rire. 6+6 a
L'autre jour (pourrait-onse le persuader ?), 6+6 a
Elle était fort en peine,et me vint demander, 6+6 a
Avec une innocenceà nulle autre pareille, 6+6 a
Si les enfants qu'on faitse faisaient par l'oreille. 6+6 a
CHRYSALDE
Je me réjouis fort,seigneur Arnolphe
ARNOLPHE
165 Bon ! 6+6 a
Me voulez-vous toujoursappeler de ce nom ? 6+6 a
CHRYSALDE
Ah ! Malgré que j'en aie,il me vient à la bouche, 6+6 a
Et jamais je ne songeà monsieur de la Souche. 6+6 a
Qui diable vous a faitaussi vous aviser, 6+6 a
170 À quarante et deux ans,de vous débaptiser, 6+6 a
Et d'un vieux tronc pourride votre métairie 6+6 a
Vous faire dans le mondeun nom de seigneurie ? 6+6 a
ARNOLPHE
Outre que la maisonpar ce nom se connt, 6+6 a
La Souche plus qu'Arnolpheà mes oreilles plt. 6+6 a
CHRYSALDE
175 Quel abus de quitterle vrai nom de ses pères 6+6 a
Pour en vouloir prendre unbâti sur des chimères ! 6+6 a
De la plupart des gensc'est la démangeaison ; 6+6 a
Et, sans vous embrasserdans la comparaison, 6+6 a
Je sais un paysanqu'on appelait Gros-Pierre, 6+6 a
180 Qui n'ayant pour tout bienqu'un seul quartier de terre, 6+6 a
Y fit tout à l'entourfaire un fossé bourbeux, 6+6 a
Et de monsieur de l'Isleen prit le nom pompeux. 6+6 a
ARNOLPHE
Vous pourriez vous passerd'exemples de la sorte. 6+6 a
Mais enfin de la Soucheest le nom que je porte : 6+6 a
185 J'y vois de la raison,j'y trouve des appas ; 6+6 a
Et m'appeler de l'autreest ne m'obliger pas. 6+6 a
CHRYSALDE
Cependant la plupartont peine à s'y soumettre, 6+6 a
Et je vois même encordes adresses de lettre 6+6 a
ARNOLPHE
Je le souffre aisémentde qui n'est pas instruit ; 6+6 a
Mais vous…
CHRYSALDE
190 Soit : là-dessusnous n'aurons point de bruit, 6+6 a
Et je prendrai le soind'accoutumer ma bouche 6+6 a
À ne plus vous nommerque monsieur de la Souche. 6+6 a
ARNOLPHE
Adieu. Je frappe ici,pour donner le bonjour, 6+6 a
Et dire seulementque je suis de retour. 6+6 a
CHRYSALDE, à part, s'en allant
195 Ma foi, je le tiens foude toutes les manières. 6+6 a
ARNOLPHE, seul
Il est un peu blessésur certaines matières. 6+6 a
Chose étrange de voircomme avec passion 6+6 a
Un chacun est chausséde son opinion ! 6+6 a
Il frappe à sa porte.
Holà !
SCÈNE II
ALAIN
Qui heurte ?
ARNOLPHE
Ouvrez.
À part.
On aura, que je pense, 6+6 a
200 Grande joie à me voiraprès dix jours d'absence. 6+6 a
ALAIN
Qui va là ?
ARNOLPHE
Moi.
ALAIN
Georgette !
GEORGETTE
Hé bien ?
ALAIN
Ouvre là-bas. 6+6 a
GEORGETTE
Vas-y, toi.
ALAIN
Vas-y, toi.
GEORGETTE
Ma foi, je n'irai pas. 6+6 a
ALAIN
Je n'irai pas aussi.
ARNOLPHE
Belle cérémonie 6+6 a
Pour me laisser dehors !Holà ho, je vous prie. 6+6 a
GEORGETTE
Qui frappe ?
ARNOLPHE
Votre mtre.
GEORGETTE
Alain !
ALAIN
Quoi ?
GEORGETTE
205 C'est monsieurmonsieu. 6+6 a
Ouvre vite.
ALAIN
Ouvre, toi.
GEORGETTE
Je souffle notre feu. 6+6 a
ALAIN
J'empêche, peur du chat,que mon moineau ne sorte. 6+6 a
ARNOLPHE
Quiconque de vous deuxn'ouvrira pas la porte 6+6 a
N'aura point à mangerde plus de quatre jours. 6+6 a
Ha !
GEORGETTE
210 Par quelle raisony venir, quand j'y cours ? 6+6 a
ALAIN
Pourquoi plutôt que moi ?Le plaisant stratagème ! 6+6 a
GEORGETTE
Ôte-toi donc de là.
ALAIN
Non, ôte-toi, toi-même. 6+6 a
GEORGETTE
Je veux ouvrir la porte.
ALAIN
Et je veux l'ouvrir, moi. 6+6 a
GEORGETTE
Tu ne l'ouvriras pas.
ALAIN
Ni toi non plus.
GEORGETTE
Ni toi. 6+6 a
ARNOLPHE
215 Il faut que j'aie icil'âme bien patiente ! 6+6 a
ALAIN, en entrant
Au moins, c'est moi, monsieur.
GEORGETTE, en entrant
Je suis votre servante, 6+6 a
C'est moi.
ALAIN
Sans le respectde monsieur que voilà, 6+6 a
Je te
ARNOLPHE, recevant un coup d'Alain
Peste !
ALAIN
Pardon.
ARNOLPHE
Voyez ce lourdaud-là ! 6+6 a
ALAIN
C'est elle aussi, monsieur…
ARNOLPHE
Que tous deux on se taise. 6+6 a
220 Songez à me répondre,et laissons la fadaise. 6+6 a
Hé bien, Alain, commentse porte-t-on ici ? 6+6 a
ALAIN
Monsieur, nous nous…
Arnolphe ôte le chapeau de dessus la tête d'Alain.
Monsieur,nous nous por…
Arnolphe l'ôte encore.
Dieu merci, 6+6 a
Nous nous…
ARNOLPHE, ôtant le chapeau d'Alain pour la troisième fois, et le jetant à terre
Qui vous apprend,impertinente bête, 6+6 a
À parler devant moile chapeau sur la tête ? 6+6 a
ALAIN
Vous faites bien, j'ai tort.
ARNOLPHE, à Alain
225 Faites descendre Agnès. 6+6 a
SCÈNE III
ARNOLPHE, à Georgette
Lorsque je m'en allai,fut-elle triste après ? 6+6 a
GEORGETTE
Triste ? Non.
ARNOLPHE
Non ?
GEORGETTE
Si fait.
ARNOLPHE
Pourquoi donc… ?
GEORGETTE
Oui, je meure, 6+6 a
Elle vous croyait voirde retour à toute heure ; 6+6 a
Et nous n'oyions jamaispasser devant chez nous 6+6 a
230 Cheval, âne, ou mulet,qu'elle ne prît pour vous. 6+6 a
SCÈNE IV
ARNOLPHE
La besogne à la main !C'est un bon témoignage. 6+6 a
Hé bien, Agnès, je suisde retour du voyage : 6+6 a
En êtes-vous bien aise ?
AGNÈS
Oui, monsieur, Dieu merci. 6+6 a
ARNOLPHE
Et moi de vous revoirje suis bien aise aussi. 6+6 a
235 Vous vous êtes toujours,comme on voit, bien portée ? 6+6 a
AGNÈS
Hors les puces, qui m'ontla nuit inquiétée. 6+6 a
ARNOLPHE
Ah ! Vous aurez dans peuquelqu'un pour les chasser. 6+6 a
AGNÈS
Vous me ferez plaisir.
ARNOLPHE
Je le puis bien penser. 6+6 a
Que faites-vous donc là ?
AGNÈS
Je me fais des cornettes. 6+6 a
240 Vos chemises de nuitet vos coiffes sont faites. 6+6 a
ARNOLPHE
Ha ! Voilà qui va bien.Allez, montez là-haut : 6+6 a
Ne vous ennuyez point,je reviendrai tantôt, 6+6 a
Et je vous parleraid'affaires importantes. 6+6 a
Tous étant rentrés.
SCÈNE V
ARNOLPHE
Héroïnes du temps,mesdames les savantes, 6+6 a
245 Pousseuses de tendresseet de beaux sentiments, 6+6 a
Je défie à la foistous vos vers, vos romans, 6+6 a
Vos lettres, billets doux,toute votre science 6+6 a
De valoir cette honnêteet pudique ignorance. 6+6 a
Ce n'est point par le bienqu'il faut être ébloui ; 6+6 a
Et pourvu que l'honneursoit…
SCÈNE VI
ARNOLPHE
250 Que vois-je ? Est-ce ? … Oui. 6+6 a
Je me trompe. Nenni.Si fait. Non, c'est lui-même, 6+6 a
Hor…
HORACE
Seigneur Ar…
ARNOLPHE
Horace.
HORACE
Arnolphe.
ARNOLPHE
Ah ! Joie extrême ! 6+6 a
Et depuis quand ici ?
HORACE
Depuis neuf jours.
ARNOLPHE
Vraiment ? 6+6 a
HORACE
Je fus d'abord chez vous,mais inutilement. 6+6 a
ARNOLPHE
J'étais à la campagne.
HORACE
255 Oui, depuis deux journées. 6+6 a
ARNOLPHE
Oh ! Comme les enfantscroissent en peu d'années ! 6+6 a
J'admire de le voirau point le voilà, 6+6 a
Après que je l'ai vupas plus grand que cela. 6+6 a
HORACE
Vous voyez.
ARNOLPHE
Mais, de grâce,Oronte votre père, 6+6 a
260 Mon bon et cher ami,que j'estime et révère, 6+6 a
Que fait-il ? Que dit-il ?Est-il toujours gaillard ? 6+6 a
À tout ce qui le touche,il sait que je prends part : 6+6 a
Nous ne nous sommes vusdepuis quatre ans ensemble. 6+6 a
HORACE
Ni, qui plus est, écritl'un à l'autre, me semble. 6+6 a
265 Il est, seigneur Arnolphe,encor plus gai que nous, 6+6 a
Et j'avais de sa partune lettre pour vous ; 6+6 a
Mais depuis, par une autre,il m'apprend sa venue, 6+6 a
Et la raison encorne m'en est pas connue. 6+6 a
Savez-vous qui peut êtreun de vos citoyens 6+6 a
270 Qui retourne en ces lieuxavec beaucoup de biens 6+6 a
Qu'il s'est en quatorze ansacquis dans l'Amérique ? 6+6 a
ARNOLPHE
Non. Vous a-t-on point ditcomme on le nomme ?
HORACE
Enrique. 6+6 a
ARNOLPHE
Non.
HORACE
Mon père m'en parle,et qu'il est revenu 6+6 a
Comme s'il devait m'êtreentièrement connu, 6+6 a
275 Et m'écrit qu'en cheminensemble ils se vont mettre 6+6 a
Pour un fait importantque ne dit point sa lettre. 6+6 a
Horace remet la lettre d'Oronte à Arnolphe.
ARNOLPHE
J'aurai certainementgrande joie à le voir, 6+6 a
Et pour le régalerje ferai mon pouvoir. 6+6 a
Après avoir lu la lettre.
Il faut pour des amisdes lettres moins civiles, 6+6 a
280 Et tous ces complimentssont choses inutiles. 6+6 a
Sans qu'il prêt le soucide m'en écrire rien, 6+6 a
Vous pouvez librementdisposer de mon bien. 6+6 a
HORACE
Je suis homme à saisirles gens par leurs paroles, 6+6 a
Et j'ai présentementbesoin de cent pistoles. 6+6 a
ARNOLPHE
285 Ma foi, c'est m'obligerque d'en user ainsi, 6+6 a
Et je me réjouisde les avoir ici. 6+6 a
Gardez aussi la bourse.
HORACE
Il faut…
ARNOLPHE
Laissons ce style. 6+6 a
Hé bien ! Comment encortrouvez-vous cette ville ? 6+6 a
HORACE
Nombreuse en citoyens,superbe en bâtiments ; 6+6 a
290 Et j'en crois merveilleuxles divertissements. 6+6 a
ARNOLPHE
Chacun a ses plaisirsqu'il se fait à sa guise ; 6+6 a
Mais pour ceux que du nomde galants on baptise, 6+6 a
Ils ont en ce paysde quoi se contenter, 6+6 a
Car les femmes y sontfaites à coqueter : 6+6 a
295 On trouve d'humeur douceet la brune et la blonde, 6+6 a
Et les maris aussiles plus bénins du monde ; 6+6 a
C'est un plaisir de prince ;et des tours que je vois 6+6 a
Je me donne souventla comédie à moi. 6+6 a
Peut-être en avez-vousdéjà féru quelqu'une. 6+6 a
300 Vous est-il point encorearrivé de fortune ? 6+6 a
Les gens faits comme vousfont plus que les écus, 6+6 a
Et vous êtes de tailleà faire des cocus. 6+6 a
HORACE
À ne vous rien cacherde la vérité pure, 6+6 a
J'ai d'amour en ces lieuxeu certaine aventure, 6+6 a
305 Et l'amitié m'obligeà vous en faire part. 6+6 a
ARNOLPHE
Bon ! Voici de nouveauquelque conte gaillard ; 6+6 a
Et ce sera de quoimettre sur mes tablettes. 6+6 a
HORACE
Mais, de grâce, qu'au moinsces choses soient secrètes. 6+6 a
ARNOLPHE
Oh !
HORACE
Vous n'ignorez pasqu'en ces occasions 6+6 a
310 Un secret éventérompt nos prétentions. 6+6 a
Je vous avouerai doncavec pleine franchise 6+6 a
Qu'ici d'une beautémon âme s'est éprise. 6+6 a
Mes petits soins d'abordont eu tant de succès, 6+6 a
Que je me suis chez elleouvert un doux accès ; 6+6 a
315 Et sans trop me vanterni lui faire une injure, 6+6 a
Mes affaires y sonten fort bonne posture. 6+6 a
ARNOLPHE, riant
Et c'est ?
HORACE, lui montrant le logis d'Agnès
Un jeune objetqui loge en ce logis 6+6 a
Dont vous voyez d'icique les murs sont rougis ; 6+6 a
Simple, à la vérité,par l'erreur sans seconde 6+6 a
320 D'un homme qui la cacheau commerce du monde, 6+6 a
Mais qui, dans l'ignorance l'on veut l'asservir, 6+6 a
Fait briller des attraitscapables de ravir ; 6+6 a
Un air tout engageant,je ne sais quoi de tendre, 6+6 a
Dont il n'est point de cœurqui se puisse défendre. 6+6 a
325 Mais peut-être il n'est pasque vous n'ayez bien vu 6+6 a
Ce jeune astre d'amourde tant d'attraits pourvu : 6+6 a
C'est Agnès qu'on l'appelle.
ARNOLPHE, à part
Ah ! Je crève !
HORACE
Pour l'homme, 6+6 a
C'est, je crois, de la Zousseou Souche qu'on le nomme : 6+6 a
Je ne me suis pas fortarrêté sur le nom ; 6+6 a
330 Riche, à ce qu'on m'a dit,mais des plus sensés, non ; 6+6 a
Et l'on m'en a parlécomme d'un ridicule. 6+6 a
Le connaissez-vous point ?
ARNOLPHE, à part
La fâcheuse pillule ! 6+6 a
HORACE
Eh ! Vous ne dites mot ?
ARNOLPHE
Eh ! Oui, je le connoi. 6+6 a
HORACE
C'est un fou, n'est-ce pas ?
ARNOLPHE
Eh…
HORACE
Qu'en dites-vous ? Quoi ? 6+6 a
335 Eh ? C'est-à-dire oui ?Jaloux à faire rire ? 6+6 a
Sot ? Je vois qu'il en estce que l'on m'a pu dire. 6+6 a
Enfin l'aimable Agnèsa su m'assujettir. 6+6 a
C'est un joli bijou,pour ne point vous mentir ; 6+6 a
Et ce serait péchéqu'une beauté si rare 6+6 a
340 Fût laissée au pouvoirde cet homme bizarre. 6+6 a
Pour moi, tous mes efforts,tous mes vœux les plus doux 6+6 a
Vont à m'en rendre mtreen dépit du jaloux ; 6+6 a
Et l'argent que de vousj'emprunte avec franchise 6+6 a
N'est que pour mettre à boutcette juste entreprise. 6+6 a
345 Vous savez mieux que moi,quels que soient nos efforts, 6+6 a
Que l'argent est la clefde tous les grands ressorts, 6+6 a
Et que ce doux métalqui frappe tant de têtes, 6+6 a
En amour, comme en guerre,avance les conquêtes. 6+6 a
Vous me semblez chagrin :serait-ce qu'en effet 6+6 a
350 Vous désapprouveriezle dessein que j'ai fait ? 6+6 b
ARNOLPHE
Non, c'est que je songeais…
HORACE
Cet entretien vous lasse : 6+6 c
Adieu. J'irai chez voustantôt vous rendre grâce. 6+6 c
ARNOLPHE
Ah ! Faut-il… !
HORACE, revenant
Derechef,veuillez être discret, 6+6 b
Et n'allez pas, de grâce,éventer mon secret. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
Que je sens dans mon âme!
HORACE, revenant
355 Et surtout à mon père, 6+6 a
Qui s'en ferait peut-êtreun sujet de colère. 6+6 a
ARNOLPHE, croyant qu'il revient encore
Oh ! … Oh ! Que j'ai souffertdurant cet entretien ! 6+6 a
SCÈNE VII
ARNOLPHE
Jamais trouble d'espritne fut égal au mien. 6+6 a
Avec quelle imprudenceet quelle hâte extrême 6+6 a
360 Il m'est venu contercette affaire à moi-même ! 6+6 a
Bien que mon autre nomle tienne dans l'erreur, 6+6 a
Étourdi montra-t-iljamais tant de fureur ? 6+6 a
Mais ayant tant souffert,je devais me contraindre 6+6 a
Jusques à m'éclaircirde ce que je dois craindre, 6+6 a
365 À pousser jusqu'au boutson caquet indiscret, 6+6 a
Et savoir pleinementleur commerce secret. 6+6 a
Tâchons à le rejoindre :il n'est pas loin, je pense, 6+6 a
Tirons-en de ce faitl'entière confidence. 6+6 a
Je tremble du malheurqui m'en peut arriver, 6+6 a
370 Et l'on cherche souventplus qu'on ne veut trouver. 6+6 a
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE
Il m'est, lorsque j'y pense,avantageux sans doute 6+6 a
D'avoir perdu mes paset pu manquer sa route ; 6+6 a
Car enfin de mon cœurle trouble impérieux 6+6 a
N't pu se renfermertout entier à ses yeux : 6+6 a
375 Il t fait éclaterl'ennui qui me dévore, 6+6 a
Et je ne voudrais pasqu'il sût ce qu'il ignore. 6+6 a
Mais je ne suis pas hommeà gober le morceau, 6+6 a
Et laisser un champ libreaux vœux du damoiseau : 6+6 a
J'en veux rompre le courset, sans tarder, apprendre 6+6 a
380 Jusqu' l'intelligenceentre eux a pu s'étendre. 6+6 a
J'y prends pour mon honneurun notable intérêt : 6+6 a
Je la regarde en femme,aux termes qu'elle en est ; 6+6 a
Elle n'a pu faillirsans me couvrir de honte, 6+6 a
Et tout ce qu'elle a faitenfin est sur mon compte. 6+6 a
385 Éloignement fatal !Voyage malheureux ! 6+6 a
Il frappe à sa porte.
SCÈNE II
ALAIN
Ah ! Monsieur, cette fois…
ARNOLPHE
Paix. Venez là tous deux. 6+6 a
Passez là ; passez là.Venez là, venez, dis-je. 6+6 a
GEORGETTE
Ah ! Vous me faites peur,et tout mon sang se fige. 6+6 a
ARNOLPHE
C'est donc ainsi qu'absentvous m'avez obéi ? 6+6 a
390 Et tous deux de concertvous m'avez donc trahi ? 6+6 a
GEORGETTE, tombant aux genoux d'Arnolphe
Eh ! Ne me mangez pas,monsieur, je vous conjure. 6+6 a
ALAIN, à part
Quelque chien enragél'a mordu, je m'assure. 6+6 a
ARNOLPHE
Ouf ! Je ne puis parler,tant je suis prévenu : 6+6 a
Je suffoque, et voudraisme pouvoir mettre nu. 6+6 a
À Alain et Georgette.
395 Vous avez donc souffert,ô canaille maudite, 6+6 a
À Alain qui veut s'enfuir.
Qu'un homme soit venu ?… Tu veux prendre la fuite ! 6+6 a
À Georgette.
Il faut que sur-le-champ…Si tu bouges… ! Je veux 6+6 a
À Alain.
Que vous me disiezEuh !… Oui, je veux que tous deux… 6+6 a
Alain et Georgette se lèvent et veulent encore s'enfuir.
Quiconque remuera,par la mort ! Je l'assomme. 6+6 a
400 Comme est-ce que chez mois'est introduit cet homme ? 6+6 a
Eh ! Parlez, dépêchez,vite, promptement, tôt, 6+6 a
Sans rêver. Veut-on dire ?
ALAIN et GEORGETTE
Ah ! Ah !
GEORGETTE, retombant aux genoux d'Arnolphe
Le cœur me faut. 6+6 a
ALAIN, retombant aux genoux d'Arnolphe
Je meurs.
ARNOLPHE, à part
Je suis en eau :prenons un peu d'haleine ; 6+6 a
Il faut que je m'éventeet que je me promène. 6+6 a
405 Aurais-je devinéquand je l'ai vu petit, 6+6 a
Qu'il crtrait pour cela ?Ciel ! Que mon cœur pâtit ! 6+6 a
Je pense qu'il vaut mieuxque de sa propre bouche 6+6 a
Je tire avec douceurl'affaire qui me touche. 6+6 a
Tâchons de modérernotre ressentiment. 6+6 a
410 Patience, mon cœur,doucement, doucement. 6+6 a
À Alain et Georgette.
Levez-vous, et rentrant,faites qu'Agnès descende. 6+6 a
À part.
Arrêtez. Sa surpriseen deviendrait moins grande : 6+6 a
Du chagrin qui me troubleils iraient l'avertir, 6+6 a
Et moi-même je veuxl'aller faire sortir. 6+6 a
À Alain et Georgette.
Que l'on m'attende ici.
SCÈNE III
GEORGETTE
415 Mon Dieu ! Qu'il est terrible ! 6+6 a
Ses regards m'ont fait peur,mais une peur horrible ; 6+6 a
Et jamais je ne visun plus hideux chrétien. 6+6 a
ALAIN
Ce monsieur l'a fâché :je te le disais bien. 6+6 a
GEORGETTE
Mais que diantre est-ce là,qu'avec tant de rudesse 6+6 a
420 Il nous fait au logisgarder notre mtresse ? 6+6 a
D' vient qu'à tout le mondeil veut tant la cacher, 6+6 a
Et qu'il ne saurait voirpersonne en approcher ? 6+6 a
ALAIN
C'est que cette actionle met en jalousie. 6+6 a
GEORGETTE
Mais d' vient qu'il est prisde cette fantaisie ? 6+6 a
ALAIN
425 Cela vient… Cela vientde ce qu'il est jaloux. 6+6 a
GEORGETTE
Oui ; mais pourquoi l'est-il ?Et pourquoi ce courroux ? 6+6 a
ALAIN
C'est que la jalousieEntends-tu bien, Georgette, 6+6 a
Est une chose… LàQui fait qu'on s'inquiète 6+6 a
Et qui chasse les gensd'autour d'une maison. 6+6 a
430 Je m'en vais te baillerune comparaison, 6+6 a
Afin de concevoirla chose davantage. 6+6 a
Dis-moi, n'est-il pas vrai,quand tu tiens ton potage, 6+6 a
Que si quelque affamévenait pour en manger, 6+6 a
Tu serais en colère,et voudrais le charger ? 6+6 a
GEORGETTE
Oui, je comprends cela.
ALAIN
435 C'est justement tout comme : 6+6 a
La femme est en effetle potage de l'homme ; 6+6 a
Et quand un homme voitd'autres hommes parfois 6+6 a
Qui veulent dans sa soupealler tremper leurs doigts, 6+6 a
Il en montre aussitôtune colère extrême. 6+6 a
GEORGETTE
440 Oui ; mais pourquoi chacunn'en fait-il pas de même, 6+6 a
Et que nous en voyonsqui paraissent joyeux 6+6 a
Lorsque leurs femmes sontavec les biaux monsieux. 6+6 a
ALAIN
C'est que chacun n'a pascette amitié goulue 6+6 a
Qui n'en veut que pour soi.
GEORGETTE
Si je n'ai la berlue, 6+6 a
Je le vois qui revient.
ALAIN
445 Tes yeux sont bons, c'est lui. 6+6 a
GEORGETTE
Vois comme il est chagrin.
ALAIN
C'est qu'il a de l'ennui. 6+6 a
SCÈNE IV
ARNOLPHE, à part
Un certain Grec disaità l'empereur Auguste, 6+6 a
Comme une instructionutile autant que juste, 6+6 a
Que lorsqu'une aventureen colère nous met, 6+6 a
450 Nous devons, avant tout,dire notre alphabet, 6+6 a
Afin que dans ce tempsla bile se tempère, 6+6 a
Et qu'on ne fasse rienque l'on ne doive faire. 6+6 a
J'ai suivi sa leçonsur le sujet d'Agnès, 6+6 a
Et je la fais veniren ce lieu tout exprès, 6+6 a
455 Sous prétexte d'y faireun tour de promenade, 6+6 a
Afin que les souonsde mon esprit malade 6+6 a
Puissent sur le discoursla mettre adroitement, 6+6 a
Et lui sondant le cœur,s'éclaircir doucement. 6+6 a
SCÈNE V
ARNOLPHE
Venez, Agnès.
À Alain et Georgette.
Rentrez.
SCÈNE VI
ARNOLPHE
La promenade est belle. 6+6 a
AGNÈS
Fort belle.
ARNOLPHE
Le beau jour !
AGNÈS
Fort beau.
ARNOLPHE
460 Quelle nouvelle ? 6+6 a
AGNÈS
Le petit chat est mort.
ARNOLPHE
C'est dommage ; mais quoi ? 6+6 a
Nous sommes tous mortels,et chacun est pour soi. 6+6 a
Lorsque j'étais aux champs,n'a-t-il point fait de pluie ? 6+6 a
AGNÈS
Non.
ARNOLPHE
Vous ennuyait-il ?
AGNÈS
Jamais je ne m'ennuie. 6+6 a
ARNOLPHE
465 Qu'avez-vous fait encorces neuf ou dix jours-ci ? 6+6 a
AGNÈS
Six chemises, je pense,et six coiffes aussi. 6+6 a
ARNOLPHE, ayant un peu rêvé
Le monde, chère Agnès,est une étrange chose. 6+6 a
Voyez la médisance,et comme chacun cause : 6+6 a
Quelques voisins m'ont ditqu'un jeune homme inconnu 6+6 a
470 Était en mon absenceà la maison venu, 6+6 a
Que vous aviez souffertsa vue et ses harangues ; 6+6 a
Mais je n'ai point pris foisur ces méchantes langues, 6+6 a
Et j'ai voulu gagerque c'était faussement… 6+6 a
AGNÈS
Mon Dieu, ne gagez pas :vous perdriez vraiment. 6+6 a
ARNOLPHE
Quoi ? C'est la véritéqu'un homme… ?
AGNÈS
475 Chose sûre. 6+6 a
Il n'a presque bougéde chez nous, je vous jure. 6+6 a
ARNOLPHE, bas, à part
Cet aveu qu'elle faitavec sincérité 6+6 a
Me marque pour le moinsson ingénuité. 6+6 a
Haut.
Mais il me semble, Agnès,si ma mémoire est bonne, 6+6 a
480 Que j'avais défenduque vous vissiez personne. 6+6 a
AGNÈS
Oui ; mais quand je l'ai vu,vous ignorez pourquoi ; 6+6 a
Et vous en auriez fait,sans doute, autant que moi. 6+6 a
ARNOLPHE
Peut-être. Mais enfincontez-moi cette histoire. 6+6 a
AGNÈS
Elle est fort étonnante,et difficile à croire. 6+6 a
485 J'étais sur le balconà travailler au frais, 6+6 a
Lorsque je vis passersous les arbres d'auprès 6+6 a
Un jeune homme bien fait,qui rencontrant ma vue, 6+6 a
D'une humble révérenceaussitôt me salue : 6+6 a
Moi, pour ne point manquerà la civilité, 6+6 a
490 Je fis la révérenceaussi de mon côté. 6+6 a
Soudain il me refaitune autre révérence : 6+6 a
Moi, j'en refais de mêmeune autre en diligence ; 6+6 a
Et lui d'une troisièmeaussitôt repartant, 6+6 a
D'une troisième aussij'y repars à l'instant. 6+6 a
495 Il passe, vient, repasse,et toujours de plus belle 6+6 a
Me fait à chaque foisrévérence nouvelle ; 6+6 a
Et moi, qui tous ces toursfixement regardais, 6+6 a
Nouvelle révérenceaussi je lui rendais : 6+6 a
Tant que, si sur ce pointla nuit ne fût venue, 6+6 a
500 Toujours comme celaje me serais tenue, 6+6 a
Ne voulant point céder,et recevoir l'ennui 6+6 a
Qu'il me pût estimermoins civile que lui. 6+6 a
ARNOLPHE
Fort bien.
AGNÈS
Le lendemain,étant sur notre porte, 6+6 a
Une vieille m'aborde,en parlant de la sorte : 6+6 a
505 « Mon enfant, le bon Dieupuisse-t-il vous bénir, 6+6 a
Et dans tous vos attraitslongtemps vous maintenir ! 6+6 a
Il ne vous a pas faiteune belle personne 6+6 a
Afin de mal userdes choses qu'il vous donne ; 6+6 a
Et vous devez savoirque vous avez blessé 6+6 a
510 Un cœur qui de s'en plaindreest aujourd'hui forcé. » 6+6 a
ARNOLPHE, à part
Ah ! Suppôt de Satan !Exécrable damnée ! 6+6 a
AGNÈS
« Moi, j'ai blessé quelqu'un !Fis-je toute étonnée. 6+6 a
— Oui, dit-elle, blessé,mais blessé tout de bon ; 6+6 a
Et c'est l'homme qu'hiervous vîtes du balcon. 6+6 a
515 — Hélas ! Qui pourrait, dis-je,en avoir été cause ? 6+6 a
Sur lui, sans y penser,fis-je choir quelque chose ? 6+6 a
— Non, dit-elle, vos yeuxont fait ce coup fatal, 6+6 a
Et c'est de leurs regardsqu'est venu tout son mal. 6+6 a
— Hé ! Mon Dieu ! Ma surpriseest, fis-je, sans seconde : 6+6 a
520 Mes yeux ont-ils du mal,pour en donner au monde ? 6+6 a
— Oui, fit-elle, vos yeux,pour causer le trépas, 6+6 a
Ma fille, ont un veninque vous ne savez pas. 6+6 a
En un mot, il languit,le pauvre misérable ; 6+6 a
Et s'il faut, poursuivitla vieille charitable, 6+6 a
525 Que votre cruautélui refuse un secours, 6+6 a
C'est un homme à porteren terre dans deux jours. 6+6 a
— Mon Dieu ! J'en aurais, dis-je,une douleur bien grande. 6+6 a
Mais pour le secourirqu'est-ce qu'il me demande ? 6+6 a
— Mon enfant, me dit-elle,il ne veut obtenir 6+6 a
530 Que le bien de vous voiret vous entretenir : 6+6 a
Vos yeux peuvent eux seulsempêcher sa ruine 6+6 a
Et du mal qu'ils ont faitêtre la médecine. 6+6 a
— Hélas ! Volontiers, dis-je ;et puisqu'il est ainsi, 6+6 a
Il peut, tant qu'il voudra,me venir voir ici. » 6+6 a
ARNOLPHE, à part
535 Ah ! Sorcière maudite,empoisonneuse d'âmes, 6+6 a
Puisse l'enfer payertes charitables trames ! 6+6 a
AGNÈS
Voilà comme il me vit,et reçut guérison. 6+6 a
Vous-même, à votre avis,n'ai-je pas eu raison ? 6+6 a
Et pouvais-je, après tout,avoir la conscience 6+6 a
540 De le laisser mourirfaute d'une assistance, 6+6 a
Moi qui compatis tantaux gens qu'on fait souffrir 6+6 a
Et ne puis, sans pleurer,voir un poulet mourir ? 6+6 a
ARNOLPHE, bas, à part
Tout cela n'est partique d'une âme innocente ; 6+6 a
Et j'en dois accusermon absence imprudente, 6+6 a
545 Qui sans guide a laissécette bonté de mœurs 6+6 a
Exposée aux aguetsdes rusés séducteurs. 6+6 a
Je crains que le pendard,dans ses vœux téméraires, 6+6 a
Un peu plus fort que jeun'ait poussé les affaires. 6+6 a
AGNÈS
Qu'avez-vous ? Vous grondez,ce me semble, un petit ? 6+6 a
550 Est-ce que c'est mal faitce que je vous ai dit ? 6+6 a
ARNOLPHE
Non. Mais de cette vueapprenez-moi les suites, 6+6 a
Et comme le jeune hommea passé ses visites. 6+6 a
AGNÈS
Hélas ! Si vous saviezcomme il était ravi, 6+6 a
Comme il perdit son malsitôt que je le vis, 6+6 a
555 Le présent qu'il m'a faitd'une belle cassette, 6+6 a
Et l'argent qu'en ont eunotre Alain et Georgette, 6+6 a
Vous l'aimeriez sans douteet diriez comme nous… 6+6 a
ARNOLPHE
Oui. Mais que faisait-ilétant seul avec vous ? 6+6 a
AGNÈS
Il jurait qu'il m'aimaitd'une amour sans seconde, 6+6 a
560 Et me disait des motsles plus gentils du monde, 6+6 a
Des choses que jamaisrien ne peut égaler, 6+6 a
Et dont, toutes les foisque je l'entends parler, 6+6 a
La douceur me chatouilleet là dedans remue 6+6 a
Certain je ne sais quoidont je suis toute émue. 6+6 a
ARNOLPHE, bas, à part
565 Ô fâcheux examend'un mystère fatal, 6+6 a
l'examinateursouffre seul tout le mal ! 6+6 a
À Agnès.
Outre tous ces discours,toutes ces gentillesses, 6+6 a
Ne vous faisait-il pointaussi quelques caresses ? 6+6 a
AGNÈS
Oh tant ! Il me prenaitet les mains et les bras, 6+6 a
570 Et de me les baiseril n'était jamais las. 6+6 a
ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point pris,Agnès, quelque autre chose ? 6+6 a
La voyant interdite.
Ouf !
AGNÈS
Hé ! Il m'a
ARNOLPHE
Quoi ?
AGNÈS
Pris…
ARNOLPHE
Euh !
AGNÈS
Le
ARNOLPHE
Plt-il ?
AGNÈS
Je n'ose, 6+6 a
Et vous vous fâcherezpeut-être contre moi. 6+6 a
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si fait.
ARNOLPHE
Mon Dieu, non !
AGNÈS
Jurez donc votre foi. 6+6 a
ARNOLPHE
Ma foi, soit.
AGNÈS
575 Il m'a pris…Vous serez en colère. 6+6 a
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Si.
ARNOLPHE
Non, non, non, non.Diantre, que de mystère ! 6+6 a
Qu'est-ce qu'il vous a pris ?
AGNÈS
Il…
ARNOLPHE, à part
Je souffre en damné. 6+6 a
AGNÈS
Il m'a pris le rubanque vous m'aviez donné. 6+6 a
À vous dire le vrai,je n'ai pu m'en défendre. 6+6 a
ARNOLPHE, reprenant haleine
580 Passe pour le ruban.Mais je voulais apprendre 6+6 a
S'il ne vous a rien faitque vous baiser les bras. 6+6 a
AGNÈS
Comment ? Est-ce qu'on faitd'autres choses ?
ARNOLPHE
Non pas. 6+6 a
Mais pour guérir du malqu'il dit qui le possède, 6+6 a
N'a-t-il point exigéde vous d'autre remède ? 6+6 a
AGNÈS
585 Non. Vous pouvez juger,s'il en t demandé, 6+6 a
Que pour le secourirj'aurais tout accordé. 6+6 a
ARNOLPHE, bas, à part
Grâce aux bontés du ciel,j'en suis quitte à bon compte : 6+6 a
Si j'y retombe plus,je veux bien qu'on m'affronte. 6+6 a
Haut.
Chut. De votre innocence,Agnès, c'est un effet. 6+6 a
590 Je ne vous en dis mot :ce qui s'est fait est fait. 6+6 a
Je sais qu'en vous flattantle galant ne désire 6+6 a
Que de vous abuser,et puis après s'en rire. 6+6 a
AGNÈS
Oh ! Point : il me l'a ditplus de vingt fois à moi. 6+6 a
ARNOLPHE
Ah ! Vous ne savez pasce que c'est que sa foi. 6+6 a
595 Mais enfin apprenezqu'accepter des cassettes, 6+6 a
Et de ces beaux blondinsécouter les sornettes, 6+6 a
Que se laisser par eux,à force de langueur, 6+6 a
Baiser ainsi les mainset chatouiller le cœur, 6+6 a
Est un péché morteldes plus gros qu'il se fasse. 6+6 a
AGNÈS
600 Un péché, dites-vous ?Et la raison, de grâce ? 6+6 a
ARNOLPHE
La raison ? La raisonest l'arrêt prononcé 6+6 a
Que par ces actionsle ciel est courroucé. 6+6 a
AGNÈS
Courroucé ! Mais pourquoifaut-il qu'il s'en courrouce ? 6+6 a
C'est une chose, hélas !Si plaisante et si douce ! 6+6 a
605 J'admire quelle joieon gte à tout cela, 6+6 a
Et je ne savais pointencor ces choses-là. 6+6 a
ARNOLPHE
Oui, c'est un grand plaisirque toutes ces tendresses, 6+6 a
Ces propos si gentilset ces douces caresses ; 6+6 a
Mais il faut le gteren toute honnêteté 6+6 a
610 Et qu'en se mariantle crime en soit ôté. 6+6 a
AGNÈS
N'est-ce plus un péchélorsque l'on se marie ? 6+6 a
ARNOLPHE
Non.
AGNÈS
Mariez-moi doncpromptement, je vous prie. 6+6 a
ARNOLPHE
Si vous le souhaitez,je le souhaite aussi, 6+6 a
Et pour vous marieron me revoit ici. 6+6 a
AGNÈS
Est-il possible ?
ARNOLPHE
Oui.
AGNÈS
615 Que vous me ferez aise ! 6+6 a
ARNOLPHE
Oui, je ne doute pointque l'hymen ne vous plaise. 6+6 a
AGNÈS
Vous nous voulez, nous deux…
ARNOLPHE
Rien de plus assuré. 6+6 a
AGNÈS
Que, si cela se fait,je vous caresserai ! 6+6 a
ARNOLPHE
Hé ! La chose serade ma part réciproque. 6+6 a
AGNÈS
620 Je ne reconnais point,pour moi, quand on se moque. 6+6 a
Parlez-vous tout de bon ?
ARNOLPHE
Oui, vous le pourrez voir. 6+6 a
AGNÈS
Nous serons mariés ?
ARNOLPHE
Oui.
AGNÈS
Mais quand ?
ARNOLPHE
Dès ce soir. 6+6 a
AGNÈS, riant
Dès ce soir ?
ARNOLPHE
Dès ce soir.Cela vous fait donc rire ? 6+6 a
AGNÈS
Oui.
ARNOLPHE
Vous voir bien contenteest ce que je désire. 6+6 a
AGNÈS
625 Hélas ! Que je vous aigrande obligation, 6+6 a
Et qu'avec lui j'auraide satisfaction ! 6+6 a
ARNOLPHE
Avec qui ?
AGNÈS
Avec…, là.
ARNOLPHE
Là… : là n'est pas mon compte. 6+6 a
À choisir un marivous êtes un peu prompte. 6+6 a
C'est un autre, en un mot,que je vous tiens tout prêt, 6+6 a
630 Et quant au monsieur, là.Je prétends, s'il vous plt, 6+6 a
Dût le mettre au tombeaule mal dont il vous berce, 6+6 a
Qu'avec lui désormaisvous rompiez tout commerce ; 6+6 a
Que, venant au logis,pour votre compliment 6+6 a
Vous lui fermiez au nezla porte honnêtement ; 6+6 a
635 Et lui jetant, s'il heurte,un grès par la fenêtre, 6+6 a
L'obligiez tout de bonà ne plus y partre. 6+6 a
M'entendez-vous, Agnès ?Moi, caché dans un coin, 6+6 a
De votre procédéje serai le témoin. 6+6 a
AGNÈS
Las ! Il est si bien fait !C'est…
ARNOLPHE
Ah ! Que de langage ! 6+6 a
AGNÈS
Je n'aurai pas le cœur…
ARNOLPHE
640 Point de bruit davantage. 6+6 a
Montez là-haut.
AGNÈS
Mais quoi ?Voulez-vous… ?
ARNOLPHE
C'est assez. 6+6 a
Je suis mtre, je parle :allez, obéissez. 6+6 a
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE
Oui, tout a bien été,ma joie est sans pareille : 6+6 a
Vous avez là suivimes ordres à merveille, 6+6 a
645 Confondu de tout pointle blondin séducteur, 6+6 a
Et voilà de quoi sertun sage directeur. 6+6 a
Votre innocence, Agnès,avait été surprise. 6+6 a
Voyez sans y penser vous vous étiez mise : 6+6 a
Vous enfiliez tout droit,sans mon instruction, 6+6 a
650 Le grand chemin d'enferet de perdition. 6+6 a
De tous ces damoiseauxon sait trop les coutumes : 6+6 a
Ils ont de beaux canons,force rubans et plumes, 6+6 a
Grands cheveux, belles dents,et des propos fort doux ; 6+6 a
Mais, comme je vous dis,la griffe est là-dessous ; 6+6 a
655 Et ce sont vrais Satans,dont la gueule altérée 6+6 a
De l'honneur féminincherche à faire curée. 6+6 a
Mais, encore une fois,grâce au soin apporté, 6+6 a
Vous en êtes sortieavec honnêteté. 6+6 b
L'air dont je vous ai vului jeter cette pierre, 6+6 c
660 Qui de tous ses desseinsa mis l'espoir par terre, 6+6 c
Me confirme encor mieuxà ne point différer 6+6 b
Les noces je disqu'il vous faut préparer. 6+6 a
Mais, avant toute chose,il est bon de vous faire 6+6 a
Quelque petit discoursqui vous soit salutaire. 6+6 a
À Georgette et à Alain.
665 Un siège au frais ici.Vous, si jamais en rien 6+6 a
GEORGETTE
De toutes vos leçonsnous nous souviendrons bien. 6+6 a
Cet autre monsieur lànous en faisait accroire ; 6+6 a
Mais…
ALAIN
S'il entre jamais,je veux jamais ne boire. 6+6 a
Aussi bien est-ce un sot :il nous a l'autre fois 6+6 a
670 Donné deux écus d'orqui n'étaient pas de poids. 6+6 a
ARNOLPHE
Ayez donc pour soupertout ce que je désire ; 6+6 a
Et pour notre contrat,comme je viens de dire, 6+6 a
Faites venir ici,l'un ou l'autre, au retour, 6+6 a
Le notaire qui logeau coin de ce carfour. 6+6 a
SCÈNE II
ARNOLPHE, assis
675 Agnès, pour m'écouter,laissez là votre ouvrage. 6+6 a
Levez un peu la têteet tournez le visage : 6+6 a
Mettant le doigt sur son front.
Là, regardez-moi làdurant cet entretien, 6+6 a
Et jusqu'au moindre motimprimez-le-vous bien. 6+6 a
Je vous épouse, Agnès ;et cent fois la journée 6+6 a
680 Vous devez bénir l'heurde votre destinée, 6+6 a
Contempler la bassesse vous avez été, 6+6 a
Et dans le même tempsadmirer ma bonté, 6+6 a
Qui de ce vil étatde pauvre villageoise 6+6 a
Vous fait monter au rangd'honorable bourgeoise 6+6 a
685 Et jouir de la coucheet des embrassements 6+6 a
D'un homme qui fuyaittous ces engagements, 6+6 a
Et dont à vingt partis,fort capables de plaire, 6+6 a
Le cœur a refusél'honneur qu'il vous veut faire. 6+6 a
Vous devez toujours, dis-je,avoir devant les yeux 6+6 a
690 Le peu que vous étiezsans ce nœud glorieux, 6+6 a
Afin que cet objetd'autant mieux vous instruise 6+6 a
À mériter l'état je vous aurai mise, 6+6 a
À toujours vous conntre,et faire qu'à jamais 6+6 a
Je puisse me louerde l'acte que je fais. 6+6 a
695 Le mariage, Agnès,n'est pas un badinage : 6+6 a
À d'austères devoirsle rang de femme engage, 6+6 a
Et vous n'y montez pas,à ce que je prétends, 6+6 a
Pour être libertineet prendre du bon temps. 6+6 a
Votre sexe n'est làque pour la dépendance : 6+6 a
700 Du côté de la barbeest la toute-puissance. 6+6 a
Bien qu'on soit deux moitiésde la société, 6+6 a
Ces deux moitiés pourtantn'ont point d'égalité : 6+6 a
L'une est moitié suprêmeet l'autre subalterne ; 6+6 a
L'une en tout est soumiseà l'autre qui gouverne ; 6+6 a
705 Et ce que le soldat,dans son devoir instruit, 6+6 a
Montre d'obéissanceau chef qui le conduit, 6+6 a
Le valet à son mtre,un enfant à son père, 6+6 a
À son supérieurle moindre petit frère, 6+6 a
N'approche point encorde la docilité, 6+6 a
710 Et de l'obéissance,et de l'humilité, 6+6 a
Et du profond respect la femme doit être 6+6 a
Pour son mari, son chef,son seigneur et son mtre. 6+6 a
Lorsqu'il jette sur elleun regard sérieux, 6+6 a
Son devoir aussitôtest de baisser les yeux, 6+6 a
715 Et de n'oser jamaisle regarder en face 6+6 a
Que quand d'un doux regardil lui veut faire grâce. 6+6 a
C'est ce qu'entendent malles femmes d'aujourd'hui ; 6+6 a
Mais ne vous gâtez passur l'exemple d'autrui. 6+6 a
Gardez-vous d'imiterces coquettes vilaines 6+6 a
720 Dont par toute la villeon chante les fredaines, 6+6 a
Et de vous laisser prendreaux assauts du malin, 6+6 a
C'est-à-dire d'ouïraucun jeune blondin. 6+6 a
Songez qu'en vous faisantmoitié de ma personne, 6+6 a
C'est mon honneur, Agnès,que je vous abandonne ; 6+6 a
725 Que cet honneur est tendreet se blesse de peu ; 6+6 a
Que sur un tel sujetil ne faut point de jeu ; 6+6 a
Et qu'il est aux enfersdes chaudières bouillantes 6+6 a
l'on plonge à jamaisles femmes mal vivantes. 6+6 a
Ce que je vous dis làne sont pas des chansons ; 6+6 a
730 Et vous devez du cœurdévorer ces leçons. 6+6 a
Si votre âme les suit,et fuit d'être coquette, 6+6 a
Elle sera toujours,comme un lis, blanche et nette ; 6+6 a
Mais s'il faut qu'à l'honneurelle fasse un faux bond, 6+6 a
Elle deviendra lorsnoire comme un charbon ; 6+6 a
735 Vous partrez à tousun objet effroyable, 6+6 a
Et vous irez un jour,vrai partage du diable, 6+6 a
Bouillir dans les enfersà toute éternité : 6+6 a
Dont vous veuille garderla céleste bonté ! 6+6 a
Faites la révérence.Ainsi qu'une novice 6+6 a
740 Par cœur dans le couventdoit savoir son office, 6+6 a
Entrant au mariageil en faut faire autant ; 6+6 a
Et voici dans ma pocheun écrit important 6+6 a
Il se lève.
Qui vous enseigneral'office de la femme. 6+6 a
J'en ignore l'auteur,mais c'est quelque bonne âme ; 6+6 a
745 Et je veux que ce soitvotre unique entretien. 6+6 a
Tenez. Voyons un peusi vous le lirez bien. 6+6 a
AGNÈS lit
 LES MAXIMES DU MARIAGE
 OU
 LES DEVOIRS DE LA FEMME MARIÉE,
 avec son exercice journalier.
Ire MAXIME
 Celle qu'un lien honnête 7 a
 Fait entrer au lit d'autrui, 7 b
 Doit se mettre dans la tête, 7 a
750  Malgré le train d'aujourd'hui, 7 b
 Que l'homme qui la prend,ne la prend que pour lui. 6+6 b
ARNOLPHE
Je vous expliqueraice que cela veut dire ; 6+6 a
Mais pour l'heure présenteil ne faut rien que lire. 6+6 a
AGNÈS poursuit
IIe MAXIME
 Elle ne se doit parer 7 a
755  Qu'autant que peut désirer 7 a
 Le mari qui la possède : 7 b
 C'est lui que touche seulle soin de sa beauté ; 6+6 a
 Et pour rien doit être compté 8 a
 Que les autres la trouvent laide. 8 b
IIIe MAXIME
760  Loin ces études d'œillades, 7 a
 Ces eaux, ces blancs, ces pommades, 7 a
 Et mille ingrédientsqui font des teints fleuris : 6+6 a
 À l'honneur tous les joursce sont drogues mortelles ; 6+6 b
 Et les soins de partre belles 8 b
765  Se prennent peu pour les maris. 8 a
IVe MAXIME
 Sous sa coiffe, en sortant,comme l'honneur l'ordonne, 6+6 a
 Il faut que de ses yeuxelle étouffe les coups ; 6+6 b
 Car pour bien plaire à son époux, 8 b
 Elle ne doit plaire à personne. 8 a
Ve MAXIME
770  Hors ceux dont au marila visite se rend, 6+6 a
 La bonne règle défend 7 a
 De recevoir aucune âme : 7 a
 Ceux qui, de galante humeur, 7 b
 N'ont affaire qu'à madame, 7 a
775  N'accommodent pas monsieur. 7 b
VIe MAXIME
 Il faut des présents des hommes 7 a
 Qu'elle se défende bien ; 7 b
 Car dans le siècle nous sommes, 7 a
 On ne donne rien pour rien. 7 b
VIIe MAXIME
780  Dans ses meubles, dût-elleen avoir de l'ennui, 6+6 a
 Il ne faut écritoire,encre, papier, ni plumes : 6+6 b
 Le mari doit,dans les bonnes coutumes, 4+6 b
 Écrire toutce qui s'écrit chez lui. 4+6 a
VIIIe MAXIME
 Ces sociétés déréglées 8 a
785  Qu'on nomme belles assemblées 8 a
 Des femmes tous les jourscorrompent les esprits : 6+6 a
 En bonne politiqueon les doit interdire ; 6+6 b
 Car c'est là que l'on conspire 7 b
 Contre les pauvres maris. 7 a
IXe MAXIME
790  Toute femme qui veutà l'honneur se vouer 6+6 a
 Doit se défendre de jouer, 8 a
 Comme d'une chose funeste : 8 a
 Car le jeu, fort décevant, 7 b
 Pousse une femme souvent 7 b
795  À jouer de tout son reste. 7 a
Xe MAXIME
 Des promenades du temps, 7 a
 Ou repas qu'on donne aux champs, 7 a
 Il ne faut point qu'elle essaye : 7 a
 Selon les prudents cerveaux, 7 b
800  Le mari, dans ces cadeaux, 7 b
 Est toujours celui qui paye. 7 a
XIe MAXIME
ARNOLPHE
Vous achèverez seule ;et, pas à pas, tantôt 6+6 a
Je vous expliqueraices choses comme il faut. 6+6 a
Je me suis souvenud'une petite affaire : 6+6 a
805 Je n'ai qu'un mot à dire,et ne tarderai guère. 6+6 a
Rentrez, et conservezce livre chèrement. 6+6 a
Si le notaire vient,qu'il m'attende un moment. 6+6 a
SCÈNE III
ARNOLPHE
Je ne puis faire mieuxque d'en faire ma femme. 6+6 a
Ainsi que je voudrai,je tournerai cette âme ; 6+6 a
810 Comme un morceau de cireentre mes mains elle est, 6+6 a
Et je lui puis donnerla forme qui me plt. 6+6 a
Il s'en est peu falluque, durant mon absence, 6+6 a
On ne m'ait attrapépar son trop d'innocence ; 6+6 a
Mais il vaut beaucoup mieux,à dire vérité, 6+6 a
815 Que la femme qu'on apèche de ce côté. 6+6 b
De ces sortes d'erreursle remède est facile : 6+6 c
Toute personne simpleaux leçons est docile ; 6+6 c
Et si du bon cheminon l'a fait écarter, 6+6 b
Deux mots incontinentl'y peuvent rejeter. 6+6 a
820 Mais une femme habileest bien une autre bête : 6+6 a
Notre sort ne dépendque de sa seule tête ; 6+6 a
De ce qu'elle s'y metrien ne la fait gauchir, 6+6 a
Et nos enseignementsne font là que blanchir : 6+6 a
Son bel esprit lui sertà railler nos maximes, 6+6 a
825 À se faire souventdes vertus de ses crimes, 6+6 a
Et trouver, pour venirà ses coupables fins, 6+6 a
Des détours à duperl'adresse des plus fins. 6+6 a
Pour se parer du coupen vain on se fatigue : 6+6 a
Une femme d'espritest un diable en intrigue ; 6+6 a
830 Et dès que son capricea prononcé tout bas 6+6 a
L'arrêt de notre honneur,il faut passer le pas : 6+6 a
Beaucoup d'honnêtes gensen pourraient bien que dire. 6+6 a
Enfin, mon étourdin'aura pas lieu d'en rire. 6+6 a
Par son trop de caquetil a ce qu'il lui faut. 6+6 a
835 Voilà de nos Françaisl'ordinaire défaut : 6+6 a
Dans la possessiond'une bonne fortune, 6+6 a
Le secret est toujoursce qui les importune ; 6+6 a
Et la vanité sottea pour eux tant d'appas, 6+6 a
Qu'ils se pendraient plutôtque de ne causer pas. 6+6 a
840 Oh ! Que les femmes sontdu diable bien tentées, 6+6 a
Lorsqu'elles vont choisirces têtes éventées, 6+6 a
Et que… ! Mais le voiciCachons-nous toujours bien 6+6 a
Et découvrons un peuquel chagrin est le sien. 6+6 a
SCÈNE IV
HORACE
Je reviens de chez vous,et le destin me montre 6+6 a
845 Qu'il n'a pas résoluque je vous y rencontre. 6+6 a
Mais j'irai tant de fois,qu'enfin quelque moment… 6+6 a
ARNOLPHE
Hé ! Mon Dieu, n'entrons pointdans ce vain compliment : 6+6 a
Rien ne me fâche tantque ces cérémonies ; 6+6 a
Et si l'on m'en croyait,elles seraient bannies. 6+6 a
850 C'est un maudit usage ;et la plupart des gens 6+6 a
Y perdent sottementles deux tiers de leur temps. 6+6 a
Il se couvre.
Mettons donc sans façons.Hé bien ! Vos amourettes ? 6+6 a
Puis-je, seigneur Horace,apprendre vous en êtes ? 6+6 a
J'étais tantôt distraitpar quelque vision ; 6+6 a
855 Mais depuis là-dessusj'ai fait réflexion : 6+6 a
De vos premiers progrèsj'admire la vitesse, 6+6 a
Et dans l'évènementmon âme s'intéresse. 6+6 a
HORACE
Ma foi, depuis qu'à vouss'est découvert mon cœur, 6+6 a
Il est à mon amourarrivé du malheur. 6+6 a
ARNOLPHE
Oh ! Oh ! Comment cela ?
HORACE
860 La fortune cruelle 6+6 a
A ramené des champsle patron de la belle. 6+6 a
ARNOLPHE
Quel malheur !
HORACE
Et de plus,à mon très grand regret, 6+6 a
Il a su de nous deuxle commerce secret. 6+6 a
ARNOLPHE
D', diantre, a-t-il sitôtappris cette aventure ? 6+6 a
HORACE
865 Je ne sais ; mais enfinc'est une chose sûre. 6+6 a
Je pensais aller rendre,à mon heure à peu près, 6+6 a
Ma petite visiteà ses jeunes attraits, 6+6 a
Lorsque, changeant pour moide ton et de visage, 6+6 a
Et servante et valetm'ont bouché le passage, 6+6 a
870 Et d'un « retirez-vous,vous nous importunez », 6+6 a
M'ont assez rudementfermé la porte au nez. 6+6 a
ARNOLPHE
La porte au nez !
HORACE
Au nez.
ARNOLPHE
La chose est un peu forte. 6+6 a
HORACE
J'ai voulu leur parlerau travers de la porte ; 6+6 a
Mais à Tous mes proposce qu'ils ont répondu, 6+6 a
875 C'est : « Vous n'entrerez point,Monsieur l'a défendu. » 6+6 a
ARNOLPHE
Ils n'ont donc point ouvert ?
HORACE
Non. Et de la fenêtre 6+6 a
Agnès m'a confirméle retour de ce mtre, 6+6 a
En me chassant de làd'un ton plein de fierté, 6+6 a
Accompagné d'un grèsque sa main a jeté. 6+6 a
ARNOLPHE
Comment d'un grès ?
HORACE
880 D'un grèsde taille non petite, 6+6 a
Dont on a par ses mainsrégalé ma visite. 6+6 a
ARNOLPHE
Diantre ! Ce ne sont pasdes prunes que cela ! 6+6 a
Et je trouve fâcheuxl'état vous voilà. 6+6 a
HORACE
Il est vrai, je suis malpar ce retour funeste. 6+6 a
ARNOLPHE
885 Certes, j'en suis fâchépour vous, je vous proteste. 6+6 a
HORACE
Cet homme me rompt tout.
ARNOLPHE
Oui. Mais cela n'est rien ; 6+6 a
Et de vous raccrochervous trouverez moyen. 6+6 a
HORACE
Il faut bien essayer,par quelque intelligence, 6+6 a
De vaincre du jalouxl'exacte vigilance. 6+6 a
ARNOLPHE
890 Cela vous est facile.Et la fille, après tout, 6+6 a
Vous aime.
HORACE
Assurément.
ARNOLPHE
Vous en viendrez à bout. 6+6 a
HORACE
Je l'espère.
ARNOLPHE
Le grèsvous a mis en déroute ; 6+6 a
Mais cela ne doit pasvous étonner.
HORACE
Sans doute, 6+6 a
Et j'ai compris d'abordque mon homme était là, 6+6 a
895 Qui, sans se faire voir,conduisait tout cela. 6+6 a
Mais ce qui m'a surpris,et qui va vous surprendre, 6+6 a
C'est un autre incidentque vous allez entendre ; 6+6 a
Un trait hardi qu'a faitcette jeune beauté, 6+6 a
Et qu'on n'attendrait pointde sa simplicité. 6+6 a
900 Il le faut avouer,l'amour est un grand mtre : 6+6 a
Ce qu'on ne fut jamaisil nous enseigne à l'être ; 6+6 a
Et souvent de nos mœursl'absolu changement 6+6 a
Devient, par ses leçons,l'ouvrage d'un moment ; 6+6 a
De la nature, en nous,il force les obstacles, 6+6 a
905 Et ses effets soudainsont de l'air des miracles ; 6+6 a
D'un avare à l'instantil fait un libéral, 6+6 a
Un vaillant d'un poltron,un civil d'un brutal ; 6+6 a
Il rend agile à toutl'âme la plus pesante, 6+6 a
Et donne de l'esprità la plus innocente. 6+6 a
910 Oui, ce dernier miracleéclate dans Agnès ; 6+6 a
Car, tranchant avec moipar ces termes exprès : 6+6 a
« Retirez-vous : mon âmeaux visites renonce ; 6+6 a
Je sais tous vos discours,et voilà ma réponse, » 6+6 a
Cette pierre ou ce grèsdont vous vous étonniez 6+6 a
915 Avec un mot de lettreest tombée à mes pieds ; 6+6 a
Et j'admire de voircette lettre ajustée 6+6 a
Avec le sens des motset la pierre jetée. 6+6 a
D'une telle actionn'êtes-vous pas surpris ? 6+6 a
L'amour sait-il pas l'artd'aiguiser les esprits ? 6+6 a
920 Et peut-on me nierque ses flammes puissantes 6+6 a
Ne fassent dans un cœurdes choses étonnantes ? 6+6 a
Que dites-vous du touret de ce mot d'écrit ? 6+6 a
Euh ! N'admirez-vous pointcette adresse d'esprit ? 6+6 a
Trouvez-vous pas plaisantde voir quel personnage 6+6 a
925 A joué mon jalouxdans tout ce badinage ? 6+6 a
Dites.
ARNOLPHE
Oui, fort plaisant.
HORACE
Riez-en donc un peu. 6+6 a
Arnolphe rit d'un air forcé.
Cet homme, gendarméd'abord contre mon feu, 6+6 a
Qui chez lui se retranche,et de grès fait parade, 6+6 a
Comme si j'y voulaisentrer par escalade ; 6+6 a
930 Qui, pour me repousser,dans son bizarre effroi, 6+6 a
Anime du dedanstous ses gens contre moi, 6+6 a
Et qu'abuse à ses yeux,par sa machine même, 6+6 a
Celle qu'il veut tenirdans l'ignorance extrême ! 6+6 a
Pour moi, je vous l'avoue,encor que son retour 6+6 a
935 En un grand embarrasjette ici mon amour, 6+6 a
Je tiens cela plaisantautant qu'on saurait dire, 6+6 a
Je ne puis y songersans de bon cœur en rire : 6+6 a
Et vous n'en riez pasassez, à mon avis. 6+6 a
ARNOLPHE, avec un ris forcé
Pardonnez-moi, j'en ristout autant que je puis. 6+6 a
HORACE
940 Mais il faut qu'en amije vous montre la lettre. 6+6 a
Tout ce que son cœur sent,sa main a su l'y mettre, 6+6 a
Mais en termes touchantset tous pleins de bonté, 6+6 a
De tendresse innocenteet d'ingénuité, 6+6 a
De la manière enfinque la pure nature 6+6 a
945 Exprime de l'amourla première blessure. 6+6 a
ARNOLPHE, bas, à part
Voilà, friponne, à quoil'écriture te sert ; 6+6 a
Et contre mon desseinl'art t'en fut découvert. 6+6 a
HORACE lit
Je veux vous écrire, et je suis bien en peine par où je m'y prendrai. J'ai des pensées que je désirerais que vous sussiez ; mais je ne sais comment faire pour vous les dire, et je me défie de mes paroles. Comme je commence à connaître qu'on m'a toujours tenue dans l'ignorance, j'ai peur de mettre quelque chose qui ne soit pas bien, et d'en dire plus que je ne devrais. En vérité, je ne sais ce que vous m'avez fait ; mais je sens que je suis fâchée à mourir de ce qu'on me fait faire contre vous, que j'aurai toutes les peines du monde à me passer de vous, et que je serais bien aise d'être à vous. Peut-être qu'il y a du mal à dire cela ; mais enfin je ne puis m'empêcher de le dire, et je voudrais que cela se pût faire sans qu'il y en eût. On me dit fort que tous les jeunes hommes sont des trompeurs, qu'il ne les faut point écouter, et que tout ce que vous me dites n'est que pour m'abuser ; mais je vous assure que je n'ai pu encore me figurer cela de vous, et je suis si touchée de vos paroles, que je ne saurais croire qu'elles soient menteuses. Dites-moi franchement ce qui en est ; car enfin, comme je suis sans malice, vous auriez le plus grand tort du monde, si vous me trompiez ; et je pense que j'en mourrais de déplaisir. »
ARNOLPHE
Hom ! Chienne !
HORACE
Qu'avez-vous ?
ARNOLPHE
Moi ? Rien. C'est que je tousse. 6+6 a
HORACE
Avez-vous jamais vud'expression plus douce ? 6+6 a
950 Malgré les soins mauditsd'un injuste pouvoir, 6+6 a
Un plus beau naturelpeut-il se faire voir ? 6+6 a
Et n'est-ce pas sans douteun crime punissable 6+6 a
De gâter méchammentce fonds d'âme admirable, 6+6 a
D'avoir dans l'ignoranceet la stupidité 6+6 a
955 Voulu de cet espritétouffer la clarté ? 6+6 a
L'amour a commencéd'en déchirer le voile ; 6+6 a
Et si par la faveurde quelque bonne étoile, 6+6 a
Je puis, comme j'espère,à ce franc animal, 6+6 a
Ce trtre, ce bourreau,ce faquin, ce brutal,… 6+6 a
ARNOLPHE
Adieu.
HORACE
Comment, si vite ?
ARNOLPHE
960 Il m'est dans la pensée 6+6 a
Venu tout maintenantune affaire pressée. 6+6 a
HORACE
Mais ne sauriez-vous point,comme on la tient de près, 6+6 a
Qui dans cette maisonpourrait avoir accès ? 6+6 a
J'en use sans scrupule ;et ce n'est pas merveille 6+6 a
965 Qu'on se puisse, entre amis,servir à la pareille. 6+6 a
Je n'ai plus là dedansque gens pour m'observer ; 6+6 a
Et servante et valet,que je viens de trouver, 6+6 a
N'ont jamais, de quelque airque je m'y sois pu prendre, 6+6 a
Adouci leur rudesseà me vouloir entendre. 6+6 a
970 J'avais pour de tels coupscertaine vieille en main, 6+6 a
D'un génie, à vrai dire,au-dessus de l'humain : 6+6 b
Elle m'a dans l'abordservi de bonne sorte ; 6+6 c
Mais depuis quatre joursla pauvre femme est morte. 6+6 c
Ne me pourriez-vous pointouvrir quelque moyen ? 6+6 b
ARNOLPHE
975 Non, vraiment ; et sans moivous en trouverez bien. 6+6 a
HORACE
Adieu donc. Vous voyezce que je vous confie. 6+6 a
SCÈNE V
ARNOLPHE
Comme il faut devant luique je me mortifie ! 6+6 a
Quelle peine à cachermon déplaisir cuisant ! 6+6 a
Quoi ? Pour une innocenteun esprit si présent ! 6+6 a
980 Elle a feint d'être telleà mes yeux, la trtresse, 6+6 a
Ou le diable à son âmea soufflé cette adresse. 6+6 a
Enfin me voilà mortpar ce funeste écrit. 6+6 a
Je vois qu'il a, le trtre,empaumé son esprit, 6+6 a
Qu'à ma suppressionil s'est ancré chez elle ; 6+6 a
985 Et c'est mon désespoiret ma peine mortelle. 6+6 a
Je souffre doublementdans le vol de son cœur, 6+6 a
Et l'amour y pâtitaussi bien que l'honneur. 6+6 a
J'enrage de trouvercette place usurpée, 6+6 a
Et j'enrage de voirma prudence trompée. 6+6 a
990 Je sais que, pour punirson amour libertin, 6+6 a
Je n'ai qu'à laisser faireà son mauvais destin, 6+6 a
Que je serai vengéd'elle par elle-même ; 6+6 a
Mais il est bien fâcheuxde perdre ce qu'on aime. 6+6 a
Ciel ! Puisque pour un choixj'ai tant philosophé, 6+6 a
995 Faut-il de ses appasm'être si fort coiffé ! 6+6 a
Elle n'a ni parents,ni support, ni richesse ; 6+6 a
Elle trahit mes soins,mes bontés, ma tendresse : 6+6 a
Et cependant je l'aime,après ce lâche tour, 6+6 a
Jusqu'à ne me pouvoirpasser de cet amour. 6+6 a
1000 Sot, n'as-tu point de honte ?Ah ! Je crève, j'enrage, 6+6 a
Et je souffletteraismille fois mon visage. 6+6 a
Je veux entrer un peu,mais seulement pour voir 6+6 a
Quelle est sa contenanceaprès un trait si noir. 6+6 a
Ciel, faites que mon frontsoit exempt de disgrâce ; 6+6 a
1005 Ou bien, s'il est écritqu'il faille que j'y passe, 6+6 b
Donnez-moi tout au moins,pour de tels accidents, 6+6 c
La constance qu'on voità de certaines gens ! 6+6 c
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE
J'ai peine, je l'avoue,à demeurer en place, 6+6 b
Et de mille soucismon esprit s'embarrasse, 6+6 a
1010 Pour pouvoir mettre un ordreet dedans et dehors 6+6 a
Qui du godelureaurompe tous les efforts. 6+6 a
De quel œil la trtressea soutenu ma vue ! 6+6 a
De tout ce qu'elle a faitelle n'est point émue ; 6+6 a
Et bien qu'elle me metteà deux doigts du trépas, 6+6 a
1015 On dirait, à la voir,qu'elle n'y touche pas. 6+6 a
Plus en la regardantje la voyais tranquille, 6+6 a
Plus je sentais en mois'échauffer une bile ; 6+6 a
Et ces bouillants transportsdont s'enflammait mon cœur 6+6 a
Y semblaient redoublermon amoureuse ardeur ; 6+6 a
1020 J'étais aigri, fâché,désespéré contre elle : 6+6 a
Et cependant jamaisje ne la vis si belle, 6+6 a
Jamais ses yeux aux miensn'ont paru si peants, 6+6 a
Jamais je n'eus pour euxdes désirs si pressants ; 6+6 a
Et je sens là dedansqu'il faudra que je crève 6+6 a
1025 Si de mon triste sortla disgrâce s'achève. 6+6 a
Quoi ? J'aurai dirigéson éducation 6+6 a
Avec tant de tendresseet de précaution, 6+6 a
Je l'aurai fait passerchez moi dès son enfance, 6+6 a
Et j'en aurai chérila plus tendre espérance, 6+6 a
1030 Mon cœur aura bâtisur ses attraits naissants 6+6 a
Et cru la mitonnerpour moi durant treize ans, 6+6 a
Afin qu'un jeune foudont elle s'amourache 6+6 a
Me la vienne enleverjusque sur la moustache, 6+6 a
Lorsqu'elle est avec moimariée à demi ! 6+6 a
1035 Non, parbleu ! Non, parbleu !Petit sot, mon ami, 6+6 a
Vous aurez beau tourner :ou j'y perdrai mes peines, 6+6 a
Ou je rendrai, ma foi,vos espérances vaines, 6+6 a
Et de moi tout à faitvous ne vous rirez point. 6+6 a
SCÈNE II
LE NOTAIRE
Ah ! Le voilà ! Bonjour.Me voici tout à point 6+6 a
1040 Pour dresser le contratque vous souhaitez faire. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul, et sans voir ni entendre le notaire
Comment faire ?
LE NOTAIRE
Il le fautdans la forme ordinaire. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
À mes précautionsje veux songer de près. 6+6 a
LE NOTAIRE
Je ne passerai riencontre vos intérêts. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
Il se faut garantirde toutes les surprises. 6+6 a
LE NOTAIRE
1045 Suffit qu'entre mes mainsvos affaires soient mises. 6+6 a
Il ne vous faudra point,de peur d'être déçu, 6+6 a
Quittancer le contratque vous n'ayez reçu. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
J'ai peur, si je vais faireéclater quelque chose, 6+6 a
Que de cet incidentpar la ville on ne cause. 6+6 a
LE NOTAIRE
1050 Hé bien, il est aiséd'empêcher cet éclat, 6+6 a
Et l'on peut en secretfaire votre contrat. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
Mais comment faudra-t-ilqu'avec elle j'en sorte ? 6+6 a
LE NOTAIRE
Le douaire se règleau bien qu'on vous apporte. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
Je l'aime, et cet amourest mon grand embarras. 6+6 a
LE NOTAIRE
1055 On peut avantagerune femme en ce cas. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
Quel traitement lui faireen pareille aventure ? 6+6 a
LE NOTAIRE
L'ordre est que le futurdoit douer la future 6+6 a
Du tiers du dot qu'elle a ;mais cet ordre n'est rien, 6+6 a
Et l'on va plus avantlorsque l'on le veut bien. 6+6 a
ARNOLPHE, se croyant seul
Si
Il aperçoit le notaire.
LE NOTAIRE
1060 Pour le préciput,il les regarde ensemble. 6+6 a
Je dis que le futurpeut comme bon lui semble 6+6 a
Douer la future.
ARNOLPHE
Euh ?
LE NOTAIRE
Il peut l'avantager 6+6 a
Lorsqu'il l'aime beaucoupet qu'il veut l'obliger, 6+6 a
Et cela pour douaire,ou préfix qu'on appelle, 6+6 a
1065 Qui demeure perdupar le trépas d'icelle, 6+6 b
Ou sans retour, qui vade ladite à ses hoirs, 6+6 c
Ou coutumier, selonles différents vouloirs, 6+6 c
Ou par donationdans le contrat formelle, 6+6 b
Qu'on fait ou pure et simple,ou qu'on fait mutuelle. 6+6 a
1070 Pourquoi hausser le dos ?Est-ce qu'on parle en fat, 6+6 a
Et que l'on ne sait pasles formes d'un contrat ? 6+6 a
Qui me les apprendra ?Personne, je présume. 6+6 a
Sais-je pas qu'étant joints,on est par la coutume 6+6 a
Communs en meubles, biensimmeubles et conquêts, 6+6 a
1075 À moins que par un acteon y renonce exprès ? 6+6 a
Sais-je pas que le tiersdu bien de la future 6+6 a
Entre en communautépour…
ARNOLPHE
Oui, c'est chose sûre, 6+6 a
Vous savez tout cela ;mais qui vous en dit mot ? 6+6 a
LE NOTAIRE
Vous, qui me prétendezfaire passer pour sot, 6+6 a
1080 En me haussant l'épauleet faisant la grimace. 6+6 a
ARNOLPHE
La peste soit fait l'homme,et sa chienne de face ! 6+6 a
Adieu : c'est le moyende vous faire finir. 6+6 a
LE NOTAIRE
Pour dresser un contratm'a-t-on pas fait venir ? 6+6 a
ARNOLPHE
Oui, je vous ai mandé ;mais la chose est remise, 6+6 a
1085 Et l'on vous manderaquand l'heure sera prise. 6+6 a
Voyez quel diable d'hommeavec son entretien ! 6+6 a
LE NOTAIRE, seul
Je pense qu'il en tient,et je crois penser bien. 6+6 a
SCÈNE III
LE NOTAIRE, allant au-devant d'Alain et de Georgette
M'êtes-vous pas venuquérir pour votre mtre ? 6+6 a
ALAIN
Oui.
LE NOTAIRE
J'ignore pour quivous le pouvez conntre, 6+6 a
1090 Mais allez de ma partlui dire de ce pas 6+6 a
Que c'est un fou fieffé.
GEORGETTE
Nous n'y manquerons pas. 6+6 a
SCÈNE IV
ALAIN
Monsieur…
ARNOLPHE
Approchez-vous :vous êtes mes fidèles, 6+6 a
Mes bons, mes vrais amis,et j'en sais des nouvelles. 6+6 a
ALAIN
Le notaire
ARNOLPHE
Laissons,c'est pour quelque autre jour. 6+6 a
1095 On veut à mon honneurjouer d'un mauvais tour ; 6+6 a
Et quel affront pour vous,mes enfants, pourrait-ce être, 6+6 a
Si l'on avait étél'honneur à votre mtre ! 6+6 a
Vous n'oseriez aprèspartre en nul endroit, 6+6 a
Et chacun, vous voyant,vous montrerait au doigt. 6+6 a
1100 Donc, puisque autant que moil'affaire vous regarde, 6+6 a
Il faut de votre partfaire une telle garde, 6+6 a
Que ce galant ne puisseen aucune façon 6+6 a
GEORGETTE
Vous nous avez tantôtmontré notre leçon. 6+6 a
ARNOLPHE
Mais à ses beaux discoursgardez bien de vous rendre. 6+6 a
ALAIN
Oh ! Vraiment.
GEORGETTE
1105 Nous savonscomme il faut s'en défendre. 6+6 a
ARNOLPHE
S'il venait doucement :« Alain, mon pauvre cœur, 6+6 a
Par un peu de secourssoulage ma langueur. » 6+6 a
ALAIN
Vous êtes un sot.
ARNOLPHE, à Georgette
Bon.« Georgette, ma mignonne, 6+6 a
Tu me parais si douceet si bonne personne. » 6+6 a
GEORGETTE
Vous êtes un nigaud.
ARNOLPHE, à Alain
1110 Bon. « Quel mal trouves-tu 6+6 a
Dans un dessein honnêteet tout plein de vertu ? » 6+6 a
ALAIN
Vous êtes un fripon.
ARNOLPHE, à Georgette
Fort bien. « Ma mort est sûre, 6+6 a
Si tu ne prends pitiédes peines que j'endure. » 6+6 a
GEORGETTE
Vous êtes un benêt,un impudent.
ARNOLPHE
Fort bien. 6+6 a
À Alain.
1115 « Je ne suis pas un hommeà vouloir rien pour rien ; 6+6 a
Je sais, quand on me sert,en garder la mémoire ; 6+6 a
Cependant, par avance,Alain, voilà pour boire ; 6+6 a
Et voilà pour t'avoir,Georgette, un cotillon : 6+6 a
Ils tendent tous deux la main, et prennent l'argent.
Ce n'est de mes bienfaitsqu'un simple échantillon. 6+6 a
1120 Toute la courtoisieenfin dont je vous presse, 6+6 a
C'est que je puisse voirvotre belle mtresse. » 6+6 a
GEORGETTE, le poussant
À d'autres.
ARNOLPHE
Bon cela.
ALAIN, le poussant
Hors d'ici.
ARNOLPHE
Bon.
GEORGETTE, le poussant
Mais tôt. 6+6 a
ARNOLPHE
Bon. Holà ! C'est assez.
GEORGETTE
Fais-je pas comme il faut ? 6+6 a
ALAIN
Est-ce de la façonque vous voulez l'entendre ? 6+6 a
ARNOLPHE
1125 Oui, fort bien, hors l'argent,qu'il ne fallait pas prendre. 6+6 a
GEORGETTE
Nous ne nous sommes passouvenus de ce point. 6+6 a
ALAIN
Voulez-vous qu'à l'instantnous recommencions ?
ARNOLPHE
Point : 6+6 a
Suffit. Rentrez tous deux.
ALAIN
Vous n'avez rien qu'à dire. 6+6 a
ARNOLPHE
Non, vous dis-je ; rentrez,puisque je le désire. 6+6 a
1130 Je vous laisse l'argent.Allez : je vous rejoins. 6+6 a
Ayez bien l'œil à tout,et secondez mes soins. 6+6 a
SCÈNE V
ARNOLPHE
Je veux, pour espionqui soit d'exacte vue, 6+6 a
Prendre le savetierdu coin de notre rue. 6+6 a
Dans la maison toujoursje prétends la tenir, 6+6 a
1135 Y faire bonne garde,et surtout en bannir 6+6 a
Vendeuses de ruban,perruquières, coiffeuses, 6+6 a
Faiseuses de mouchoirs,gantières ; revendeuses, 6+6 a
Tous ces gens qui sous maintravaillent chaque jour 6+6 a
À faire réussirles mystères d'amour. 6+6 a
1140 Enfin j'ai vu le mondeet j'en sais les finesses. 6+6 a
Il faudra que mon hommeait de grandes adresses 6+6 a
Si message ou pouletde sa part peut entrer. 6+6 a
SCÈNE VI
HORACE
La place m'est heureuseà vous y rencontrer. 6+6 a
Je viens de l'échapperbien belle, je vous jure. 6+6 a
1145 Au sortir d'avec vous,sans prévoir l'aventure, 6+6 a
Seule dans son balconj'ai vu partre Agnès, 6+6 a
Qui des arbres prochainsprenait un peu le frais. 6+6 a
Après m'avoir fait signe,elle a su faire en sorte, 6+6 a
Descendant au jardin,de m'en ouvrir la porte ; 6+6 a
1150 Mais à peine tous deuxdans sa chambre étions-nous, 6+6 a
Qu'elle a sur les degrésentendu son jaloux ; 6+6 a
Et tout ce qu'elle a pudans un tel accessoire, 6+6 a
C'est de me renfermerdans une grande armoire. 6+6 a
Il est entré d'abord :je ne le voyais pas, 6+6 a
1155 Mais je l'oyais marcher,sans rien dire, à grands pas, 6+6 a
Poussant de temps en tempsdes soupirs pitoyables, 6+6 a
Et donnant quelquefoisde grands coups sur les tables, 6+6 a
Frappant un petit chienqui pour lui s'émouvait, 6+6 a
Et jetant brusquementles hardes qu'il trouvait ; 6+6 a
1160 Il a même cassé,d'une main mutinée, 6+6 a
Des vases dont la belleornait sa cheminée ; 6+6 a
Et sans doute il faut bienqu'à ce becque cornu 6+6 a
Du trait qu'elle a jouéquelque jour soit venu. 6+6 a
Enfin, après cent tours,ayant de la manière 6+6 a
1165 Sur ce qui n'en peut maisdéchargé sa colère, 6+6 a
Mon jaloux inquiet,sans dire son ennui, 6+6 a
Est sorti de la chambre,et moi de mon étui. 6+6 a
Nous n'avons point voulu,de peur du personnage, 6+6 a
Risquer à nous tenirensemble davantage : 6+6 a
1170 C'était trop hasarder ;mais je dois, cette nuit, 6+6 a
Dans sa chambre un peu tardm'introduire sans bruit. 6+6 a
En toussant par trois foisje me ferai conntre ; 6+6 a
Et je dois au signalvoir ouvrir la fenêtre, 6+6 a
Dont, avec une échelle,et secondé d'Agnès, 6+6 a
1175 Mon amour tâcherade me gagner l'accès. 6+6 a
Comme à mon seul ami,je veux bien vous l'apprendre : 6+6 a
L'allégresse du cœurs'augmente à la répandre ; 6+6 a
Et, gtât-on cent foisun bonheur trop parfait, 6+6 a
On n'en est pas content,si quelqu'un ne le sait. 6+6 a
1180 Vous prendrez part, je pense,à l'heur de mes affaires. 6+6 a
Adieu. Je vais songeraux choses nécessaires. 6+6 a
SCÈNE VII
ARNOLPHE
Quoi ? L'astre qui s'obstineà me désespérer 6+6 a
Ne me donnera pasle temps de respirer ? 6+6 b
Coup sur coup je verrai,par leur intelligence, 6+6 c
1185 De mes soins vigilantsconfondre la prudence ? 6+6 c
Et je serai la dupe,en ma maturité, 6+6 b
D'une jeune innocenteet d'un jeune éventé ? 6+6 a
En sage philosopheon m'a vu, vingt années, 6+6 a
Contempler des marisles tristes destinées, 6+6 a
1190 Et m'instruire avec soinde tous les accidents 6+6 a
Qui font dans le malheurtomber les plus prudents ; 6+6 a
Des disgrâces d'autruiprofitant dans mon âme, 6+6 a
J'ai cherché les moyens,voulant prendre une femme, 6+6 a
De pouvoir garantirmon front de tous affronts, 6+6 a
1195 Et le tirer de paird'avec les autres fronts. 6+6 a
Pour ce noble dessein,j'ai cru mettre en pratique 6+6 a
Tout ce que peut trouverl'humaine politique ; 6+6 a
Et comme si du sortil était arrêté 6+6 a
Que nul homme ici-basn'en serait exempté, 6+6 a
1200 Après l'expérienceet toutes les lumières 6+6 a
Que j'ai pu m'acquérirsur de telles matières, 6+6 a
Après vingt ans et plusde méditation 6+6 a
Pour me conduire en toutavec précaution, 6+6 a
De tant d'autres marisj'aurais quitté la trace 6+6 a
1205 Pour me trouver aprèsdans la même disgrâce ? 6+6 a
Ah ! Bourreau de destin,vous en aurez menti. 6+6 a
De l'objet qu'on poursuitje suis encor nanti ; 6+6 a
Si son cœur m'est volépar ce blondin funeste, 6+6 a
J'empêcherai du moinsqu'on s'empare du reste, 6+6 a
1210 Et cette nuit, qu'on prendpour le galant exploit, 6+6 a
Ne se passera passi doucement qu'on croit. 6+6 a
Ce m'est quelque plaisir,parmi tant de tristesse, 6+6 a
Que l'on me donne avisdu piège qu'on me dresse, 6+6 a
Et que cet étourdi,qui veut m'être fatal, 6+6 a
1215 Fasse son confidentde son propre rival. 6+6 a
SCÈNE VIII
CHRYSALDE
Hé bien, souperons-nousavant la promenade ? 6+6 a
ARNOLPHE
Non, je jne ce soir.
CHRYSALDE
D' vient cette boutade ? 6+6 a
ARNOLPHE
De grâce, excusez-moi :j'ai quelque autre embarras. 6+6 a
CHRYSALDE
Votre hymen résolune se fera-t-il pas ? 6+6 a
ARNOLPHE
1220 C'est trop s'inquiéterdes affaires des autres. 6+6 a
CHRYSALDE
Oh ! Oh ! Si brusquement !Quels chagrins sont les vôtres ? 6+6 a
Serait-il point, compère,à votre passion 6+6 a
Arrivé quelque peude tribulation ? 6+6 a
Je le jurerais presqueà voir votre visage. 6+6 a
ARNOLPHE
1225 Quoi qu'il m'arrive, au moinsaurai-je l'avantage 6+6 a
De ne pas ressemblerà de certaines gens 6+6 a
Qui souffrent doucementl'approche des galants. 6+6 a
CHRYSALDE
C'est un étrange fait,qu'avec tant de lumières, 6+6 a
Vous vous effarouchieztoujours sur ces matières, 6+6 a
1230 Qu'en cela vous mettiezle souverain bonheur, 6+6 a
Et ne conceviez pointau monde d'autre honneur. 6+6 a
Être avare, brutal,fourbe, méchant et lâche, 6+6 a
N'est rien, à votre avis,auprès de cette tache ; 6+6 a
Et, de quelque façonqu'on puisse avoir vécu, 6+6 a
1235 On est homme d'honneurquand on n'est point cocu. 6+6 a
À le bien prendre au fond,pourquoi voulez-vous croire 6+6 a
Que de ce cas fortuitdépende notre gloire, 6+6 a
Et qu'une âme bien néeait à se reprocher 6+6 a
L'injustice d'un malqu'on ne peut empêcher ? 6+6 a
1240 Pourquoi voulez-vous, dis-je,en prenant une femme, 6+6 a
Qu'on soit digne, à son choix,de louange ou de blâme, 6+6 a
Et qu'on s'aille formerun monstre plein d'effroi 6+6 a
De l'affront que nous faitson manquement de foi ? 6+6 a
Mettez-vous dans l'espritqu'on peut du cocuage 6+6 a
1245 Se faire en galant hommeune plus douce image, 6+6 a
Que des coups du hasardaucun n'étant garant, 6+6 a
Cet accident de soidoit être indifférent, 6+6 a
Et qu'enfin tout le mal,quoi que le monde glose, 6+6 a
N'est que dans la façonde recevoir la chose ; 6+6 a
1250 Car, pour se bien conduireen ces difficultés, 6+6 a
Il y faut, comme en tout,fuir les extrémités, 6+6 a
N'imiter pas ces gensun peu trop débonnaires 6+6 a
Qui tirent vanitéde ces sortes d'affaires, 6+6 a
De leurs femmes toujoursvont citant les galants, 6+6 a
1255 En font partout l'éloge,et prônent leurs talents, 6+6 a
Témoignent avec euxd'étroites sympathies, 6+6 a
Sont de tous leurs cadeaux,de toutes leurs parties, 6+6 a
Et font qu'avec raisonles gens sont étonnés 6+6 a
De voir leur hardiesseà montrer là leur nez. 6+6 a
1260 Ce procédé, sans doute,est tout à fait blâmable ; 6+6 a
Mais l'autre extrémitén'est pas moins condamnable. 6+6 a
Si je n'approuve pasces amis des galants, 6+6 a
Je ne suis pas aussipour ces gens turbulents 6+6 a
Dont l'imprudent chagrin,qui tempête et qui gronde, 6+6 a
1265 Attire au bruit qu'il faitles yeux de tout le monde, 6+6 a
Et qui, par cet éclat,semblent ne pas vouloir 6+6 a
Qu'aucun puisse ignorerce qu'ils peuvent avoir. 6+6 a
Entre ces deux partisil en est un honnête, 6+6 a
dans l'occasionl'homme prudent s'arrête ; 6+6 a
1270 Et quand on le sait prendre,on n'a point à rougir 6+6 a
Du pis dont une femmeavec nous puisse agir. 6+6 a
Quoi qu'on en puisse direenfin, le cocuage 6+6 a
Sous des traits moins affreuxaisément s'envisage ; 6+6 a
Et, comme je vous dis,toute l'habileté 6+6 a
1275 Ne va qu'à le savoirtourner du bon côté. 6+6 b
ARNOLPHE
Après ce beau discours,toute la confrérie 6+6 c
Doit un remerciementà votre seigneurie ; 6+6 c
Et quiconque voudravous entendre parler 6+6 b
Montrera de la joieà s'y voir enrôler. 6+6 a
CHRYSALDE
1280 Je ne dis pas cela,car c'est ce que je blâme ; 6+6 a
Mais, comme c'est le sortqui nous donne une femme, 6+6 a
Je dis que l'on doit faireainsi qu'au jeu de dés, 6+6 a
, s'il ne vous vient pasce que vous demandez, 6+6 a
Il faut jouer d'adresse,et d'une âme réduite 6+6 a
1285 Corriger le hasardpar la bonne conduite. 6+6 a
ARNOLPHE
C'est-à-dire dormiret manger toujours bien, 6+6 a
Et se persuaderque tout cela n'est rien. 6+6 a
CHRYSALDE
Vous pensez vous moquer ;mais, à ne vous rien feindre, 6+6 a
Dans le monde je voiscent choses plus à craindre 6+6 a
1290 Et dont je me feraisun bien plus grand malheur 6+6 a
Que de cet accidentqui vous fait tant de peur. 6+6 a
Pensez-vous qu'à choisirde deux choses prescrites, 6+6 a
Je n'aimasse pas mieuxêtre ce que vous dites, 6+6 a
Que de me voir maride ces femmes de bien, 6+6 a
1295 Dont la mauvaise humeurfait un procès sur rien, 6+6 a
Ces dragons de vertu,ces honnêtes diablesses, 6+6 a
Se retranchant toujourssur leurs sages prouesses, 6+6 a
Qui, pour un petit tortqu'elles ne nous font pas, 6+6 a
Prennent droit de traiterles gens de haut en bas, 6+6 a
1300 Et veulent, sur le piedde nous être fidèles, 6+6 a
Que nous soyons tenusà tout endurer d'elles ? 6+6 a
Encore un coup, compère,apprenez qu'en effet 6+6 a
Le cocuage n'estque ce que l'on le fait, 6+6 a
Qu'on peut le souhaiterpour de certaines causes, 6+6 a
1305 Et qu'il a ses plaisirscomme les autres choses. 6+6 a
ARNOLPHE
Si vous êtes d'humeurà vous en contenter, 6+6 a
Quant à moi, ce n'est pasla mienne d'en têter ; 6+6 a
Et plutôt que subirune telle aventure 6+6 a
CHRYSALDE
Mon Dieu ! Ne jurez point,de peur d'être parjure. 6+6 a
1310 Si le sort l'a réglé,vos soins sont superflus, 6+6 a
Et l'on ne prendra pasvotre avis là-dessus. 6+6 a
ARNOLPHE
Moi, je serais cocu ?
CHRYSALDE
Vous voilà bien malade ! 6+6 a
Mille gens le sont bien,sans vous faire bravade, 6+6 a
Qui de mine, de cœur,de biens et de maison, 6+6 a
1315 Ne feraient avec vousnulle comparaison. 6+6 a
ARNOLPHE
Et moi, je n'en voudraisavec eux faire aucune. 6+6 a
Mais cette raillerie,en un mot, m'importune : 6+6 a
Brisons là, s'il vous plt.
CHRYSALDE
Vous êtes en courroux. 6+6 a
Nous en saurons la cause.Adieu. Souvenez-vous, 6+6 a
1320 Quoi que sur ce sujetvotre honneur vous inspire, 6+6 a
Que c'est être à demice que l'on vient de dire, 6+6 a
Que de vouloir jurerqu'on ne le sera pas. 6+6 a
ARNOLPHE
Moi, je le jure encore,et je vais de ce pas 6+6 a
Contre cet accidenttrouver un bon remède. 6+6 a
Il court heurter à sa porte.
SCÈNE IX
ARNOLPHE
1325 Mes amis, c'est icique j'implore votre aide. 6+6 a
Je suis édifiéde votre affection ; 6+6 a
Mais il faut qu'elle éclateen cette occasion ; 6+6 a
Et si vous m'y servezselon ma confiance, 6+6 a
Vous êtes assurésde votre récompense. 6+6 a
1330 L'homme que vous savez(n'en faites point de bruit) 6+6 a
Veut, comme je l'ai su,m'attraper cette nuit, 6+6 a
Dans la chambre d'Agnèsentrer par escalade ; 6+6 a
Mais il lui faut nous troisdresser une embuscade. 6+6 a
Je veux que vous preniezchacun un bon bâton, 6+6 a
1335 Et quand il sera prèsdu dernier échelon 6+6 a
(Car dans le temps qu'il fautj'ouvrirai la fenêtre), 6+6 a
Que tous deux, à l'envi,vous me chargiez ce trtre, 6+6 a
Mais d'un air dont son dosgarde le souvenir, 6+6 a
Et qui lui puisse apprendreà n'y plus revenir : 6+6 a
1340 Sans me nommer pourtanten aucune manière, 6+6 a
Ni faire aucun semblantque je serai derrière. 6+6 a
Aurez-vous bien l'espritde servir mon courroux ? 6+6 a
ALAIN
S'il ne tient qu'à frapper,monsieur, tout est à nous : 6+6 a
Vous verrez, quand je bats,si j'y vais de main morte. 6+6 a
GEORGETTE
1345 La mienne, quoique aux yeuxelle n'est pas si forte, 6+6 a
N'en quitte pas sa partà le bien étriller. 6+6 a
ARNOLPHE
Rentrez donc ; et surtoutgardez de babiller. 6+6 a
Seul.
Voilà pour le prochainune leçon utile ; 6+6 a
Et si tous les marisqui sont en cette ville 6+6 a
1350 De leurs femmes ainsirecevaient le galant, 6+6 a
Le nombre des cocusne serait pas si grand. 6+6 a
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE
ARNOLPHE
Trtres, qu'avez-vous faitpar cette violence ? 6+6 a
ALAIN
Nous vous avons rendu,monsieur, obéissance. 6+6 a
ARNOLPHE
De cette excuse en vainvous voulez vous armer : 6+6 a
1355 L'ordre était de le battre,et non de l'assommer ; 6+6 a
Et c'était sur le dos,et non pas sur la tête, 6+6 a
Que j'avais commandéqu'on fît choir la tempête. 6+6 a
Ciel ! Dans quel accidentme jette ici le sort ! 6+6 a
Et que puis-je résoudreà voir cet homme mort ? 6+6 a
1360 Rentrez dans la maison,et gardez de rien dire 6+6 a
De cet ordre innocentque j'ai pu vous prescrire. 6+6 a
Seul.
Le jour s'en va partre,et je vais consulter 6+6 a
Comment dans ce malheurje me dois comporter. 6+6 a
Hélas ! Que deviendrai-je ?Et que dira le père, 6+6 a
1365 Lorsque inopinémentil saura cette affaire ? 6+6 a
SCÈNE II
HORACE, à part
Il faut que j'aille un peureconntre qui c'est. 6+6 a
ARNOLPHE
t-on jamais prévu
Heurté par Horace, qu'il ne reconnaît pas.
Qui va là, s'il vous plt ? 6+6 a
HORACE
C'est vous, seigneur Arnolphe ?
ARNOLPHE
Oui, mais vous ? …
HORACE
C'est Horace. 6+6 a
Je m'en allais chez vous,vous prier d'une grâce. 6+6 a
Vous sortez bien matin !
ARNOLPHE, bas, à part
1370 Quelle confusion ! 6+6 a
Est-ce un enchantement ?Est-ce une illusion ? 6+6 a
HORACE
J'étais, à dire vrai,dans une grande peine, 6+6 a
Et je bénis du ciella bonté souveraine 6+6 a
Qui fait qu'à point nomméje vous rencontre ainsi. 6+6 a
1375 Je viens vous avertirque tout a réussi, 6+6 a
Et même beaucoup plusque je n'eusse osé dire, 6+6 a
Et par un incidentqui devait tout détruire. 6+6 a
Je ne sais point par l'on a pu soupçonner 6+6 a
Cette assignationqu'on m'avait su donner ; 6+6 a
1380 Mais, étant sur le pointd'atteindre à la fenêtre, 6+6 a
J'ai, contre mon espoir,vu quelques gens partre, 6+6 a
Qui, sur moi brusquementlevant chacun le bras, 6+6 a
M'ont fait manquer le piedet tomber jusqu'en bas, 6+6 a
Et ma chute, aux dépensde quelque meurtrissure, 6+6 a
1385 De vingt coups de bâtonm'a sauvé l'aventure. 6+6 a
Ces gens-là, dont était,je pense, mon jaloux, 6+6 a
Ont imputé ma chuteà l'effort de leurs coups ; 6+6 a
Et, comme la douleur,un assez long espace, 6+6 a
M'a fait sans remuerdemeurer sur la place, 6+6 a
1390 Ils ont cru tout de bonqu'ils m'avaient assommé, 6+6 a
Et chacun d'eux s'en estaussitôt alarmé. 6+6 a
J'entendais tout leur bruitdans le profond silence : 6+6 a
L'un l'autre ils s'accusaientde cette violence ; 6+6 a
Et sans lumière aucune,en querellant le sort, 6+6 a
1395 Sont venus doucementtâter si j'étais mort : 6+6 a
Je vous laisse à pensersi, dans la nuit obscure, 6+6 a
J'ai d'un vrai trépassésu tenir la figure. 6+6 a
Ils se sont retirésavec beaucoup d'effroi ; 6+6 a
Et comme je songeaisà me retirer, moi, 6+6 a
1400 De cette feinte mortla jeune Agnès émue 6+6 a
Avec empressementest devers moi venue ; 6+6 a
Car les discours qu'entre euxces gens avaient tenus 6+6 a
Jusques à son oreilleétaient d'abord venus, 6+6 a
Et pendant tout ce troubleétant moins observée, 6+6 a
1405 Du logis aisémentelle s'était sauvée ; 6+6 a
Mais me trouvant sans mal,elle a fait éclater 6+6 a
Un transport difficileà bien représenter. 6+6 a
Que vous dirai-je ? Enfincette aimable personne 6+6 a
A suivi les conseilsque son amour lui donne, 6+6 a
1410 N'a plus voulu songerà retourner chez soi, 6+6 a
Et de tout son destins'est commise à ma foi. 6+6 a
Considérez un peu,par ce trait d'innocence, 6+6 a
l'expose d'un foula haute impertinence, 6+6 a
Et quels fâcheux périlselle pourrait courir, 6+6 a
1415 Si j'étais maintenanthomme à la moins chérir. 6+6 a
Mais d'un trop pur amourmon âme est embrasée : 6+6 a
J'aimerais mieux mourirque l'avoir abusée ; 6+6 a
Je lui vois des appasdignes d'un autre sort, 6+6 a
Et rien ne m'en sauraitséparer que la mort. 6+6 a
1420 Je prévois là-dessusl'emportement d'un père ; 6+6 a
Mais nous prendrons le tempsd'apaiser sa colère. 6+6 a
À des charmes si douxje me laisse emporter, 6+6 a
Et dans la vie enfinil se faut contenter. 6+6 a
Ce que je veux de vous,sous un secret fidèle, 6+6 a
1425 C'est que je puisse mettreen vos mains cette belle, 6+6 a
Que dans votre maison,en faveur de mes feux, 6+6 a
Vous lui donniez retraiteau moins un jour ou deux. 6+6 a
Outre qu'aux yeux du mondeil faut cacher sa fuite, 6+6 a
Et qu'on en pourra faireune exacte poursuite, 6+6 a
1430 Vous savez qu'une filleaussi de sa façon 6+6 a
Donne avec un jeune hommeun étrange souon ; 6+6 a
Et comme c'est à vous,sûr de votre prudence, 6+6 a
Que j'ai fait de mes feuxentière confidence, 6+6 a
C'est à vous seul aussi,comme ami généreux, 6+6 a
1435 Que je puis confierce dépit amoureux. 6+6 a
ARNOLPHE
Je suis, n'en doutez point,tout à votre service. 6+6 a
HORACE
Vous voulez bien me rendreun si charmant office ? 6+6 a
ARNOLPHE
Très volontiers, vous dis-je ;et je me sens ravir 6+6 a
De cette occasionque j'ai de vous servir, 6+6 a
1440 Je rends grâces au cielde ce qu'il me l'envoie, 6+6 a
Et n'ai jamais rien faitavec si grande joie. 6+6 a
HORACE
Que je suis redevableà toutes vos bontés ! 6+6 a
J'avais de votre partcraint des difficultés ; 6+6 a
Mais vous êtes du monde,et dans votre sagesse 6+6 a
1445 Vous savez excuserle feu de la jeunesse. 6+6 a
Un de mes gens la gardeau coin de ce détour. 6+6 a
ARNOLPHE
Mais comment ferons-nous ?Car il fait un peu jour : 6+6 a
Si je la prends ici,l'on me verra peut-être ; 6+6 a
Et s'il faut que chez moivous veniez à partre, 6+6 a
1450 Des valets causeront.Pour jouer au plus sûr, 6+6 a
Il faut me l'amenerdans un lieu plus obscur. 6+6 a
Mon allée est commode,et je l'y vais attendre. 6+6 a
HORACE
Ce sont précautionsqu'il est fort bon de prendre. 6+6 a
Pour moi, je ne feraique vous la mettre en main, 6+6 a
1455 Et chez moi, sans éclat,je retourne soudain. 6+6 a
ARNOLPHE, seul
Ah ! Fortune, ce traitd'aventure propice 6+6 a
Répare tous les mauxque m'a faits ton caprice ! 6+6 a
Il s'enveloppe le nez de son manteau.
SCÈNE III
HORACE, à Agnès
Ne soyez point en peine je vais vous mener : 6+6 a
C'est un logement sûrque je vous fais donner. 6+6 a
1460 Vous loger avec moi,ce serait tout détruire : 6+6 a
Entrez dans cette porteet laissez-vous conduire. 6+6 a
Arnolphe lui prend la main sans qu'elle le reconnaisse.
AGNÈS, à Horace
Pourquoi me quittez-vous ?
HORACE
Chère Agnès, il le faut. 6+6 a
AGNÈS
Songez donc, je vous prie,à revenir bientôt. 6+6 a
HORACE
J'en suis assez pressépar ma flamme amoureuse. 6+6 a
AGNÈS
1465 Quand je ne vous vois point,je ne suis point joyeuse. 6+6 a
HORACE
Hors de votre présence,on me voit triste aussi. 6+6 a
AGNÈS
Hélas ! S'il était vrai,vous resteriez ici. 6+6 a
HORACE
Quoi ? Vous pourriez douterde mon amour extrême ! 6+6 a
AGNÈS
Non, vous ne m'aimez pasautant que je vous aime. 6+6 a
Arnolphe la tire.
Ah ! L'on me tire trop.
HORACE
1470 C'est qu'il est dangereux, 6+6 a
Chère Agnès, qu'en ce lieunous soyons vus tous deux ; 6+6 a
Et le parfait amide qui la main vous presse 6+6 a
Suit le zèle prudentqui pour nous l'intéresse. 6+6 a
AGNÈS
Mais suivre un inconnuque
HORACE
N'appréhendez rien : 6+6 a
1475 Entre de telles mainsvous ne serez que bien. 6+6 a
AGNÈS
Je me trouverais mieuxentre celles d'Horace. 6+6 a
Et j'aurais…
À Arnolphe qui la tire encore.
Attendez.
HORACE
Adieu : le jour me chasse. 6+6 a
AGNÈS
Quand vous verrai-je donc ?
HORACE
Bientôt, assurément. 6+6 a
AGNÈS
Que je vais m'ennuyerjusques à ce moment ! 6+6 a
HORACE, en s'en allant
1480 Grâce au ciel, mon bonheurn'est plus en concurrence, 6+6 a
Et je puis maintenantdormir en assurance. 6+6 a
SCÈNE IV
ARNOLPHE, le nez dans son manteau, et déguisant sa voix
Venez, ce n'est pas làque je vous logerai, 6+6 a
Et votre gîte ailleursest par moi préparé : 6+6 b
Je prétends en lieu sûrmettre votre personne. 6+6 c
Se faisant connaître.
Me connaissez-vous ?
AGNÈS, le reconnaissant
Hay !
ARNOLPHE
1485 Mon visage, friponne, 6+6 c
Dans cette occasionrend vos sens effrayés, 6+6 b
Et c'est à contre-cœurqu'ici vous me voyez. 6+6 a
Je trouble en ses projetsl'amour qui vous possède. 6+6 a
Agnès regarde si elle ne verra point Horace.
N'appelez point des yeuxle galant à votre aide : 6+6 a
1490 Il est trop éloignépour vous donner secours. 6+6 a
Ah ! Ah ! Si jeune encor,vous jouez de ces tours ! 6+6 a
Votre simplicité,qui semble sans pareille, 6+6 a
Demande si l'on faitles enfants par l'oreille ; 6+6 a
Et vous savez donnerdes rendez-vous la nuit, 6+6 a
1495 Et pour suivre un galantvous évader sans bruit ! 6+6 a
Tudieu ! Comme avec luivotre langue cajole ! 6+6 a
Il faut qu'on vous ait miseà quelque bonne école. 6+6 a
Qui diantre tout d'un coupvous en a tant appris ? 6+6 a
Vous ne craignez donc plusde trouver des esprits ? 6+6 a
1500 Et ce galant, la nuit,vous a donc enhardie ? 6+6 a
Ah ! Coquine, en venirà cette perfidie ? 6+6 a
Malgré tous mes bienfaitsformer un tel dessein ! 6+6 a
Petit serpent que j'airéchauffé dans mon sein, 6+6 a
Et qui, dès qu'il se sent,par une humeur ingrate, 6+6 a
1505 Cherche à faire du malà celui qui le flatte ! 6+6 a
AGNÈS
Pourquoi me criez-vous ?
ARNOLPHE
J'ai grand tort en effet ! 6+6 a
AGNÈS
Je n'entends point de maldans tout ce que j'ai fait. 6+6 a
ARNOLPHE
Suivre un galant n'est pasune action infâme ? 6+6 a
AGNÈS
C'est un homme qui ditqu'il me veut pour sa femme : 6+6 a
1510 J'ai suivi vos leçons,et vous m'avez prêché 6+6 a
Qu'il se faut marierpour ôter le péché. 6+6 a
ARNOLPHE
Oui. Mais pour femme, moije prétendais vous prendre ; 6+6 a
Et je vous l'avais fait,me semble, assez entendre. 6+6 a
AGNÈS
Oui. Mais, à vous parlerfranchement entre nous, 6+6 a
1515 Il est plus pour celaselon mon gt que vous. 6+6 a
Chez vous le mariageest fâcheux et pénible, 6+6 a
Et vos discours en fontune image terrible ; 6+6 a
Mais, las ! Il le fait, lui,si rempli de plaisirs, 6+6 a
Que de se marieril donne des désirs. 6+6 a
ARNOLPHE
Ah ! C'est que vous l'aimez,trtresse !
AGNÈS
1520 Oui, je l'aime. 6+6 a
ARNOLPHE
Et vous avez le frontde le dire à moi-même ! 6+6 a
AGNÈS
Et pourquoi, s'il est vrai,ne le dirais-je pas ? 6+6 a
ARNOLPHE
Le deviez-vous aimer,impertinente ?
AGNÈS
Hélas ! 6+6 a
Est-ce que j'en puis mais ?Lui seul en est la cause ; 6+6 a
1525 Et je n'y songeais paslorsque se fit la chose. 6+6 a
ARNOLPHE
Mais il fallait chassercet amoureux désir. 6+6 a
AGNÈS
Le moyen de chasserce qui fait du plaisir ? 6+6 a
ARNOLPHE
Et ne saviez-vous pasque c'était me déplaire ? 6+6 a
AGNÈS
Moi ? Point du tout. Quel malcela vous peut-il faire ? 6+6 a
ARNOLPHE
1530 Il est vrai, j'ai sujetd'en être réjoui. 6+6 a
Vous ne m'aimez donc pas,à ce compte ?
AGNÈS
Vous ?
ARNOLPHE
Oui. 6+6 a
AGNÈS
Hélas ! Non.
ARNOLPHE
Comment, non !
AGNÈS
Voulez-vous que je mente ? 6+6 a
ARNOLPHE
Pourquoi ne m'aimer pas,madame l'impudente ? 6+6 a
AGNÈS
Mon Dieu, ce n'est pas moique vous devez blâmer : 6+6 a
1535 Que ne vous êtes-vous,comme lui, fait aimer ? 6+6 a
Je ne vous en ai pasempêché, que je pense. 6+6 a
ARNOLPHE
Je m'y suis efforcéde toute ma puissance ; 6+6 a
Mais les soins que j'ai pris,je les ai perdus tous. 6+6 a
AGNÈS
Vraiment, il en sait donclà-dessus plus que vous ; 6+6 a
1540 Car à se faire aimeril n'a point eu de peine. 6+6 a
ARNOLPHE
Voyez comme raisonneet répond la vilaine ! 6+6 a
Peste ! Une précieuseen dirait-elle plus ? 6+6 a
Ah ! Je l'ai mal connue ;ou, ma foi ! Là-dessus 6+6 a
Une sotte en sait plusque le plus habile homme. 6+6 a
1545 Puisque en raisonnementvotre esprit se consomme, 6+6 a
La belle raisonneuse,est-ce qu'un si long temps 6+6 a
Je vous aurai pour luinourrie à mes dépens ? 6+6 a
AGNÈS
Non. Il vous rendra toutjusques au dernier double. 6+6 a
ARNOLPHE, bas, à part
Elle a de certains mots mon dépit redouble. 6+6 a
Haut.
1550 Me rendra-t-il, coquine,avec tout son pouvoir, 6+6 a
Les obligationsque vous pouvez m'avoir ? 6+6 a
AGNÈS
Je ne vous en ai pasd'aussi grandes qu'on pense. 6+6 a
ARNOLPHE
N'est-ce rien que les soinsd'élever votre enfance ? 6+6 a
AGNÈS
Vous avez là dedansbien opéré vraiment, 6+6 a
1555 Et m'avez fait en toutinstruire joliment ! 6+6 a
Croit-on que je me flatte,et qu'enfin, dans ma tête, 6+6 a
Je ne juge pas bienque je suis une bête ? 6+6 a
Moi-même, j'en ai honte ;et, dans l'âge je suis, 6+6 a
Je ne veux plus passerpour sotte, si je puis. 6+6 a
ARNOLPHE
1560 Vous fuyez l'ignorance,et voulez, quoi qu'il cte, 6+6 a
Apprendre du blondinquelque chose ?
AGNÈS
Sans doute. 6+6 a
C'est de lui que je saisce que je puis savoir : 6+6 a
Et beaucoup plus qu'à vousje pense lui devoir. 6+6 a
ARNOLPHE
Je ne sais qui me tientqu'avec une gourmade 6+6 a
1565 Ma main de ce discoursne venge la bravade. 6+6 a
J'enrage quand je voissa piquante froideur, 6+6 a
Et quelques coups de poingsatisferaient mon cœur. 6+6 b
AGNÈS
Hélas ! Vous le pouvez,si cela peut vous plaire. 6+6 c
ARNOLPHE
Ce mot et ce regarddésarme ma colère, 6+6 c
1570 Et produit un retourde tendresse et de cœur, 6+6 b
Qui de son actionm'efface la noirceur. 6+6 a
Chose étrange d'aimer,et que pour ces trtresses 6+6 a
Les hommes soient sujetsà de telles faiblesses ! 6+6 a
Tout le monde conntleur imperfection : 6+6 a
1575 Ce n'est qu'extravaganceet qu'indiscrétion ; 6+6 a
Leur esprit est méchant,et leur âme fragile ; 6+6 a
Il n'est rien de plus faibleet de plus imbécile, 6+6 a
Rien de plus infidèle :et malgré tout cela, 6+6 a
Dans le monde on fait toutpour ces animaux-là. 6+6 a
À Agnès.
1580 Hé bien ! Faisons la paix.Va, petite trtresse, 6+6 a
Je te pardonne toutet te rends ma tendresse. 6+6 a
Considère par làl'amour que j'ai pour toi, 6+6 a
Et me voyant si bon,en revanche aime-moi. 6+6 a
AGNÈS
Du meilleur de mon cœurje voudrais vous complaire : 6+6 a
1585 Que me cterait-il,si je le pouvais faire ? 6+6 a
ARNOLPHE
Mon pauvre petit bec,tu le peux, si tu veux. 6+6 a
Il fait un soupir.
Écoute seulementce soupir amoureux, 6+6 a
Vois ce regard mourant,contemple ma personne, 6+6 a
Et quitte ce morveuxet l'amour qu'il te donne. 6+6 a
1590 C'est quelque sort qu'il fautqu'il ait jeté sur toi, 6+6 a
Et tu seras cent foisplus heureuse avec moi. 6+6 a
Ta forte passionest d'être brave et leste : 6+6 a
Tu le seras toujours,va, je te le proteste ; 6+6 a
Sans cesse, nuit et jour,je te caresserai, 6+6 a
1595 Je te bouchonnerai,baiserai, mangerai ; 6+6 a
Tout comme tu voudras,tu pourras te conduire : 6+6 a
Je ne m'explique point,et cela, c'est tout dire. 6+6 a
Bas, à part.
Jusqu' la passionpeut-elle faire aller ! 6+6 a
Haut.
Enfin à mon amourrien ne peut s'égaler : 6+6 a
1600 Quelle preuve veux-tuque je t'en donne, ingrate ? 6+6 a
Me veux-tu voir pleurer ?Veux-tu que je me batte ? 6+6 a
Veux-tu que je m'arracheun côté de cheveux ? 6+6 a
Veux-tu que je me tue ?Oui, dis si tu le veux : 6+6 a
Je suis tout prêt, cruelle,à te prouver ma flamme. 6+6 a
AGNÈS
1605 Tenez, tous vos discoursne me touchent point l'âme : 6+6 a
Horace avec deux motsen ferait plus que vous. 6+6 a
ARNOLPHE
Ah ! C'est trop me braver,trop pousser mon courroux. 6+6 a
Je suivrai mon dessein,bête trop indocile, 6+6 a
Et vous dénicherezà l'instant de la ville. 6+6 a
1610 Vous rebutez mes vœuxet me mettez à bout ; 6+6 a
Mais un cul de couventme vengera de tout. 6+6 a
SCÈNE V
ALAIN
Je ne sais ce que c'est,monsieur, mais il me semble 6+6 a
Qu'Agnès et le corps morts'en sont allés ensemble. 6+6 a
ARNOLPHE
La voici. Dans ma chambreallez me la nicher : 6+6 a
À part.
1615 Ce ne sera pas làqu'il la viendra chercher ; 6+6 a
Et puis c'est seulementpour une demi-heure : 6+6 a
Je vais, pour lui donnerune sûre demeure, 6+6 a
À Alain.
Trouver une voiture.Enfermez-vous des mieux, 6+6 a
Et surtout gardez-vousde la quitter des yeux. 6+6 a
Seul.
1620 Peut-être que son âme,étant dépaysée, 6+6 a
Pourra de cet amourêtre désabusée. 6+6 a
SCÈNE VI
HORACE
Ah ! Je viens vous trouver,accablé de douleur. 6+6 a
Le ciel, seigneur Arnolphe,a conclu mon malheur ; 6+6 a
Et par un trait fatald'une injustice extrême, 6+6 a
1625 On me veut arracherde la beauté que j'aime. 6+6 a
Pour arriver icimon père a pris le frais ; 6+6 a
J'ai trouvé qu'il mettaitpied à terre ici près ; 6+6 a
Et la cause, en un mot,d'une telle venue, 6+6 a
Qui, comme je disais,ne m'était pas connue, 6+6 a
1630 C'est qu'il m'a mariésans m'en récrire rien, 6+6 a
Et qu'il vient en ces lieuxcélébrer ce lien. 6+6 a
Jugez, en prenant partà mon inquiétude, 6+6 a
S'il pouvait m'arriverun contretemps plus rude. 6+6 a
Cet Enrique, dont hierje m'informais à vous, 6+6 a
1635 Cause tout le malheurdont je ressens les coups ; 6+6 a
Il vient avec mon pèreachever ma ruine, 6+6 a
Et c'est sa fille uniqueà qui l'on me destine. 6+6 a
J'ai, dès leurs premiers mots,pensé m'évanouir ; 6+6 a
Et d'abord, sans vouloirplus longtemps les ouïr, 6+6 b
1640 Mon père ayant parléde vous rendre visite, 6+6 c
L'esprit plein de frayeurje l'ai devancé vite. 6+6 c
De grâce, gardez-vousde lui rien découvrir 6+6 b
De mon engagementqui le pourrait aigrir ; 6+6 a
Et tâchez, comme en vousil prend grande créance, 6+6 a
1645 De le dissuaderde cette autre alliance. 6+6 a
ARNOLPHE
Oui-da.
HORACE
Conseillez-luide différer un peu, 6+6 a
Et rendez, en ami,ce service à mon feu. 6+6 a
ARNOLPHE
Je n'y manquerai pas.
HORACE
C'est en vous que j'espère. 6+6 a
ARNOLPHE
Fort bien
HORACE
Et je vous tiensmon véritable père. 6+6 a
1650 Dites-lui que mon âgeAh ! Je le vois venir : 6+6 a
Écoutez les raisonsque je vous puis fournir. 6+6 a
Ils demeurent en un coin du théâtre.
SCÈNE VII
Horace et Arnolphe se retirent dans un coins du théâtre, et parlent pas ensemble.
ENRIQUE, à Chrysalde
Aussitôt qu'à mes yeuxje vous ai vu partre, 6+6 a
Quand on ne m'est rien dit,j'aurais su vous conntre. 6+6 a
Je vous vois tous les traitsde cette aimable sœur 6+6 a
1655 Dont l'hymen autrefoism'avait fait possesseur ; 6+6 a
Et je serais heureuxsi la parque cruelle 6+6 a
M't laissé ramenercette épouse fidèle, 6+6 a
Pour jouir avec moides sensibles douceurs 6+6 a
De revoir tous les siensaprès nos longs malheurs. 6+6 a
1660 Mais puisque du destinla fatale puissance 6+6 a
Nous prive pour jamaisde sa chère présence, 6+6 a
Tâchons de nous résoudre,et de nous contenter 6+6 a
Du seul fruit amoureuxqui m'en est pu rester. 6+6 a
Il vous touche de près ;et, sans votre suffrage, 6+6 a
1665 J'aurais tort de vouloirdisposer de ce gage. 6+6 a
Le choix du fils d'Oronteest glorieux de soi ; 6+6 a
Mais il faut que ce choixvous plaise comme à moi. 6+6 a
CHRYSALDE
C'est de mon jugementavoir mauvaise estime 6+6 a
Que douter si j'approuveun choix si légitime. 6+6 a
ARNOLPHE, à part, à Horace
1670 Oui, je vais vous servirde la bonne façon. 6+6 a
HORACE, à part, à Arnolphe
Gardez, encore un coup…
ARNOLPHE, à Horace
N'ayez aucun souon. 6+6 a
Arnolphe quitte Horace pour aller embrasser Oronte.
ORONTE, à Arnolphe
Ah ! Que cette embrassadeest pleine de tendresse ! 6+6 a
ARNOLPHE
Que je sens à vous voirune grande allégresse ! 6+6 a
ORONTE
Je suis ici venu
ARNOLPHE
Sans m'en faire récit, 6+6 a
Je sais ce qui vous mène.
ORONTE
1675 On vous l'a déjà dit. 6+6 a
ARNOLPHE
Oui.
ORONTE
Tant mieux.
ARNOLPHE
Votre filsà cet hymen résiste, 6+6 a
Et son cœur prévenun'y voit rien que de triste : 6+6 a
Il m'a même priéde vous en détourner ; 6+6 a
Et moi, tout le conseilque je vous puis donner, 6+6 a
1680 C'est de ne pas souffrirque ce nœud se diffère, 6+6 a
Et de faire valoirl'autorité de père. 6+6 a
Il faut avec vigueurranger les jeunes gens, 6+6 a
Et nous faisons contre euxà leur être indulgents. 6+6 a
HORACE, à part
Ah ! Trtre !
CHRYSALDE
Si son cœura quelque répugnance, 6+6 a
1685 Je tiens qu'on ne doit paslui faire violence. 6+6 a
Mon frère, que je crois,sera de mon avis. 6+6 a
ARNOLPHE
Quoi ? Se laissera-t-ilgouverner par son fils ? 6+6 a
Est-ce que vous voulezqu'un père ait la mollesse 6+6 a
De ne savoir pas faireobéir la jeunesse ? 6+6 a
1690 Il serait beau vraimentqu'on le vît aujourd'hui 6+6 a
Prendre loi de qui doitla recevoir de lui ! 6+6 a
Non, non : c'est mon intime,et sa gloire est la mienne : 6+6 a
Sa parole est donnée,il faut qu'il la maintienne, 6+6 a
Qu'il fasse voir icide fermes sentiments, 6+6 a
1695 Et force de son filstous les attachements. 6+6 a
ORONTE
C'est parler comme il faut,et, dans cette alliance, 6+6 a
C'est moi qui vous répondsde son obéissance. 6+6 a
CHRYSALDE, à Arnolphe
Je suis surpris, pour moi,du grand empressement 6+6 a
Que vous nous faites voirpour cet engagement, 6+6 a
1700 Et ne puis devinerquel motif vous inspire 6+6 a
ARNOLPHE
Je sais ce que je fais,et dis ce qu'il faut dire. 6+6 a
ORONTE
Oui, oui, seigneur Arnolphe,il est…
CHRYSALDE
Ce nom l'aigrit ; 6+6 a
C'est monsieur de la Souche,on vous l'a déjà dit. 6+6 a
ARNOLPHE
Il n'importe.
HORACE, à part
Qu'entends-je ?
ARNOLPHE, se retournant vers Horace
Oui, c'est là le mystère, 6+6 a
1705 Et vous pouvez jugerce que je devais faire. 6+6 a
HORACE, à part
En quel trouble
SCÈNE VIII
GEORGETTE
Monsieur,si vous n'êtes auprès, 6+6 a
Nous aurons de la peineà retenir Agnès ; 6+6 a
Elle veut à tous coupss'échapper, et peut-être 6+6 a
Qu'elle se pourrait bienjeter par la fenêtre. 6+6 a
ARNOLPHE
1710 Faites-la-moi venir ;aussi bien de ce pas 6+6 a
À Horace.
Prétends-je l'emmener ;ne vous en fâchez pas : 6+6 a
Un bonheur continurendrait l'homme superbe ; 6+6 a
Et chacun a son tour,comme dit le proverbe. 6+6 a
HORACE, à part
Quels maux peuvent, ô ciel !égaler mes ennuis ! 6+6 a
1715 Et s'est-on jamais vudans l'abîme je suis ! 6+6 a
ARNOLPHE, à Oronte
Pressez vite le jourde la cérémonie : 6+6 a
J'y prends part, et déjàmoi-même je m'en prie. 6+6 a
ORONTE
C'est bien notre dessein.
SCÈNE IX
ARNOLPHE, à Agnès
Venez, belle, venez, 6+6 a
Qu'on ne saurait tenir,et qui vous mutinez. 6+6 a
1720 Voici votre galant,à qui, pour récompense, 6+6 a
Vous pouvez faire une humbleet douce révérence. 6+6 a
À Horace.
Adieu. L'événementtrompe un peu vos souhaits ; 6+6 a
Mais tous les amoureuxne sont pas satisfaits. 6+6 a
AGNÈS
Me laissez-vous, Horace,emmener de la sorte ? 6+6 a
HORACE
1725 Je ne sais j'en suis,tant ma douleur est forte. 6+6 a
ARNOLPHE
Allons, causeuse, allons.
AGNÈS
Je veux rester ici. 6+6 a
ORONTE
Dites-nous ce que c'estque ce mystère-ci, 6+6 a
Nous nous regardons tous,sans le pouvoir comprendre. 6+6 a
ARNOLPHE
Avec plus de loisirje pourrai vous l'apprendre. 6+6 a
Jusqu'au revoir.
ORONTE
1730 doncprétendez-vous aller ? 6+6 a
Vous ne nous parlez pointcomme il nous faut parler. 6+6 a
ARNOLPHE
Je vous ai conseillé,malgré tout son murmure, 6+6 a
D'achever l'hyménée.
ORONTE
Oui. Mais pour le conclure, 6+6 a
Si l'on vous a dit tout,ne vous a-t-on pas dit 6+6 a
1735 Que vous avez chez vouscelle dont il s'agit, 6+6 a
La fille qu'autrefoisde l'aimable Angélique, 6+6 a
Sous des liens secrets,eut le seigneur Enrique ? 6+6 a
Sur quoi votre discoursétait-il donc fondé ? 6+6 a
CHRYSALDE
Je m'étonnais ausside voir son procédé. 6+6 a
ARNOLPHE
Quoi ? …
CHRYSALDE
1740 D'un hymen secretma sœur eut une fille, 6+6 a
Dont on cacha le sortà toute la famille. 6+6 a
ORONTE
Et qui sous de feints noms,pour ne rien découvrir, 6+6 a
Par son époux aux champsfut donnée à nourrir. 6+6 a
CHRYSALDE
Et dans ce temps, le sort,lui déclarant la guerre, 6+6 a
1745 L'obligea de sortirde sa natale terre. 6+6 a
ORONTE
Et d'aller essuyermille périls divers 6+6 a
Dans ces lieux séparésde nous par tant de mers. 6+6 a
CHRYSALDE
ses soins ont gagnéce que dans sa patrie 6+6 a
Avaient pu lui ravirl'imposture et l'envie. 6+6 a
ORONTE
1750 Et de retour en France,il a cherché d'abord 6+6 a
Celle à qui de sa filleil confia le sort. 6+6 a
CHRYSALDE
Et cette paysannea dit avec franchise 6+6 a
Qu'en vos mains à quatre anselle l'avait remise. 6+6 a
ORONTE
Et qu'elle l'avait faitsur votre charité, 6+6 a
1755 Par un accablementd'extrême pauvreté. 6+6 a
CHRYSALDE
Et lui, plein de transportet l'allégresse en l'âme, 6+6 a
A fait jusqu'en ces lieuxconduire cette femme. 6+6 a
ORONTE
Et vous allez enfinla voir venir ici, 6+6 a
Pour rendre aux yeux de tousce mystère éclairci. 6+6 a
CHRYSALDE
1760 Je devine à peu prèsquel est votre supplice ; 6+6 a
Mais le sort en celane vous est que propice : 6+6 a
Si n'être point cocuvous semble un si grand bien, 6+6 a
Ne vous point marieren est le vrai moyen. 6+6 a
ARNOLPHE, s'en allant tout transporté, et ne pouvant parler
Ouf !
SCÈNE X
ORONTE
D' vient qu'il s'enfuitsans rien dire ?
HORACE
Ah ! Mon père, 6+6 a
1765 Vous saurez pleinementce surprenant mystère. 6+6 a
Le hasard en ces lieuxavait exécuté 6+6 a
Ce que votre sagesseavait prémédité : 6+6 b
J'étais par les doux nœudsd'une ardeur mutuelle 6+6 c
Engagé de paroleavecque cette belle ; 6+6 c
1770 Et c'est elle, en un mot,que vous venez chercher, 6+6 b
Et pour qui mon refusa pensé vous fâcher. 6+6 a
ENRIQUE
Je n'en ai point doutéd'abord que je l'ai vue, 6+6 a
Et mon âme depuisn'a cessé d'être émue. 6+6 a
Ah ! Ma fille, je cèdeà des transports si doux. 6+6 a
CHRYSALDE
1775 J'en ferais de bon cœur,mon frère, autant que vous, 6+6 a
Mais ces lieux et celane s'accommodent guères. 6+6 a
Allons dans la maisondébrouiller ces mystères, 6+6 a
Payer à notre amices soins officieux, 6+6 a
Et rendre grâce au cielqui fait tout pour le mieux. 6+6 a
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