Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
MEN_4/MEN36
Catulle MENDÈS
LE SOLEIL DE MINUIT
1875
Quand l'immémoriale | antiquité des jours 6+6 a
Commençait pour ce globe | et ses vides séjours, 6+6 a
L'obscure volonté | selon qui la matière 6+6 b
Se ruait à remplir | sa destinée entière 6+6 b
5 Faisait sur le désert | universel des eaux 6+6 a
Voguer des continents | comme de grands vaisseaux ; 6+6 a
Et, la nuit, sous l'œil clair | des récentes étoiles, 6+6 b
Les forêts s'emplissaient | de vent, comme des voiles ! 6+6 b
Aucun pilote humain. | Seul, le Hasard savant, 6+6 a
10 Capitaine pensif | qui veillait à l'avant, 6+6 a
Par l'épaisseur des mers | que le sillage échancre, 6+6 b
Guidait les lentes nefs, | et, parfois, jetait l'ancre, 6+6 b
Soit quand l'Est bleuissait, | soit quand avait grandi 6+6 a
L'épanouissement | des pourpres du Midi ! 6+6 a
15 Des îles, à l'arrière, | ainsi que des chaloupes, 6+6 b
Lourdes, traînaient, ou bien, | plus légères, par groupes, 6+6 b
Flottilles que l'on nomme | à présent archipels, 6+6 a
S'éloignaient sous l'azur | ou la brume des ciels. 6+6 a
Plus d'une, obéissant | à son propre mystère, 6+6 b
20 Tenta seule, ô destins ! | l'infini solitaire. 6+6 b
Donc, au septentrion | de la sphère, un îlot 6+6 a
S'échoua dans la paix | hivernale du flot. 6+6 a
Pendant amas de blocs | que la banquise épaule, 6+6 b
Ni l'âpre vent qui sort | de la bouche du pôle, 6+6 b
25 Ni les souffles du sud | épouvantés des mers 6+6 a
Ou le givre fleurit | sur les glaçons amers, 6+6 a
N'ont pu, depuis les jours, | faire bouger de place 6+6 b
Cette oasis de roc | dans le désert de glace. 6+6 b
Là, l'espace est blafard | sous les deuils persistants 6+6 a
30 D'un long minuit ! L'hiver | a-t-il gelé le temps 6+6 a
Dans le piège éternel | d'une seule heure sombre ? 6+6 b
Blême à peine, vers l'ouest, | s'ébauche une pénombre, 6+6 b
Sépulcre de brouillard | où gît le soleil mort ; 6+6 a
Et la neige aux grands plis, | linceul royal du Nord, 6+6 a
35 De la cime des monts | aux profondeurs s'épanche. 6+6 b
L'île déroule au loin | sa solitude blanche 6+6 b
Que prolonge la morne | et terne inclinaison 6+6 a
Des glaces de la mer | vers le gris horizon, 6+6 a
Et, miroir des pâleurs | sans fin continuées, 6+6 b
40 Le lourd ciel, en banquise | agrégeant ses nuées, 6+6 b
Stable ou s'entre-heurtant | comme un glacier fendu, 6+6 a
Semble un autre océan | polaire, suspendu ! 6+6 a
Du sol mélancolique | au dôme taciturne 6+6 b
S'étage le profond | crépuscule nocturne 6+6 b
45 Où se meuvent des corps | faits de neige et de nuit : 6+6 a
Grand faucon, tourmentant | l'air opaque, sans bruit ; 6+6 a
Renne qui sur le cap | broute une maigre touffe ; 6+6 b
Pétrel pêcheur, dans l'ombre | ou son râle s'étouffe 6+6 b
Hérissant par faisceaux | son court plumage brun 6+6 a
50 Visqueux de la rosée | amère de l'embrun ; 6+6 a
Loup hurleur, aux reins forts, | fauve louve, qui rôde 6+6 b
Vers un terrier trahi | par une brume chaude, 6+6 b
Pendant qu'au loin s'allonge | et plane en soulevant 6+6 a
Les plis du soir, le geste | étrangement vivant 6+6 a
55 D'un noir tronc d'arbre hors | d'une rocheuse fente, 6−6 b
Ou d'un mort que sa fosse | ouverte réenfante ! 6+6 b
Mais des formes bientôt | se dissout le semblant, 6+6 a
Obscur, dans le brouillard, | pâle, dans le sol blanc ; 6+6 a
Et, soit que pèse l'air | sur la plaine dormante, 6+6 b
60 Soit que, rude et rompant | les sapins, la tourmente 6+6 b
Roule aux gouffres, avec | l'avalanche, les ours, 6+6 a
La terre que poussa | le vent des premiers jours 6+6 a
Déploîra le désert | de ses blancheurs funèbres 6+6 b
Sous la lividité | stagnante des ténèbres. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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