Métrique en Ligne
LOZ_1/LOZ37
Albert LOZEAU
Poésies complètes I
L'ÂME SOLITAIRE
1902-1907
1907
II
VEILLES DU JOUR ET DE LA NUIT
La chanson des heures ― La Chansons des mois
I
LA CHANSON DES HEURES
À LA LUNE
I
Quand la lune au ciel noir resplendit claire et ronde, 6+6 a
Le vers en mon cerveau comme une eau vive abonde. 6+6 a
Il coule naturel comme une source au bois, 6+6 b
Avec des sons fluets de flûte et de hautbois 6+6 b
5 Et, souvent, des accords doux et mélancoliques 6+6 c
D’harmonium plaintif et de vieilles musiques. 6+6 c
La lune verse au cœur sa blanche intimité 6+6 a
De rêve vaporeux où passe une beauté, 6+6 a
Et dans les chemins creux où la fraîcheur s’exhale 6+6 b
10 Ajoute aux flaques d’eau quelques mares d’opale, 6+6 b
Où l’on voit quelquefois se noyer éperdu 6+6 c
Un insecte ébloui dans de l’astre épandu. 6+6 c
Mais elle qui parait pour toujours endormie, 6+6 a
Apaisée à jamais dans la grande accalmie, 6+6 a
15 Est si puissante encor qu’elle émeut l’Océan 6+6 b
Et fait frissonner l’homme aussi dans son néant. 6+6 b
Elle rend plus hardis les jeunes gens timides 6+6 c
Et plus près de l’amour la vierge aux yeux candides. 6+6 c
Tu n’es pas morte, non ! chère clarté des soirs 6+6 a
20 Qui trembles sur les lacs comme sur des miroirs ! 6+6 a
Et le cerf altéré qui boit à l’onde claire 6+6 b
En même temps que l’eau boit aussi ta lumière ; 6+6 b
Tu circules en lui comme un sang plus divin, 6+6 c
Car on n’absorbe pas de la splendeur en vain ! 6+6 c
25 Le vaste ciel poudré d’étoiles d’or scintille. 6+6 a
Quelqu’un dans l’ombre, en bas, attend qu’un rêve brille. 6+6 a
La Lune bienveillante au sourire d’argent, 6+6 b
Aide en son pur labeur le poète songeant, 6+6 b
Et tendrement, le long de ses rayons sublimes, 6+6 c
30 Laisse glisser des vers chantants aux belles rimes. 6+6 c
Ô Lune ! quel mystère habite en ta clarté, 6+6 a
Et quel pacte te lie à notre humanité ? 6+6 a
Toi pour qui les anciens vivants eurent un culte, 6+6 b
Tu fais régner sur nous ton influence occulte ; 6+6 b
35 Et ton charme attirant fait même, comme un jeu, 6+6 c
Tourner les papillons des nuits dans ton feu bleu ! 6+6 c
II
Quand tu parais, les soirs bénis, à ma fenêtre, 6+6 a
Ta lumière lointaine et vague me pénètre, 6+6 a
Et je me baigne en toi ! Transfigurant ma chair, 6+6 b
40 Tu me fais pur et beau, surnaturel et clair ; 6+6 b
Et je suis comme un dieu tout imprégné de lune, 6+6 a
Participant ainsi qu’un astre à la nuit brune ! 6+6 a
Oh ! l’heure incomparable et la divine nuit ! 6+6 b
Où donc l’amer chemin ? Où donc le morne ennui ! 6+6 b
45 La souffrance est passée, et ma joie est profonde 6+6 a
De goûter ici-bas la paix d’un autre monde 6+6 a
Je ne me livre pas au néant du sommeil, 6+6 b
Et j’attends l’heure triste où viendra le soleil 6+6 b
III
Changeante Lune ! Un soir, au ciel couleur d’ardoise 6+6 a
50 Tu montas rouge ainsi qu’un énorme tison ; 6+6 b
Et petit à petit, en laissant l’horizon, 6+6 b
Tu pris une nuance exquise de turquoise. 6+6 a
Une autre fois, ce fut comme une boule d’or 6+6 a
Que masquait par moment un passager nuage ; 6+6 b
55 Et puis tu redevins la Lune au bleu visage, 6+6 b
La Lune habituelle et que je vois encor. 6+6 a
Un lourd après-midi de juillet, tu fus blanche 6+6 a
Comme une immense hostie apparue en l’azur ; 6+6 b
Tu fondis, tel un peu de neige au soleil dur, 6+6 b
60 Et l’on ne revit plus ta face qui se penche 6+6 a
IV
Quand tu pleus en reflets sur les grands arbres verts, 6+6 a
Les oiseaux endormis que tu trempes d’opale 6+6 b
Doivent songer à Toi, Lune adorable et pâle, 6+6 b
Pénétrés de bien-être en leurs abris divers. 6+6 a
65 Leur petite âme frêle, inquiète et farouche, 6+6 a
Se pelotonne à l’aise en leurs chauds petits corps, 6+6 b
Quand tu luis ; chaque oiseau craignant les mauvais sorts 6+6 b
Fait sa prière à Toi, Lune, quand il se couche. 6+6 a
Et tu veilles sur l’homme autant que sur le nid, 6+6 a
70 Du haut de ta demeure inaccessible et sombre ; 6+6 b
Car le mal, ce complice ordinaire de l’ombre, 6+6 b
À dû craindre souvent ton regard infini. 6+6 a
Ô Lune ! jusqu’à toi permets que je m’élève ! 6+6 a
Je rampe plein d’ennui ! Jette-moi des rayons, 6+6 b
75 Que je m’en serve ainsi que de bleus échelons 6+6 b
Pour suivre dans l’éther, ton domaine, mon rêve ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique et distiques
schéma : 6(aabbcc) 6((aa)) 7(abba)
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