Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LOY_2/LOY48
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉLÉGIES
ÉLÉGIE VII
LES SOUVENIRS DE L'ENFANCE
A M. AUG. BACHELIER.
QUITTONS-LA, cher Auguste, | un sinistre discours. 6+6 a
Sur les arrêts du sort | que peuvent nos paroles ? 6+6 b
Par des mots d'espérance | à tort tu me consoles. 6+6 b
La Parque dans sa main | tient le fil de mes jours. 6+6 a
5 Sans vaine illusion, | sans alarmes frivoles, 6+6 b
A son ordre attendu | tout prêt à consentir, 6+6 c
Dès le premier signal | tu me verras partir. 6+6 c
Mais pourquoi sans raison | anticiper nos peines ? 6+6 d
Livrons à l'avenir | ses heures incertaines, 6+6 d
10 Et tant que nous pouvons, | de nos destins contens, 6+6 e
Vivons pendant la vie, | et laissons faire au tems. 6+6 e
Viens plutôt, montre-moi | ces lieux de ma naissance, 6+6 f
D'où m'a presque toujours | banni mon triste sort. 6+6 g
Respirons cet air pur, | dont l'heureuse puissance 6+6 f
15 Doit me rendre la vie | ou m'adoucir la mort. 6+6 g
O jours de mon printems, | ô mes jeunes années, 6+6 h
Sous un ciel étranger, | roses, hélas ! fanées, 6+6 h
Allez-vous refleurir | sur cet aimable bord 6+6 g
Où mon œil, enchanté | par mille doux prestiges, 6+6 j
20 De moi-même en tous lieux | retrouve les vestiges ? 6+6 j
Voilà l'humble atelier | où mes pauvres parens, 6+6 e
Pour'nourrir leur famille, | ont travaillé trente ans. 6+6 e
C'est ici qu'une vieille, | en son ample grimoire, 6+6 k
Me fit, la verge en main, | déchiffrer l'alphabet ; 6+6 l
25 Oui, je crois voir encor, | plein d'un effroi secret, 6+6 l
Et sa longue béquille, | et cette antique armoire 6+6 k
Qui cachait de Midas | le terrible bonnet. 6+6 l
Dans ce réduit voisin, | plus grand et plus habile, 6+6 m
On façonna mes doigts | au bel art de Cadmus. 6+6 n
30 Comme moi, cher ami, | disciple peu docile, 6+6 m
C'est là que nos deux cours | se sont d'abord connus ; 6+6 n
Là naquit entre nous | cette amitié sincère 6+6 o
Dont le feu vit encore | et doit vivre toujours. 6+6 a
Hélas ? tu t'en souviens, | là fut aussi mon frère… 6+6 o
35 Mon frère ! loin de nous | le démon de la guerre 6+6 o
Sous un ciel étranger | a moissonné ses jours ! 6+6 a
Mais pourquoi t'attrister | d'une pensée amère ? 6+6 o
Là de nos tours malins | tout était tributaire. 6+6 o
Dans l'école en tyrans | nous commandions tous trois, 6+6 p
40 Et le maître lui-même | y subissait nos lois. 6+6 p
Tu n'as point oublié | nos complots et nos crimes ; 6+6 q
Ces coups de pied furtifs | sous la table donnés, 6+6 r
Nos devoirs négligés, | nos jeux illégitimes, 6+6 q
Et les traits du mentor, | ses lunettes au nez, 6+6 r
45 D'une coupable main | sur le mur charbonnés. 6+6 r
Tu n'as point oublié | nos guerres mémorables, 6+6 t
Des discords paternels | images déplorables, 6+6 t
Ces glaives peu tranchans | pendus à nos côtés, 6+6 r
Et comme eux au bûcher | nos coursiers empruntés. 6+6 r
50 L'âge enfin nous mûrit | et nous rendit plus sages. 6+6 u
Nous étions, à douze ans, | de graves personnages. 6+6 u
Vois-tu ce lieu sacré ? | c'est là qu'un cierge en main, 6+6 v
Signe mystérieux | d'amour et d'innocence, 6+6 f
Pour la première fois, | au céleste festin, 6+6 v
55 Un pasteur vénérable | accueillit notre enfance. 6+6 f
O toi dont la bonté, | les vertus, le savoir, 6+6 w
Ont formé mon jeune âge, | ô mon guide et mon maître, 6+6 x
Le ciel loin de ces lieux | t'a conduit, et peut-être 6+6 x
Dans ce mortel séjour | je ne dois plus te voir ! 6+6 w
60 Sois heureux, quelque part | que t'ait porté ton zèle, 6+6 y
Fais pour d'autres encor | ce que tu fis pour moi : 6+6 z
Qu'ils gardent tes leçons, | et qu'en pensant à toi 6+6 z
La vertu chaque jour | leur paraisse plus belle ! 6+6 y
Quels objets cependant | s'offrent de toutes parts, 6+6 a
65 Et semblent à l'envi | disputer mes regards. 6+6 a
Salut, fleuve charmant ; | salut, belles prairies, 6+6 b
Qui prêtez à son cours | vos bordures fleuries ; 6+6 b
Salut, digue bruyante, | et toi triple moulin, 6+6 v
Dont cent fois sur ce bord | le murmure lointain 6+6 v
70 Vint troubler ou nourrir | mes douces rêveries ! 6+6 b
Qu'avec plaisir je vois | sortir des flots grondans, 6+6 e
Ces écluses toujours | par l'écume blanchies, 6+6 b
Que si souvent jadis, | dans mes jeux imprudens, 6+6 e
D'un pas audacieux | en tremblant j'ai franchies ! 6+6 b
75 Enfoncez-vous, vallons ; | coteaux, élevez-vous ; 6+6 c
Noirs rochers, vers les cieux | dressez vos fronts stériles ; 6+6 d
Vergers, couronnez-vous | de ces pommiers fertiles 6+6 d
Qui font sous nos pressoirs | couler un jus si doux, 6+6 c
Que le dieu des raisins | lui-même en est jaloux. 6+6 c
80 Mais le jour en fuyant | nous rappelle à la ville, 6+6 m
Ramenez-y nos pas, | sentier frais et tranquille, 6+6 m
Où l'on voit tour-à-tour | briller dans leurs saisons, 6+6 f
Les touffes du lilas, | l'aubépine odorante, 6+6 g
Et l'errant chèvrefeuille, | et la mûre sanglante, 6+6 g
85 Et la rose sauvage, | ornement des buissons. 6+6 f
Que j'aime à te revoir, | religieux hospice 6+6 h
Ou l'enfant inconnu | du malheur et du vice, 6+6 h
Retrouve, abandonné | par ses parens cruels, 6+6 i
Un berceau, des secours | et des soins maternels ! 6+6 i
90 Que j'aime à te revoir, | tour des siècles gothiques, 6+6 j
Et sous tes noirs créneaux | de beaux jardins couverts, 6+6 k
Ces violiers sortant | de tes flancs entr'ouverts ! 6+6 k
Mais où sont ces fossés, | où sont ces murs antiques, 6+6 j
Des exploits de Néra(1) |monumens authentiques ? 6+6 j
95 Beaux arbres qu'à leur place | on a vu s'élever, 6+6 s
Nous ne nous sommes point | connus dans mon jeune âge, 6+6 l
Et vous m'offrez en vain | votre récent ombrage, 6+6 l
Où mon cœur et mes yeux | n'ont rien à retrouver. 6+6 s
Que nos fats sémillans, | nos brillantes coquettes, 6+6 m
100 Viennent sous vos abris | méditer des conquêtes ; 6+6 m
Que Mondor y digère, | et que, tous les matins 6+6 n
Le grave nouvelliste | y règle nos destins ; 6+6 n
Pour moi, j'irai rêver | sur ce vieux bout du monde, 6+6 o
Superbe promenoir | de nos simples aïeux, 6+6 p
105 Qui depuis deux cents ans | suspend au bord de l'onde 6+6 o
Les marronniers plantés | sur son roc sourcilleux. 6+6 p
Là, les yeux attachés | aux riches perspectives 6+6 q
Qu'ouvre de tous côtés | un immense horizon, 6+6 r
Je verrai ces coteaux | couronnés de gazon, 6+6 r
110 Ces longs radeaux flottans, | ces barques fugitives, 6+6 q
Et ces tapis de lin | blanchissant sur les rives. 6+6 q
Là je contemplerai | cette enceinte où la croix, 6+6 p
Saluée en passant | du pieux villageois, 6+6 p
Annonce à mes regards | la demeure dernière 6+6 o
115 Qui tôt ou tard de l'homme | engloutit la poussière. 6+6 o
Le crois-tu, cher ami ? | dans ce funèbre enclos, 6+6 t
J'aime à choisir la place | où m'attend le repos. 6+6 t
Pour moi, cette pensée | a je ne sais quels charmes. 6+6 u
Mais d'où vient que tes yeux | se remplissent de larmes ? 6+6 u
120 La nuit est plus voisine ; | allons, viens, prends mon bras, 6+6 v
Tandis qu'un faible jour | éclaire encor nos pas. 6+6 v
(1)  Foulque Néra, fondateur de Château-Gonthier et d'un grand nombre de villes de l'Anjou et du Maine.
mètre profil métrique : 6+6
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