Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LOY_2/LOY37
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉPITRES
ÉPITRE III
A M. COUSIN,
PROFESSEUR D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE
A LA FACULTÉ DE PARIS
TANDIS que devers l'Elbe(1) |en des climats lointains 6+6 a
Tu vas interroger | le savoir des Germains, 6+6 a
Et que, Solon nouveau, | tu cours les grandes routes 6+6 b
Cherchant la vérité | pour rapporter des doutes, 6+6 b
5 Ton ami, cependant, | devenu villageois, 6+6 a
Attend la fin d'octobre | enterré dans les bois. 6+6 a
Comme toi j'ai quitté | les rives de la Seine, 6+6 b
J'ai visité les monts | que surnomma Pyrêne, 6+6 b
Et les champs de Toulouse, | où la victoire en deuil 6+6 a
10 De ses lauriers sanglans | se pare avec orgueil ; 6+6 a
J'ai vu devant Bordeaux, | sous les nefs des deux mondes, 6+6 b
L'opulente Garonne | enfler ses nobles ondes ; 6+6 b
Et près de Bergerac | arrosé par sa sœur(1), 6+6 a
Enfin d'un court repos | je goûte la douceur. 6+6 a
15 Là, parmi des forêts, | dont la noire étendue 6+6 b
De son aspect sauvage | attriste au loin la vue, 6+6 b
La nature a caché | le plus riant vallon 6+6 a
Où puisse en paix rêver | un enfant d'Apollon. 6+6 a
Deux rangs de verts coteaux | enferment des prairies, 6+6 b
20 Grâce aux tièdes zéphyrs, | en octobre fleuries : 6+6 b
Un ruisseau coule au fond, | dont les flots de cristal, 6+6 a
Sous de blancs peupliers | roulent à plein canal. 6+6 a
Et debout, à l'endroit | d'où la hauteur voisine 6+6 b
S'abaisse et vers la plaine | obliquement décline, 6+6 b
25 Entre un riche vignoble | et des bois verdoyans, 6+6 a
Un château règne au loin | sur ces aspects rians. 6+6 a
C'est là que dans le sein | de ses dieux domestiques, 6+6 b
Biran vient respirer | des affaires publiques, 6+6 b
Quand nos législateurs | vont par l'ordre du Roi 6+6 a
30 Jusqu'à l'hiver suivant | chez eux donner la loi. 6+6 a
C'est là qu'au gré du tems | coule ma vie oisive ; 6+6 b
Là, j'attends en repos | que la bise tardive 6+6 b
Dépouillant sans pitié | les bocages flétris, 6+6 a
Par le plus court chemin | me ramène à Paris. 6+6 a
35 Peut-être de mes jours, | au fond de cet asile, 6+6 b
Tu veux savoir l'emploi ? | le compte en est facile . 6+6 b
Sitôt que le soleil, | montant sur le coteau, 6+6 a
Enflamme de ses traits | les vitres du château, 6+6 a
Et pénétrant des bois | la profondeur obscure, 6+6 b
40 En chasse l'ombre épaisse | et l'humide froidure ; 6+6 b
Pendant que sur Platon, | Descartes ou Bonnet,. 6+6 a
Le maître du logis | rêve en son cabinet, 6+6 a
Peu troublé du souci | de veiller à ses granges, 6+6 b
Et de voir si la grêle | a frappé ses vendanges, 6+6 b
45 Je prends en main Racine, | Horace ou Fénelon, 6+6 a
Et vais, au jour naissant, | parcourir le vallon, 6+6 a
Ou seul dans le jardin, | sous une épaisse treille, 6+6 b
Je confie au papier | mes rimes de la veille. 6+6 b
Cependant à mes pieds | murmurent les ruisseaux ; 6+6 a
50 Le zéphyr qui frémit | parmi les arbrisseaux, 6+6 a
Du feuillage mouvant | sur la terre arrosée, 6+6 b
En gouttes de cristal | fait pleuvoir la rosée ; 6+6 b
L'alouette gazouille, | et les dernières fleurs 6+6 a
Demandent au soleil | ses dernières faveurs. 6+6 a
55 Hélas ! leur moment vient ; | déjà le pâle automne 6+6 b
De leur éclat tardif | en les voyant s'étonne. 6+6 b
Bientôt vers son midi | Phébus acheminé, 6+6 a
Marque à l'ombre des bois | l'heure du déjeûné ; 6+6 a
Je rentre. Du Moka | la table se parfume : 6+6 b
60 Dans la jatte de Sèvre | un lait mousseux écume, 6+6 b
Par l'air frais du matin | l'appétit bien ouvert, 6+6 a
Nous déjeûnons gaîment ; | mais hélas ! au dessert 6+6 a
A peine arrivons-nous, | que par toutes les portes 6+6 b
Nous voyons des fâcheux | affluer les cohortes. 6+6 b
65 Tu les connais ces gens, | dont le maintien flatteur 6+6 a
Semble porter écrit : | Je suis solliciteur. 6+6 a
« J'ai, Monsieur, au conseil | une importante affaire, 6+6 b
» Vous serez appelé ; | souffrez qu'en vous j'espère. 6+6 b
» Monsieur, j'ai quatre enfans, | j'ai besoin d'un emploi ; 6+6 a
70 » Vous avez tout pouvoir, | dites un mot au Roi. 6+6 a
» Ah ! Monsieur, protégez | un père de famille ; 6+6 b
» Je voudrais que l'État | fit élever ma fille. » 6+6 b
Tandis que sous leurs coups | mon hôte est aux abois, 6+6 a
Un fusil à la main, | je m'enfuis dans les bois : 6+6 a
75 Là, seul, pensif, errant | loin de tout œil profane, 6+6 b
Je rencontre ma Muse | ou je cherchais Diane. 6+6 b
En vain l'ardent Médor | bat les taillis voisins ; 6+6 a
Désormais oubliant | mes projets assassins, 6+6 a
Je vais chasser aux bords | de la docte fontaine ; 6+6 b
80 Mais ne voilà-t-il pas, | lorsque tout hors d'haleine, 6+6 b
Après de longs efforts | je crois saisir un vers, 6+6 a
Qu'un lièvre étourdi part | et se jette à travers ? 6+6 a
J'arme, je mets à l'œil ; | Médor joyeux aboie : 6+6 b
Ami, qu'il est mal sûr | de chasser double proie ! 6+6 b
85 Précédé de l'éclair, | le plomb mortel à fui, 6+6 a
Mon lièvre fuit plus vîte | et ma rime avec lui. 6+6 a
Je reviens au logis, | confus de ma disgrace, 6+6 b
Et Médor, à pas lents, | me suit l'oreille basse . 6+6 b
Suzette, par bonheur, | habile à tout prévoir, 6+6 a
90 N'avait pas de son rôt | fondé sur nous l'espoir. 6+6 a
Entre mon hôte donc | et sa bonne compagne 6+6 b
Je ris, le verre en main, | de ma triste campagne. 6+6 b
Festins dignes des dieux ! | délicieux banquets ! 6+6 a
Dont l'esprit de parti | ne trouble point la paix ! 6+6 a
95 Où nous laissons entre eux | s'escrimer la Minerve 6+6 b
Et le Conservateur | que le Ciel nous conserve ; 6+6 b
Ou le goût des beaux-arts, | la raison, l'amitié, 6+6 a
Dans nos doux entretiens | sont toujours de moitié. 6+6 a
Du beau, du vrai, du bon, | nous cherchons l'origine ; 6+6 b
100 Quel est ce noble instinct, | cette flamme divine 6+6 b
A qui dans tous les tems | la foule des mortels, 6+6 a
Sous le nom de génie | a dressé des autels ? 6+6 a
L'esprit humain, perdant | ses facultés premières, 6+6 b
Aux dépens de sa force | accroît-il ses lumières ? 6+6 b
105 Quelle cause conduit | les beaux-arts au tombeau ? 6+6 a
Peut-on des mœurs encor | rallumer le flambeau ? 6+6 a
Ou des âges passés | admirateurs stériles, 6+6 b
Ne devons-nous plus voir | dans nos siècles débiles 6+6 b
Fleurir les grands talens | et briller les héros ? 6+6 a
110 Le dîner doucement | passé dans ces propos, 6+6 a
Nous allons, côte à côte | errant à l'aventure, 6+6 b
Causer à travers champs, | lorsque enfin la nature 6+6 b
A de nouveaux objets | nous invite à son tour, 6+6 a
Et nous fait assister | au déclin d'un beau jour. 6+6 a
115 Dieu ! qui peindra jamais | ces flammes jaillissantes, 6+6 b
Cette mer de clartés | au loin resplendissantes, 6+6 b
Cet or pur qui ruisselle | en fleuves radieux, 6+6 a
Ces longs rideaux de pourpre | étendus dans les cieux, 6+6 a
Ces portiques d'azur, | de rubis et d'opale, 6+6 b
120 Ou ramenant le soir | sa marche triomphale, 6+6 b
Le front ceint de rayons | plus brillans que jamais, 6+6 a
Le roi puissant du jour | rentre dans son palais ? 6+6 a
Spectacle de grandeur | et de magnificence, 6+6 b
Long-tems notre œil ravi | te contemple en silence ! 6+6 b
125 Mais las de tant d'éclat, | enfin avec plaisir 6+6 a
Nous voyons du couchant | la splendeur s'affaiblir, 6+6 a
Jusqu'à ce point douteux | où la nuit solitaire, 6+6 b
Pour conquérir le ciel, | n'a plus qu'un pas à faire. 6+6 b
Alors parait Phébé ; | ses paisibles rayons 6+6 a
130 Vacillent dans les eaux, | glissent sur les gazons, 6+6 a
Jettent au fond des bois, | parmi les rameaux sombres, 6+6 b
Un jour aussi tranquille | et plus doux que les ombres. 6+6 b
Quel éclat ! quel silence ! | et quel calme enchanteur ! 6+6 a
Dieux ! voilà les plaisirs | qui sont faits pour mon cœur ! 6+6 a
135 Quelle étoile sinistre, | à me nuire obstinée, 6+6 b
En guerre avec mes goûts | a mis ma destinée ? 6+6 b
Asiles du repos, | champs, vallons écartés, 6+6 a
Votre ingrat possesseur | cherche dans les cités 6+6 a
Un bonheur qui le fuit, | et que cette retraite 6+6 b
140 Offre à si peu de frais | à son ame inquiète ; 6+6 b
L'insensé ! de ces biens | dont il est dédaigneux, 6+6 a
La moindre part, hélas ! | aurait comblé mes vœux ! 6+6 a
Oh ! qui me donnera | près d'une humble vallée, 6+6 b
Loin du chemin public, | dans les bois reculée, 6+6 b
145 Une maison rustique | au penchant d'un coteau ; 6+6 a
Quelques prés, un bocage, | un limpide ruisseau, 6+6 a
Et des moissons assez | de quoi nourrir leur maître ! 6+6 b
Alors, si près de moi, | dans mon réduit champêtre, 6+6 b
Une épouse unissant | la grâce à la raison, 6+6 a
150 Charme ma solitude | et règle ma maison ; 6+6 a
Si le soir, près du feu, | je puis voir mon vieux père, 6+6 b
Caresser mes enfans | dans les bras de ma mère ; 6+6 b
Enfin, lorsque parfois | daignant me visiter, 6+6 a
Témoin de mon bonheur, | tu viendras l'augmenter, 6+6 a
155 Si ma table sans luxe | abondamment pourvue, 6+6 b
Ne craint point d'un ami | l'arrivée imprévue, 6+6 b
Que puis-je avoir encore | à demander aux dieux, 6+6 a
Que de chanter leurs dons | en vers mélodieux ? 6+6 a
Mais Paris me rappelle. | Adieu, trop doux mensonges : 6+6 b
160 Mon destin fut toujours | de n'être heureux qu'en songes. 6+6 b
Sachons aux lois du sort | arranger notre humeur. 6+6 a
Patience, ici-bas, | fait moitié du bonheur, 6+6 a
Et nul avec raison | ne se plaint de la vie, 6+6 b
A qui de moins heureux | peuvent porter envie. 6+6 b
(1) M. Cousin voyageait en Allemagne lorsque cette épître lui fut adressée.
(2) La Dordogne.
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