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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LOR_1/LOR57
Jean LORRAIN
LE SANG DES DIEUX
1882
III
LE SANG DES DIEUX
ENNOÏA
A LECONTE DE LISLE
CHILPÉRIC, roi des Francsde Metz et de Neustrie, 6+6 a
Un soir qu'avec les siens,chargés d'orfèvrerie 6+6 a
Et de ciboires d'orétincelants d'émaux, 6+6 b
Il revenait au pastriste et las des chevaux 6+6 b
5 De piller au lointainquelque riche abbaye, 6+6 a
Apeut au rebordde la route accroupie, 6+6 a
Les pieds nus et la faceappuyée aux genoux, 6+6 b
Lasse et blême, une femmeaux fauves cheveux roux 6+6 b
Qui dormait.
Auprès d'elleun vieillard au front chauve 6+6 a
10 Était debout, veillant…et, sur sa toison fauve, 6+6 a
Le ciel bleu rayonnaitimplacablement pur ; 6+6 b
Car on était en Juin,au mois d'or et d'azur 6+6 b
Et les épis brûlaientdans la chaleur intense. 6+6 a
La femme était si pâleà voir et son silence 6+6 a
15 Si noir que Chilpéric,appuyant sur le mors 6+6 b
De sa jument, fit halteet devant tous ces ors 6+6 b
Ébloui, regardala femme et lui fit signe 6+6 a
D'approcher et les grands,l'air imposant et digne, 6+6 a
Se taisaient.
Mais la femme,immobile et les yeux 6+6 b
20 Voilés entre ses doigtset ses fauves cheveux 6+6 b
Qui pendaient, sans entendreet voir, restait assise 6+6 a
Sur le talus… Alorslevant sa face grise 6+6 a
Et triste sur le roi,déjà devenu blanc 6+6 b
De courroux, le vieillard,un maigre au cou branlant, 6+6 b
25 Lui dit : « Elle est aveugleet n'entend pas ; son âme 6+6 a
« L'a quittée » et le roivit alors une flamme 6+6 a
Bizarre, qui dansaitsous sa robe en lambeaux 6+6 b
Hors d'un grand vase en bronzeAinsi que des tombeaux 6+6 b
S'élève un feu follet,nocturne effroi du pâtre, 6+6 a
30 La flamme sur cette urneerrait fine et bleuâtre, 6+6 a
Très pâle, et Chilpéricet ses gens avaient peur. 6+6 b
Il t voulu partir,mais béant de stupeur 6+6 b
Il restait pour savoirle nom de cette fille 6+6 a
Si blême.
Haussant le vaseet le feu qui vacille, 6+6 a
35 L'homme la fit leveralors et l'amena 6+6 b
Sous les yeux du roi francet lui l'examina. 6+6 b
Son visage amaigri,d'une douceur étrange, 6+6 a
Était comme mordupar places, gris de fange. 6+6 a
Ses bras d'un blanc neigeuxsous la trace des coups 6+6 b
40 Étaient nus, ses cheveuxs'accrochaient dans les trous 6+6 b
De sa robe et malgréson aveugle prunelle 6+6 a
Sans flamme, elle était làsi grave et solennelle 6+6 a
Que le roi, soulevésur sa selle, étouffant, 6+6 b
t voulu l'avoir làtoujours.
« C'est une enfant 6+6 b
45 « Que j'ai prise avec moi,sire, étant sans famille. 6+6 a
« Elle me suit partoutdepuis, la pauvre fille ! 6+6 a
« Elle et moi nous erronsensemble désormais. » 6+6 b
— « Alors elle est aveugleet ne parle jamais ? » 6+6 b
Interrompit le roitout entier à son rêve. 6+6 a
50 — « Jamais… non ; quelquefoisun an entier s'achève. 6+6 a
« Elle demeure ainsisans «manger et sans voix, 6+6 b
« Puis elle se réveille,et, durant tout un mois, 6+6 b
« Elle débite alorsdes choses merveilleuses 6+6 a
« Et le peuple la suitpar les routes poudreuses. » 6+6 a
55 Et Chilpéric avideet le regard ardent 6+6 b
Lui dit : « Fais-la parler,» et l'homme en grommelant 6+6 b
Reprit : « Parle, Ennoïa,raconte-nous tes rêves. » 6+6 a
Alors d'une voix lenteet, comme au bord des grèves 6+6 a
On en entend la nuitgémir, elle parla. 6+6 b
60 O prodige ! on t ditqu'elle n'était pas là 6+6 b
Tant cette voix dolenteétait faible et lointaine. 6+6 a
C'était comme un échod'une douleur humaine 6+6 a
Et de maux endurésdans des temps très anciens, 6+6 b
Et le roi Chilpéricentre ses Neustriens 6+6 b
65 En l'entendant parler,croyait revivre en songe. 6+6 a
L'enfant dit : « Cher Éden,ô terre du mensonge, 6+6 a
« L'arbre est là, monstrueux,énorme avec ses fruits 6+6 b
« Merveilleux dont l'éclatinonde dans les nuits 6+6 b
« Les tigres et les loupscouchés dans ses racines, 6+6 a
70 « Dans les rameaux légersvont les âmes divines, 6+6 a
« Voltigeant et rayantl'azur de leur essor ; 6+6 b
« Et moi, les yeux ravis,j'écoute la voix d'or 6+6 b
« De l'archange invisibleet doux qui me conseille. 6+6 a
« Son étrange harmonieenivre mon oreille ; 6+6 a
75 « Et dans r ombre odoranteau fond des grands bois sourds 6+6 b
« Je bois, le cœur trop plein,palpitante d'amours, 6+6 b
« Sa parole adorableet forte… »
« Mais c'est Ève ! » 6+6 a
S'écria le roi franc…« Ne troublez pas son rêve 6+6 a
« Ou l'esprit se taira,» dit l'homme avec deux doigts 6+6 b
80 Sur sa bouche et l'enfantde sa dolente voix 6+6 b
Reprit :
« La voile au ventse bombait, la galère 6+6 a
« Fendait l'écume et moi,craignant de lui déplaire, 6+6 a
« J'écoutais sourianteet les yeux dans ses yeux. 6+6 b
« Qu'importe si je perdsl'âpre faveur des dieux, 6+6 b
85 « Qu'importe si je troubleà jamais ma patrie, » 6+6 a
Disait-il, « et ma villeet l'Hellade fleurie ? 6+6 a
« Toi tu m'appartiendrasdans ma belle maison. 6+6 b
« Qu'elle était douce, ami,sous sa riche toison 6+6 b
« De phanthères d'Asieet d'Égypte, la chambre, 6+6 a
90 « Haute de ton palais…Les bras frais, sentant l'ambre, 6+6 a
« Il venait se coucherdoucement à mes pieds 6+6 b
« Sur les tapis velus,et là des jours entiers, 6+6 b
« Loin des champs de batailleet des cris des victoires, 6+6 a
« Caressant mes cheveux,il contait des histoires 6+6 a
95 « Et le soir nous montionsensemble sur les tours. 6+6 b
« Là, le long des créneaux,tous deux pâles d'amours, 6+6 b
« Nous regardions au loins'éclairer dans la brume 6+6 a
« Les deux camps, les signauxet les feux qu'on allume, 6+6 a
« Ulysse avec les chefsassemblés en dehors 6+6 b
100 « De leurs tentes ou bienAchille au casque d'ors, 6+6 b
« Qui conduisait un chararmé le long des sables. » 6+6 a
Et le roi franc songeaitqu'un soir autour des tables 6+6 a
Deux poètes latins,chanteurs, musiciens, 6+6 b
Étaient venus rôder,disant des vers anciens, 6+6 b
105 Dont le texte parlaitvaguement de ces choses. 6+6 a
Même entre les drageoirspleins de sauge et de roses 6+6 a
Les leudes en riantles avaient fait assoir 6+6 b
Et manger jusqu'à l'aube.
« Ils m'ont frottée un soir, 6+6 b
« D'onguents, murmura-t-elle,et puis ils m'ont vendue 6+6 a
110 « Pour amuser le peupleAlors je fus perdue 6+6 a
« A jamais et chacunme prit dans le chemin. 6+6 b
« Une nuit que, debout,je faisais, cistre en main, 6+6 b
« Danser des matelotsau fond d'une taverne, 6+6 a
« Une averse éclatasur le toit, la lanterne 6+6 a
115 « Du bouge s'éteignitet moi parmi les coups 6+6 b
« Les jurons et les crisde tous ces hommes sls 6+6 b
« Je pleurais, quand un hommeentra dans la mêlée 6+6 a
« Et me prit par la main.»
— « C'est moi ; je l'ai trouvée 6+6 a
« Buvant avec la lieet l'écume des ports, 6+6 b
120 « Et l'ai prise avec moi,dit l'homme. Depuis lors 6+6 b
« Elle me suit, pauvre êtrearraché de l'abîme. 6+6 a
« Tour à tour adultère,innocente et victime, 6+6 a
« Elle fut Ennoïa,Barbelo, Prounikos. 6+6 b
« Elle est de tous les temps ;l'ancien dieu grec Éros, 6+6 b
125 « L'Astarté de Sidon,parfois la chasse encore. 6+6 a
« Hélène au temps de Troie,Homère et Stésichore 6+6 a
« Ont maudit sa mémoireet le héros païen 6+6 b
« L'avait pour concubineA Rome un plébéien. 6+6 b
« Qui l'aimait, l'égorgeavivante, échevelée ; 6+6 a
130 « Et les rois sous Tarquinl'ont prise et violée 6+6 a
« Dans le corps de LucrèceElle fut Dalila 6+6 b
« Qui coupait les cheveuxde SamsonAttila 6+6 b
« Fut par elle égorgédans la chambre de noces. 6+6 a
« Sous les tentes de cuir, veillent les molosses, 6+6 a
135 « Son ombre avec Juditherrait dans Israël 6+6 b
« Et bien des cous tranchésont sur son bras cruel 6+6 b
« Saigné.
Fausse, idolâtre,à tous prostituée, 6+6 a
« Elle a trné partout,de joie exténuée, 6+6 a
« Chanté dans chaque bouge,au coin de tous les bourgs, 6+6 b
140 « Baisé tous les passants,usé tous les amours. 6+6 b
« Les voleurs ont connusa grâce charmeresse. 6+6 a
« A Sidon, en Syrie,elle était leur mtresse 6+6 a
« Et buvait avec euxl'âpre gain de sa nuit. 6+6 b
« Le jour elle cachaitun prêtre dans son lit, 6+6 b
145 « Dans son lit tiède encordes passants de la veille. 6+6 a
« Alors moi, la voyanttoujours grasse et vermeille. 6+6 a
« Moi je l'ai rachetéeà prix d'or aux voleurs 6+6 b
« Et si bien rétablieet mise en ses splendeurs, 6+6 b
« Que les beaux jeunes genset les vieillards avares, 6+6 a
150 « Dont les bras sont serrésau poignet d'anneaux rares, 6+6 a
« Quand nous passions ensembleauprès de leur logis, 6+6 b
« Me suivaient par la villeavec des yeux rougis 6+6 b
« Et de l'or plein les mains.
Néron fut épris d'elle 6+6 a
« Et la fit mettre à mort :il la trouvait trop belle 6+6 a
155 « Et craignait de l'aimer ;Caüs Caligula 6+6 b
« La fit empoisonner ;Titus, lui, l'exila ; 6+6 b
« Et le peuple affoléla prenait pour la lune, 6+6 a
« Tant son front était pâle.
Et c'est là ma fortune. 6+6 a
« Je l'emmène avec moichez les rois, les puissants, 6+6 b
160 « Et les crimes de fangeet les crimes de sangs, 6+6 b
« Toutes les trahisonsd'un passé de folie 6+6 a
« Débordent sur le trôneet la pourpre avilie, 6+6 a
« Et c'est là mon triompheet tout ce que je veux : 6+6 b
« Tout dissoudre. »
Et le franc,troublé par ces aveux, 6+6 b
165 Sentait poindre et monter,comme un feu dans son âme, 6+6 a
Le désir fou d'avoirà son tour cette femme. 6+6 a
Ce corps livide et blêmeentrevu par les trous 6+6 b
De sa robe, ces brasmordus et bleus de coups, 6+6 b
Ces yeux blancs l'attiraient :désir infâme, étrange 6+6 a
170 De se vautrer enfintout un jour dans la fange, 6+6 a
De toucher cette boueet de gter ce fiel. 6+6 b
Or, ayant fait remettreau vieillard solennel 6+6 b
Ses anneaux d'or massifet sa bourse pesante, 6+6 a
Le roi, la gorge sècheet l'oreille luisante, 6+6 a
175 Lui fit dire à voix basse :« Amène-là ce soir 6+6 b
« Au palais. Un valetviendra la recevoir 6+6 b
« Au seuil. » Et les chevaux,qui mangeaient en silence, 6+6 a
Ayant repris leur pasde rêve et d'indolence, 6+6 a
Le cortège harassédu roi franc disparut 6+6 b
Par le sentier des blés.
180 Vers le soir, ayant bu 6+6 b
Trois cruches d'hydromelet deux de vin du Rhône. 6+6 a
Le roi franc fit venirHildebert près du trône 6+6 a
Et lui transmit un ordreaimable assurément. 6+6 b
Car le valet souritdans l'ombre.
A ce moment 6+6 b
185 Un homme, conduisantune femme très pâle, 6+6 a
Ayant heurté trois foisdu plat de sa sandale 6+6 a
Sur le seuil en dehors,la porte aux clous de fer 6+6 b
Céda sans bruit et l'hommeavec un rire amer 6+6 b
Ayant poussé la femmeen avant dans la salle, 6+6 a
190 La serve Frédégondeentra, sinistre et pâle, 6+6 a
Dans la chambre à coucherdes rois Mérowingiens. 6+6 b
Et la guerre, la haineentre les rois chrétiens 6+6 b
Égorgés, le poison,le meurtre, l'adultère 6+6 a
Entrèrent avec elleet sous la vte austère 6+6 a
195 Frédégonde, attentiveaux pas du roi des Francs, 6+6 b
Écoutait, les bras nuscroisés sur ses seins blancs, 6+6 b
Se presser et monterdu lointain encor sombre 6+6 a
Les désastres futurset les crimes sans nombre, 6+6 a
Tous maux nés de la femmeet laissés aux neveux 6+6 b
200 Par l'aïeul, et la joieéclatait dans ses yeux. 6+6 b
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